⛧│ 9. Illusions indubitables

𝅘𝅥𝅮 Daisy Bell

Daisy

Le hurlement de la terreur résonne à mes tympans, et le désespoir m'aveugle ; je rassemble mes quelques biens dans un sac, avec une résignation amère. Mes paupières, lestées par la fatigue, tentent de se refermer, néanmoins, j'y résiste. Car si je me risque à le faire, ces images d'horreur me hantent et me glacent le sang, déjà aussi froid qu'une nuit d'hiver sans lune. À jamais, ils hanteront mes nuits pour les peupler de cauchemars.

Des tremblements habitent chacun de mes actes, de telle sorte que je lâche prise sur plusieurs de mes affaires avant de me décider à les récupérer. Des faibles gémissements de crainte franchissent la barrière de mes lèvres. Je suis au bord des larmes.

Pourquoi suis-je venue ici ?

Il faut que je me tire de cette ville. Que mon nom s'éteigne dans les esprits, afin que je puisse reprendre vie dans un ailleurs inconnu. À un endroit où je n'ai pas échoué auparavant, où je possède encore toutes mes chances de faire connaître mon talent.

— Daisy ?

Je suis victime d'un sursaut à l'entente de la voix de ma tante qui débarque dans la pièce d'amis où je me suis installée. Ses prunelles azurées, héritage de ma mère, jonglent entre mon regard et la malle étendue sur le sommier du lit. Une lueur de stupéfaction et de confusion traverse son regard. Sa bouche s'arrondit, tandis que ses sourcils se froncent.

— Tu t'apprêtes à partir ?

Immobile comme une statue, je laisse échapper un léger gémissement en mordillant ma lèvre inférieure, alors qu'elle détaille chacun de mes vêtements. Je sais que mon chemisier noir transparent qui dévoile mes tétons lui déplaît, mais elle ne dit rien. Elle se contente de me sonder avec perplexité tout en s'appuyant sur ses hanches.

— Où tu comptes aller, cette fois ?

Son timbre accusateur m'atteint, mais je n'en montre rien. Je me contente de lui répondre par un haussement d'épaules.

— Là où je n'ai pas encore été.

Elle se pince les lèvres.

— Qu'est-ce que tu espères trouver en voyageant comme ça, sans cesse ?

Nouveau haussement d'épaules de ma part. Lui confier l'intérêt qui consume mon âme ne changerait rien. Car elle ne comprendrait pas. Elle m'aurait balancé à la figure que ces fantasmes n'étaient que des chimères d'enfant irréalisables, qu'il me faudrait me tourner vers d'autres activités si je cherchais à triompher dans la vie.

Mais je compte réussir.

Je parviendrai à mettre en lumière mon talent et à faire entendre ma voix. Je veux partager mon univers avec le monde, qu'il connaisse ces fêlures invisibles aux yeux de mes proches.

— Daisy, j'ignore ce que tu cherches, ce qui te pousse à migrer sans cesse dans tous les États du pays, mais sache que tu peux rester ici autant que tu le désires. Ici, tu es en sécurité.

Avec fureur, mon cœur exécute une acrobatie périlleuse dans l'enceinte de ma poitrine. Si elle savait ce que j'ai vu ce soir-là ! Elle retirerait ses derniers mots. Mais je conserve le silence et secoue doucement la tête.

— Je ne peux pas, lâché-je d'une voix étranglée.

Je ne le peux pas et je ne le veux pas. Ma place n'est pas à Mallory West. Tante Karen étouffe un soupir las et résigné. Qu'elle soit en accord ou non avec mes décisions, elle n'a pas son mot à dire. Elle n'est pas ma mère, et même si elle l'était, je ne suis plus une gamine. J'ai atteint ma majorité depuis quatre ans. Je suis la seule détentrice du pouvoir de sculpter ma propre existence, telle une artiste façonnant sa propre œuvre d'art.



Le cœur chargé d'espoir et de tourments, je m'éloigne de la demeure de Tante Karen. Ma respiration demeure laborieuse et douloureuse. La nébuleuse incertitude de mon futur m'oppresse douloureusement au plus profond de ma poitrine. Quels que soient les obstacles que le destin placera devant moi, je parviendrai à les surmonter. J'oublierai ces quelques semaines à Mallory West et irai de l'avant.

