42. Le doute ma bi... m'habite !


ATHENA

J'insérai la clé dans la serrure et repoussai le battant d'un coup d'épaule. Tout de suite une drôle d'odeur m'assaillit et je fronçai le nez, tirant sur mes écouteurs qui se délogèrent de mes oreilles.

— Prince ? appelai-je depuis l'immense hall de son appartement indécent.

Pourquoi ce terme ? Parce que c'était la vérité ! Je ne comprenais pas qu'on puisse vivre dans une telle surface en étant tout seul, ça revenait à jeter l'argent par les fenêtres. Enfin, ça restait mon point de vue et bien souvent je le gardais pour moi.

Des fringues jonchaient le sol et je me doutais que ce morceau de vêtement – une robe ? Vraiment ? – n'appartenait pas à mon ami. Pas besoin d'avoir les yeux en face des trous pour le comprendre.

Je slalomai parmi les boots, les paires de tennis, les futes et les manteaux pour arriver dans la grande pièce à vivre, ayant trouvée une toute nouvelle fonction durant mon absence.

Un baisodrome géant.

Des corps se mélangeaient à même le sol et bien que tout le monde semblât dormir du sommeil du juste, ceux dans le coin là-bas ne jouaient pas aux échecs, clairement.

Je pinçai mes lèvres, mécontente de découvrir une orgie grandeur nature, mais n'éprouvant aucune gêne à regarder. J'aurais aimé dire que je n'avais pas l'habitude, mais le fait est que ce n'était pas la première fois et sûrement pas la dernière non plus. D'où cette fameuse question d'habitude.

Les stores, baissés, n'offraient que quelques rayons de lumière, permettant de voir les corps, la nudité des uns et des autres dans un tableau impressionnant et dénué de toute intimité. Les seins se dévoilaient et les tétons, dressés, invitaient à quelques caresses habiles, passagères. Les sexes des hommes reposaient contre leur cuisse, attendant l'ordre d'un garde-à-vous général. Je voulais à tout prix éviter ce moment plus que malaisant. Je ne voulais pas être considéré comme un morceau de viande ou pis encore : un sex-toy humain. Pas trop mon délire, ça.

Je quittai le salon pour traverser un long couloir, ouvrant ma veste et me faisant la réflexion qu'il faudrait aérer une fois ce joli monde dégagé. Heureusement que les voisins ne paraissaient pas trop regardants ; peut-être même qu'il y en avait un ou deux dans le lot... ça n'aurait rien eu d'étonnant ! La porte de la chambre de Prince, entrouverte, me força à prêter l'oreille pour être sûre de ne rien surprendre. Je voulais garder une part d'innocence, certes, toute relative, mais quand même. Je connaissais tous les penchants de mon meilleur ami, les meilleurs comme les pires et par expérience, je savais que l'orgie rentrait clairement dans la deuxième catégorie. Soit il y avait eu un problème avec son Sugar Daddy, soit il s'agissait de Kyle, encore et toujours. Un problème qui au fil du temps devenait le mien et à un moment donné, je ne pourrais plus faire mine de détourner la tête en faisant mine de.

Aucun son, gémissement ou simulacre ne m'indiqua la présence d'une personne tierce et je repoussai donc la porte.

Je m'avançai vers le mur et appuyai sur le bouton qui fit se relever les volets et gorgeant ainsi la pièce des rayons de ce mois de janvier.

Prince enfouit son visage dans son oreiller en grommelant et je fus soulagée de le trouver seul dans son lit. Il partageait rarement la seconde place il fallait dire aussi. J'envoyai valser mes chaussures ainsi que ma veste et sautai sur le matelas, ne craignant pas de tomber sur quelques fluides indéterminés. Il baisait partout sauf dans son propre lit. Une zone de quarantaine donc. Je ne risquai rien à me rouler dans ces draps. Ou presque.

Je reposai ma tête contre le deuxième oreiller, sur le flan, observant mon ami, enfin, plutôt son oreille et sa joue. Torse nu, la couverture couvrait le reste de son corps, ce qui m'allait. Bon, oui j'avais déjà vu son engin, mais à ma défense, cela avait été un terrible accident !

