Chapitre 11
« - Je n'aime pas ça. Je n'aime pas ça du tout. »
Dongju était dans la salle de réunion en compagnie de Geonhak, Hwanwoong, Youngjo et Seoho depuis plus d'une heure. Le quintuple s'était réuni pour parler de la situation du pays mais, plus particulièrement, du pourparler avec Zjarr qui c'était déroulé deux semaines auparavant.
L'ambiance était lourde depuis plusieurs minutes. Quelques-uns avaient les visages fermés tandis que d'autres serraient leurs poings à cause de la frustration qui se propageait dans leur organisme tendu. Puis il y avait les deux garçons ayant du sang Djegur. Ces derniers ne cessaient pas de fixer le vide avec incompréhension, un regard dénué de raison. Les maigres espoirs qui s'étaient formés avaient été réduits en cendres après que le Roi eut reçu et lu cette lettre venant du Royaume du Feu : les mots étaient indigérables.
« - Pourquoi refuser ? Il était gagnant dans l'histoire. »
Le chef de l'armée, Kim Seoho, soupira. Ses mèches ébènes dévalaient son front dans un geste désinvolte, son regard se perdait sur ses mains liées au-dessus de la table ivoire tandis que ses ailes avaient une teinte approximative passant du rouge terne au gris morne.
« - Ils doivent avoir d'autres solutions en tête. Des choses plus intéressantes que de signer un accord avec des Royaumes ennemis.
- Zjarr et Zéphyr ne sont pas ennemis, corrigea l'adopté. Les deux sont neutres donc il n'y a pas d'amertume entre nous.
- Certes. Mais les preuves qui ont été dévoilées au grand jour pour faire tomber notre père sont suffisantes pour créer une forte amertume à notre égard.
- Je ne peux pas m'empêcher de me dire que c'est par fierté qu'ils refusent le traité... »
Seoho n'arrivait pas à se faire à cette idée de rejet : cela n'avait réellement aucun sens à ses yeux. En signant un traité de non-agression, Zéphyr et les deux autres Royaumes acceptaient d'aider le peuple des flammes à se reconstruire, à rebâtir ce pays détruit par les tsunamis et tremblements de terre passés. Les Djegur allaient enfin pouvoir recommencer leur vie, appuyer sur le bouton « Play » et reprendre leur existence là où elle s'était arrêtée treize ans auparavant.
Mais tout cela avait été refusé, à son plus grand désarroi.
« - Je suis certain que cela cache autre chose, confessa Dongju d'une voix lointaine.
- Comment cela ? »
Geonhak avait pivoté sa tête en direction de son amant qui n'arrêtait pas de faire les cent pas depuis l'annonce de rejet. Son regard onyx avait pris une teinte encore plus sombre, plus profonde qu'habituellement et ceci rappelait cette couleur qui parsemait ses prunelles lorsqu'il parlait de l'ancien Roi Kim, son bourreau, ou bien de la Reine Moon : deux vieux souvenirs hantant ses nuits et celles de bons nombres de personnes.
« - Il prépare quelque chose. Je ne sais pas quoi mais il n'y a pas qu'une simple question de fierté derrière ce refus. Ce n'est pas possible, ce n'est pas stratégique. »
L'esprit de la Reine de l'Air tournait à pleins régimes, analysant toutes les raisons possibles et imaginables pouvant expliquer ce refus si catégorique : il avait presque un début de maux de tête à force de se retourner le cerveau dans tous les sens.
« - Tu... Tu penses à une nouvelle Guerre ? »
La voix de Hwanwoong était fébrile, très peu rassurée, montrant clairement ses craintes face à un possible combat contre le Feu. L'attention se porta sur l'ancien porte-parole qui était tendu sur sa chaise, ses iris trahissant fortement ce sentiment d'insécurité l'habitant. Mais qui pouvait blâmer Hwanwoong d'être inquiet face à une possible Guerre ? Tous avaient peur d'un nouveau conflit.
Les deux premières luttes armées avaient tant marqué les rues, les pays mais surtout les esprits. Moults personnes cauchemardaient encore à cause des échos de leur mémoire leur rappelant le bruit des explosions, l'odeur de la poudre ou encore les hurlements déchirés et agonisants. Plusieurs personnes dans cette salle avaient été des victimes de ces assauts inhumains et ils n'échappaient pas au stress post-traumatique.
