53. Guerre pâtissière

EZRA

Un éternuement résonna dans l'espace exigu de l'appartement d'Athena et je levai les yeux au ciel. C'était au moins le cinquième depuis que nous étions arrivés, sûrement dus au mélange de poussière et d'autre chose. Un truc qui venait titiller les narines de ma petite perle.

L'endroit où vivait Athena était aux antipodes de ce qu'on pouvait s'attendre lorsqu'on savait qui étaient ses parents et son frère.

J'appelai ça un appartement fonctionnel. Et de récupération. Rien n'allait avec rien, c'en était presque drôle. Un peu comme si un joueur dans les Sims s'était amusé à façonner une maison bohème, où tout se mélangeait, se confondait. L'électroménager dans la cuisine paraissait neuf, jamais utilisé et connaissant le démon, ça devait être le cas. Un lieu de passage où Athena passait en coup de vent pour y dormir avant de repartir sans se soucier un tant soit peu de se sentir chez elle. Ne disait-on pas pourtant que le lieu où nous vivions était le reflet de notre personne ?

Bien entendu, je voyais Athena partout ici, dans ce bordel sans nom, ce décalage entre les matières et les couleurs. Un ensemble un peu chaotique, mais tout autant expressif.

Je pouvais facilement l'imaginer, avant qu'elle entre dans nos vies et nous dans la sienne, traîner à même le sol devant sa vieille télé désuète, de la nourriture à emporter devant elle.

Je la voyais rentrer après une grosse journée, trempée de sueur, bazarder ses fringues et se jeter dans cette douche qui faisait un boucan d'enfer, la tuyauterie vibrante et claquante dans un espace trop petit, se répercutant partout. S'enrouler dans une serviette s'arrêtant au niveau de ses cuisses et disparaître dans sa chambre à la recherche de vêtements propres. Son armoire ? Un véritable champ de bataille. Kai ne devait jamais, jamais foutre un pied ici sous risque de mourir foudroyer. Dans la seconde.

— Elle est morte. Genre, plus d'âme. Elle ne s'allume même plus, gronda le petit démon en réapparaissant.

Elle avait noué un bandana dans ses cheveux, ce qui lui allait à merveille. J'adorai la voir comme ça, sans l'expliquer.

— Tu veux dire rendre l'âme ? essayai-je.

Elle fit la moue.

— Ma machine à laver. Eh ben, elle marche plus. Finito. Mourut. Comme ça. Sans préavis !

J'éclatai de rire, parce que c'était plus fort que moi. J'oubliai les problèmes plus terre à terre d'Athena. Bien que pour le coup, je ne comprenais pas vraiment ledit souci évoqué.

— Et ? Tu sais que nous avons une grosse machine au loft et que tu l'utilises depuis quelques semaines déjà ?

— Peut-être, concéda-t-elle, amusée par la façon dont j'avais qualifié la machine. Mais même si je passe tout mon temps chez vous, ici, ça reste chez moi et j'ai besoin de laver mes fringues.

— Fais-le au loft.

Elle leva les yeux au ciel et disparut de nouveau dans sa salle de bain où je l'entendis marmonner. J'attrapai mon téléphone dans ma poche pour regarder le dernier message de Levi. Je lui tapotai une rapide réponse en voyant revenir ma petite perle, un sec rempli de vêtements dans les mains.

— Tu as de la monnaie ? demanda-t-elle en balançant le sac sur le vieux canapé miteux où je posai difficilement mes fesses dessus.

Les ressorts me faisaient mal. Elle ne me laissa pas le temps de répondre qu'elle fondit déjà sur moi, ses mains venant se faufiler dans ma poche pour attraper mon portefeuille.

— C'est dangereux ce que tu fais là, petite perle, gloussai-je.

Elle l'ouvrit et avisa les quelques pièces se battant en duel. Avec les nouveaux moyens de paiement, pourquoi s'encombrer ?

— Ça fera l'affaire, décréta-t-elle.