— Il y a un sacré paquet de monde chez toi, mon beau prince, dis-je, arquant un sourcil.

— Beaucoup d'inconnus dans l'équation, grommela-t-il en réponse.

— Hinhin.

Il soupira et bougea pour se mettre dans la même position que moi, sur le flan, son visage tout près du mien.

— Tu aurais pu te laver les dents avant mon arrivée, je m'éventai au niveau du nez, moqueuse.

Même après une nuit de dépravation et sans être passé par sa salle de bain, Prince restait aussi frais qu'un gardon. Je sais, pas la meilleure comparaison possible, mais ça fonctionnait bien. Il restait beau. D'une perfection qui frôlait l'insolence.

— Parce que j'étais censé savoir que madame me ferait l'honneur d'enfin venir voir son meilleur ami ? Surtout après avoir choisi de partir à New York pour la nouvelle année ? Te serais-tu souvenu de moi depuis ?

Derrière sa tirade qui se voulait désinvolte, je sentis sa blessure, une fêlure qu'il avait du mal à garder sous silence, loin de mes yeux. Je me sentais un peu fautive d'avoir agis de cette façon, pas que j'avais oubliée Prince, mais je m'étais focalisée sur d'autres personnes, sans forcément lui en avoir parlé avant, d'où le fait qu'il soit vexé et blessé. L'un n'allait pas sans l'autre.

— J'ai vu des grosses boules, dis-je, mutine.

— Les miennes ne sont pas si impressionnantes que ça, si ?

Je lui donnai un coup et il ricana, content de sa bêtise.

— Tu veux me parler de tout ça ? soufflai-je, bien plus sérieuse.

— Pas vraiment, soupira-t-il en se tournant sur le dos. Tu sais comment c'est ; le bonheur et moi on ne fait pas bon ménage.

Là, il évoquait Kyle d'une manière détournée, préférant taire l'amour qu'il portait à l'homme de sa vie. C'est ainsi que je le voyais, même si Prince n'était pas près de l'admettre. Une belle erreur si vous vouliez mon avis. Kyle n'était pas un parangon de sainteté, tout comme Prince, et tous les deux foutaient leur cœur en l'air pour rien. Quand on ne pouvait se contenter du bonheur, à quoi se résumait l'existence ?

— Et je suis un peu paumé avec Adam.

Oh. Quand Prince commençait à parler de ses employeurs en usant de leur prénom, je pressentais le pot aux roses, les problèmes, la peine de cœur et tout le toutim.

Adam, hein ?

— Ta vie sentimentale à l'air d'être un vrai conte de Noël, raillai-je.

— On parle de la tienne ?

— Et donc, Adam ? préférai-je noyer le poisson.

Pas encore temps de parler de Levi, ni d'Ezra. Une fois que Prince serait au courant, ma vie deviendrait un véritable enfer de questions et de descriptions. Aucune envie de me lancer là-dedans aujourd'hui, surtout pas avec des baiseurs baisés baisables dans la pièce d'à côté.

— C'est un homme influant tu sais et clairement quand il fait appel à mes services, ce n'est pas pour que je l'accompagne à une soirée ou au restaurant.

Non, c'est pour te baiser dans sa super limousine.

Remarque acerbe retenue de justesse. Pas la peine de nous fâcher pour si peu.

— Il n'est pas particulièrement gentil, mais je sais pas, il écoute, tu vois ? Il fait mine de s'intéresser à ce que je dis ou fais.

Je pinçai mes lèvres, consciente que Prince faisait partie de ces personnes crédules à qui on pouvait tirer n'importe quoi. Ça ne me plaisait absolument pas, mais après tout, c'était sa vie et amie ou pas, je me devais d'accepter sa façon d'être au risque de le perdre. L'amitié, c'était aussi se taire.

Je posai ma main sur l'oreiller de Prince et lorsqu'il tourna sa tête, sa joue vint se loger contre ma paume.

— Lui et moi ça donnera rien, mais ce qu'on a pour le moment, ça me suffit. Se voir quand il le décide, ça ajoute du piment et pas mal de frustration. Et baiser frustrer, c'est le pied !

— Ben tient, j'ai comme un doute, rétorquai-je.

