Chapitre 14
Le vent s'était soudainement accéléré, renforcé, balayant une quantité plus importante de pétales de fleurs rosées. L'ensemble des résidus de végétaux se mirent à virevolter gracieusement dans le ciel, tournoyant vertigineusement sur l'ensemble azur du ciel tâché de nuages blancs. Puis, l'un des amas cotonneux passa devant le Soleil, camouflant ses rayons et sa lueur à tous. Les pétales volaient encore un peu avant de dégringoler vers le sol pour lamentablement s'étaler sur le sol puis se faire piétiner par les semelles des Tokësor soudainement agités. La nouvelle avait été surprenante, elle resterait sûrement dans l'Histoire au vu de son importance mais, pour le moment, tout le monde essayait de l'analyser ou l'éradiquer.
La Nature semblait se sentir coupable, tout comme la Reine qui s'efforçait de garder la tête haute alors que son cœur, ainsi que celui de son mari, se fissurait un peu plus en disant tout haut ce qui s'était conclu tout bas. Pour le bien de la majorité, leur fils devait sacrifier son bonheur afin de protéger le peuple de Gaïa des menaces Ajri. Le souverain avait pourtant proposé moults marchés tout aussi intéressants les uns que les autres : des terres, des biens, des richesses, des connaissances, du pouvoir... Hélas, le roi Kim n'était intéressé par qu'une chose : l'union de son fils avec celui de Gaïa. Pourquoi donc ? Cela restait un mystère pour le Roi qui n'avait pu se résoudre qu'en acceptant ce pacte avec un homme qu'il jugeait aussi diabolique et mesquin que la Reine Moon du Royaume Aral.
Les ombres du Soleil, camouflées par l'épais cumulus grisâtre, dansaient sur la figure du Guide Tokësor mais ce dernier semblait avoir vieilli à la suite de cette nouvelle. Ses traits étaient marqués, ses rides profondes, son teint grisâtre tel un arbre voyant ses confrères être rasés les uns après les autres. Cette situation le blessait mais il appréhendait surtout les conséquences, les réactions et principalement celles de son enfant derrière lui. En effet, le visage de Dongju était gravé dans une expression sombre et, sous le choc de la nouvelle, il n'avait pas réussi à rester statique. Ses pupilles s'étaient dilatées, ses orbites menaçaient de sortir tandis que, lentement, il avait tourné son regard en direction de la personne qu'il nommait « père ».
La main du garçon tremblait frénétiquement alors qu'une douleur indescriptible remontait le long de sa gorge la serrant douloureusement. Son nez, tout comme ses yeux, le piquaient et lentement son champ de vision se brouilla d'incompréhension et de félonie. Comment... Comment n'avait-il pas pu le prévenir en amont ? Avait-il jugé meilleur de lui annoncer cela en même temps qu'au peuple ? Quelle mouche avait piqué le Roi ? Si Dongju avait appris cela plus tôt, avant ce face à face avec les Tokësor, il aurait pu camoufler sa stupeur, son désespoir, ses larmes... Sa trahison.
Un brisement résonna dans les tympans du jeune prince dont les jambes devenaient cotonneuses : son âme se détruisait en de milliers de bris de verres tout en s'éparpillant douloureusement dans son corps. Les éclats s'enfoncèrent dans ses nerfs, ses organes, son cœur et, comme si une âme les habitait, ils s'enfonçaient profondément, se tordaient afin de renforcer l'affliction. Comment avait-il pu faire une telle chose sans lui demander son avis ? Était-il si inutile dans la famille ? Était-ce son rôle ? Devenir le mari d'un homme qu'il ne connaît pas ? Jouer à la bonne petite femme afin de canaliser les pulsions d'un possible monstre ? Tout ceci était impensable. Jamais Dongju n'accepterait cette condition, il... Il allait mourir !
Soudain, un moineau vola hasardeusement en direction du balcon et il ne vit pas la porte vitrée. Ce fut dans un boom sonore que l'animal s'effondra, raide mort, au pied du jeune prince larmoyant. La Nature avait-elle trouvé drôle de métaphorer le destin de Dongju de la sorte ? Était-ce un message ? Une manière de sous-entendre que la liberté du prince venait d'être détruite ? Où était-ce un signe qu'on venait de lui voler ses ultimes éclats d'innocence ?
Le discours avait continué mais le garçon n'avait rien écouté, cela ne l'intéressait pas, cela ne l'intéressait plus. Son esprit était ailleurs, prisonnier de multiples questions toutes plus tortueuses les unes que les autres tandis que ses iris abyssales fixaient ce pauvre oiseau mort. Puis, au même instant dans un long couloir désert, une lueur rubis envahissait une pièce particulière allant jusqu'à scintiller sous la porte fermée. Affaibli, détruit mentalement, la force magique de Dongju s'était considérablement amoindrie créant une brèche qui permit au Destin de reprendre ses droits. L'éclosion des Lycoris rouges s'accentua, les racines noueuses vinrent entourer le poitrail du jeune Giwook puis elles commencèrent lentement à le recouvrir de la tête au pied.
Le cœur du prince se serra davantage, ses muscles se contractèrent brusquement tandis qu'il eut la sensation qu'une dague venait d'être plantée dans son ventre. Couinant pitoyablement, seul Dongmyeong et les parents royaux entendirent le gémissement fébrile de leur fils mais ils ne comprirent pas la cause. L'enfant de l'orchidée lançant un coup d'œil à son double mais tout ce qu'il remarqua fut les larmes roulant sur ses joues et les lignes pêches qui se dessinaient sur ses mains tout en remontant le long de son cou : ce n'était qu'une question de secondes avant qu'elles ne finissent par attaquer le visage du jeune Dongju.