Dans la pièce, tout le monde pensait à Dongju et son expérience durant la première Grande Guerre. Cet attentat qui avait failli lui ôter la vie et celle de son frère, cette bombe qui lui avait arraché son premier amour en même temps que ses espoirs d'Avenir.
Puis, d'autres pensèrent à Youngjo et Geonhak qui avaient aussi goûté à l'amertume de cette Guerre. Les douleurs fantômes revinrent dans l'esprit du Roi, les odeurs de cendres titillèrent le nez de Youngjo qui ferma un instant les yeux afin de canaliser ce souvenir d'antan tout en rejetant ce sentiment de culpabilité qui le rongeait encore aujourd'hui.
« - Je pense qu'on ne doit pas écarter cette possibilité, concéda Dongju à contre-cœur.
- On doit être prêt à toute éventualité. »
Les visages étaient sérieux et ternes. Les gorges se serrèrent, les mots se perdirent à l'intérieur tandis que les têtes se baissèrent avec amertume : l'idée d'une nouvelle Guerre était vraiment dure à accepter mais elle ne devait pas être écartée pour autant.
« - Je vais prévenir mon frère, je te laisse en parler au Roi Kevin. »
Geonhak acquiesça en se redressant et tout le monde suivit son geste dans un effet miroir parfait. Le Tokësor se dirigea hâtivement en direction du téléporteur pour le Royaume de Gaïa tandis que le Roi Ajri préféra envoyer un message à Kevin afin de l'informer sur la situation tout en lui disant de rester sur ses gardes.
Pour ce qui était de Seoho, le chef des armées qui avait été promu lors du couronnement de son frère, il se dirigea vers l'armurerie afin d'effectuer un check-up complet pour s'assurer que Zéphyr était prêt à riposter en cas d'attaque. Il allait aussi doubler l'entraînement des soldats Ajri durant les prochaines semaines afin qu'ils soient opérationnels pour tout assaut futur.
En quelques minutes, tout le monde était parti à son poste, appliquant à la perfection leur rôle afin que tout puisse se dérouler au mieux et qu'il n'y ait aucun couac si Zjarr s'éveillait brutalement et déversait sa haine sur les trois Royaumes alliés. Enfin, presque tout le monde s'était activé.
Dans la salle de réunion, deux âmes restaient debout, statiques derrière leur chaise. Le regard perdu sur la porte de sortie pour l'un, les yeux vides posés sur le sol pour l'autre. Aucun ne parlait ou ne bougeait, c'était à peine si leur respiration était audible.
« - On y va ? »
La voix du plus âgé brisa le silence. Son souffle, habituellement chaleureux, était maintenant tiède à cause de l'inquiétude parcourant ses veines. Son timbre n'était pas si stable, on sentait presque ses tremblements incertains mais le petit n'y prêtait pas attention parce que, tout simplement, il ne l'entendait pas vraiment.
« - Hwanwoong ? »
Le Bymehet ne bougeait pas. Ses phalanges serraient simplement le dos de sa chaise rangée tandis que ses yeux n'arrêtaient pas de se perdre dans la blancheur parfaite de la salle bien que sa vue se brouillait lentement. Les marbrures se floutèrent, s'unifièrent jusqu'à se fondre dans ce voile humide qui recouvrait les yeux de Hwanwoong dont le cœur était lourd, affreusement lourd et douloureux.
Sa mémoire lui jouait des tours, les souvenirs venaient en flux continu et cela était dur à encaisser. Tout semblait si clair à ses yeux mais c'étaient aussi si vaporeux puisque, à cette époque, il n'avait qu'onze ans.
« - Hwanwoong ? Tout va bien ? »
La main de Youngjo vint tirer gentiment sur l'épaule du bras droit afin de voir son visage, de croiser son regard. L'aîné était légèrement penché en avant, ses doigts cueillirent délicatement le menton du plus petit et il fut surpris de discerner ces grosses larmes qui menaçaient de couler de ses saphirs nostalgiques.
Sans demander l'autorisation, le Djegur enlaça fortement le plus petit qui se blottit sans hésiter contre ce torse si réconfortant. Son nez s'enfouit dans la nuque de Youngjo, son odeur titilla agréablement ses narines mais l'aigreur des souvenirs était plus forte que le réconfort de ce câlin : l'aîné le savait, il ressentait cette souffrance enfouie. C'était comme-si les sentiments de Hwanwoong résonnaient en lui dans un écho distordu, imparfait mais l'affliction était si forte qu'elle faisait vibrer l'organisme du plus vieux.
