26. Classé X


ATHENA

L'homme devant moi n'eut pas le temps de s'installer que, comme sur ressort, je sautais sur mes pieds et me plantai à côté de la chaise de la nouvelle partenaire de Levi.

Ce dernier, le regard pétillant, appuya son menton contre son poing fermé. Il arrivait à fanfaronner en silence et cette maudite scène avait des aires de Hitch avec Will Smith. Un film que j'avais adoré et dont j'avais soudain l'impression d'être l'héroïne, bien que l'actrice n'ait pas été un coup de foudre pour moi.

La jeune femme me jeta un coup d'œil et avec une rougeur aux joues, se leva sans même que je n'ai eu besoin de donner mes arguments. Je pouvais sentir de nombreux regards sur nous, érigés au rang de curiosités. Nous étions le centre d'attention de tout le monde, mais dès que je croisai le regard de Levi, je m'en fichais bien.

— Tu ne peux pas faire ça, grognai-je.

— Quoi donc, mon étoile ?

— M'embrasser et te lever comme si de rien n'était après ! dis-je en vibrant.

Je me sentais fébrile et empressée. Sous tension, comme habitée. Et il le pressentait, pouvant le humer dans l'air, s'appropriant chacune de mes émotions, chacun de mes ressentis. Je ne savais pas si j'en étais agacée ou pas. Mais le fait est que je me sentais bizarre.

Paumes humides, cœur au galop, pouls filant, souffle figé.

— Tu m'as embrassée devant tout le monde ! m'insurgeai-je, gênée au possible, n'osant même plus regarder autour de moi.

Il y avait Ezra, Caleb, Kai ! Bon sang, ce n'était pas Dieu possible ça...

— Et alors ?

Il tentait la bravade, l'attaque directe. Ne cherchant pas à se faufiler. Pas comme moi en tout cas. Il avait eu raison de toute manière ; avec ce speed-dating, pas moyen de fuir la pièce, de le fuir lui. Cinq minutes censées permettre aux uns et aux autres de commencer à se connaître, à se dévoiler.

Je pinçai mes lèvres et cherchais à calmer ma respiration. J'avais encore le goût de sa langue sur la mienne.

Attaque sournoise de sa part.

— Je m'appelle Athena Claythorne et je suis sans projet fixe, annonçai-je.

Cela sembla l'amuser. Que je me prête au jeu ou que j'évite de continuer sur le sujet qui nous intéressait ?

— Qu'est-ce que ça veut dire ?

— Que je ne sais pas ce que je veux faire de ma vie. Je teste beaucoup de boulots et parfois j'y reste longtemps parce que ça me plaît.

— Tu as livré des journaux, c'est ça ?

Je hochai la tête.

— J'ai bossé de nuit dans un hôtel où les gens défilent sans prêter attention à ce qui se passe autour d'eux. J'ai travaillé dans des magasins divers et variés et je me suis même retrouvé dans un Sex Shop.

Il ne parvint pas à cacher sa surprise et ses yeux s'ouvrirent en grand.

— Un Sex Shop ? Là je suis dévoré par la curiosité. Tu as dû en croiser des vicelards.

— Pas tant que ça. En fait, les clients paraissaient être tout à fait normaux, hormis ceux venus acheter quelque compagnie...

— Des poupées gonflables ? Et les femmes alors ?

— Beaucoup plus subtiles, répondis-je avec un sourire machiavélique.

— Vraiment ?

Je fixai sa bouche, ses lèvres avant de relever mon regard dans le sien. Il ne releva pas, mais son expression parlait pour lui. Forcément.

— Et laisse-moi deviner ; tu as adoré.

— Je plaide coupable, ris-je très fort. Beaucoup moins à mon frère lorsqu'il l'a appris.

Là, je grimaçai. Je me souvenais de la visite nocturne de Brackston, de son air revêche et de la soufflante que j'avais prise en plein milieu de mon appartement. Ensuite il s'était servi du thé et m'avait ordonné de ranger mon bordel. Une vraie fée marâtre des temps modernes.

— Qu'est-ce que tu aimais au juste ? continua Levi.

Je haussai les épaules, parce que c'était dur à dire, dur à expliquer.

— L'industrie du porno me fascine, commençai-je.

— Tout ce qui est classé X, hein ?

Il me fit un clin d'œil graveleux et encore une fois, mon éclat de rire couvrit le brouhaha ambiant.

— Toi tu es un fantasme classé X, oui, soufflai-je.

