24. Surtout, ne le répète à personne


SOREN


Son nez frôla mon cou et pendant un instant, je me retrouvai dans cette chambre d'hôtel d'il y avait sept ans. Je me retrouvai entre les mains du leprechaun en face de moi. Elle prit une longue inspiration, humant l'odeur de ma gorge et du col de ma chemise. Le corps tendu et prêt à attaquer, je me fis la réflexion que j'avais encore la même réaction face à elle.

Elle me tirait toujours la même réaction après sept ans.

Sept ans où elle avait tout fait pour m'éviter.

Sept ans où je m'étais demandé si notre nuit n'avait été qu'un rêve, qu'une pause.

Qu'un mirage au loin pour que je sorte la tête de l'eau.

De toute cette boule de douleur qu'avait été ma vie à l'époque où j'avais rencontré Athena.

Du bruit sur ma droite me força à reculer et observer les allées et venues au bout du couloir.

L'absurdité de la scène qui venait de se dérouler me heurta de plein fouet.

Je ne devais pas lui parler.

Je ne devais pas l'approcher.

Elle portait toute ma carrière entre ses mains.

Si ce que j'avais fait venait à se savoir, je n'aurais plus rien.

Elle tenait tout entre ses mains.

Tout l'or de ma vie, comme le leprechaun qu'elle était.

J'avais échangé mon bonheur contre de l'or.

Et j'avais oublié qu'une jeune femme en était la détentrice.

Athena rouvrit les yeux quand elle sentit mon corps s'écarter et ses joues rougirent brusquement. Elle resta là, les bras enroulés autour de son ventre, prête à se déliter si je reculais un peu plus.

Je ne savais pas quoi lui dire, même si je voulais entendre le soin de sa voix. C'était idiot et malsain, mais je voulais simplement entendre sa voix. Qu'elle me dise quelque chose, n'importe quoi. Que je reprenne un peu de bonheur pour continuer ma route.

C'était si addictif que ça qu'après sept ans, j'en réclamais encore.

Je ne devais pas rester là.

Je ne devais pas la toucher.

Même pas un peu ?

Mon doigt frôla une des mèches de ses cheveux. Son regard s'attarda sur mon doigt qui s'enroula autour de sa boucle. Où était-ce l'inverse ?

Je pris une longue inspiration et tentai d'avoir les idées claires. Je tentai de me rappeler les menaces de Benson. Je tentai de me rappeler le regard horriblement triste quand j'avais quitté l'hôpital, laissant une Athena complètement déphasée derrière moi. Je tentai de me rappeler ce que je pouvais perdre si je n'étais pas maître de moi.

_ Comment... pourquoi es-tu ici ? réussis-je à articuler en jetant un coup d'œil nerveux à ma droite.

Elle pinça ses lèvres et baissa brusquement les yeux sur ses pieds, comme si elle venait de se rappeler quelque chose de désagréable. Je poussai un long soupir, comprenant qu'elle ne voulait pas me parler, mais c'était injuste après toutes ces années. Je m'étais déjà excusé de mon comportement. Je m'étais déjà excusé d'énormément de choses, y compris des quelques mails que nous avions pu échanger à un moment. Ce n'était rien en sept ans et pourtant, c'était le seul contact que je n'avais jamais eu avec elle.

Jusqu'à aujourd'hui.

Au loin, j'entendis un rire que je reconnus immédiatement. Je reposai mon regard sur la jeune femme en face de moi, comprenant vaguement pourquoi elle était là.

L'un de mes amoureux était sûrement dans les parages. Aucun des deux ne savait la relation que j'avais eue avec Athena. Très peu de personnes étaient au courant. Certains savaient ce que nous avions fait alors qu'elle était mineure. Benson était sûrement le seul au courant de son identité. Les garçons savaient que j'avais eu une relation sexuelle avec une personne du sexe opposé, qu'elle avait été très jeune, mais jamais je ne leur avais avoué l'identité de cette dernière.

Personne qui se trouvait actuellement devant moi et qui continuait à rester dans son silence.

_ Je comprends que tu ne veuilles pas me parler. Pardon d'avoir insisté, soufflai-je en reculant d'un nouveau pas.

Son odeur me suivit et je fermai les yeux, tentant de me rappeler à quel point toute cette histoire aurait pu nous détruire tous les deux.

À quoi bon souffrir autant par amour hein ?

Certains souvenirs affluèrent dans un coin de ma pensée, mais je fis tout pour garder un regard neutre au possible.

_ Je ne voulais pas t'importuner de cette façon. J'ai été surpris de te voir ici. Tout se passe bien avec les garçons ?

Cette simple phrase la sortit de sa torpeur et elle recommença à me fusiller du regard.

