Chapitre 57
Un supplice, c'était ce que vivait Geonhak actuellement. L'état de son jeune mari se dégradait constamment et sa santé mentale était si instable. Le pauvre garçon était entièrement brisé de l'intérieur ainsi que de l'extérieur, bien que le Ajri semblait n'avoir vu que la face immergée de l'iceberg. Dongju faisait toujours attention à parfaitement camoufler son corps comme s'il cachait certaines choses, son amant n'avait pu voir les dégâts des jours de tortures uniquement lorsque les bouts de tissus se levaient de manière involontaire.
Des hématomes et autres entailles parsemaient l'épiderme crème de son dongsaeng qui grimaçait à chaque geste un peu ample ou précis. Dormant constamment sur le ventre, comme si son dos était une zone extrêmement endolorie, le prince Kim ne cessait d'observer son ami tenter de trouver le sommeil dans cette position des plus inconfortable.
Tous les jours, le plus vieux venait voir le Son afin de prendre de ses nouvelles, de s'assurer qu'il mangeait un minimum et se lever au lieu de se morfondre dans son oreiller ou de faire une nouvelle tentative de suicide. La scène était identique à chaque levé de soleil : Dongju était sur le ventre, sa tête tournée vers la porte de la salle de bain qu'il fixait intensément en reniflant tandis que des larmes perlaient sur son visage tiré par la fatigue et le désespoir.
Geonhak s'approchait calmement, il arrivait toujours avant Wooseok qui était aussi dans un état inquiétant mais ce fut Youngjo qui s'était porté volontaire pour s'occuper de son cas. Chaque matin, le noble s'asseyait sur le lit de son dongsaeng faisant affaisser le matelas sous l'ajout de ce poids supplémentaire. Le plus jeune lâchait un petit « Hm » interloqué avant de poser une fraction de secondes ses prunelles vides de vie sur le corps de son époux pour détourner le regard afin d'à nouveau fixer cette porte : il semblait attirer par cette dernière depuis sa tentative.
« - Tout va bien aujourd'hui Dongju ?
- ...
- Je vois, soupira Geonhak. Wooseok ne devrait pas tarder à arriver avec Youngjo. Ils vont nous amener nos petits déjeuners comme chaque matin afin qu'on puisse manger ensemble.
- ...
- Veux-tu faire quelque chose en particulier aujourd'hui ? Reprendre les entraînements ? Sortir dans les jardins du palais ? Faire le mur afin de rejoindre notre forêt ?
- ...
- Bon, l'aîné sentit ses épaules s'affaisser tandis qu'il ne quittait pas son mari des yeux. Seoho va venir pour me remplacer car j'ai une réunion importante donc je ne peux pas rester à tes côtés toute la journée. Désolé. »
Aucune réaction de la part de Dongju, son mutisme se prolongeait depuis qu'il avait prononcé son souhait de rentrer chez lui, à Gaïa, après sa tentative de noyade. Wooseok avait tenté de lui parler mais le pauvre domestique peinait à garder sa santé mentale stable : Geonhak ne voulait même pas imaginer quelles horreurs les deux avaient vécu. Enfin... Il allait en apprendre un peu plus dans le cours de la journée avec cette soudaine réunion qu'il avait organisé.
Tout d'un coup, la porte s'ouvrit sur trois silhouettes tandis que le prince caressait le dos de son dongsaeng au teint blafard : c'étaient Youngjo, Wooseok et Seoho. Le traumatisé avait toujours cet éclat terne dans ses yeux vairons, surtout lorsqu'il posait ses prunelles sur le corps recroquevillé de son maître : la culpabilité le rongeait énormément. Youngjo déposa une main rassurante sur l'épaule du serviteur tout en poussant le chariot porteur des divers mets qui composaient le petit déjeuner.
« - Nous voilà, tenta joyeusement Seoho afin d'alléger l'ambiance. Il fait super beau dehors, on devrait tenter de sortir un peu même si c'est bientôt l'automne.
- Cela serait une bonne idée de changer d'air, argumenta Youngjo en déposant les trois couverts sur la table.
- En plus, je pourrais m'envoler depuis ta fenêtre, Dongju. Et on pourra même aller sur la montagne jumelle à celle portant le palais. »
À l'entente du mot jumelle, Dongju couina légèrement en se recroquevillant davantage : cela lui rappelait soudainement Dongmyeong et le manque de ce dernier. Les larmes gagnèrent en intensité et Seoho paniqua en accourant au chevet du plus petit afin de tarir les perles salées qui dévalaient les joues de cet homme détruit. Le Tokësor voulait tant rentrer chez lui, retrouver son pays et sa famille, sentir l'odeur caractéristique du Royaume de la Terre. À cette période de l'année, les arbres devaient roussir lentement et les fruits automnaux commenceraient à pulluler ici et là dans la végétation.