« - Ne te retiens pas. Pleure si tu en as besoin, je ne te jugerais pas tu sais. »
Les petites mains de Hwanwoong vinrent serrer le haut de son ami, un petit gémissement triste quitta ses lèvres et, comme si les paroles de l'autre avaient brisé sa faible coquille, la première larme roula sur son visage. La douleur était si vive que cela serrait sa gorge, retournait son ventre jusqu'à lui donner un début de nausée et le Bymehet s'accrocha davantage à Youngjo alors que ses sanglots se renforçaient.
Quand on parlait de la Grande Guerre, beaucoup pensaient aux événements qui avaient touché la Royauté et il en oubliait ce que le peuple avait vécu. Eux aussi étaient des victimes, eux aussi avaient énormément souffert et Hwanwoong faisait partie de ces gens oubliés, souffrant en silence car ses mots n'avaient aucune valeur, aucun poids.
« - Si tu as besoin de parler, de te confesser, je suis là tu sais. »
La main de Youngjo vint caresser le dos de son ami qui hoquetait, ses larmes dévalant de plus en plus fortement son visage l'obligeant à se rasseoir sur sa chaise car ses jambes ne le portaient plus. L'aîné observait attentivement le plus petit, essuyant de temps à autre les traîtresses exposant la tristesse habitant son cœur scellé. Il aimerait bien comprendre pourquoi le petit pleurait mais jamais il ne le forcerait à le faire : Hwanwoong viendrait de lui-même, il le savait.
« - Je serais toujours là pour toi, Hwanwoong. »
Dans un geste, que certains qualifieraient d'inapproprié, le Djegur déposa un rapide baiser sur le front de l'ancien porte-parole. Ses lèvres entrèrent en contact une simple seconde sur l'épiderme chaud du petit qui n'arrêtait pas de pleurer. C'était doux. C'était tendre. C'était apaisant. C'était encourageant.
« - L-la... G-gu... Guerre... »
La voix emplie de trémolo de Hwanwoong résonna contre les tympans de l'aîné qui porta toute son attention sur le plus jeune. Ses rubis détaillèrent avec douceur son ami qui respirait difficilement tout en essayant de retenir ses pleurs mais cela était presque impossible : son cœur avait trop mal.
« - Je... J'ai un tra... Trauma a-avec le... la Guerre...
- La Grande Guerre ? »
Hwanwoong hocha faiblement de la tête tout en attrapant les grandes mains de son aîné. Il commença à jouer avec les doigts de ce dernier, les entremêlant avec les siens ou redessinant les lignes de la main de Youngjo afin de porter son attention sur autre chose que ses souvenirs défilant sur sa rétine.
« - Je... Comme K-Keonhee... J'ai p-perdu un pro... proche l-là bas. »
Le Bymehet se souvint du jour où son meilleur ami lui avait avoué le décès de sa grande sœur, Hyeonhee, durant la première Grande Guerre. Elle était une simple soldate sans réel grade mais elle était une tête brûlée au grand cœur. La femme n'avait pas hésité une seconde à venir au secours d'un de ses camarades blessés et, hélas, se bonté lui avait valu une balle dans le dos.
« - Ce... Durant la deux... Deuxième. »
Lorsque la première bataille avait pris fin, personne n'aurait pensé qu'une seconde aurait eu lieu quelques semaines après l'apogée des combats. Les soldats n'avaient même pas eu le temps de déplier leur valise dans le foyer familial qu'il était reparti prendre les armes pour défendre leur Royaume ainsi que la Paix.
Hwanwoong avait simplement pu fêter son onzième anniversaire avec ce proche avant que cette personne ne soit renvoyée sur le champ de bataille : c'était le dernier souvenir qu'il possédait de lui, son sourire fier après qu'il l'avait vu souffler ses bougies.
« - Qui était-ce ? Si ce n'est pas trop indiscret. »
Youngjo était sérieux, toute son attention était portée sur son cadet puisqu'il ne s'attendait pas à découvrir une telle souffrance chez son ami. Son pouce essuya une des larmes de Hwanwoong dont la gorge se serrait fortement car les mots se bloquaient à l'intérieur.
Keonhee et Dongju étaient les seuls au courant bien que la Reine ne connaissait pas l'étendue et l'impact de cette histoire. Le Bymehet ne ce n'était pas trop confié puisque, à cette époque, le jeune Son était en plein deuil de Giwook et il n'était pas en état d'entendre le désespoir du petit.
