Chapitre 15

Le dernier jour de vacances était finalement arrivé. Hwanwoong avait réussi à se reposer un petit peu en revenant chez lui, en voyant sa mère et ses anciens amis : c'était comme si son corps avait été une batterie qui avait gagné quelques pourcents.

Après le départ de Keonhee, la nuit dernière, Le Bymehet avait rejoint Naïa, San et Wooyoung sur la plage afin de profiter d'une petite soirée entre amis comme au bon vieux temps. Le feu de camp crépitait encore dans sa tête, les éclats de rire du petit couple fraîchement fiancé faisaient vibrer ses tympans tandis qu'il sentait encore la tête de sa voisine somnolente reposer contre son épaule.

« - Toujours dans la lune toi ? »

En parlant du loup, cette dernière revenait de son tour de garde matinale. Vêtue de son uniforme de soldate, ses cheveux sable étaient noués en un chignon serré rendant son visage poupin plus strict, plus mature.

« - Je te préfère avec les cheveux détachés. »

Hwanwoong avoua cela avec un petit rictus tendre sur le visage. Son amie s'asseyait à ses côtés et, sans demander l'autorisation, il vint faufiler ses doigts dans les mèches de la blonde cendrée pour rendre la liberté à cette chevelure de sirène. A peine l'élastique avait glissé de ses doigts que le tout dégringola dans d'élégantes ondulations sous la mâchoire de Naïa qui souriait simplement en laissant l'autre faire.

Ses yeux hazel ne quittèrent pas le visage de porcelaine de Hwanwoong et elle commença à détailler la beauté de son faciès. Ses traits fins mais charismatiques, son nez anguleux parfaitement proportionné, ses yeux légèrement bridés à la couleur hypnotisante donnant ce sentiment de plonger dans les abysses lorsqu'on croisait son regard. Puis il y avait ses cheveux châtains, ses douces mèches aux teintes automnales qui s'emmêlaient toujours avec désinvolture.

« - C'est mieux ainsi. »

Hwanwoong remit en place une mèche derrière l'oreille de Naïa qui rougit imperceptiblement tout en continuant de sourire à son voisin si maladroit et adorable. Les deux restèrent ainsi quelque temps à s'observer en silence pour ensuite détourner le regard vers l'étang que protégeait la famille Yeo. Les épaules se frôlant, les cuisses se touchant, la jeune fille fit maladroitement glisser sa main sur la jambe de l'autre pendant une fraction de seconde.

La voisine bredouilla une excuse dans un bafouillement adorable qui fit lâcher un éclat de rire au bras droit. C'était léger, naturel et sincère. Cela faisait frémir le cœur de la soldate qui souriait simplement en fermant les yeux tout en laissant sa tête tomber sur l'épaule de son ami d'enfance.

Ce geste était normal entre eux, ils avaient toujours été très proches, presque inséparables. Après tout, grandir dans des maisons voisines avec des parents amis cela rapprochait énormément, cela tissait des liens forts et durables qui pouvaient se briser uniquement si un drame se produisait.

« - Cela va être à nouveau calme après ton départ... »

La voix de Naïa était un peu triste mais surtout très nostalgique. Le départ de Hwanwoong lui rappelait ce passé qu'il vivait en boucle, ces « au revoir » répétés à chaque fin de vacances lorsque le petit devait rejoindre à nouveau le palais après ces rares jours de permissions, ces câlins qui ne voulaient pas dire adieux mais un petit peu quand même car elle avait toujours peur qu'il disparaisse totalement un jour, qu'il ne revienne jamais bouleverser sa vie.

« - C'est si plat quand tu n'es pas là... »

Sentant la voix de sa voisine perdre en puissance et gagner en trémolo, le Bymehet vint passer ses bras autour des épaules de Naïa afin de la réconforter dans ce moment difficile : il savait qu'elle avait mal mais il savait aussi qu'il ne pourrait jamais calmer sa peine car il en était la cause. Rapprochant le corps de la jeune femme contre son torse, cette dernière vint caler sa tête dans le cou de son ami tout reniflant silencieusement.

