Chapitre 24
Les nuages étaient rois en ce jour printanier, les rayons ultra-violets étaient entièrement arrêtés par la barrière cotonneuse tamisant la luminosité journalière tout en abaissant les températures. De légères bourrasques de vents donnaient un peu de fil à retordre aux êtres aériens qui peinaient à planer à cause de ces fluctuations. Les oiseaux s'étaient mis à voler plus près du sol, certains Ajri avaient même opté pour la marche aujourd'hui tant les conditions climatiques étaient défavorables pour le vol. Les rues de Zéphyr furent étrangement peuplées, les jambes fines de ce peuple aérien étaient mises à rude épreuve puisqu'elles n'étaient que rarement sollicitées de la sorte.
Puis, la pluie commença à tomber. Cela avait débuté par quelques fines gouttes puis elles gagnèrent en taille, en intensité jusqu'à créer une véritable averse qui obligea les divers êtres vivants à trouver refuge. Les animaux se camouflèrent dans les feuillages et buissons, les plantes fermèrent leurs fleurs afin de protéger leur précieux pollen et les habitants de chaque Royaumes s'enfermèrent dans leur lieu de travail ou leur habitation rejointe après avoir couru sous la pluie battante. Le printemps était une saison capricieuse où les jours pouvaient être à la fois très estivaux comme très automnales.
Néanmoins, des amoureux de la pluie existaient tel que les divers invertébrés comme les rainettes, grenouilles et autres crapauds qui croassaient de bonheur au bord des étangs. Le peuple d'Aral aussi appréciait ce climat humide et venteux, moults Bymehet remontaient à la surface afin de sentir les gouttes s'écraser sur leur visage pour se mêler aux perles d'eau salé de la mer ruisselant sur leur peau après leur petit bain marin. Et puis il y avait lui, cette exception à la règle, ce courageux qui avait bravé l'interdit pour sortir à l'extérieur.
Sa chevelure platine, un peu trop longue à son goût, collait à son front pour ensuite goutter sur l'entièreté de son visage dénué de maquillage. Ses profonds cernes mauves étaient entièrement dévoilés ainsi que les diverses aspérités qui recouvraient sa peau à cause du stress et de l'exténuation. Son haut blanc légèrement fluide avait viré au transparent tant il était imbibé par la pluie mais l'homme s'en fichait, il adorait ce sentiment de marcher dans les rues désertes avec l'eau s'abattant sur lui : cela le détendait. Cependant, quelques picotements se faisaient ressentir au niveau de ses omoplates et, naturellement, il porta sa main à cette zone mais la souffrance était fantôme : il n'avait rien à cet endroit. Enfin si, il y avait quelque chose tout comme il en manquait une autre.
Soupirant, le blond se mit à gravir l'une des montagnes environnantes dans l'espoir d'atteindre son sommet pour observer les environs et prendre de la hauteur sur tout, dont sa vie. L'effort fut important, la fatigue n'aidait point à l'ascension mais il ne perdit pas espoir, l'homme continua de pousser sur jambes musclées malgré les petits étourdissements qui le secouaient de temps à autre : tout était une question de volonté. Le sol était escarpé, jonché de diverses pierres anguleuses qui attendaient qu'une chose : qu'il finisse par chuter et se fracasser sur l'une d'elle. Le destin le taquinait, jouait de lui ce qui lui faisait serrer les dents de hargne et combativité : pourquoi sa vie était-elle ainsi ?
Les heures défilées, la pluie devenait diluvienne et ses vêtements n'étaient plus que des torchons qui ne le protégeaient plus du tout : il finirait sûrement malade demain avec un rhume, une pneumonie ou il ne savait quelle maladie liée à un coup de froid. Mais, comme il aimait si bien le dire « je n'en ai rien à faire ». Le haut de la montagne se dessinait, heureusement qu'il avait opté pour une altitude peu élevée à la vue de son état de fatigue. Du haut de son perchoir, les environs étaient si insignifiants maintenant qu'il surplombait le Royaume et la mer semblait infinie de là où il se tenait.