_ À toi de me le dire. Tu es plutôt proche d'eux, non ?

Sa voix cinglante me tira un frisson avant que ses paroles n'atteignent mon cerveau qui venait de se mettre en branle. Une légère bataille silencieuse eut lieu entre nous jusqu'à ce que la voix d'Ezra ne résonne dans le couloir. Je me redressai, éclatant la bulle dans laquelle nous nous étions enfermés.

Mon regard tomba sur Ezra, toujours aussi bien habillé. Ses talons amenaient ses yeux au niveau des miens. Il s'arrêta à côté d'Athena, déposant un rapide baiser sur sa joue. Elle rougit et voulut s'écarter, visiblement gênée, mais finit par accepter la main d'Ezra autour de ses épaules.

_ Monsieur Moore, un plaisir de vous voir ici, commenta Ezra en me tendant sa main.

Je déglutis une seule fois avant de lui rendre son geste, insistant sur notre poigne. Cela dut le faire réagir, car il haussa un sourcil à l'abri du regard d'Athena qui nous observait avec un regard curieux et nerveux à la fois. Je relâchai la main d'Ezra.

_ Monsieur Robins. Vous allez devenir plus célèbre que moi à cette allure, minaudai-je.

_ Je dois régler un truc, marmonna Athena.

Elle réussit à s'échapper de la prise d'un Ezra surprit. Ce dernier la suivit du regard jusqu'à ce qu'elle disparaisse dans le couloir suivant. Ezra ne changea pas son comportement pour autant, sachant qu'il y avait du passage.

Je ne l'avais pas vu depuis la dernière fois, dans la voiture, et cela me rongeait.

Bien sûr que ça me rongeait.

Ezra avait toujours les arguments qu'il fallait.

Levi les avait aussi, mais il n'osait pas me les balancer à la tronche.

C'était silence complet du côté des garçons.

_ Elle est un peu farouche. Il faut l'excuser, remarqua Ezra.

Je regardai vers le bout du couloir et surveillai pendant quelques secondes. Un temps qui suffit à Ezra pour comprendre que j'allais tenter un truc et il recula d'un pas vers le mur. Ma main se referma sur son poignet, assez discrètement pour que le geste soit caché entre nos deux corps.

_ Ezra, grognai-je.

_ Non, souffla-t-il. Pas ici. Tais-toi.

_ Je ne–

Ezra se détacha de moi et se mit à marcher dans la même direction qu'Athena. Quelqu'un m'appela et je dus pivoter pour tourner le dos à Ezra et m'avancer vers la scène du plateau télé.

Quelle merde.

Et qu'est-ce qu'Athena avait sous-entendu ? Ezra lui avait-il dit quelque chose ? Levi ?

Je déglutis et saluai la présentatrice. Je tentai de me concentrer et de penser à autre chose, mais je rongeai tellement mon frein à la sortie de l'émission que j'eus du mal à me retenir d'aller directement voir Ezra et Levi.

Ce n'était pas le moment.

Je devais réfléchir à mes prochains mouvements.

Car Ezra avait raison sur un point. La présidence n'avait jamais été dans notre contrat.

Jamais.

* * *

Quelques jours étaient passés depuis l'émission à laquelle Ezra avait participé, juste avant moi. Quelques jours de silence supplémentaire de la part de mes amoureux. Nous aurions dû nous voir ce soir, mais comme la communication était réduite à zéro, je ne savais pas si je pouvais me pointer dans l'endroit que nous appelions notre maison. Notre foyer.

La villa était vide aujourd'hui, car j'allais recevoir deux hommes politiques qui avaient potentiellement un rôle à jouer dans l'un de mes plus gros projets.

Le projet Horizon.

La rénovation de plusieurs quartiers et surtout la construction d'immeuble écoresponsable qui changerait une phase de la ville de Los Angeles, brisant plusieurs tabous à la fois.

C'était un projet qui me tenait à cœur, car il avait été travaillé par mes équipes. Brackston et moi en avions été les principaux acteurs, mais nous avions eu la main forte de plusieurs experts. Ce projet était notre bébé et pourtant, certains s'amusaient à se l'approprier.

Je remis ma cravate en place, lissant les pans de ma chemise bleue. Brackston était à son avantage dans un magnifique costume trois-pièces. Il lisait un document important sur son ordinateur portable, assis à l'immense table de la salle à manger. Pièce où nous tenions nos dîners mensuels avec Talia. Cette dernière était en mouvement pendant une semaine à New York, pour une association qu'elle avait montée et qui nécessitait une attention toute particulière puisqu'elle visait des enfants à l'adoption.

_ Tu es prêt ? marmonnai-je du canapé.