« - Je reviendrais, Naïa. »

C'étaient toujours les mêmes mots, les mêmes paroles qu'il répétait depuis qu'ils avaient onze ans. Sa voix avait constamment le même timbre quand il les murmurait, ces mots, en la serrant dans ses bras. Sa gorge était toujours aussi serrée quand il faisait cette promesse qu'il craignait toujours de regretter.

« - J'ai besoin de toi. »

Et, comme toujours, Naïa contrait sa promesse avec ces quatre mots. Et cela serrait son cœur car elle se mettait toujours à pleurer plus fort lorsqu'elle murmurait ces paroles et il ne pouvait pas essuyer ses larmes, il n'en avait pas le droit car il en était la cause.

Ses yeux océan se posaient alors sur l'étendue d'eau tandis que sa main caressait maladroitement le dos de celle qui était sa voisine. Il aurait voulu que cela puisse rester à ce stade dans leur relation, qu'ils soient deux amis voisins qui s'embêtaient depuis leur premier pas et premier mot.

La vie était bien plus simple lorsqu'ils se balançaient du sable à la figure, lorsqu'ils s'envoyaient des petits pics pour rendre l'autre un peu colérique car c'était toujours drôle lorsque l'un s'énervait. Tout était plus léger quand ils se baignaient dans le lac en riant sans se poser de questions tout en se jetant des gerbes d'eau à la figure accompagnées d'insultes aquatiques.

C'était simple avant de se prendre dans les bras. Il n'y avait pas de culpabilité, de regret ou de souffrance. C'était juste un réconfort, un moment de tendresse comme le ferait un frère et une sœur. Hélas, ils n'avaient pas la même vision.

« - Je suis désolé, Naïa. »

Lui, il était certain d'avoir une relation fraternelle. Elle, elle souhaitait être différente d'une sœur à ses yeux. Et tout ceci avait compliqué les choses car, malgré le temps qui passait, leurs points de vue n'évoluaient pas et ils se faisaient du mal à l'un et l'autre sans pour autant pouvoir se séparer. Car Hwanwoong et Naïa étaient voisins, car ils étaient des amis de longues dates se connaissant depuis le berceau, car ils étaient le duo adulé du village et tout le monde attendait que Hwanwoong fasse sa demande à la soldate lors de son retour au pays.

Mais tout ceci ne se fera jamais puisque tous deux connaissent la vérité. Car Hwanwoong était la cause de ses larmes dévalant le visage de la jeune fille.

« - Ne t'excuses pas... Je sais que je suis égoïste de te faire vivre cela. Pardonne-moi... »

Le petit pivota lentement sa tête vers sa voisine qui sortait de sa nuque avec des yeux rougis bien qu'elle n'ait pas pleuré. La soldate avait une mine maussade, ses iris hazel se plongèrent dans ces abysses inaccessibles et elle tenta de sourire malgré la douleur, malgré l'impossibilité de cette relation rêvée.

« - Ce n'est pas ta faute, Naïa. Ce ne sont pas des choses qui se contrôlent. »

Hwanwoong avait toujours été patient avec elle car cela lui faisait tant de peine de la voir souffrir ainsi à cause de ses sentiments non-partagés. Il acceptait de lui donner des câlins, de déposer un ou deux baiser sur son front en signe de protection mais c'était tout et cela était uniquement possible tant qu'il n'était pas lancé dans une relation sérieuse avec quelqu'un.

« - J'ai l'impression que c'est la dernière fois que j'aurais le droit à tout ça, avoua-t-elle.

- Comment cela ?

- Tu pensais me le cacher encore longtemps, Hwanwoong ? »

Naïa avait un sourire mélancolique sur le visage mais elle avait en même temps une expression touchée et emplie de soutien dans ses prunelles : c'était un mélange bien étrange, bien amer. Ses doigts vinrent lentement se poser sur la joue du petit, elle caressa tendrement cette pommette rosée tout en penchant la tête avec cette expression si particulière.