Le sourire de Prince mangea ses joues et je lui pinçai la peau avec ma main libre.

— Le doute t'habite, chérie ?

— Ta bite toi-même.

Nous éclatâmes de rire, toujours très contents de notre connerie. Prince ferma les yeux et mon autre main vint se poser sur sa deuxième joue. Son sourire lui donnait un air bien plus juvénile, rappelle que ce n'était pas encore tout à fait un homme. J'ignorai comment notre amitié fonctionnait aussi bien. Nous n'étions pas aux antipodes l'un de l'autre, certes, mais il y avait quand même un gouffre entre nos façons de penser et d'agir. Malgré tout, ça restait nous contre le reste du monde. Ou presque. Nos vies prenaient un tournant différent depuis quelques mois, nous amenant à nous voir moins souvent, sans réussir à nous séparer pour de bon. Tout le monde n'aurait pas été capable d'accepter les déboires de Prince, mais moi, je trouvais qu'être différent, même à l'extrême, ne pouvait pas faire de mal. Et puis les orgies existaient depuis la nuit des temps après tout.

— Et si on faisait bouger tout ce petit monde ? finis-je par demander.

— Laisse-moi me doucher et me changer avant et on se met en mode commando.

— Deal.

Je l'attendis dans sa chambre, ayant trop peur d'aller en zone de guerre et de me prendre une grenade en pleine gueule.

Je textotai à mon frère pour lui dire que malgré tout l'amour (vache) que je lui portais (euphémisme), je ne pourrais malheureusement pas (un pur bonheur donc) le voir aujourd'hui (ni jamais, en fait). Ce à quoi il répondit très – trop – vite, une suite de chiffre qui ressemblait à s'y méprendre à des coordonnées. Je fronçai des sourcils et balançai mon téléphone sur l'oreiller avant de me redresser. Prince surgi de sa salle de bain en jean slim et en t-shirt lui moulant outrageusement le torse.

— Bave devant moi, poupée.

Je gloussai.

— Je suis déjà dans ton lit, pas d'inquiétude.

Il me tendit sa main et nous passâmes l'heure suivante à faire preuve de diplomatie pour bazarder tout le monde du loft. J'ouvris chaque fenêtre, chaque porte vitrée pour faire partir l'odeur de sexe. Ne manquait plus qu'un bon coup de ménage et ni vu ni connu. L'immeuble jouissait de son service propre pour ça et Prince n'eut qu'à passer un coup de fil.

— Comment vont tes parents, au fait ? finis-je par demander, assise sur l'un des tabourets de la cuisine, pendant qu'il glissait une capsule de café dans sa machine.

Il haussa les épaules. Je savais qu'avec son père, ça restait compliqué, comme bien souvent dans des situations similaires. Prince racontait nombre de boniments à ses parents pour éviter la vérité. Quoi de plus normal à ce stade ?

— Comme d'habitude, souffla-t-il. La routine, la ferme, les voisins et les cancans. Tout ce qu'on aime, n'est-ce pas ? C'est les habitants contre le reste du monde.

Oui, un adage répandu dans les petites villes du pays. Là-bas, c'était comme s'il existait une loi propre à chaque communauté et bien souvent, on se fichait bien de ce qui se faisait ailleurs.

La sonnette retentit dans tout le loft ; déjà ?

— J'y vais ! m'exclamai-je sautillant jusqu'à l'entrée pour découvrir non pas la gentille personne venue pour nettoyer, mais mon frère.

— Cache ta joie, sauterelle, dit-il tout sourire.

Il ébouriffa mes cheveux et me passa devant sans attendre aucune invitation.

— Eh ben ; ça sent le foutre ici, lâcha-t-il.

Je gonflai mes joues et la porte claqua derrière moi.

— Bonjour à toi, Brackston, marmonna Prince, revêche devant la présence non désirée de mon cher grand-frère.

J'aurais dû me douter qu'il ne se contenterait pas de mon message et qu'il trouverait le moyen de pourrir ma journée. Foutue famille !

— Petit prince, se moqua Brackston. J'espère pour toi qu'Athena est arrivé après tes... petites affaires.

— Elle vient tout juste de sortir de mon lit si ça t'intéresse, rétorqua mon ami.

