⛧│ 3. Balivernes ou vérité ?

𝅘𝅥𝅮  The Blue Stones - Rolling With the Punches

Steven

— On fait la course ? je propose, prêt à sauter sur ma planche.

Polly roule des yeux, son skate sous son bras. Je suis peut-être parvenue à la rendre adepte du skate, mais pas des courses pour se rendre jusqu'au lycée. C'est quelque chose sur laquelle je vais devoir travailler pour l'améliorer. Je me rappelle quand on prenait régulièrement le bus, l'un de nous faisait le trajet à pied ou en skate pour ma part, on s'amusait à savoir qui serait le premier à arriver à la maison.

Et puis, il y a eu cet accident.

Un événement tragique qui a laissé une empreinte indélébile sur nos cœurs et sur l'esprit de toute notre communauté. L'impact de cette tragédie a été si grand que notre univers en a été changé à jamais. Ce n'est que maintenant, une année plus tard, que j'ai l'impression que les choses reprennent leur cours normal. Personne n'a effacé cet accident de sa mémoire, je le sais. Seulement, on doit avancer pour aller de l'avant.

C'est ce que ma jumelle est parvenue à faire. Après qu'il soit parti comme un lâche. Son départ l'a anéantie, mais elle s'en est relevée telle la battante qu'elle a toujours été. Je n'ai jamais compris ce qui est arrivé à Polly et jamais je ne le lui demanderai, même si ça titille ma curiosité depuis si longtemps. Contrairement à papa et toutes ces personnes qui la force à parler, je comprends que ce que ma sœur a vécu ne la concerne qu'elle et qu'elle confiera cet épisode à qui elle le désire et quand elle se sentira prête à le faire.

Polly pose sa planche au sol, pose un pied dessus pour l'immobiliser afin qu'elle ne se fasse pas la malle.

— Je vais encore m'étaler comme une grosse crêpe parterre, Stev'.

Voilà quelques mois que ma voisine d'utérus s'est mis au skate et étant donné que j'ai été son professeur, je dois admettre qu'elle apprend très vite. Ou c'est moi qui enseigne bien ?

— C'est en tombant qu'on apprend le mieux !

Or, mes propos ne parviennent pas à la convaincre.

— Fais la course contre toi-même si tu le veux. Mais je veux aller à mon rythme.

Je réponds par un simple haussement d'épaules. Comme elle voudra ! Je m'élance sur mon skateboard, poussant avec force de mon pied arrière, et me voilà filant sur la chaussée, emporté par l'élan de mon geste. J'entends Polly m'imiter derrière moi. Or, contrairement à elle, je possède davantage d'aisance sur la planche, ce qui fait que j'ai rapidement deux bonnes longueurs d'avance sur elle.

Sans grande surprise, le lycée est presque désert. Seuls quelques élèves sont déjà présents ; les plus studieux, les bons modèles que l'on devrait suivre selon Sneiders. Mais je dis bien que l'on est « supposé » le faire, parce que ce n'est absolument pas dans mes intentions de suivre cette route. Depuis mon entrée au lycée, j'ai obtenu cette étiquette de cancre collée à mon front, tout comme Polly. À nous deux, nous représentons le cauchemar vivant des professeurs et il en sera ainsi jusqu'à l'obtention de notre diplôme.

Sauf qu'une fois ce papier en poche, je compte bien me tirer de cette ville avec Polly. Pour mettre fin à ce cauchemar infernal que nous sommes contrains de vivre chaque jours. À nous deux, on aura cette liberté tant attendue et désirée.

Je profite de la cour désertique pour faire quelques longueurs sur mon skate. Je pousse la planche de mon pied arrière avec une énergie fougue, jusqu'à ce que la queue – la partie arrière du skate – touche le sol. Mon pied avant glisse vers le nez du skate pour le ramener à l'horizontale. J'exécute cet enchaînement d'action avec l'énergie nécessaire pour faire sauter le skateboard en l'air. Et pendant le vol, je conserve le contact avec la planche et parviens à atterrir dans la bonne position.

Je pose ensuite mon pied arrière au sol pour freiner et braque mon regard en direction du lycée qui doit être désert.

Pourquoi pas essayer des ollies dans les couloirs ?

Seule la mélodie discordante des roues sur les dalles de carrelage ébréchées trouble le silence. À nouveau, la pointe de mon pied arrière presse sur la queue pour un nouveau saut. Encore un. Et un autre.

— Gubler !

Cette voix qui transperce le silence religieux qui enveloppe les couloirs du lycée me fait rater mon troisième atterrissage. Je dois me rattraper au mur pour éviter une chute dérisoire.

Flûte !

Paré de son costume immaculé, fraîchement repassé, le chef d'établissement s'approche de moi avec une démarche majestueuse et furieuse. L'expression sévère qui se reflète dans son regard ténébreux semble cribler mon corps de toute part. J'aurais préféré qu'un autre professeur me surprenne au lieu de cette fouine mélangée à un serpent venimeux.