Brackston, le grand frère d'Athena, releva son regard sur moi comme si je venais de l'insulter. Il ricana et haussa un sourcil.

_ Plus que toi, rétorqua-t-il, amusé.

Je secouai la tête. Brackston n'était au courant de rien. Du moins, il savait que j'avais certaines casseroles qu'il fallait garder sous clé, mais il ne savait pas les vrais détails. Il croyait que j'avais baisé une nana de vingt ans et que cela ne plairait pas vraiment à notre grand public.

Il ne savait pas que c'était sa sœur et que celle-ci était encore mineure à l'époque. À ce moment-là, Brackston n'était pas encore dans mon entourage proche, même s'il avait déjà démontré de sacrées compétences en termes de gestion de crise et de gestion de campagne. Benson ne m'avait jamais autorisé à lui avouer ce que j'avais fait.

Peut-être était-ce mieux ainsi.

Brackston tenait à sa sœur, il en parlait souvent. Et c'était aussi la seule façon pour moi d'avoir des nouvelles d'elle. Alors, j'avais simplement appris à prendre des informations là où je pouvais.

Comme le jour où Athena avait eu un accident.

Je déglutis, sachant que j'étais sur une corde raide.

Le fait de ne pas voir les garçons.

Le fait de ne pas leur parler.

C'était une torture.

Ajoutez à ça le doute que la phrase d'Athena avait semé en moi et vous obteniez ce comportement vaguement autodestructeur. J'étais bien content que Talia ne soit pas là, elle l'aurait compris immédiatement.

Je reposai mon verre de whisky et entendis mon majordome faire entrer les personnes que j'attendais. Brackston se dressa sur ses pieds, dépliant son long corps et s'étira un instant avant d'ajuster sa veste sur ses épaules. Je me moquai un peu en haussant un sourcil à son encontre et il me fit un clin d'œil.

Je me levai à mon tour et allai à la rencontre de mes deux invités. Le premier était un grand bonhomme, tout aussi costaud que moi, le visage froid, les yeux d'un bleu aussi congelé que sa personnalité. Ce requin en tout point s'appelait Isaïah McKallen. Ex-maire de San Francisco, il s'était reconverti dans la banque et avait réussi à récolter un sacré pactole depuis quelques années de retraite. Il m'appréciait parce que j'avais fait la guerre, comme lui. Il me serra la main avant de me donner une brève accolade. Il était l'un de mes financeurs les plus avérés.

_ Comment vas-tu, Moore ? grogna-t-il dans mon oreille, tapotant mon dos de façon amicale.

_ Bien mieux que toi, vieille caille, grommelai-je en souriant.

Il ricana avant de serrer la main que Brackston lui tendait. Mon ami et bras droit grimaça quand l'ancien militaire l'appela le jeunot, comme à son habitude.

La seconde personne qui me tendit sa main était un peu plus complexe à mes yeux. Arnold Bougleur était un avocat spécialisé dans les conflits politiques. Il était aussi actionnaire d'un cabinet très en vogue et surtout, il avait quelques actions en bourse qui était très bien cotée.

Il pourrait être un soutien très important, mais je devais le rallier à notre cause. Il était plutôt longiligne, et son visage était presque androgyne. J'avais appris à cacher mes goûts en termes de sexualité depuis mon plus jeune âge. C'était très rare que j'en dévoile autant sur moi. Aux yeux du reste du monde, j'étais un hétérosexuel marié, ancien militaire, prêt à me lancer dans la politique pour le bien de mon pays. Je devais avouer cependant qu'Arnold était un très bel homme avec un charme rare comme on en trouvait chez les mannequins.

_ Il a finalement réussi à vous traîner jusqu'à moi, dis-je en pressant la main d'Arnold entre les deux miennes.

Il sourit en observant ma poigne ferme et émit même un léger rire.

_ Vous vous rendez compte que je suis avocat, n'est-ce pas ? releva-t-il. Je ne tomberai pas sous votre charme aussi facilement que ce vieux garnement.

Isaïah ricana dans mon dos et je lui lançai un regard amusé à mon tour. Je relâchai la main d'Arnold. Je le vis plier et déplier ses doigts et cela nourrit la bête avide de dominance en moi. D'après Benson, c'était mon seul défaut. Ayant été élevé comme un militaire, j'avais toujours appris à montrer ma force à mon ennemi pour qu'il sache ce qui l'attendait en se frottant à moi. Je n'étais pas dominant dans des termes sexuels ou autres, mais j'avais tendance à bien élaborer mon rapport de force avec la personne en face de moi.

Arnold savait que j'avais besoin de lui pour une certaine raison. Alors, il était dominant dans notre rapport de force. Je devais absolument changer ça au cours de cette soirée.

