Chapitre 3
Lou
Je n'avais vraiment aucune envie de rentrer à la maison. Je savais ce qui m'y attendait : une perturbation inattendue qui allait venir chambouler mon quotidien : Eliott. J'avais énormément de travail pour le numéro du mois de décembre et la réunion que nous avait imposée notre rédactrice en chef à Paris, à la dernière minute, m'avait fait prendre du retard.
Je venais de passer trois jours à repousser les avances de plus en plus insistantes de Paul. Compte tenu de l'état de ma relation avec Alex, il me devenait difficile de résister à mon patron. Même si je ne ressentais rien pour lui, je ne pouvais pas ignorer la légère attirance physique. Je me sentais de nouveau vivante, belle et désirée, et cela me permettait d'oublier à quel point mon corps m'avait trahie en m'empêchant de tomber enceinte. Quand je passais du temps avec Paul, tout ce qui allait de travers dans ma vie sentimentale m'apparaissait comme une énorme contrainte que je m'imposais à moi-même et dont je pouvais me débarrasser d'un claquement de doigts.
Mais le retour à la réalité me rappelait que la vie n'était pas si simple. J'étais sans cesse rattrapée par le fait que j'étais amoureuse d'Alex et par mon désir de fonder une famille avec lui. Je refusais d'abandonner cette vie que nous nous étions construite au cours de ces cinq dernières années, sous prétexte de quelques difficultés largement surmontables. Alors il fallait faire face. À son absence, à nos conflits, à nos non-dits. À cette chambre désormais habitée par la mauvaise personne. Et plus le temps passait, moins j'avais de force. Voilà pourquoi la perspective de me retrouver en collocation avec son frère venu d'Asie ne m'enchantait définitivement pas.
Je remerciai le taxi et lui réglai la course avant de descendre de la voiture. J'avais deux rues à traverser avant de retrouver notre appartement du centre-ville qui, comme beaucoup d'autres rues à Bordeaux de nos jours, était piéton. Encore une fois, perchée sur mes talons hauts, j'avais la plus grande difficulté à me déplacer sur ces vieux pavés. C'est essoufflée et transpirante que j'arrivai au pied de mon immeuble.
Ma valise-cabine à roulettes n'était pas grande, mais elle était suffisamment lourde pour me décourager à l'avance face aux quatre étages qui m'attendaient. Je poussai un long soupir et m'apprêtai à pousser la porte lorsqu'un clochard qui fumait, assis contre la vitrine de la boutique en bas de l'immeuble, me coupa dans ma lancée.
— Vous devez être Lou, dit-il en tendant une main bronzée.
Il dut remarquer ma mine stupéfaite, car il ajouta :
— Eliott, le frère d'Alex.
Je le dévisageai. Cet homme n'avait rien à voir avec la photo que mon mari m'avait montrée une semaine plus tôt. À la place d'une réplique d'Alex avec quatre ans de plus, j'avais en face de moi un spécimen aux cheveux hirsutes et à la barbe mal taillée qui semblait faire dix ans de plus que son âge. Il portait un jean sale et déchiré, un sweat à capuche en à peu près aussi mauvais état et des Vans trouées. Il sentait fort le tabac et ça me donnait la nausée. J'avais arrêté de fumer lorsque nous avions décidé d'avoir un enfant avec Alex et depuis, l'odeur de cigarette me donnait envie de vomir. Je lui tendis ma main à mon tour.
— Je... Pardon, je ne vous ai pas reconnu. Vous êtes différent de ce à quoi je m'attendais.
— Sept ans au bout du monde, ça change un homme ! dit-il en souriant.
— Oui, en effet.
Je savais que je n'étais ni chaleureuse, ni sympathique. Je devais lui faire mauvaise impression, mais c'était plus fort que moi. Sa présence me contrariait énormément. Je ne voulais pas d'un vagabond entre mes murs et je me contrefichais qu'il s'en rende compte.
— Attends, je vais t'aider.
Il était déjà en train de s'incliner vers mon bagage pour l'attraper quand je le coupai sec. C'était plus fort que moi, je voulais qu'il comprenne qu'il n'était pas le bienvenu.
— Non, merci, je vais me débrouiller seule. Terminez donc votre cigarette.
J'avais volontairement continué à le vouvoyer pour lui faire passer le message.
Sans un sourire, je poussai la lourde porte d'entrée et m'engouffrai dans la cage d'escalier. Celle-ci était ouverte et donnait sur une grande cour intérieure, c'est la première chose qui m'avait fait craquer quand nous avions visité.