Ses mèches platines imbibées de pluie étaient secouées par des bourrasques faisant partir certaines perles aquatiques dans l'atmosphère tout en fouettant son visage : tout ceci lui donnait le sentiment d'être vivant alors que son corps tremblait de froid. Ses jambes s'entrechoquaient tant il grelottait, ses bras entouraient naturellement son torse dans l'espoir inconscient de se réchauffer mais l'homme n'avait aucune envie de rentrer chez lui, d'opérer un demi-tour et s'enfermer dans cette habitation qui était semblable à une prison à ses yeux. Pourquoi ne pas rester ici, en haut de ce mont, afin d'observer jusqu'à la fin l'eau s'étendre à perpétuité ? Après tout, sa vie n'avait pas de saveur ? Son existence était similaire à celle d'un pantin que l'on manipulait agilement. Son avis n'existait pas, on l'avait éduqué ainsi. La personne qu'il était devait disparaître pour être celui qu'on voulait qu'il soit. C'était son rôle, sa destinée, son devoir qui forgeait la personne qu'il était et non l'inverse. Était-ce une vie ?
Le vent s'intensifia, le blond écarta les bras pour sentir les flux entourer chacun de ses membres et faire frissonner toutes les parcelles de son épiderme. Ses cheveux s'emmêlèrent davantage, son visage restait bloqué dans une expression neutre, sans émotion tandis que l'averse se transformait en tempête, voire en déluge.
« - Geonhak ! »
Plongeant depuis le ciel, une tornade enflammée piqua en direction du jeune prince de Zéphyr qui ouvrit une paupière afin de déterminer l'identité de celui qui le hélait de la sorte. Les ailes de flammes apparurent dans son champ de vision, tout comme la chevelure ébène de son interlocuteur qui avait un visage rongé par l'inquiétude. Le nouveau venu se posa sur le sol rocailleux, son plumage se repliant avec élégance sur son dos donnant le sentiment qu'il portait une immense cape rougeoyante puis il courut en direction du futur souverain qui semblait entièrement déconnecté.
« - Mon dieu Geonhak ! Il ne faut pas nous faire des frayeurs pareilles ! On se faisait un sang d'encre avec Youngjo ! »
Seoho attrapa le visage de son petit frère, malgré le non-lien de sang, puis il tenta d'essuyer le visage de son cadet qui clignait simplement des yeux en le fixant sans émotion : c'était horriblement déroutant de le voir ainsi. L'aîné n'avait jamais été témoin d'un tel état de faiblesse chez Geonhak. Lui qui était toujours si fort, si têtu, si éloigné de toutes critiques... Le voilà métamorphosé en un jeune garçon perdu dans la nature, rongé par le froid et sans la moindre réaction : Seoho était terriblement inquiet pour son frère.
Sans hésiter une seule seconde, il retira sa grande cape noire pour l'enrouler autour des épaules du prince qui tremblait comme une feuille puis Seoho rabattit la capuche sur la chevelure trempée de Geonhak avant de le prendre dans ses bras afin de le serrer fortement contre son torse.
« - Préviens-nous la prochaine fois. Youngjo était dévasté en voyant que tu étais nulle part, il se sentait affreusement coupable. »
Le prince ne répondait pas à l'adopté, son regard restait vide, ses réflexes inexistants et ce sentiment de parler avec un mort terrifia davantage l'aîné qui n'eut pas d'autre choix que de ramener en urgence son petit frère au palais. Passant ses bras sous la nuque et les genoux du futur souverain, Seoho peina quelques secondes à le soulever mais, grâce à l'adrénaline et la peur de perdre celui qui était devenu sa famille, il réussit à porter Geonhak puis ses ailes s'étendirent avec élégance et Seoho prit son envol dans la tempête.
A moultes reprises une bourrasque le faisait dévier de sa trajectoire et perdre son équilibre, ses ailes avaient beaux être immenses, elles semblaient manquer de puissance dans ce temps calamiteux. Chaque battement demandait un effort surhumain à Seoho qui sentait ses réserves d'énergie s'épuiser un peu plus après chaque mètre parcouru : il avait l'impression que jamais il n'arriverait au château. Le vent se faisait de plus en plus fort, la pression atmosphérique augmentait et l'aîné avait l'impression de se battre contre l'un des mini-cyclones que Geonhak créait.
« - Allez ! On y est presque, tiens le coup Geonhak ! Je vois le contour d-du palais... Aish ! »
Les grimaces de fatigue et douleur vinrent prendre la place des adorables sourires qui décoraient habituellement son visage, son haut prenait à son tour la pluie puisqu'il avait recouvert le prince de sa cape et l'adopté sentait le froid ronger sa moelle amenuisant davantage ses forces : il ne restait que quelques mètres. Puisant dans ses réserves, Seoho laissa échapper un cri frustré de ses lèvres tandis que ses ailes donnèrent un grand battement ce qui les propulsa en avant : il discernait la fenêtre des quartiers de Geonhak. L'espoir naissait, les yeux de l'aîné s'illuminèrent de soulagement en réalisant que les portes vitrées étaient grandes ouvertes signe que Youngjo se trouvait dans les lieux. Il devait tenir, encore un tout petit peu.