Je nous installai dans le salon, servant rapidement mes congénères qui étaient heureusement tous fans de whisky. Nous bûmes tranquillement, échangeant des ragots sur les financiers et les politiques. Arnold me posa quelques questions en rapport avec la guerre, mais je ne compris pas vraiment où il voulait en venir.

Quand Isaïah claqua dans ses mains en se redressant, je sus qu'il voulait attaquer les sujets les plus importants. Je posai mon bras sur le dossier du canapé sur lequel j'étais avec Brackston qui me jeta un coup d'œil amusé. Celui-là alors. Il savait exactement ce que Isaïah voulait faire ce soir. Après tout, ses intérêts étaient les nôtres et inversement.

_ Ta chère épouse a-t-elle trouvé la personne qui a vendu notre beau projet à Miller ?

Arnold me regarda attentivement de l'immense siège dans lequel il était installé, de façon très droite, le dos bien posé contre son dossier. Son verre roulait entre ses doigts. J'avais toujours trouvé ce geste extrêmement sensuel chez un homme qui savait le faire.

_ Talia réussit toujours à trouver ce qu'elle cherche, remarqua Brackston. Bien sûr que nous avons trouvé l'informateur de Miller.

Je caressai ma lèvre inférieure de mon pouce, réfléchissant à mes prochaines paroles. La personne en question faisait partie de l'entourage direct d'Arnold, mais lui-même n'était pas au courant de cette nouvelle.

Le rapport de force allait se modifier.

_ Apparemment, marmonnai-je en tapotant mon genou de mon index, l'informateur serait un avocat pénaliste qui aurait reçu l'information d'une des secrétaires de Landon. Elle-même nous aurait entendus de son bureau.

Arnold figea son geste et les glaçons dans son verre tintèrent légèrement. Je posai mon regard sur lui.

_ L'avocat en question s'appelle Daniel Colden. Il travaille dans votre cabinet, Arnold. N'est-ce pas ?

Isaïah serra ses dents et ses poings se refermèrent sur ses genoux. Je l'avais prévenu qu'il n'aimerait pas la nouvelle. Arnold et lui étaient liés financièrement et d'ailleurs, j'avais cru comprendre qu'Arnold et la fille d'Isaïah étaient bien plus proches qu'ils n'auraient dû l'être.

Arnold déposa son verre de whisky sur la table, son sourire revenant lentement à la charge.

_ Vous tenez tous vos alliés par des menaces, monsieur Moore ?

_ Pourquoi être ennemi quand on peut être ami, Arnold ? rétorquai-je, le regard braqué sur lui. Cette fuite n'est pas anodine pour nous, ni pour Isaïah, ni pour moi.

_ Daniel Colden n'est pas ton meilleur élément, cracha l'ancien militaire. Il t'a déjà porté défaut par deux fois.

_ Et il m'a aussi fait gagner plusieurs procès chiffrés à des milliards de dollars, grogna Arnold. Je ne vais pas m'en débarrasser parce que vous n'êtes pas capable de tenir un projet secret.

Je croisai lentement mes jambes, une main sur mon genou. Il était temps de faire comprendre à Arnold comment je fonctionnais. Le rapport de force était une de mes meilleures attaques, je me devais de tenir la cadence.

_ Je ne veux pas que vous vous en débarrassiez, admis-je. Je veux que vous lui donniez des informations.

_ Fausses, évidemment, tempéra Brackston, pour être compris.

_ Je veux que vous lui murmuriez à l'oreille « surtout, ne le répète à personne, Daniel », expliquai-je. Il faut qu'il donne des informations à Miller, mais pas les bonnes.

Brackston se pencha doucement en avant et observa Arnold avec un léger sourire menaçant.

_ Surtout, ne le répète à personne, ajouta-t-il d'une voix sombre.

Les épaules d'Arnold se crispèrent, mais il finit par hocher sèchement la tête.

En politique, il fallait savoir utiliser ses ennemis, bien plus que ses alliés. Car eux ne s'embêteraient pas à comprendre les conséquences de leurs gestes.

Il ne verrait pas l'impact même de leur parole.

Je voulais qu'Adam Miller se morde les doigts.

Peut-être qu'au fond, j'aimais ça.

J'aimais mettre à terre mes ennemis.

J'étais un requin au même titre que Benson, ou Brackston.

Si je devais tirer une promesse, je la tirai même avec des menaces.

La perversion à l'état brut. 

**

On dira rien sur le retard parce que la suite arrive dans la journée hihi ❤️

Toujours avec nous pour en savoir plus sur nos quatre personnages ? Est ce que vous avez un.e favorit.e ? 😁😁😁😁

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