Eliott ne me suivit pas.
Normalement, en passant la porte de notre appartement, j'étais accueillie par une ambiance familière qui m'apaisait immédiatement. Mais la présence de l'intrus venait perturber cet équilibre et, surtout, l'ordre qui régnait habituellement dans les pièces. Une paire de vieilles bottines de cuir marron usées traînait dans l'entrée, lacets défaits, et le tapis était froissé. Ce n'était pas grand-chose, mais cela suffit à m'exaspérer. Lorsque l'on envahissait un espace qui n'était pas le nôtre, la moindre des choses était de le laisser tel qu'on l'avait trouvé, non ? L'Indonésie lui avait-elle fait oublier toutes ses bonnes manières ?
En rejoignant ma chambre, je passai devant la sienne. J'allais avoir du mal à me faire à ce changement soudain. L'habituelle porte fermée derrière laquelle se trouvait une chambre vide, attendant sagement d'être remplie, laissait place à une porte grande ouverte sur un bazar sans nom. Le lit n'était pas fait, quelques vêtements jonchaient le sol et des journaux quotidiens étaient éparpillés sur le bureau. Eliott était arrivé il y a seulement deux jours et pourtant sa chambre donnait le sentiment qu'il était là depuis six mois. Cela promettait...
Je me déshabillai dans la salle de bain lorsque j'entendis la porte claquer. Je m'étais volontairement dépêchée d'aller prendre une douche pour ne pas avoir à le croiser tout de suite. Je ne m'étais pas préparée à recevoir ce genre de personne. Je pensais avoir affaire à une réplique d'Alex en un peu plus aventureux, un homme bien élevé, ambitieux et un peu pédant qui aurait passé son temps à se vanter d'avoir tout quitté pour parcourir le monde. Mais de toute évidence, cela n'allait pas être ainsi avec Eliott. La simple vision de sa chambre m'avait fait comprendre une chose : il n'allait pas rester ici seulement quelques jours. Cela allait se compter en semaines, voire pire, en mois ! Il n'était de toute évidence pas un homme actif et ambitieux ; il ressemblait davantage à un doux rêveur complètement perdu. Je devinais aisément que la vie qu'il avait menée à Bali était aux antipodes de la nôtre ici. Personne n'allait être à l'aise dans cette situation, et il allait falloir qu'elle cesse le plus vite possible. Je savais déjà qu'Eliott et moi, cela n'allait pas coller.
En rinçant mon masque capillaire, je réfléchissais aux mesures à prendre. Je n'allais pas lui faciliter la tâche : il fallait que quelqu'un ici lui montre qu'il allait devoir se bouger rapidement pour libérer la chambre. Outre le fait que cette cohabitation ne m'enchantait pas, Alex et moi avions toujours pour projet de faire un bébé. Même si cette chambre était devenue un rappel incessant de notre incapacité à le concevoir, la voir libre était la preuve qu'il nous restait encore de l'espoir. La présence d'Eliott à l'intérieur me donnait l'impression que ce projet allait devoir attendre encore, et je n'étais pas prête à envisager une telle chose. En effet, un sentiment d'urgence me prenait aux tripes chaque jour un peu plus que la veille et aspirait au passage toutes les préoccupations qui s'étaient trouvées jusqu'alors au centre de ma vie, comme mon désir de devenir rédactrice en chef de mon propre magazine féminin.
N'étant pas d'une nature particulièrement sociable et expansive, je n'allais pas avoir trop mal à donner envie à mon beau-frère de déguerpir rapidement d'ici. Après m'être consciencieusement séché les cheveux, j'enfilais un débardeur, un gilet en mohair gris, un legging noir et mes grosses chaussettes de laine. Hors de question que je modifie mes petites habitudes.
En sortant de la salle de bain, je découvris Eliott affalé sur le canapé, une bière à la main. Il était huit heures du soir et j'avais hâte que mon mari rentre. Je m'apprêtais à faire une remarque désobligeante sur le fait que ses pieds traînaient sur notre magnifique table basse en chêne brut lorsqu'une délicieuse odeur me parvint.
— Quelle est cette odeur ? fis-je, curieuse.
— Des Perkedels, répondit-il avec un accent, sans même prendre la peine de regarder dans ma direction.
Je gardai le silence en attendant qu'il comprenne que j'avais besoin de plus d'explications.