Voilà mon mantra pour garder la tête haute et ne jamais succomber à l'abîme de la défaite. J'ai déjà sombré une fois et je ne veux plus jamais retenter cette expérience terrifiante.
Tandis que je m'éloigne progressivement de Mallory West, mon esprit se libère de ses chaînes et s'élève vers de nouveaux horizons. Une étincelle d'optimisme rejaillit en moi alors que j'atteins les limites de la ville de Miami. Arrivée au Government Center Train Station, un frisson d'excitation me parcourt à l'instant où je récupère un billet pour le Minnesota. Je n'y suis encore jamais allée là-bas et quelque chose en moi me dit que mon futur se trouve là-bas.
Je jette un coup d'œil à l'immense horloge suspendue au-dessus du quai de gare.

15 h 14.

Je patiente en me plongeant dans la lecture d'une brochure publicitaire vantant les mérites du nouvel IPhone 8, tandis que la symphonie chaotique des bruits de circulation et des annonces ferroviaires berce mon impatience. Au bout de deux minutes, mon train sera arrivé, me permettant de quitter ce lieu oppressant et de libérer mon esprit de ces images qui l'assaillent sans relâche.

Une brusque bourrasque déclenche un frisson qui se répand sur ma peau comme une traînée de poudre. Un silence impromptu m'enveloppa, tel un lourd manteau, privant mon ouïe de toute perception sonore. En relevant mon regard, je constate que le firmament s'est assombri en un instant, et la gare s'est transformée en un lieu désert, comme si j'étais la dernière personne sur terre. Un nœud se forme dans ma gorge, tandis que mon cœur s'affole dans une danse effrénée. Un sentiment de peur s'éveille en moi et pollue chacune de mes cellules. Tenant ma mâchoire avec force, je prends de longues et lentes inspirations pour conserver mon calme dans cette situation troublante.

Tout va bien, Daisy. Le train ne va pas tarder à arriver. On va vite dégager d'ici.

La cadence répétitive des pas qui résonnent contre le sol parvient à capter mon attention. Je tourne ma tête vers un homme revêtu d'un complet noir et d'un pantalon de la même couleur, coiffé d'une casquette assortie à son ensemble. Avec un entrain teinté d'inquiétude, je m'avance vers lui, une boule douloureuse logée dans mon ventre.

— Monsieur !

Toutefois, il ne fait pas halte, continuant inlassablement son chemin. Telle une ombre persistante, je m'évertue à le suivre.

— S'il vous plaît !

Il s'immobilise brusquement, sans cependant se donner la peine de se retourner vers moi. Le cœur bat à mes tempes, mon sang est figé dans mes veines.

— Les sœurs Wardwell l'ont prédit.

La tonalité rauque et inquiétante de cette voix qui résonne sur le quai de la gare me fait frissonner de terreur, m'immobilisant sur place. Une défiance malsaine s'insinue sournoisement dans mon esprit.

« Daisy, Daisy. »

Mon prénom résonne autour de moi tel un écho angoissant et faible, avant de se métamorphoser en une mélodie ancienne et répétitive, qui s'impose à mon souvenir avec une sinistre évidence.

Daisy Bell. Mais entonnée par une voix épouvantable.

« Daisy, Daisy. Give Me Answere Do. »

Mon dernier souffle s'échappe sauvagement de mes poumons. Une terreur déchirante s'empare de mon être, pourtant une raideur glaciale m'empêche de réagir d'aucune manière. Ma vulnérabilité grimpe d'un cran quand la gare est soudainement plongée dans les ténèbres.
Puis, l'homme fait volte-face dans ma direction. Un gémissement d'effroi s'échappe de ma bouche lorsque je constate que deux taches sombres ont remplacé ses yeux, et que les veines bleuissent tout son visage autrefois si pâle.

— Les sœurs Wardwell l'ont prédit, Daisy ! me crie-t-il en agrippant férocement mon poignet.

Mes muscles se durcissent progressivement, tandis qu'une frayeur assourdissante s'exprime avec véhémence en moi. Je cligne des paupières et, dans l'obscurité de mon esprit, se matérialise le tableau éblouissant de cinq silhouettes. Cinq femmes, assises en cercle dans une communion intime, ourlent leur réunion de flammes vacillantes, esquissant une étoile à cinq branches. Ensuite, cinq silhouettes ligotées à un poteau, figées dans une macabre symétrie. Une ardente morsure consume ma chair sitôt que ces piliers s'enflamment, réduisant en cendres les corps de ces dames. Des apparitions monstrueuses, aux regards d'or terrifiants, hantent les méandres de mon cerveau. Une apparence qui m'insuffle d'effroyables sueurs froides. Hélas, en dépit de tous mes efforts, je ne parviens pas à extirper ces images de mon esprit. C'est comme si j'étais contrainte de les observer, au plus grand plaisir de mes tourments.

