4. Deux couilles en talons

EZRA

— Je suis pleine comme une pute, lâchai-je en tapotant mon ventre bien rond.

Je me faisais l'effet d'une femme enceinte prête à expulser. Caleb, notre beau noir, me fit les gros yeux et Kai gloussa sans pouvoir sans empêcher, une main venant éventer son visage rougi par l'alcool. Nous étions de loin la table la plus bruyante de ce petit bouiboui au charme fou et j'avouai que je n'aidais pas à passer inaperçu. Je n'aimais pas ça. Quand j'entrais quelque part, j'avais besoin qu'on me regarde et je me foutais pas mal du jugement. J'étais le plus excentrique de notre groupe et j'adorais ça. Je n'étais pas fait pour rester dans les coulisses de mon existence, ayant simplement besoin de briller sur scène, d'être le plus beau, d'être la plus fatale.

— Tu n'as aucune éducation, ronchonna Caleb.

— C'est pour ça que les parents ne veulent jamais que j'approche leurs petits monstres.

Je haussai les épaules avec une fatalité feinte et Kai attrapa ma main :

— Moi j'ai su voir ton potentiel, dit-il, d'où le fait que tu sois la marraine de notre petit Luke.

— Grossière erreur de ta part si tu veux mon avis.

Je tirai la langue à Caleb qui me souffla un baiser. Luke venait d'une mère porteuse, un procédé très utilisé par la communauté gay et qui attirait de nombreux étrangers dans notre pays. Cette arrivée dans leur vie avait été une bénédiction et depuis un an, les deux amoureux surfaient sur la vague du bonheur, rendant notre beau Kai encore plus magnifique qu'il ne l'était déjà. La paternité lui saillait à merveille et nous-mêmes étions gagas dès lors qu'il s'agissait du bambin. Mais cette envie d'être parent restait un mystère pour moi. Ma vie telle qu'elle était me convenait et je n'étais pas prêt à vouloir en changer, surtout pas pour un enfant. Avec Caleb, ils étaient les deux seuls papas du groupe et donc d'une certaine façon les plus posés.

Nous levâmes nos verres pour trinquer aux enfants et le voyant lumineux de mon téléphone se mit à clignoter, annonçant l'arrivée d'un nouveau message. J'y jetterais un coup d'œil plus tard, sachant pertinemment qui cela était. Mon téléphone ne me servait pas à grand-chose dans la vie de tous les jours, si ce n'est à échanger avec une personne qui comptait.

Le bras de Levi glissa sur mes épaules et je tournai mon visage vers lui pour récolter mon énième bisou. Nous étions un groupe très soudé, mais très tactile aussi. D'aucuns auraient dit que c'était l'apanage des gays et peut-être qu'ils n'avaient pas totalement tort. Je savais juste que j'étais à l'aise avec mon corps et avec qui j'étais et qu'ainsi, j'étais plus libre dans ma façon d'exprimer mes sentiments. Quand vous étiez la cible d'une haine trop facile, vous aviez tendance à aimer tout le monde et à imaginer le monde sous mille et une couleurs, surtout celles qui représentaient notre communauté.

Avec Levi, nous étions les deux seuls célibataires de notre groupe, ce qui posait bien moins de problèmes quand il s'agissait de s'embrasser ou de se tripoter. Les maris de nos amis n'étaient pas jaloux, mais il ne fallait pas pousser trop loin non plus. L'homosexualité, oui, mais la polygamie ? Un peu moins. Moi, ça ne me dérangeait pas. Avoir plusieurs partenaires, ouvrir ses horizons. J'avais déjà couché avec des femmes, plus jeune, avant de me tourner entièrement vers la gent masculine. Le choix s'était vite opéré pour tout dire et mon inclinaison sexuelle était apparue dans toute sa glorieuse turgescence.

Je gloussai et sentis les doigts de Levi tirer sur quelques mèches de mes cheveux. Nos gestes pouvaient paraître être ceux d'un couple et à bien des égards, nous l'étions, seulement, je n'étais pas forcément très amoureux des étiquettes et je détestais me définir comme étant une personne en couple. À chaque fois que je l'avais clamé haut et fort, ça n'avait pas pris la direction escomptée. Levi pâtissait de ça, mais tout comme lui, j'étais lésé par une relation qui semblait perdue d'avance.

J'avais dû choisir le mauvais jeu de cartes à ma naissance.

— Prochaine tournée ! clamai-je en hurlant.