— C'est des beignets de maïs. Je me suis dit que comme vous m'hébergiez, faire la cuisine était bon un moyen de vous remercier.
Je hochai la tête, inutilement, et m'assis sur le bord de la méridienne, bien droite, prête à attaquer.
— Combien de temps pensez-vous rester ici, Eliott ?
Il tourna les yeux vers moi. Des magnifiques yeux verts que je n'avais pas remarqués lorsque nous étions dehors.
— Euh...
— Vous ne savez pas, le coupai-je sèchement.
— Non, en fait, je n'avais pas du tout prévu de rentrer en France. Mon titre de séjour a expiré et l'ambassade a refusé de me le renouveler. Donc me voilà... dit-il en regardant sa bouteille de bière, visiblement mal à l'aise.
— Pourquoi ont-ils refusé de vous le renouveler ?
Était-il un délinquant ? Avait-il fait quelque chose de mal à Bali, et Alex ne me l'aurait pas dit ? Il était tout à fait capable de me cacher que son propre frère avait été expulsé d'un pays pour trafic de drogue ou assassinat. Je me préparais déjà à lui dire de déguerpir d'ici rapidement.
— Parce qu'ils acceptent de le renouveler cinq fois et pas une de plus.
Je respirais soudainement, me rendant compte au passage que j'avais retenu mon souffle en attendant sa réponse. Il n'était pas un criminel, c'était déjà cela. Je réfléchis une seconde à ce qu'il venait de répondre et réalisai une chose :
— Vous êtes en train de me dire que vous n'avez aucune envie d'être en France et aucun moyen de retourner là-bas ?
À voir son expression, j'avais parfaitement résumé la situation. Eliott semblait dépité. Mais je n'avais pas l'intention de le consoler. Alex et moi avions une vie suffisamment compliquée, nous n'avions pas besoin d'une âme en peine traînant sur le canapé.
— Bon, eh bien, dis-je en me levant, il va falloir songer à vous trouver du travail rapidement.
Il se redressa à son tour pour déposer sa bière sur la table basse et attraper son appareil photo, tout en m'expliquant :
— En fait j'espérais plutôt qu'Alex puisse m'aider à trouver un moyen de rentrer à Bali. Je n'ai pas l'intention de rester en France.
Allons bon. Alex avait alors intérêt à trouver une solution rapidement.
À ce propos, que faisait-il ?
Au fil des ans, il faisait de plus en plus d'heures supplémentaires. Le temps qu'il passait au cabinet avait considérablement augmenté. Au début de notre relation, il terminait sa journée tous les soirs à dix-huit heures pétantes. Mais au cours de ces douze derniers mois, Alex s'était mis à rentrer régulièrement vers vingt-et-une heures, me laissant souvent dîner seule. De cette manière, le seul moment que nous passions véritablement ensemble était le matin lorsque je me levais pour petit-déjeuner avec lui. Et à cause de nos métiers respectifs, nous n'avions ni l'un ni l'autre quelque chose qui puisse s'apparenter à un week-end.
Je m'apprêtais à me diriger vers la cuisine pour mettre la table lorsque je vis que le couvert était déjà dressé. J'étais à la fois reconnaissante envers Eliott de s'être entièrement occupé du dîner et à la fois frustrée de n'avoir rien d'autre à faire qu'attendre que mon mari rentre. Pour me consoler, j'allais me servir un verre de vin rouge, pris mon MacBook et m'installai au bar pour travailler un peu.
Je m'apprêtais à rédiger une ébauche de plan pour ma rubrique mode spéciale Fêtes de fin d'année, lorsque le bruit familier d'un message retentit et qu'une bulle apparut au coin de mon écran.
Sophie : Alors ma poule, Paris, c'était bien ?
Lou : Barbant. La boss nous a mis un énorme coup de pression et Paul n'a pas arrêté de me courir après.
Sophie : Ne compte pas sur moi pour te plaindre, à ta place ça ferait bien longtemps que j'aurais largué Alex pour lui !
Lou : Je devrais vous présenter... Au moins, j'aurais doublement la paix.
Sophie : Tu parles ! Tu adores te laisser désirer, ne me la fais pas. Bon, et ton beau-frère ?
Lou : Il est coincé ici malgré lui. En fait je viens d'apprendre qu'il n'avait jamais eu l'intention de rentrer en France. Résultat, il a probablement encore moins envie que moi de cohabiter avec nous. En plus, il ressemble à un clochard.