Elle se mit sur la pointe des pieds et déposa un rapide baiser sur mes lèvres entrouvertes, s'échappant de ma prise avant même que je puisse en réclamer plus. Bien plus. Tant pis pour les ressorts... Mais non, Athena se tenait déjà à l'entrée, m'attendant de pied ferme. Voilà que j'étais dépossédé de mon argent et j'ignorai ce qu'elle avait en tête. Pas rentrer au loft a priori.

Lorsqu'elle traversa la rue pour marcher droit vers une laverie, j'aurais dû en être surpris, mais en fait, pas tellement. J'hésitai sur le seuil, me demandant pour quoi une telle perte de temps. Athena avait ses lubies. Et si je pouvais me montrer effronté, elle, elle était carrément obstinée.

— Tu n'aimes pas notre machine ? grommelai-je.

— Je te rappelle que Levi ne nous veut pas au loft avant la fin de la journée, alors autant profiter, non ?

J'aurais eu bien d'autres idées en tête qui impliquait Athena toute nue et non pas Athena devant une machine d'une laverie publique.

Quelle horreur !

— Ne recommence pas à faire ta précieuse, bougonna-t-elle. Et viens donc m'aider !

Je levai les mains en signe de défaite : face à elle, je n'étais rien. Autant s'avouer vaincu avant même de livrer bataille.

Je vins lui tenir le sac pendant qu'elle fourrait son contenu dans le tambour. Elle referma la porte, inséra les pièces, choisi le programme après avoir versée lessive et adoucissant et l'eau afflua doucement.

— Tu n'as jamais mis les pieds dans un endroit pareil, hein ? me taquina-t-elle.

— Je suis quelqu'un d'occupé et de très demandé.

— Hinhin.

Elle me passa devant et alla s'installer sur la rangée de chaises inconfortables au possible devant la grande vitrine annonçant la couleur. Elle s'assit en tailleur et attrapa un vieux magazine qui datait d'une autre époque, au moins ! Je me contentai d'attendre, les mains dans les poches, me faisant la réflexion qu'il était hors de question que je pose mon corps quelque part dans ce lieu plein de microbes. Et d'autres trucs improbables.

— Y en a pour un moment, lâcha Athena sans relever les yeux vers moi. Viens donc poser ton joli postérieur à mes côtés. Il y a des mots croisés d'enfer !

— Je déteste ça.

— Par contre le scrabble, ça te parle.

La coquine. Vu comment tout ça s'était terminé l'autre soir, pour sûr que ça lui avait plu aussi !

Je gardai un souvenir vivace de ma tête entre ses cuisses pendant que Soren suçait Levi. Athena n'avait pas relevé, ni plus tard et encore moins sur l'instant. Je n'avais pas osé l'interroger à ce sujet, me faisant la réflexion que je ne la connaissais peut-être pas encore assez pour savoir ce que je pouvais aborder ou non avec elle. Et pour le coup, c'est moi qui réfléchissais plus que Levi. Avec elle, il semblait différent.

Plus protecteur ?

Plus dans le moment et dans les sensations ? J'aurais eu du mal à expliquer mon ressenti et mes impressions.

— J'ai toujours été doué pour jouer des mots.

— Avec ta langue peut-être ?

Je me retrouvai à côté d'elle, droit comme si j'avais un balai dans le cul.

— À toi de me le dire, ma petite perle.

Et elle rougit. Sa candeur apportait un souffle nouveau dans ma vie. Et ça me plaisait assez, même si j'ignorai encore où nous allions comme ça, tous ensemble. Elle jeta une œillade dans ma direction, les joues rouges, les yeux brillants d'un désir constant.

Nous voguions tous sur une étrange vague, tantôt instable et puissante, tantôt revêche et pleine de décadence. Je voulais demander à Athena de me parler de Soren.

Qu'elle me raconte leur histoire commune, même si cela ne tenait qu'à quelques instants volés dans une vie trop rapide.

Je voulais que Soren nous parle d'Athena. Il gardait encore les choses pour lui et ainsi, j'ignorai tout ce qu'il ressentait à son égard, en ayant tout de même ma petite idée.