— Merci, répondit-il, non content de son petit effet.

Je levai les yeux au ciel, me mordillant l'intérieur de la joue. Il dégageait une aura très forte ce soir, très attirante. J'étais presque sûre qu'il ne le faisait pas exprès, mais l'effet restait le même. J'étais aimantée, prête à craquer. Prête à lui demander de m'embrasser de nouveau. La sensation s'était logée droit entre mes cuisses, faisant pulser cette partie toute féminine de mon anatomie. Rien ne semblait clair quand Levi était dans le coin ; il mettait un bordel monstre dans ma tête et je finissais paumé.

Je partais à la dérive et il suffisait qu'il m'effleure pour m'ancrer à lui. C'était injuste.

Il était injuste.

Je ne comprenais pas la moitié de ce qui se passait dans ma vie. Si j'interrogeai Levi sur Ezra et Soren, aurait-il une réponse ? Et si lui-même aimait Levi, savait-il pour Soren ?

C'était un imbroglio sans nom, qui nouait de solides nœuds dans mon cerveau, me privant de ma capacité à réfléchir posément.

Les doigts de Levi attrapèrent les miens par-dessus la table.

— Sors avec moi, dit-il. Une fois. Juste une fois.

— Techniquement vous êtes mes employeurs, marmonnai-je. Et aux yeux du pays, si ce n'est du monde entier, tu es gay.

— Et c'est ça qui te dérange ?

— Je me suis demandé si te repousser faisait de moi une homophobe.

Cette fois, ce fut lui qui éclata d'un rire tonitruant, tant et si bien qu'il finit avec des larmes au coin des yeux. Il mit un moment à se calmer, à cesser de se gondoler comme un âne.

— Tu es une fille incroyable, Athena. Je t'assure.

Mouais. Je fis la moue. Nouveau gong. Pourtant ni lui ni moi ne bougeâmes et les gens contournèrent simplement notre table pour la suivante. Nous étions dans une bulle que personne, hormis nous, ne parviendrait à éclater.

— Combien de gens pensent qu'ils sont hétérosexuels la moitié de leur vie ? dit-il, très sérieux soudain. Et puis un jour ils croisent une personne du même sexe et ils en tombent amoureux. Pour autant, ils ne vont pas commencer à regarder les autres et à se dire « oh, j'aime ce que je vois ». On s'entiche d'une personne, d'une personnalité, d'une âme.

J'aimais sa façon de présenter les choses. Simplement, posément. Il racontait une histoire, il donnait son opinion sans l'imposer. Et ainsi, tout devenait plus clair, moins effrayant.

— Je me suis entiché de toi, Athena.

Je plongeai nez le premier dans l'assiette devant moi, trop rouge pour vouloir qu'il me regarde. Mais je sentais les yeux de Levi, je sentais le fait qu'il soit entiché.

Qu'est-ce que ça me faisait ?

Des picotements dans le bas de mon dos.

De la chaleur contre mes joues. C'était une réaction épidermique à une annonce.

Une réaction physique à un fait donné.

— Donc quand tu regardes les autres filles, tu n'as pas envie de les embrasser ? baragouinai-je.

— Pas vraiment, non. Oh, elles sont jolies, mais quand je croise leur regard, ça ne me fait pas grand-chose.

— Peut-être qu'elles adorent les boules de Geisha.

Il gloussa.

— Ce n'est pas ton cas ?

— Je ne répondrais définitivement pas à cette question.

Je restai ainsi de longues secondes, jusqu'à ce que Levi me tende une cuillère d'une coupelle qu'on venait de lui apporter.

— Je peux te nourrir ?

— Mon refus ne t'arrêtera pas, hein ? Tu connais l'histoire de la tasse de thé ?

J'ouvris néanmoins la bouche et il y glissa la cuillère. Je grondai de plaisir, rien de sexy, et me pourléchai les lèvres, prêtes à en redemander.

— C'est toi qui as cuisiné ? m'enquis-je.

— Tu aimes ?

— J'aime ce... mélange de texture, répondis-je. Du croquant, du fondant, de la douceur et quelque chose de plus–

— Brut ? finit-il à ma place.

Je hochai vivement la tête et il me donna une deuxième tournée que je savourai autant que la première.

C'était incroyable ! Une explosion de saveurs dans ma bouche, m'envoyant à l'orée d'un orgasme culinaire inimaginable pour moi.

— Tu fais la même tête quand tu t'apprêtes à jouir ?