Je me levai de ma chaise et fit un tour sur moi-même, me sentant au comble de ma féminité ce soir, arborant un corps masculin qui, aux yeux de la société, définissait qui j'étais et qui j'aurais dû être. À l'inverse de certains d'entre nous, je n'avais pas grandi dans un coin paumé des États-Unis ; au contraire. Ma ville à moi avait été faite de buildings et de tellement d'habitants que personne ne pouvait connaître personne. Et pourtant, tout le monde vous jugeait quand même. Il était facile de regarder par-delà sa fenêtre plutôt que de s'arrêter au pas de sa propre porte.

Les garçons me soufflèrent des baisers et je m'éloignai de notre tablée, mes hanches se balançant dans un déhanché vulgaire, fait pour attirer les regards, mes talons claquant contre la pierre. Depuis que j'avais été en âge de comprendre que vous pouviez être plus qu'un genre, qu'un sexe, je m'étais donné pour mission d'être qui j'étais. Je m'aimais en tant qu'homme, mais j'avais combattu pour que cet aspect plus féminin de moi ressurgisse pour montrer à tous que je n'étais pas juste un homme avec des couilles.

Non. J'étais un mec avec des couilles et une paire de talons. Et ça, ça faisait toute la différence. Mais quand vous vouliez clamer une telle chose à la face du monde, vous finissiez par attirer l'attention. Et parfois, vous en pâtissiez.

Je m'accoudai au comptoir et aguichai ouvertement le barman avec un cul à se damner, qui semblait trouver ça très drôle de se faire draguer par un gay. Je n'étais jamais sérieux quand j'agissais de la sorte. J'exsudai la confiance en soi, mais je n'étais pas un prédateur sexuel qui voulait sauter tout ce qui bougeait. Les hétéros pensaient ça ; ils croyaient que tous les gays en avaient après leurs fesses alors que ce n'était pas du tout le cas. Je détestais quand le monde généralisait à notre place. Nous étions déjà des détraqués aux yeux de la société, alors autant ne pas pousser plus loin. Je trouvais ça dommage. Je trouvais ça aberrant que nous ne puissions pas être qui nous voulions sous prétexte que ça ne répondait pas à certains codes. Comment pouvait-on s'accepter soi-même quand le reste du monde vous haïssait pour vos goûts ?

— J'adore tes talons ! cria une jeune femme à mon oreille.

Elle était belle dans le style garçon manqué. Sa peau luisait et ses cheveux cascadaient dans son dos. Elle aurait bien eu besoin d'une petite coupe. Mon côté perfectionniste qui ressortait.

— Édition limitée, trésor, répondis-je.

Je réceptionnai nos consos et après une ultime œillade pour le sexy barman, je retournai rejoindre les garçons. Jakob, notre designer, avait disparu sur la piste de danse avec Kai et tous les deux y mettaient le feu. Levi s'amusait à les filmer, pour garder une preuve à l'appui. Notre table avait été débarrassée de nos assiettes et je bus une longue gorgée de mon Cosmopolitan. Je détestais la bière et le goût amer qu'elle laissait en bouche, trouvant plus de réconfort dans des un cocktail bien sucré. Bien dosé aussi. Je risquais de finir la tête dans les toilettes, n'ayant jamais réussi à trouver la limite acceptable avant d'être rond comme une queue de pelle. Je ne tenais pas sur la distance, surtout pas face à Caleb. Levi quant à lui, pour tout un tas de raisons évidentes, buvait rarement de l'alcool, ou alors en très petite quantité, jamais assez pour être joyeux ou pompette.

Je finis par vider mon verre et courut rejoindre les autres sur la piste en hurlant. Nos corps se heurtèrent et les mains se firent plus farouches, touchantes, caressantes, palpant. Les bouches des uns et des autres s'effleuraient, se cherchaient.

Nous étions libres dans nos têtes et en communion avec nous-mêmes.

Nous étions qui nous étions et c'était au monde de plier devant nous, pas l'inverse.

* * *

— Toi, tu as la gueule de bois, souffla Levi au lendemain matin de notre beuverie sauvage.

Je hochai la tête, les cheveux hirsutes sur le sommet de mon crâne. Je quittais rarement ma chambre dans un état aussi brouillon, mais je pouvais bien faire une entorse à mon règlement une fois de temps en temps.

Lui, il rayonnait. Peau parfaite, cheveux un peu en pagaille, mais diablement sexy. J'essuyai le coin de ma bouche et il gloussa. Son sourire monta très haut, dévoilant une beauté à fleur de peau, un homme qui s'assumait, mais qui avait encore peur.

— Tu as faim ? demanda-t-il, une spatule dans la main.

Je hochai vigoureusement la tête, me rendant compte que je mourrais de faim, oui ! Il me tourna le dos et je m'installai sur l'un des tabourets du loft que nous avions loués pour le week-end. Une petite pause bienvenue avant d'entamer une année qui promettait d'être mouvementée. Et ce, de bien des façons.