Je levai les yeux au ciel :

— Retenez-vous ou je sors les muselières.

Mon frère déboutonna sa veste pour se mettre à l'aise et jeta un coup d'œil à sa montre. Il sembla calculer je ne sais quoi dans son super esprit de petit génie et ignora copieusement Prince.

— Je comptai t'amener petit-déjeuner, mais autant passer à l'étape suivante. Un café noir sans sucre pour moi, ajouta-t-il à l'adresse de Prince.

Ce dernier grommela dans sa barbe, mais attrapa tout de même une autre tasse. On ne disait pas non à mon frère, surtout pas quand il était en mode dominateur qui édicte ses lois et ses envies comme bon lui semble.

— Est-ce que tu me fais suivre ? grognai-je.

— Non, mais j'ai accès aux données de ton téléphone.

Aucun besoin de tout contrôler, non, pas du tout.

— Et avant que tu penses à changer, inutile.

— Tu es complètement fêlé, Brack, souffla Prince.

— Je suis prévoyant pour deux. Et malheureusement pour moi, cette petite idiote fait partie de ma famille et j'ai donc un devoir envers elle.

— Dans tes rêves, grommelai-je. Tu t'es levé du pied gauche ou quoi ?

— Problème au travail, avoua-t-il avec une grimace. Je déteste être sous pression.

Et moi donc !

— C'est sa vie, non ?

Prince lui tendit sa tasse et Brackston en huma le grain.

— Disons que oui, mais j'ai un droit de regard dessus dès lors que son comportement peut impacter ma carrière.

— Opportuniste, l'accusai-je.

Il m'offrit un sourire désarmant.

— Ne soit pas si bougon, sauterelle, me dit-il.

Je lui fis mon plus beau doigt et il osa rire. Il but son café rapidement et déposa la tasse vide dans l'évier.

— J'ai réservé pour hier, on y va ?

— Tu pourrais être un peu moins sur mon dos ? Genre être un grand-frère normal qui se fou royalement de sa sœur et qui l'ignore toute l'année sauf aux périodes des fêtes ?

— Ça te ferait bien trop plaisir. Allez, dépêche-toi !

Je grognai dans ma barbe, sachant ce combat perdu d'avance. Je retournai dans la chambre récupérer mon téléphone ainsi que mes chaussures et ma veste. Je revins en traînant des pieds, trouvant que je passais bien trop de temps avec mon frère depuis quelque temps. Une horreur.

— T'as pas un boulot ? Un connard de patron qui pourrait t'empêcher de me pourrir la vie en pourrissant la tienne ?

Je suppliai Prince du regard, mais il se contenta de me souffler un baiser avant que mon frère ne m'entraîne avec lui, sans me laisser le temps de protester ou de penser à m'enfuir. Il courrait plus vite que moi de toute manière. Injustice.

— En plus d'être mon patron, Soren est un très bon ami. Et bien qu'il ne te connaisse pas, il prend souvent de tes nouvelles, tu sais ?

Je me retins de rétorquer, ayant trop peur de me vendre. Il prenait de mes nouvelles ? Une chape de plomb me tomba dans l'estomac et je pinçai mes lèvres. Grand bien lui fasse, vraiment.

Brack, toujours très galant, m'ouvrit ma portière et je lui montrai les dents à la manière d'un chien pas content. Il tapota ma tête avant de faire le tour pour venir s'installer derrière le volant.

— D'ailleurs dans quelques mois un grand repas est prévu et cette fois, je veux que tu en sois.

— Hors de question.

Si c'était pour me retrouver dans la même pièce que Benson, Soren et sa femme, autant dire que je préférais participer à une orgie de Prince.

— Ce n'était pas une question, Athena.

— Tu ne peux pas m'y obliger.

— On parie ?

Je me contins pour ne pas l'insulter. Brackston ne comprenait pas pourquoi je m'acharnais à ne jamais vouloir rencontrer son patron en lice pour devenir Gouverneur. Et mieux valait qu'il ne le sache jamais, parce que je ne donnais pas cher de ma peau, ni de celle de son prétendu ami.

Il y avait de ces secrets qu'il valait mieux enterrer pour espérer une vie tranquille. Loin des tourments de la vérité. 

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