Je lui balançai ma petite cuillère à la tronche et il l'esquiva habilement.

— Je te taquine !

— Quelle finesse, vraiment ! répliquai-je, le fusillant de mes pupilles colériques.

Le gong retentit une nouvelle fois et je repoussai ma chaise pour me lever. Levi m'observa faire.

— Envie de faire la connaissance d'autres hommes, ma guerrière ?

— D'aller faire pipi surtout, lâchai-je d'une voix forte.

Le rire d'Ezra résonna quelque part derrière moi et je m'éloignai des tables pour prendre la direction des W.C. Un long couloir m'y amena et je poussai le verrou une fois à l'intérieur, faisant face à une grande vasque et un long miroir. Je passai par les toilettes et allai me rincer les mains. Je me fixai dans le miroir. Yeux brillants lèvres gonflées, j'avais un air un peu intrépide. Farouche.

Il voulait un rendez-vous ? Très bien.

Déterminée, je traversai le couloir en sens inverse pour revenir à notre table de laquelle il n'avait pas bougé. Je m'arrêtai à côté de lui.

— Très bien, dis-je. Allons-y.

Je vis cet instant de doute, d'incompréhension.

— Tu voulais un rendez-vous ? Très bien, répétai-je.

— Maintenant ?

— Maintenant.

J'attendis. Sans cesser de le fixer. Le coin de ses lèvres se releva et il se releva.

— Ta veste ?

— Au vestiaire.

Il m'offrit son bras et m'y conduisis. Je récupérai mes affaires et lui-même disparut un instant pour récupérer les siennes. Je boutonnai ma veste et passai la bandoulière de mon sac en travers de mes épaules. Je ne me dégonflais pas entre le moment où il partit et où il revint. Son sourire, mutin, montrait néanmoins qu'il ne s'était pas attendu à ça. Moi aussi je pouvais fanfaronner à ma manière. Nous étions deux à jouer après tout.

Une fois sur le trottoir, l'air tiédi de la soirée me fit du bien. Malgré l'heure, il ne faisait pas froid. En tout cas, pas à L.A.

— Où allons-nous alors ?

Levi exultait à mes côtés. Je m'avançai vers le bord du trottoir et levai une main en voyant un taxi un peu plus loin. Il ne tarda pas à s'arrêter devant moi.

— Après toi, dis-je en le laissant grimper.

Je donnai l'adresse au chauffeur et ce dernier se coula tranquillement dans la circulation de la ville.

— J'ai déjà couché avec des filles, dit-il alors, brisant le silence dans l'habitacle.

— Quand tu étais jeune, c'est ça ? Un lycéen qui frétillait de la queue ?

— Pfff, quel jugement dans ta voix. Je suis choqué !

Mais il souriait.

— Tout ça pour dire que je ne suis pas juste gay. Je ne suis pas figé sur mes idées ou mon orientation sexuelle.

— Je n'ai pas dit le contraire.

— Et toi alors ?

— Quoi moi ?

— Tes relations avec l'autre sexe.

Qu'avais-je à dire là-dessus ? Surtout si je m'en tenais à la stricte vérité ?

— Il y a eu deux hommes dans ma vie, même si le deuxième était plus garçon que... bref.

— J'entends comme de la fatalité dans ta voix.

— Maxence, le deuxième, s'est révélé être un gamin immature. Quant au premier...

Je gardai le silence un instant, perdue dans mes pensées.

— J'étais mineure quand on a commencé à se... fréquenter. Ça a été la plus belle, la plus courte et la plus douloureuse histoire d'amour de ma vie. Je n'ai pas vraiment d'élément de comparaison, mais... c'est comme ça que je le vois. Et je vais être honnête en te disant que je pense encore être amoureuse, malgré la moitié de décennie passée.

Levi ne répondit rien à ça. Il se contenta de rester là, à fouiller mon visage.

— C'est lui qui t'a brisé le cœur ?

Je hochai la tête sans énergie.

— Il était à ton inauguration et avant ça, je ne l'avais pas revu depuis mon accident. J'ai paniqué et... je n'ai pas été capable de faire face. Pathétique, non ?

Levi n'eut pas le temps de répondre. Le taxi s'arrêta et nous nous en extirpâmes. Le bar convoité se trouvait un peu plus bas et Levi m'y suivit sans une once de doute.

Devant, une petite foule de fumeurs. Nous réussîmes à nous frayer un chemin à l'intérieur, bousculés par la foule compacte.