« - Ve... Ux... Ren... Tré... »
Entre deux lamentations, le garçon avait chuchoté ses mots qui serrèrent le cœur de tous ceux présent et davantage celui de Wooseok, qui se sentait affreusement coupable, ainsi que Geonhak qui se redressa subitement. Les yeux remplis de détermination ainsi que de colère, il avait l'impression de fulminer de l'intérieur car il connaissait le coupable de la souffrance de son amant.
Hélas, il ne pourrait jamais lui faire plier genou : pas à lui. Un immense courant d'air se propagea dans le château ce qui fit voler plusieurs vases, rideaux, quelques tapis et autres tableaux de famille. Le flux d'air alla jusqu'à la salle du trône pour frapper, un peu brutalement, le corps du Roi Kim qui eut comme réaction un simple sourire joueur : son fils lui en voulait énormément.
« - Je reviens, gronda Geonhak en s'approchant de la porte.
- Hein ? Que vas-tu faire, s'inquiéta Youngjo en déposant la nourriture sur la table boisée.
- J'avance la réunion à maintenant. Je sais qu'il n'a rien à faire ce matin. Mon père n'est qu'un branleur déléguant ses tâches à ses sous-fifres qu'on appelle gradés, juste des bons chienchiens parfaitement obéissants, cracha le prince avec hargne.
- Tu sais que débouler dans la salle du trône sans autorisation va t'amener des ennuis, le prévint Seoho qui craignait pour son frère.
- Rien à foutre. Dans tous les cas, il n'aimera pas la discussion qu'on aura. Restez enfermé dans la chambre de Dongju, je pense que le Palais va être un peu secoué avec notre échange.
- Fais pas de conneries Geonhak.
- Je ne peux pas te promettre cela. Surtout après ce qu'il a fait à Dongju et Wooseok. »
Le futur Roi de Zéphyr passa son regard sur le corps rétracté de son dongsaeng puis il croisa le regard touché du serviteur qui avait des yeux brillants : lui aussi avait énormément souffert et cela mettait encore plus en rogne Geonhak. Personne ne méritait un tel traitement, cette injustice devait prendre fin.
Passant le seuil de la porte avec détermination, Seoho et Youngjo regardèrent une dernière fois leur ami ou frère avant que la paroi boisée ne finisse par se refermer devant eux laissant un blanc pesant dans la pièce qui fut entrecoupé par les sanglots, toujours présents, de Dongju.
Tout autour de Geonhak, un flux d'air circulant à grande vitesse se formait donnant l'impression qu'une mini-tornade entourait le noble qui avait une démarche furibonde. Le personnel du château se décalait à son passage, se collant presque au mur tant l'aura du prince était écrasante et terrifiante, presque similaire à celle de son père. Les yeux gris du Ajri avaient drastiquement viré au gris anthracite ce qui était une première chez le jeune garçon et tout ceci renforçait ce sentiment de fuite lorsqu'on croisait le regard du Kim.
Ses semelles claquaient au sol tout en résonnant sur les murs ivoires du Palais. Rapidement, l'approche de Geonhak fut entendue jusqu'à la salle du trône au le Roi Kim attendait patiemment l'arrivée tonitruante de son fils. Assis élégamment sur son siège orné de pierres précieuses turquoises et opalines ainsi que de fines arabesques aériennes, le souverain déplaçait les différentes pièces de son jeu d'échec montrant la reine blanche et l'un des fous de la même teinte dans une mauvaise posture tandis que le roi blanc avançait de plusieurs cases vers le noir : la partie avançait, les pions se plaçaient tous parfaitement. L'autre fou venait protéger son confrère tandis qu'un cavalier se plaça devant la reine afin d'achever le pion noir qui la menaçait.
« - Explique-moi ! »
Sans attendre l'autorisation d'entrée dans la pièce, Geonhak avait poussé brutalement la porte de la salle du trône à l'aide de ses pouvoirs. L'immense paroi boisée entra en collision avec le mur dans une violente cacophonie qui résonna dans les couloirs du Palais faisant sursauter moultes personnes qui ne se doutait pas du cataclysme qui s'annonçait.
« - Je te demanderais de frapper avant de rentrer, Geonhak. As-tu oublié ce qu'on t-a inculqué ? En tant que futur Roi, tu te dois de...