— Tu m'aides alors ? souffla-t-elle.

— Un mot en dix lettres commençant par N ? Facile.

— Si tu dis nymphomane, je t'étripe sur place.

— Parce que tu en as un autre en tête toi ?

Elle me tira la langue et nous passâmes un temps fou à chercher des mots pour remplir cette foutue grille.

Lorsque la machine sonna, annonçant la fin de son cycle, je sautai sur mes pieds. Il régnait une chaleur de tous les diables, faisant couler la sueur dans mon dos.

Athena glissa son linge trempé dans son sac et nous fîmes le trajet inverse pour retrouver son appartement. Là, elle attrapa son étendoir pour y balancer ses fringues, mettant parfois une ou deux pinces à linge pour sa conscience. Je me contentai de lui tendre les vêtements, en passant du simple t-shirt à la petite culotte plutôt coquette.

Des dinosaures ? Des licornes ? Des fleurs ?

— Toute ma petite lingerie est au loft, grommela-t-elle entre ses dents, voyant mon sourcil s'arquer au fur et à mesure.

— On peut en ramener quelques-unes ? demandai-je en parlant de ce qui passait sous mes yeux depuis tout à l'heure.

Elle secoua la tête, amusée devant mon air d'abruti. Quand l'heure arriva pour nous d'enfin retourner au loft, elle récupéra un ou deux livres dans sa bibliothèque et au bas de son immeuble, siffla un taxi. Je donnai l'adresse au chauffeur et fus amusé lorsqu'Athena sortit de sa poche la page déchirée du magazine pour terminer de remplir les cases. Même le chauffeur sembla se prendre au jeu le temps du trajet et venant de la part de ma petite perle, ça ne me surprit même pas. Athena remercia chaleureusement l'homme derrière le volant et nous nous retrouvâmes dans l'ascenseur de la résidence.

Les portes s'ouvrirent sur un Levi nous tendant des tabliers.

— Je déclare les Jeux Pâtissiers ouverts.

Athena gloussa, attrapa son tablier, embrassa Levi sur la joue et s'éloigna presque en sautillant. La voix de Soren résonna de la cuisine et la réponse d'Athena se fit entendre, revêche. J'ignorai comment il arrivait à gérer Benson pour venir aussi souvent ces derniers temps, mais là-dessus, Soren se voulait comme Athena ; déterminé et obstiné. Quand il avait un truc derrière la tête, il ne s'en délestait qu'une fois l'issue favorable. Et Levi comme moi savions pertinemment ce qu'il voulait faire.

— Tu es diabolique, grondai-je contre la bouche de mon amoureux, attrapant à mon tour mon tablier et rejoignant mes deux adversaires.

En quoi consistaient les Jeux Pâtissiers de Levi ? Une véritable guerre pour pâtisser, tous les coups bas étant permis, hormis ceux portant préjudice à la recette en elle-même ; en gros interdiction de toucher aux ingrédients des autres. Aujourd'hui, nous devions faire un assortiment de cookies, de muffins et d'autres petites douceurs dans un temps imparti. Nous goûterions aux préparations des uns et des autres, mais Levi serait le seul à décider à la fin. Il n'était pas même chef pâtissier ce gredin !

Athena, bonne élève, attendait derrière son plan de travail, les cheveux relevés, une cuillère en bois entre les mains.

Je pris place à mon tour, prêt à me battre dans cette bataille implacable.

— Pâtissiers, pâtissière, les règles sont simples, commença Levi, très sérieux. Quand cette minuterie se mettra en route, vous pourrez commencer. Rappelez-vous de garder un temps pour le dressage à la fin. Je vous noterais sur la présentation, la forme, le goût et la mignonnerie. Tous les quarts d'heure, je viendrais aider l'un d'entre vous, quelle que soit sa demande. C'est moi qui choisirais la personne en fonction de votre... motivation.

Il souffla un baiser à Athena, fit un clin d'œil à Soren et m'offrit une œillade très suggestive.

— Tous les coups sont permis. Déstabiliser vos adversaires vous assurera peut-être la victoire. Ou pas. C'est clair pour tout le monde ?