« - Je... »
Le doute habitait Hwanwoong. Il avait besoin de parler, de se confesser à quelqu'un mais il ne voulait pas gêner Youngjo. Tous deux ne se connaissaient pas tant, ils étaient amis depuis quelques jours. Ils devraient peut-être parler de leurs centres d'intérêt communs avant d'aborder les traumatismes hantant leur vie.
« - M-mon... »
Et pourtant, le Bymehet savait qu'il pouvait faire confiance à Youngjo. Son regard était sincère, aucune lueur malveillante scintillait dans ses iris et le cœur de Hwanwoong lui hurlait qu'il pouvait se confier à lui, qu'il saurait le comprendre et le réconforter mieux que quiconque.
Soupirant difficilement, Hwanwoong resserra sa prise sur les mains de son ami. Il redressa sa tête, plongea ses yeux océans dans ceux flamboyants de l'autre. Le contact visuel se créa, Youngjo plongea dans cette mer attristée et il crut vaguement deviner des images dans ces prunelles expressives.
Il voyait un enfant pleurer en tombant à genoux, suppliant l'homme qui était à l'entrée de la maison avec un uniforme dans les bras. Il pouvait presque ouïr le « désolé » du soldat exprimant ses condoléances à la famille Yeo alors que la mère du petit tentait de tenir le coup pendant que son enfant s'effondrait de désespoir.
Youngjo voyait tout cela dans les yeux de Hwanwoong et un doute grandit en lui alors que le puzzle de l'identité du proche perdu se clarifiait dans sa tête.
« - Je... J'ai perdu mon père durant la deuxième Guerre. »
Les mains de Hwanwoong se remirent à trembler, les larmes dévalèrent à nouveau son visage mais le contact visuel ne fut pas brisé pour autant permettant à Youngjo de mieux connaître l'histoire car le film continuait de défiler sur la prunelle de son ami.
Monsieur Yeo était rentré à la maison après la Première Guerre au soulagement de sa petite famille qui avait eu si peur de le perdre. A son retour au foyer familial, le père avait été accueilli par les hurlements joyeux de son fils qui lui avait sauté au cou tandis que sa femme riait de bonheur face à cette tendre scène de vie.
Le père avait juste eu le temps d'enlacer une dizaine de fois son fils et de jouer avec lui dans le lac pendant quelques jours. Il avait à peine eu le temps de féliciter son enfant pour son futur travail en tant que servant princier que l'armée l'avait rappelé pour se battre à nouveau.
En une nuit, ses bagages avaient à nouveau été fait et, le lendemain matin, sa présence avait une fois de plus déserté la maison laissant simplement sa femme et son fils sur le seuil de l'habitation à lui souhaiter bonne chance tout en le suppliant de revenir vivant.
« - Il... Il avait promis de revenir... »
La promesse résonnait toujours dans la tête du garçon qui avait grandi. Cependant, même du haut de ses vingt-trois ans, la douleur était toujours si vive et indigérable. L'annonce de sa mort avait été faite le jour avant son départ pour le Palais d'Aral et sa séparation avec sa mère avait été mille fois plus dure que prévu.
« - Je suis désolé pour toi, Hwanwoong. »
Youngjo brisa le contact visuel pour prendre à nouveau le jeune garçon dans ses bras. Son emprise sur le petit était forte, il voulait lui montrer tout son soutien au travers de ce geste chaleureux et tendre et Hwanwoong se sentait reconnaissant envers son aîné.
Ses petites mains vinrent à nouveau attraper le t-shirt de son ami, son visage retourna se faufiler dans le cou du Djegur et il se mit à humer cette odeur enivrante dans l'espoir d'être saouler avec ce parfum afin de tout oublier.
Youngjo, quant à lui, voudrait tant promettre à Hwanwoong que plus jamais il ne vivrait cela, qu'il ne perdrait plus personne à cause d'une guerre débile mais cela était impossible de faire un tel serment surtout vue la situation actuelle.
Alors l'aîné se retint de prononcer ces mots qui pourraient se retourner contre Hwanwoong en le blessant davantage s'il venait à trahir sa promesse. A la place, il continua son câlin tout en déposant un doux baiser sur la joue du Bymehet en lui susurrant des paroles simples mais que le petit avait besoin d'entendre.
« - Je serais là pour toi si tu en as besoin. Viens me voir si tu veux parler ou autre, je t'écouterais. »
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