« - J'espère qu'il ou elle prendra soin de toi et ton cœur brisé. »

Elle n'était pas aveugle. Dès le retour de son voisin à Aral, elle avait remarqué cette différence chez son ami, cette fluctuation d'onde dans son aura signifiant un changement dans sa vie. Et, blottie dans ses bras, elle l'avait entendu ce battement de cœur dissonant : ce n'était plus le même qu'avant.

« - J'aurais voulu être à sa place, soupira la soldate, mais c'est comme cela. »

Se redressant doucement, sa tristesse s'amenuisa légèrement afin de laisser place à un peu plus d'espoir, de combativité. Ses yeux étaient brillants d'avenir et Naïa essaya de se dire qu'un jour, elle aussi, trouvera la bonne personne, cette même personne qui fera dysfonctionner son cœur.

« - Naïa...

- Tu l'as dit toi-même, on ne contrôle pas ce sentiment. »

Elle tendit sa main vers son ami qui la prit timidement et Hwanwoong fut redressé sous la poigne de la Bymehet qui lui souriait mais la fêlure restait visible. Ce soir, elle pleurait sûrement sous ses draps cet amour perdu mais elle ne pouvait pas voler le cœur de son voisin, elle n'était pas égoïste.

« - Soit heureux avec il ou elle, c'est tout ce que je te demande. »

Sa poigne se resserra, son regard se renforça en détermination et volonté et Hwanwoong se sentit obligé de répondre face à une aura aussi puissante.

« - Je le serais, il est la personne la plus incroyable au monde. »

Paroles du cœur sortie de leur prison. La confession se mêla à une expiration pour frôler les tympans de Naïa qui ferma les yeux un bref instant, acceptant qu'elle l'avait perdu pour toujours, et elle se recula doucement sans perdre son sourire.

« - Je vous souhaite tout le bonheur du monde, Hwanwoong. Fais bon voyage, on se revoit au plus vite ! Salut ! »

Le cœur meurtri mais aussi heureux pour son ami, Naïa disparut en trottinant sur le chemin terreux en direction de sa petite habitation ne se trouvant qu'à quelques mètres d'ici. Hwanwoong soupira, son regard observa ses mains qui serraient les siennes quelques secondes plus tôt et il s'en voulait un peu de ne pas partager ses sentiments.

« - Désolé, Naïa... Sincèrement désolé... »

A pas légèrement traînant, le petit rejoignit son habitation afin de partager son dernier repas avec sa mère avant son départ pour Zéphyr. Dans la maison, cela sentait les bons petits plats et le parfum de maman. C'était une fragrance que le petit ne voulait pas oublier de sitôt alors il huma l'endroit afin de se souvenir au mieux de l'odeur.

Puis ses mains glissèrent sur la commode du salon dont la surface était couverte de photos et le petit n'arrêta pas de les détailler en souriant nostalgiquement. Il y avait des clichés de lui avec Keonhee, d'autres où il se chamaillait avec la voisine et San puis quelques moments où il posait au côté de Kevin et Jacob.

« - J'ai le plus beau de tous les garçons du monde. »

Madame Yeo était sortie de la cuisine et elle avait remarqué son enfant en train de lorgner sur les photos tout en souriant tendrement. Elle n'avait pas pu s'empêcher de se rapprocher pour poser ses mains sur les épaules de Hwanwoong tout en lui embrassant le crâne.

Ce dernier avait souri tout en se retournant vers sa mère afin de répondre à son signe de tendresse en lui embrassant la joue comme il avait l'habitude de faire depuis son âge le plus tendre. Leurs regards se croisèrent et deux océans se rencontrèrent : Hwanwoong avait les yeux de sa mère, tout le monde le disait.