Nos hochâmes la tête de concert, comme de bons petits soldats. Il attrapa le minuteur.

— À vos marques. Prêts ? Pâtissez !

Nous nous lançâmes dans le jeu, nez dedans. Soren amena le premier coup bas en prenant le temps de retirer d'abord son tablier, puis de passer son haut par-dessus sa tête pour le jeter plus loin. Levi, de l'autre côté du plan de travail, appuya sa joue contre sa paume et hocha la tête, content de ce début.

Athena me pinça plusieurs fois et je vins me frotter contre ses fesses, prétextant de devoir attraper un truc par là. Au bout de la première demi-heure, Levi se dirigea vers Soren pour l'aider dans sa préparation. Il y eut quelques murmures et un sacré long baiser. Mon œuf s'écrasa par terre et je grognai pour moi-même.

Mes cookies furent les premiers enfournés. Soren avait misé sur les muffins et Athena aussi semblait-il. Ils s'observèrent pour savoir qui utiliserait les plus gros moules en premier. Soren, sourire assurer, appuya sa hanche contre le plan de travail, bras croisés sur son torse. Il n'avait pas besoin de plus pour être à couper.

— Petit joueur, lâcha Athena et elle aussi fit tomber le t-shirt pour se dévoiler en brassière.

Bien sûr, nous nous arrêtâmes tous sur ses cicatrices, cet amas de chair ; vestige de son accident. Soren déglutit et je vis un truc dans son regard. Rien à voir avec le désir ou la luxure.

Un truc plus dur, plus sombre même.

Levi l'aida elle. Deux fois.

C'était de la triche, non ?

Mauvais joueur et encore plus mauvais pâtissier, j'abandonnai en cours de route et Chef s'enfuit lorsque de la farine vola en tout sens.

Et parce que Levi était un traître, il choisit les cookies d'Athena, mais trouva les muffins de Soren bien meilleur.

Recouvert de farine, je disparus prendre une douche fraîche et trouvai Chef devant la porte de la douche, attendant de pouvoir y entrer une fois l'eau coupée. Ce chat avait des lubies très étranges. Trop même.

Lorsque je redescendis, Levi se trouvait sur la terrasse, au téléphone. Ça parlait commande ou je ne sais quoi, donc forcément une histoire de restaurant. Je m'avançai vers la cuisine, mais m'arrêtai en y voyant Soren et Athena. Cette dernière se trouvait devant le mixeur, des fruits à l'intérieur, prête à faire un smoothie de saison. Elle n'avait pas remis son t-shirt. Toute trace de farine nous incriminant avait déjà disparu et tout semblait plus ou moins propre.

— Regarde ailleurs, grogna Athena, sentant les yeux de Soren rivé sur elle.

— Je ne me souvenais pas que c'était si... étendu, souffla ce dernier.

Parlait-il des cicatrices ? Il les avait déjà vues ?

— Tu aurais eu du mal à la savoir, vu que la dernière fois j'étais allongée dans un lit d'hôpital.

Oh.

Soren inspira. Très fort. Il décolla sa fesse et s'avança vers ma petite perle. Elle le sentit venir, mais ne se retourna pas pour lui faire face. Il s'arrêta dans son dos, son torse contre sa peau. Il alla jusqu'à poser sa main sur son épaule et elle ne broncha pas.

— Qu'est-ce qu'une frite enceinte ? souffla-t-il tout contre son oreille.

Il avait presque son visage dans ses cheveux.

Mon cœur caracola étrangement. Jamais je ne les avais vus aussi... proches l'un de l'autre. Bizarre, non ?

— Une patate sautée.

Et je le vis. Le grand sourire d'Athena, impossible à réfréner. Alors ainsi Soren n'avait pas besoin de lui murmurer des cochonneries pour faire naître un tel sourire, mais bien des blagues à deux balles.

Incroyable.

**

Ça se rapproche 🤩😚

Bon et sinon j'ose la question : votre rentrée s'est elle bien passée ? ❤️❤️

Des bisous 😏

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