Le lieu était sombre et le plafond très bas, donnant cette impression tenace de claustrophobie. Mais l'ambiance avait le don de tout vous faire oublier.

De longues banquettes en cuir côtoyaient des tables en bois et tout le monde heurtait tout le monde pour pouvoir se déplacer. Il ne fallait pas craindre les contacts ici. Des mains touchaient votre cul et vos seins, parfois on voyait une fille être soulevée de terre par de parfaits inconnus pour lui permettre de ne pas être noyée par le flot de gens. C'était un bar tout en longueur, qui donnait la sensation de s'enfoncer plus avant dans la montagne. Les lumières qui pendaient des murs rappelaient des lanternes et les verres glissaient sur le bar avant d'être attrapés par une main experte. Ou non.

Levi observait son environnement avec une attention toute particulière et un retrait venu droit de son mode de vie. Je me doutais bien qu'il n'avait pas l'habitude de venir dans pareil endroit. Voyant qu'il paraissait être un peu paumé, j'agrippai sa main pour le tirer derrière moi. De coup de coude en coup de coude, je réussis à nous dégoter une place sur la longue banquette en cuir, juste devant une petite table. Ici, la foule se trouvant dans notre dos, parler semblait plus faisable. Je retirai ma veste et posai mon sac contre ma cuisse.

— C'est... intéressant, lâcha-t-il.

— Parfois tu es tellement guindé, reniflai-je.

— Je me sens particulièrement lésé sur ce premier rendez-vous.

— Pauvre petit cœur, me moquai-je.

Je fis signe au serveur qui vint à notre table. Simon m'offrit un sourire chaleureux.

— Thena, me salua-t-il. La même que d'habitude ?

— Pour lui aussi, s'il te plaît.

Il me fit un clin d'œil et s'éloigna.

— Tu as donc tes habitudes...

— Mon appartement est un bordel sans nom et j'adore m'habiller comme un sac, dis-je. J'ai eu un grave accident de voiture quand j'étais plus jeune et mon dos en porte encore les séquelles. J'ai une prothèse à la place de ma hanche et j'adore apprendre des informations complètement inutiles dans la vie de tous les jours. Je mange mal, souvent sur le pouce et je passe mon temps libre avec des documentaires idiots à la télé et mes amis dégénérés. Je fais ce que me dit mon grand frère, même si parfois je déteste ça. Je dévale les rues à coup de pédales et, oh, je travaille avec cinq gays. Mon chirurgien a un humour douteux et il m'arrive encore d'avoir peur quand quelqu'un freine trop brusquement, même si je ne suis pas dans la voiture.

Ma tirade m'ôta tout mon souffle. Simon réapparut avec nos consos et je trinquai avec le verre de Levi pour siffler mon cocktail sans alcool presque d'une traite.

— Je fréquente des bars miteux et des food-trucks en tout genre. Je mange dans de grands restaurants avec mon frère et mes parents, mais sinon, je les fuis comme la peste. Je ne mets pas de talons et pas de converses non plus. Et pour le moment, je crois qu'on a fait le tour de ma personne. Bois.

Il s'exécuta et approuva mon choix. Je ne lui laissai pas le temps d'en boire plus, agrippai mon sac et attrapai sa main pour l'amener dans la cour extérieure qui faisait office de piste de danse. Là, une musique entraînante.

Mon dos heurta le bras d'une fille et les mains de Levi glissèrent sur mes hanches. J'avais la tête qui tournait et pas à cause de l'alcool puisque je n'en avais pas bu une goutte. J'avais chaud, j'étais en transe même.

Je voulais profiter.

Suivre le mouvement. La vague.

Me laisser porter, transporter. Ne pas lutter.

Je me hissai sur la pointe des pieds et l'embrassai. Aucune surprise chez lui. Sa langue glissa dans ma bouche et il me colla à lui, ses longs doigts s'enfonçant dans ma chair.

Sa nuque, moite de transpiration, fut un passage pour que mes doigts trouvent ses cheveux et s'y jettent.

J'aspirai son souffle.

Je dansai avec sa langue et son corps.

Et même alors que nous étions ballotés en tout sens, comme perdues dans un océan tumultueux, nos bouches ne se lâchèrent pas.

Oui, il avait définitivement un goût d'après-midi pluvieux sous un plaid. Celui du bien-être, de la tranquillité, de la chaleur et du réconfort. 

**

Une première attaque du couple Levi Athena 😍😍😍😍 est ce qu'on fond pas un peu beaucoup ????? ❤️❤️❤️

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