Sophie : Qu'est-ce qu'il va faire ?
Lou : Je ne sais pas. Pour le moment, il est dans le canapé, les pieds sur la table basse, une bière à la main et son énorme appareil photo dans l'autre.
Sophie : Et Alex ?
Lou : Il n'est pas encore rentré.
Sophie : Pardon ?! À cette heure-ci ?!
Lou : Il a beaucoup de travail, Sophie. Je dois te laisser. On se parle plus tard, je t'embrasse !
Je fermai rapidement la fenêtre de discussion. Je n'avais aucune envie de lire ce qu'elle allait me dire. Cela allait ressembler à quelque chose comme : « Il t'impose son frère et il n'est même pas foutu de rentrer à une heure décente ?! Tu passes ta vie à l'attendre ! ». Oui, Sophie, songeai-je, c'est ça ma vie. Elle n'était pas merveilleuse, mais je n'avais pas à me plaindre non plus. Même s'il rentrait tard, je préférais avoir un homme dans mon lit toutes les nuits et être mariée à mon âge qu'être célibataire. Avec mon envie viscérale d'avoir un enfant, je n'avais pas vraiment le choix.
— Alex rentre tard tous les soirs ? s'enquit Eliott, rompant le silence.
— Plus ou moins, oui, cela dépend. Nous ne sommes pas obligés de l'attendre.
Il me prit en photo, sans me laisser le temps de réagir, et s'exclama :
— Ah, ça tombe bien, parce que je crève de faim ! Et puis, les Perkedels, ça se mange chaud. Installe-toi, je m'occupe de tout.
Je m'exécutai tout en l'observant faire, complètement hébétée. Il sortit des petits beignets jaunes d'une huile qui ne frémissait plus depuis déjà quelques minutes. Il déposa chacun des beignets sur une feuille d'essuie-tout et alla chercher nos assiettes à tous les deux. Il disparut à nouveau dans la cuisine.
— Je me demandais, commença-t-il, tu travailles à domicile ?
— Alex et vous n'avez vraiment parlé de rien, ces deux derniers jours, n'est-ce pas ?
— Figure-toi qu'il est rarement là ! lança-t-il.
Sans rire. Je me lançai dans l'explication de ce qu'était mon travail.
— Je suis journaliste dans un magazine féminin de Bordeaux, La Bordelaise, qui appartient à un grand groupe français. C'est un concept national qui a été décliné pour plusieurs grandes villes. Ainsi, il existe également La Parisienne, La Lyonnaise, La Toulousaine... Vous voyez ?
Il acquiesça, mais me tournait toujours le dos.
— En tant que rédactrice d'une rubrique de mode, j'ai la liberté de travailler depuis chez moi si je le souhaite. Mais nous avons également des locaux à Bordeaux, Place Pey-Berland, dans lesquels nous avons des bureaux à notre disposition et une salle de réunion dans laquelle Paul motive les troupes.
— Paul ? demanda immédiatement Eliott.
— C'est un commercial que le groupe a envoyé pour remettre notre magazine d'aplomb. Il est vraiment très bon dans ce qu'il fait. Il est arrivé il y a à peine plus d'un mois et notre dernier numéro s'est vendu vingt fois plus que le numéro d'octobre.
Notre rédactrice en chef, Marie-Anne, nous avait annoncé les premiers chiffres à Paris. Nous avions été fêter la bonne nouvelle dans un bar le samedi soir. C'était du jamais vu et nous avions battu les records de vente de province, passant devant Lyon qui tenait la barque jusqu'alors. J'étais vraiment fière de notre travail.
Il ne répondit pas et apporta nos assiettes. Il avait fait quelque chose de très joli, en accompagnant les beignets d'une petite salade multicolore, et cela me mit directement en appétit. Je le remerciai, en contenant volontairement ma gratitude, et pris une bouchée. C'était tout simplement délicieux.
Il s'assit enfin en face de moi. Il ne s'était pas changé et sa coupe de cheveux commençait vraiment à me déranger. Je dus me retenir d'attraper une paire de ciseaux pour tout débroussailler afin de voir à quoi il ressemblerait sans ce look de vagabond. Il me surprit en pleine observation et je détournai rapidement les yeux.
— On va être amenés à se voir beaucoup, alors, je me trompe ? demanda-t-il.
— En effet, je passe beaucoup de temps dans mon appartement, répondis-je sans masquer mon agacement. Bien que je sois principalement dans mon bureau pour travailler.