Dans la salle du trône, Sebastian et les quelques gardes présents afin de protéger la famille royale hoquetèrent de stupeur en découvrant que des dizaines de fleurs de lotus florissaient sur le dallage. Blanche, rose, bleu... Toutes les variantes de la plante sortaient des jointures pour éclore avec grâce dans un spectacle magnifiquement perturbant. Le majordome, tourmenté par un tel phénomène, jeta un coup d'œil au balcon et il put difficilement retenir son petit bruit de surprise en découvrant les arabesques irisées qui envahissaient la peau du petit prince.
Par chance, le discours prit fin à l'instant où les stries débutaient leur route sur la mâchoire du jeune homme chancelant. Ses iris déterminées étaient devenues des miroirs de désespoir reflétant une agonie certaine qui brisait le cœur des rares personnes pouvant les apercevoir : le peuple était bien trop bas, aveugle à ce sordide tableau. Le Roi et la Reine saluèrent une dernière fois les Tokësor en leur souhaitant un bon bal des fleurs de cerisiers en laissant apparaître un sourire radieusement faux. Dongmyeong accomplit l'exploit de saluer quelques personnes alors que Dongju rentra simplement dans la pièce après s'être courbé douloureusement : son geste n'avait rien de respectueux, son cœur lui faisait juste affreusement mal.
Les membres royaux rentrèrent tous, la porte vitrée fut refermée derrière eux ainsi que les épais rideaux taupe et Dongju s'effondra en larmes alors qu'une nouvelle vague d'éclosion de fleurs de Lotus envahit la pièce ébahissant les personnes présentes. Depuis quand Dongju était capable d'une telle chose ? Le Roi s'approcha de l'un des végétaux mais à peine eut-il frôlé une de ses fleurs que la plante s'auto-détruit dans un cri strident pour laisser place à un tas de cendres pêches. La Reine, quant à elle, accourut auprès de son bébé sanglotant à côté du trône mais, à une dizaine pas de Dongju, elle fut soudainement arrêtée par une barrière rosée.
« - Dongju ! Mon bébé...
- N'approchez pas ! Ne... Ne m'approchez pas, couina l'enfant. »
Son hurlement, brisée et frêle, résonna dans la salle du trône tandis que, plus loin dans le palais, l'éclat rubis s'intensifiait attirant quelques servants inquiets puisque la lueur vermeille s'échappait de sous la porte. La protection de Dongju s'affaissait, le Destin gagnait et Giwook s'en allait définitivement. Le moineau était peut-être une métaphore de cette période de déni sécurisante qui se terminait. Tout comme la Mort venait enlever la vie du jeune garçon fauché il y a onze ans de cela, la réalité s'occupa de cueillir le petit prince. Après tout, c'était le printemps. La saison de la renaissance, le début d'un nouveau cycle de la Nature et de la Vie.
« - Dongju. Nous n'avions pas le choix, commença le Roi. Il ne m'a pas laissé le choix. J'ai tout tenté pour le faire changer d'avis afin de conclure un autre marché mais c'était la seule chose qu'il souhaitait. Un mariage afin d'unir au travers d'une cérémonie commune nos deux Royaumes.
- Tu m'as vendu, lâcha amèrement le prince. Tu m'as offert en pâté à un loup affamé...
- Dongju ! T-Ton... Ton père a tout fait pour te protéger. Il n'avait pas le choix. C'était cela ou...
- La Guerre. Merci, j'avais compris la situation. Je sais très bien que je suis un raté à vos yeux mais je ne suis pas con non plus.
- Comment ça un raté ? Qu'est-ce qui te fait dire cela mon chéri ? »
Serrant les poings, la tristesse du garçon devint de la colère et une certaine rancœur grandie en lui. Son cœur, réduit en poussière comme le Lotus touché par le roi, hurlait à l'injustice tandis que ses iris ne dévoilaient qu'une profonde amertume camouflant le désespoir qui les scindait.
« - Je sais très bien que Dongmyeong est meilleur que moi. Lui a l'allure d'un souverain. Il est fort, aimable, intelligent, apprécié de tous. Son végétal sacré est utile... Tout l'inverse de moi ! J'ai compris. Et le discours d'aujourd'hui m'a ouvert les yeux : je n'ai pas ma place ici. Au moins, en me mariant avec l'autre prince je servirais à quelque chose. Mon existence ne sera pas si inutile. Son Dongju aura un sens, il ne sera pas juste une erreur dans notre glorieuse lignée. »
À l'instant où le garçon scella ses dernières paroles dans un pincement de lèvres acerbes, les dizaines de Lotus se désintégrèrent dans une cacophonie assourdissante obligeant les personnes présentes à porter leurs mains à leurs oreilles sous peine de perdre leur tympan. Seul Dongju semblait insensible à cette dissonance. Son visage était inondé de larmes et le pire était que malgré l'écoulement disgracieux de son maquillage, ses yeux rougis, la souffrance et la haine ainsi que le désespoir brillant dans ses pupilles, Dongju restait magnifique. Tel un fantôme, il marcha sans vie vers la sortie en murmurant simplement ces quelques paroles sans y mettre la moindre émotion.
« - J'ai besoin de changer d'air. J'aurais un peu de retard pour le banquet et les invités. Commencez sans moi... Dans tous les cas, ils viennent nouer des liens avec le futur Roi. Je suis superflu... »
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