« Le Mal sera éradiqué, mais pas de leurs mains. La Prophétie a depuis longtemps choisi cinq âmes pour combattre le monde démoniaque. »

Cette voix tinte d'une façon assourdissante et douloureuse dans mes tympans. Je découvre cinq silhouettes. Trois figures masculines et deux autres féminines. Je suis envahi par la douleur, l'angoisse, la pourriture morale, le Mal incarné. Le Fléau qui s'amplifie et accroît sa virulence. Le Mal qui est à l'origine de nombreuses morts d'innocents. Je suis témoin de l'écoulement du sang, qui s'étale sur le sol et lui confère une couleur écarlate aussi intense que sinistre.

« À leurs côtés, les accompagnera un Formateur. Une personne qui les guidera dans leur quête. Lui-même sera aidé par l'héritage que les sœurs Wardwell ont laissé derrière elles. »

Une soudaine stupeur m'assaille l'esprit, aussi violente qu'un coup de fouet, lorsque je parviens à distinguer les traits d'une silhouette loin d'être étrangère. Des mèches de jais, soigneusement plaquées en arrière, encadrent un regard chocolat, empreint d'une candeur qui me transperce de ses aspirations.

Frédéric.

À l'instant où je parviens à rouvrir les paupières, tout est redevenu normal. Le jour est revenu, tout comme la population présente dans la gare. L'homme a repris sa route, comme s'il ne m'avait jamais adressé la parole. Haletante, je m'adosse contre un panneau publicitaire pour reprendre mes esprits. Mon regard s'aimante en direction de l'horloge qui affiche 15 h 15. Une minute s'est écoulée. En observant autour de moi, je constate que personne ne s'est rendu compte de ce qui vient de se passer. Comme si ce que je viens de vivre appartient à une suspension au temps.

Je n'ai pas rêvé.

Ces images, je les ai ressenties. La douleur, la frayeur, le Mal qui s'est insinué en moi. Je parviens à avaler ma frayeur et me matérialise mentalement l'image de Frédéric qui est apparu dans cette vision. Je prends alors conscience d'une chose. Il disait vrai à propos de ces sorcières. Cette Prophétie existe réellement. Les âmes ne sont pas issues de l'imagination de Frédéric. Et les autres doivent le comprendre.



Essoufflé, je parvins enfin au modeste motel de Mallory West, dressé sur le rivage de la plage. J'espère que Frédéric loge ici, dans l'une des chambres. Avec force et détermination, je frappe à la première porte que je rencontre, tandis qu'un sentiment d'espoir m'anime et prend possession de mon cœur.

J'espère qu'il est là !

Une porte s'entrouvre, laissant apparaître une silhouette qui me laisse sans voix, pris au piège de mon étonnement. Je reste immobile, captivée par ces prunelles émeraudes qui s'enfoncent dans mon regard. La bouche à peine entrouverte, je suis frappée d'une soudaine incapacité à articuler le moindre son, subjuguée par l'aura singulière qui entoure Nick. Ses sourcils relevés démontrent qu'il est tout aussi surpris de me voir.

— Daisy ? Ça va ?

Il n'est pas celui que je m'attendais à rencontrer avec tant d'espoir. Toutefois, il est tout aussi concerné par ce qui est en train de se passer. Et j'espère parvenir à le raisonner, afin qu'il m'aide à convaincre les autres.

— Je... Heu... Oui. Il faut que je te parle de quelque chose d'important.

— Ici, dehors ?

Sans lui demander l'autorisation, j'entre à l'intérieur de la chambre du motel, tandis que Nick referme la porte derrière moi. D'un coup d'œil fugace, je contemple la pièce dénuée de tout vêtement dispersé.

Que ce garçon est ordré !

— Alors, qu'est-ce que tu veux me dire ?

La délicatesse de sa voix s'infiltre avec grâce dans les méandres de mon être. Mon pouls s'accélère à la simple pensée qu'il se tient derrière moi. Je retiens mon haleine, abasourdie par sa présence qui suscite en mon for intérieur une réaction insolite, comme si mon âme était chavirée par sa seule présence. Un phénomène qui s'impose à ma conscience, et que je ne puis m'empêcher de maudire pour sa présence indésirable. J'ai déjà sombré à cause de ça, je refuse de m'enfoncer davantage dans les tréfonds de mon échec. Je me tourne face à lui et recule d'un pas pour me préserver de ce que Nick provoque en moi.