- Je n'en ai rien à faire de l'étiquette actuellement ! Je veux des explications. MAINTENANT ! »
Les poings serrés, le prince s'approcha du trône tandis que les gardes se mirent en position d'attaque bien qu'ils étaient face au prince. Néanmoins, leur priorité était le Roi et ce dernier avait autorisé les soldats à abattre son fils si ce dernier se montrait incontrôlable.
« - Sois plus clair, le taquina le Roi avec malice. Des explications sur quoi ?
- Ne joue pas à ça, explosa Geonhak alors qu'une onde d'air se diffusa dans la salle du trône faisant reculer les soldats de quelques centimètres.
- Je ne joue pas. Je suis un Roi, Geonhak.
- Un Tyran serait une nomination plus adéquate. »
Le prince était au bas des marches menant au trône, son père avait dans la main le roi blanc de son jeu d'échec et il le brisa dans sa paume après que son fils eut parlé. Tout en se levant, le souverain fusilla son enfant du regard tandis qu'une expression colérique se peignit sur son visage faisant frissonner d'effroi les gardes qui tentaient de garder Geonhak dans leur ligne de mire.
« - C'est ainsi que tu parles à ton père et ton Roi ! Je veux des excuses sur le champ.
- Tu ferais mieux de me tuer. Jamais je ne te montrerais la moindre grâce au vu des horreurs que tu orchestres.
- Parle-moi mieux Geonhak.
- Non. Je ne me montre pas respectueux envers les monstres. Au contraire, je leur crache à la figure. »
Avec un regard empli de défi et de colère, le fils cracha sur la première marche tout en ayant un sourire mauvais sur le visage. Immédiatement, le Roi Ajri déploya ses imposantes ailes noires, comme celles des corbeaux, et il vola jusqu'à son fils pour lui mettre une puissante claque qui fit tourner la tête du receveur.
« - C'est tout ce que tu as, se moqua Geonhak. Enfin, cela ne devrait pas m'étonner vu que ce sont tes larbins qui font tout le travail.
- Ferme-la. »
Nouveau coup de poing, cette fois-ci dans le foie de Geonhak qui se plia en deux en toussant brusquement face à la violence du coup. Cependant, il se redressa tout de même : le prince avait pris des attaques bien plus douloureuses dans sa vie. Après tout, on l'avait éduqué à la dure en lui apprenant à tuer dès son plus jeune âge.
« - Je suis sûr que ce n'est même pas toi qui as fait tout cela à Dongju. Surement un de tes hommes trop terrorisé pour te tenir tête. »
L'assaut fut rapide et brutal, le Roi s'était envolé en une fraction de seconde pour donner un coup de pied dans la colonne de son fils qui tomba genou contre terre. Heureusement, l'enfant eut le réflexe de mettre ses mains en avant afin d'amortir sa chute sinon il allait se fracasser le crâne sur l'escalier.
« - Depuis quand tu t'intéresses à la vie de ce misérable Tokësor ? Toi qui n'as toujours pensé qu'à ta petite personne et la vie de ton pathétique serviteur.
- Ne parle pas de Youngjo ainsi, gronda Geonhak en tentant de se relever mais il reçut un coup entre les omoplates qui l'obligea à rester par terre.
- J'aurais dû le tuer dès son premier jour ici. Tu devrais me remercier d'avoir été généreux en te laissant ce gamin à tes côtés.
- Toi ? Généreux ? Cesse donc de te lancer des fleurs, tu n'es qu'un dictateur. »
Sur ces mots, Geonhak évita l'attaque grâce à un courant d'air qu'il avait formé sous son abdomen et cela le fit fuir des griffes de son père qui manqua son attaque. Cet échec augmenta la colère de l'Homme qui fit naître ses filets d'air tout autour de lui afin de former un fouet qui traversait l'air à une vitesse faramineuse.
Le prince n'évita, hélas, pas la première attaque et son dos prit l'assaut de plein fouet ce qui déchira ses vêtements ainsi que sa chair. D'importantes stries se formèrent dans sa peau et du sang commença à couler le long de sa colonne alors que le Kim grimaça de souffrance mais il retint son cri de justesse : jamais il ne donnerait ce plaisir à son père. Le tyran n'attendait que de voir son fils hurler de souffrance en se mettant à le supplier de l'épargner.