— Et le dessin, c'est juste une passion ?
Je le regardai, surprise.
— Pardon, j'ai été dans ton bureau pour trouver des draps propres et j'ai vu tous tes dessins. Ils sont vraiment bons.
Il semblait soudain très mal à l'aise.
— Non, je vous en prie, il n'y a pas de mal. En fait oui, c'est ma passion depuis que je suis jeune. J'illustre moi-même mes rubriques et parfois aussi quelques autres articles du magazine.
Il me fixa un moment, songeur, ce qui me mit mal à l'aise à mon tour. À quoi pouvait-il bien penser ? Je me concentrai sur mon assiette lorsqu'il lâcha :
— Tu peux me tutoyer, tu sais.
Je relevai soudainement la tête vers lui et hochai la tête. Je ne pouvais pas refuser, alors j'acceptais à contrecœur. Je me sentais ridicule.
Nous avions largement terminé notre repas quand Alex rentra, à presque vingt-deux heures.
— Bonsoir, tous les deux, dit-il sur un ton léger.
Il déposa soigneusement sa mallette dans l'entrée et entreprit de se déshabiller sans un seul regard dans notre direction. Durant l'heure qui venait de s'écouler, mon agacement avait grandi de minute en minute. Je devenais paranoïaque quand il rentrait aussi tard.
— C'est à cette heure-là que tu rentres ? l'accusai-je, sortie tout droit d'un énorme cliché.
— Désolé, ma chérie, nous travaillons sur un gros dossier. Ambre et moi n'avons pas vu le temps passer.
Je me renfrognai. Prendre dix secondes pour m'envoyer un message et me prévenir ne semblait jamais lui traverser l'esprit.
— Qui est Ambre ? lança Eliott.
— Ma collaboratrice, répondit-il sans détacher son regard de moi.
Je détestais cette femme. Elle était magnifique, gracieuse, très intelligente, drôle et, pire que tout, extrêmement gentille. J'avais confiance en Alex, mais comment ne pas être jalouse alors qu'il passait beaucoup plus de temps avec elle qu'avec moi ?
— À ce propos, fit Alex, je les ai invités à dîner avec Pierre. Vendredi soir. Ambre mourrait d'envie de te rencontrer, Eliott.
Une fois de plus, je n'avais pas mon mot à dire. Il venait de passer toute la soirée avec Ambre et il rentrait comme une fleur, après trois jours sans m'avoir vu, sans m'embrasser et en m'imposant ce dîner. Alors que je fusillais mon mari du regard, Eliott se leva pour débarrasser la table et préparer une assiette à son frère.
Alex s'approcha finalement de moi et glissa une main autour de ma taille, ce qui me crispa immédiatement.
— Qu'est-ce que tu as ? chuchota-t-il.
— Rien. Je vais me coucher, crachai-je en me dégageant.
Je tournai les talons et me dirigeai vers la chambre. Je n'aimais pas la personne que j'étais lorsque j'étais jalouse. Pire encore, je n'aimais pas cette personne froide, angoissée et constamment dans l'attente que j'étais devenue. Le lendemain, j'avais une réunion tôt dans la matinée et je ne supportais pas l'excès de rage qui montait en moi. J'avais besoin d'être seule et je mourrais d'envie de fumer une cigarette. Il était plus simple de prendre la fuite, surtout qu'Alex se débrouillait toujours pour faire passer mes reproches pour des infantilités sans importance. Je savais très bien ce qu'il m'aurait dit : as-tu mieux à faire vendredi soir ? As-tu quelque chose à reprocher à Ambre et Pierre ? Non ? Alors c'est quoi, le problème, Louise ? Pourquoi tu ne veux jamais voir du monde ?
Allongée dans le lit, les yeux grands ouverts dans le noir, je me demandais comment j'en étais arrivée là. Sophie avait raison, je passais ma vie à l'attendre. Je passais ma vie à m'adapter, à me taire, à me résigner. Il ne rendait pas le dialogue possible et, de mon côté, j'avais beaucoup de mal à parler de mes sentiments. Je n'arrivais pas à lui dire qu'il me blessait, qu'il me manquait ou que j'avais peur. Tout ce dont j'étais capable, c'était de lui reprocher de ne pas être assez présent. Nous avions un sérieux problème de communication.
Ce fut sur ce constat amer que je finis par trouver le sommeil.
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