— Ce que Frédéric racontait est vrai. Il n'a rien inventé, je déclare d'un ton assuré.

Il incline délicatement sa tête de côté, et je mordille distraitement ma joue, attendrie par cette réaction. Je réalise qu'il est plutôt plaisant à regarder. Il est d'une douceur exquise, presque enivrante. Je m'attarde avec délice sur la courbe voluptueuse de ses lèvres, qui me narguent avec une grâce insolente.

Ressaisis-toi, Daisy !

— Comment ça, il disait vrai ? Je pensais que tu n'y croyais pas.

— Jusqu'à ce que je le voie.

Son front barré par une raie d'incompréhension. Je marque une pause afin de trouver mes mots.

— Tu vas trouver ça dingue, mais à la gare de Miami, il s'est passé quelque chose d'effrayant et d'étrange. J'ai eu la vision de la Prophétie, Nick. J'ai vu ces sorcières brûlées. J'ai vu le Mal gagner. J'ai vu ces cinq âmes et j'ai vu Frédéric. Et plus encore, la vision m'a fait ressentir toute cette douleur et cette terreur.

Je perçois dans son regard un émerveillement stupéfait. Intérieurement, je prie pour qu'il ne me prenne pas pour une folle ravagée par les effets de la coke que je consomme. Or, voilà plusieurs heures que je n'ai rien pris.

— Tu dois me croire, Nick. Rappelle-toi ce qui s'est passé dans la bibliothèque. C'était cette Prophétie. Tout est vrai.

Ses lèvres s'entrebâillent, au moment où je lui adresse un regard suppliant et plein de ferveur. Il doit me croire. Au fond de moi, je sais qu'il le fera. L'espoir enfle dans ma poitrine et gagne mon esprit. Le silence qui l'enveloppe m'est devenu aussi insupportable qu'un fardeau écrasant. J'ai besoin d'une réponse. D'une réponse affirmative.

— Eh bien, qu'est-ce qu'on doit faire, alors ?

Un faible sourire soulagé incurve mes lèvres. Il est de mon côté.

— Il faut qu'on prévienne les autres.

Cependant, l'élan de motivation qui m'assaillit est rompu par la sonnerie de mon téléphone. Mon cœur se serre en découvrant qu'il s'agit de ma tante.

— Je dois d'abord régler quelque chose avant.



— Daisy, explique-moi ce qu'il se passe, s'agite ma tante en me barrant le passage pour m'empêcher d'entrer à l'intérieur de sa maison.

Je libère un soupir, consciente que je ne peux rien lui dire au sujet de la Prophétie. Elle me prendrait pour une folle. Alors à la place, je sors une autre excuse plus ou moins vraie.

— J'aimerais essayer ici, voir si j'ai une chance.

Les bras croisés sur sa poitrine, elle me dévisage avec un air interrogateur, témoignant ainsi de sa perplexité. Mon attitude lui déplaît, je le sens. Le regard qu'elle me jette et son expression dessinée sur son visage le démontrent.

— Tu as dit que je peux rester ici autant que je le veux.

— Oui, c'est vrai. En revanche, si tu comptes t'installer ici, j'aimerais que tu y mettes du tien, Daisy. Je refuse que tu traînes en ville ou que tu passes tes journées ici à consommer tes cochonneries.

Ma mâchoire se crispe. Je dois y mettre du mien. C'est-à-dire trouver un boulot pour gagner un salaire. Or, tante Karen a connaissance de mes récents entretiens d'embauche qui se sont tous révélés infructueux, voire désastreux.

— Comment je vais réussir à trouver un travail ? J'ai presque fait le tour de toute la ville.

— J'ai entendu dire que le Café Marc's recherche du personnel, Daisy. Alors sois clean et tente ta chance là-bas. Normalement, tu devrais réussir.

La perspective qui se profile à l'aube de mon existence ne ressemble en rien à celui que j'ai envisagé. Oh non. Toutefois, je devrai pour l'heure me satisfaire de cette unique option.

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• Hey beautiful people ! 🤗

Mmmh, Daisy a changé de camp ! •

•......•

• Votre avis sur ce chapitre ?

• De ce qu'a vécu Daisy à la gare ?

• Je ne sais pas vous, mais j'aime beaucoup la vibe qu'elle dégage !

• Vous pensez que Daisy ira travailler au Café Marc's ?

Et comment s'y prendra-t-elle pour convaincre les autres que la Prophérie est réelle ?

•......•

☆ Le prochain chapitre sera du PDV de Freddy ! ☆

Kissouilles !

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