— Les autres sont déjà réveillés ? grognai-je.

— Kai fait son yoga, Jakob est à la piscine et Caleb ronfle encore, oui.

L'odeur qui se dégageait de la poêle me fit grogner de contentement. Levi était fin cordon bleu, bien plus à l'aise derrière les fourneaux que dans sa vie de tous les jours. Il aimait la cuisine comme certains hommes aimaient les femmes, jonglant entre les spécialités et les nationalités. J'aimais le voir réfléchir à une nouvelle idée de recettes, j'aimais le redécouvrir au travers de sa cuisine. Il innovait toujours, n'aimant pas l'inertie et la facilité. Il voyait de l'art dans les saveurs, de la beauté dans le jeu des épices et des textures.

Il attrapa une assiette et lorsqu'il la posa devant moi, je salivai à la vue de ce qu'on appelait l'Irish Breakfast.

— Pas de boudin aujourd'hui ?

— Pas de boudin, répondit-il, taquin.

Il déposa un baiser sur le bout de mon nez et je me jetai sur mon déjeuner comme un petit gros sur du chocolat.

Levi vint s'installer à côté de moi et ouvrit son journal pour lire les dernières nouvelles. Souvent, il allait directement dans la rubrique culinaire, ce titre proposant plusieurs pages sur le sujet et surtout sur des critiques.

La semaine prochaine, des pages entières seraient consacrées à l'ouverture du nouveau restaurant de Levi, cette dernière attendue comme le Messie dans le cercle restreint des grands cuisiniers de Los Angeles. La cuisine de Levi était réputée ici aux États-Unis, mais aussi au Canada, son pays de naissance, là où sa famille se trouvait encore, voyant en Levi l'enfant déserteur, celui qui n'était pas comme les autres du fait de son homosexualité. Le rejet était récurrent dans les familles, surtout quand l'enfant annonçait qu'il était gay. Moi, j'avais eu de la chance et je n'en aimais ma mère que plus encore. Mais ce n'était pas le cas de tout le monde.

Je dévorai mon bacon trempé dans mes œufs et mastiquai avec entrain. Levi referma le journal et se tourna vers moi, un sourire un peu grimaçant aux lèvres. Avais-je dit qu'il avait des airs de Christian Bale ?

— J'ai eu un appel du staff de notre futur Gouverneur ce matin, dit-il précipitamment.

Mon sourcil se leva et je pinçai mes lèvres.

— Un dimanche ? Benson aime vraiment tout contrôler, grommelai-je.

— Il m'a fait comprendre que pour l'ouverture, monsieur et madame Moore seraient de la partie.

— Un choix judicieux, dis-je. La campagne de Soren est basée sur sa lutte pour les droits de certaines communautés et en venant à ton inauguration, il se fait de la très bonne publicité. Toute cette parade politique me fascine je dois dire.

Il fit la moue et je la sentis, cette fêlure en lui, cette porte ouverte sur ses doutes et ses insécurités. Le passé ne nous laissait jamais vraiment en paix.

— Ça devait être quelque chose de simple, sans prétention et...

J'éclatai de rire.

— Le grand chef Webster ouvre un nouveau restaurant à L.A et il espérait que ça passerait inaperçu ?

— Tu sais très bien ce que je veux dire, ronchonna-t-il avec une moue adorable.

— Les projecteurs vont être braqués sur toi, mon petit Levi et le fait que le futur Gouverneur de Californie prenne le temps de venir découvrir ton nouveau bébé en dit long.

Il haussa les épaules, désabusé. Mais je savais à quel point il bouillait d'impatience, à quel point ce nouveau restaurant venait parachever la consécration du travail de toute une vie. Il pouvait être fier de lui. Moi je crevais de fierté à son égard, et ce, depuis longtemps.

Son parcours avait été suffisamment compliqué comme ça alors maintenant, je voulais simplement qu'il regarde avec fierté ce qu'il avait bâti de ses propres mains. C'était son œuvre. Son histoire.

Sa vie.

Et j'aimais en faire partie. 

**

On vient d'avoir une semaine de dingue et elle n'est pas finie !!! ahahah !!😊 Il va falloir tenir la marée mais va-t-on survivre ?? 🤣🤣🤣 Le concert des Chemical Brothers était au top 😎😎

Une autre rencontre avec le quatrième personnage principal de cette histoire. Vous les avez tous rencontré à présent ! Qu'en dites-vous ?🤔🤔 Comment vous trouvez Ezra ? ❤️😍

Hâte de vous faire découvrir la suite qui avance très bien ! mouahah 😎😎

Da bisous ! ❤️❤️❤️

Bạn đang đọc truyện trên: AzTruyen.Top