« - Ton père aurait été si fier de toi. »

Pendant une fraction de secondes, les sourires se figèrent, les océans s'agitaient et une vague passa la barrière de leurs paupières. Cela avait été plus fort qu'elle. Elle se retenait depuis le premier jour car elle ressentait ce besoin de le dire, de le rappeler, de raviver sa mémoire pour ne pas l'oublier.

Monsieur Yeo aurait été si fier de son petit, de son parcours héroïque acclamé par l'entièreté du village. Son enfant était une petite star au-dessus des mers et maintenant il l'était aussi devenu au-delà des océans.

« - Il me manque maman... »

Une nouvelle vague vint frapper contre la cornée du petit, dévalant sa joue pour tomber dans la commissure de ses lèvres diffusant un goût salé dans sa bouche. Douze ans s'étaient écoulés mais la douleur était toujours aussi vive, aussi âcre, aussi profonde et son petit cœur prisonnier n'arrivait pas à guérir cette souffrance.

« - Je le sais bien... Il me manque aussi, terriblement. »

Dans un câlin de lamentations partagées, les derniers membres de la famille Yeo laissèrent leur peine apparaître au grand jour car tous les deux connaissaient parfaitement cette douleur incurable. Sur la commode trônait au centre une photo à la taille un peu plus imposante que les autres, au cadre un peu plus luisant et au papier un peu plus jauni.

C'étaient trois silhouettes souriant derrière un gâteau couvert de bougies. C'étaient trois âmes innocentes qui célébraient des retrouvailles et une nouvelle étape dans la vie du plus petit. C'étaient les derniers instants d'un moment a jamais figé sur une photo intemporelle. C'était la fin d'un chapitre, l'achèvement d'un bout de vie, la mort d'un père.

Hwanwoong il pensait marcher en arrière depuis douze ans. Ils voyaient les gens avancer alors que lui reculait constamment mais en réalité il était juste à l'arrêt. Sa vie émotionnelle était mise en pause depuis le départ de son Héros.

Hwanwoong c'était un ange qui avait perdu ses ailes. C'était une âme lâchée dans un monde si vaste à un moment où il était si fragile. Hwanwoong c'était un espoir sans éclat, c'était une étincelle sans lumière, c'était un bout d'existence figée.

Dans cet univers immense qui tournait si vite, il observait sans bouger en attendant qu'on vienne le réveiller de son long sommeil car, pour lui, l'aube c'était la même chose que le crépuscule. Sa journée, elle durait depuis douze ans maintenant. La nuit était juste des moments où il fermait les paupières un peu trop longtemps, des instants où son esprit fragilisé se déconnectait mais il ne signalait pas la fin de la journée.

Pour Hwanwoong, le départ d'une nouvelle guerre était sa plus grande peur. Cependant, il ne craignait pas d'aller au front, de tirer sur l'ennemi et tout cela. Non, c'était différent. Lui, il craignait d'accepter que l'ancienne guerre soit finie, que son père ne rentrera jamais à la maison. Dans sa tête, les combats ils continuaient quelque part, il ne savait où.

Il se mentait, il inventait des choses pour fuir la réalité, sa réalité. Hwanwoong, il s'était figé tout seul dans le Temps en fermant les yeux sur la mort de son Héros. Papa, il allait bientôt rentrer. Papa, il l'avait promis. Papa, il était en train de combattre les méchants. Papa, il avait les cheveux châtaigne. Papa, il était comparé à un ange.

« - Papa, il me manque. »

Hwanwoong se laissait aller car à Zéphyr il n'aurait pas le temps de pleurer son deuil inachevé. Dans cet autre Royaume, il allait devoir reprendre son masque pour accomplir ses tâches à la perfection et il continuerait de sourire faussement la journée lorsque ses idées devenaient noires : il avait les nuits sans lunes et bruits pour se lamenter.

« - Papa il m'a dit qu'aimer cela fait mal... Est-ce que tu vas me faire mal toi aussi ? Est-ce que si je t'aime tu vas aussi disparaître en me promettant de revenir alors que non ? Toi aussi, Youngjo, tu vas m'abandonner ? »

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