« - Allez ! »
Le plumage de Seoho sembla soudainement s'embraser une fraction de seconde asséchant la pluie et l'air autour des deux âmes exténuées puis le souffle de la déflagration les envoya en avant permettant de traverser les derniers mètres en un battement de paupière. Néanmoins, l'atterrissage fut un peu violent. L'adopté passa les portes vitrées, toujours en plein vol, il tenta de freiner en mettant ses ailes vers l'avant mais l'élan était trop important. Il eut juste le temps de se retourner à cent-quatre-vingts degrés pour prendre le choc à la place de son frère.
Le dos de Seoho entra brusquement en contact avec le mur, laissant une trace dans ce dernier, tandis que Geonhak s'enfonçait davantage dans le torse de son frère compressant douloureusement ses côtes. Un petit cri de souffrance s'échappa des lèvres du plus vieux tandis que Youngjo accourait vers eux totalement paniqué.
« - Seoho ! Geonhak ! Tout va bien ? Vous êtes blessés ? Mais vous êtes trempé, surtout toi Geonhak-ie ! »
Sans perdre plus de temps, le domestique attrapa son grand ami et passa un de ses bras autour de son cou afin de l'amener jusqu'à son lit tout en libérant Seoho de ce poids conséquent. Youngjo fut obligé de traîner le prince jusqu'à son matelas car aucun des deux n'avaient de force : l'un à cause de ses heures passées à réfléchir sous la pluie, l'autre souffrant du traitement qu'on lui infligeait depuis son plus jeune âge. Le futur roi fut déposé sur ses draps et, sans perdre une seconde, le servant accouru jusqu'à la salle de bain pour récupérer quelques serviettes afin de sécher les mèches platine ainsi que le derme du Kim.
Pendant ce temps, l'adopté se redressa en gémissant douloureusement : le choc avait été plus brutal qu'il ne l'imaginait, il aurait sûrement de beaux bleus le lendemain matin. Tout en s'aidant de ses bras pour passer d'assis à debout, il alla ensuite chercher quelques vêtements dans la penderie de son petit frère afin de les apporter à Youngjo qui commençait à retirer les habits trempés du prince frigorifié.
« - Où était-il, Seoho ?
- En haut d'une montagne à regarder le vide, indiqua le sauveur tout en déposant la tenue sur la table de chevet à côté du lit. Il ne m'a pas dit un mot, il tremblait juste tout en fixant la mer. Je n'ai pas hésité une seconde, j'ai volé jusqu'au château afin qu'on puisse le sécher et le soigner car il va couvrir un truc demain. C'est sûr vu son état...
- Je vois... Tu peux retourner dans ta chambre pour te changer. Je vais m'occuper de lui, ne t'en fais pas. J'ai l'habitude de ce genre d'épisode bien qu'habituellement il reste simplement sur le balcon. Ce... C'est la première fois qu'il partait aussi loin sans me prévenir. »
L'expression du domestique semblait tourmentée mais aussi sérieuse : il était atrocement tracassé, son visage le trahissait énormément. Ses mains mates vinrent passer le tissu éponge sur les diverses parcelles de peau du prince afin de retirer toute l'humidité, ses prunelles rubis ne lâchaient pas du regard la figure de Geonhak qui avait fermé ses paupières tout en respirant péniblement. Les gouttes de pluie furent remplacées par des sueurs froides à cause de la fièvre naissant petit à petit. Néanmoins, le plus perturbant pour Seoho semblait être cette habitude qu'avait Youngjo de prendre soin de la sorte de son ami et maître comme-ci cela était normal, courant.
« - Je vais vite me changer et je ferai un tour à la cuisine pour lui amener de quoi manger, conclut l'adopté. Il n'a rien mangé depuis ce matin, j'ai vu son assiette pleine être desservie par une servante. Je fais vite ! »
Ce fut ainsi, plongeant dans ses maigres forces à la suite de ce vol compliqué, que le second prince sortit de la chambre de son petit frère en étant trempé de la tête au pied avec une expression des plus soucieuses sur le visage. Son état surpris plusieurs membres du personnel qui n'osèrent pas l'arrêter car l'aura de Seoho était si... différente. Les domestiques qui voulurent l'approcher renoncèrent bien vite car ils avaient la sensation qu'ils allaient se brûler les ailes en tentant la chose. Quelque chose s'était réveillé chez le jeune noble, mais personne ne savait quoi.
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