Non, jamais il ne lui offrirait un tel cadeau. Au contraire, le garçon prépara une contre-attaque mais, avant toute chose, il neutralisa les gardes en les piégeant dans des cages d'air. Ensuite, tout en se concentrant, Geonhak prépara un assaut pour contrer le deuxième coup de fouet qui allait s'abattre sur son corps. L'air se concentra au-dessus du garçon, les atomes se rapprochèrent en s'agitant plus fortement ce qui créa un bouclier atmosphérique qui permit au prince d'esquiver le coup pour préparer son attaque. Formant une boule compacte d'air, il l'envoya subitement sur son père qui pouffa en voyant le projectile.
« - C'est tout ? Tu es si pathétique. »
Mais la réaction de Geonhak ne fut pas celle attendue par le Roi puisqu'il remarqua le petit sourire sur le visage de son descendant. Aussitôt, la boule se scinda en plusieurs centaines de projectiles qui vinrent entourer le souverain. Les petites sphères se mirent à tournoyer de plus en plus vite jusqu'à former une ligne aérienne blanchâtre où l'on ne discernait plus aucunes charges d'air : le Roi était piégé au centre d'elle.
« - Laisse-moi sortir !
- N'y pense même pas. »
La vitesse gagna en intensité et la ligne s'épaissit vers le sol, lentement, et elle se métamorphosa en cyclone qui commença à soulever le Roi qui tentait de se débattre avec son propre élément. Ses ailes battaient maladroitement dans le vide, son plumage s'arracha doucement tandis que sa chevelure blonde s'embrouillait. La haine se lisait dans le regard du Tyran qui tentait de quitter sa prison venteuse mais la tâche lui était impossible : Geonhak l'avait capturé à son insu.
« - Lâche-moi !
- Non. À toi de souffrir un peu. »
La haine se diffusa dans l'homme qui haïssait d'être pris de haut. L'aura du tyran s'assombrit et de nouveaux câbles d'air apparurent pour prendre d'assaut Geonhak, cependant, ce dernier réussit aisément à les dévier ce qui surprit le père du garçon. Un sourire narquois se peignit sur le visage de l'enfant qui augmenta la vitesse de rotation de la tornade tout en rétrécissant le diamètre de cette dernière. Les gardes furent affolés de voir leur souverain dans un tel état de faiblesse et ils tentèrent de briser leur prison venteuse mais rien à faire : plus ils frappaient sur les parois et plus ces dernières se renforçaient.
« - Dongju va rentrer à Gaïa pendant quelques jours, ordonna le prince Ajri. Je l'accompagnerais dans son voyage et nous reviendrons quand il ira mieux.
- N'imagine même pas une telle gentillesse de ma part, grinça des dents le Roi.
- Tu n'as pas le choix mon cher père. Nous partons dans la soirée, j'ai déjà envoyé un message au Royaume de la Terre. »
De sa main droite, il fit légèrement mouvoir le brin d'air qui c'était faufilé jusqu'au transmetteur de messages inter-royaume. Une expression victorieuse s'étira sur le visage du prince tandis que le tyran ne voulait pas perdre face à cet acte de rébellion. Néanmoins, il n'avait aucune possibilité de contre-attaquer son enfant : il avait été pris au piège.
« - Si tu quittes l'enceinte de ce château avec Dongju... Tu le regretteras très cher.
- Tes menaces ne marchent pas sur moi. Je n'ai pas peur de ce que tu es, je connais tes faiblesses. Je suis ton fils, le seul qui peut te battre et tu le sais mieux que quiconque.
- Tu vas me payer cher cet affront, Kim Geonhak.
- Essaye donc. Mais sache que je ne me laisserais plus marcher dessus, j'en ai marre. Plus jamais je ne serai l'un de tes pantins. Plutôt crever que de t'obéir. »
Montrant sa hargne une dernière fois, le prince tourna finalement les talons afin de rejoindre la sortie puis la chambre de Dongju dans le but de préparer ses affaires et celles de son époux. La tornade perdit doucement en intensité, les parois aériennes s'affinèrent petit à petit jusqu'à totalement se dissiper rendant leur liberté aux gardes qui s'excusèrent platement d'avoir échoué dans leur rôle de protecteur. Le Roi les fit taire d'un coup de main alors que des filets d'air vinrent serrer le cou de chaque soldat qui se mirent brusquement à suffoquer jusqu'à ce que leur cerveau finisse par lâcher pour de bon.
« - Des incapables, tonna le tyran en marchant à côté de ces corps inertes mais toujours chauds. Geonhak, ne pense pas avoir gagné. À ton retour, tu regretteras ton action. Vas-y, pars. Joue les preux chevaliers, profite de cet élan de rébellion mais ne vint pas pleurer à ton retour lorsque ma vengeance tombera. Tu as intérêt à assumer tes actes, fils. »
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