— Il me semble que vous connaissez le règlement, Gubler, me lance-t-il d'un ton calme mais toutefois tranchant.

Je parviens à peine à faire passer ma salive. Comparé à lui, Jareau était un ange ! Dommage que proviseur ne soit plus là.

— J'exige une réponse !

À son subit haussement de ton, je frémis comme sous l'effet d'un courant d'air glacé.

— Oui, monsieur, je réponds d'une voix tremblante que je déteste.

Si Polly était à ma place, elle ne se serait pas gênée pour lui répondre par une de ces acerbités traditionnelles. Or, ça lui aurait aussi apporté davantage d'ennuis.

Et puis Polly n'est pas à ma place. C'est moi qui suis confronté à ce monstre de proviseur qui m'incendie de son regard hautain. Quand il s'empare de mon skateboard, je sais alors ce qu'il s'apprête à me dire.

— Pour avoir enfreint au règlement, je vous confisque ceci, sans oublier d'avertir vos parents.

Les paupières closes, je mordis avec fureur l'envers de ma joue, comme pour étouffer un cri silencieux. Et quand j'ouvre à nouveau mes paupières, Sneiders n'a toujours pas perdu de sa sévérité intimidante.

— Maintenant en classe !

Je ne me le fais pas dire deux fois. Sans un mot, je prends les jambes à mon cou et me dirige jusqu'à la salle de monsieur Spencer. Le nouveau professeur. L'idée de le rencontrer m'emplit d'un curieux sentiment d'excitation. Et ce, malgré ce que Polly a raconté à son sujet. Mais après tout, qui apprécie-t-elle à part sa propre personne et papa, ainsi que moi-même ? Pas grand monde.

— Alors, on s'est fait ramasser par le grand méchant loup ?

Ce rire ironique qui surgit derrière moi me vaut un sursaut brutal. Je me retourne et découvre ma jumelle qui me sonde avec un air amusé. Je simule une expression de mécontentement à son égard.

— Ce type est un tyran.

J'obtiens un nouveau ricanement de sa part.

— Mais à quoi tu t'attendais en faisant du skate dans les couloirs du lycée, Stev' ? Et puis, qu'est-ce qu'il t'est passé par la tête ?

Je réponds d'un haussement d'épaules.

— Ça aurait été encore mieux de faire du skate pendant les heures de cours.

À mon tour, je ricane. Là, je retrouve ma jumelle toujours partante pour faire les cent coups avec moi et qui ne manque pas d'imagination pour rajouter du piment à mes idées. Puis l'expression de Polly s'assombrit d'un coup lorsque nous faisons notre entrée dans la salle de classe. Je ne tarde pas à comprendre ce changement d'humeur : la présence de notre nouveau professeur et titulaire. Son apparence se révèle être à l'opposé de l'image que je me suis faite de cet homme. Avec sa fine carrure, sa coiffure élégante et son habillement soigné, il dégage une allure sophistiquée et distinguée. Quelqu'un de propre sur lui.

Au moment même où l'homme daigne poser son regard sur nous, nous remarquons que ses sourcils se froncent d'un air soupçonneux. J'échange un regard perdu avec Polly qui arbore un air impassible. Voilà qu'elle a renfilé son masque de grincheux.

Grincheux.

C'est lui qui l'appelait comme ça. Ce type qui est apparu soudainement dans notre existence, tout comme il en est reparti. Je chasse sa présence de mon esprit en me concentrant sur notre professeur qui s'avance vers moi, la main tendue.

Polly ne plaisantait pas quand elle racontait qu'il aimait serrer la main de tout le monde.

— Bonjour, je crois que je ne t'ai pas vu hier. Je m'appelle Frédéric Spencer, votre nouveau professeur en psychologie.

Je n'ai pas le temps de répondre quoi que ce soit qu'il s'empare de l'extrémité de mon bras. À cet instant, une vive émotion s'empara de moi, faisant frémir chaque fibre de mon être, jusqu'au moindre de mes poils. Il me faut quelques secondes pour comprendre que la température de la pièce à drastiquement chuté et qu'une subite panne de courant apparaît.

Un effroi inexplicable m'envahit lorsque je discerne une emprise invisible me consumer. Mes muscles se tendent tel un arc, les battements de mon cœur deviennent désordonnés. L'oxygène devient prisonnier dans ma gorge. J'ai envie de m'en aller, mais une force irrésistible me cloue sur place, unissant ma main à celle de l'enseignant.

Mais c'est quoi ce cirque ?

Je tourne la tête et découvre une Polly dont le visage est défiguré par un sentiment de terreur inquiétant. Elle est collée contre le mur, presque recroquevillée sur elle-même. Je ne comprends rien à ce qu'il se passe ?

Au bout de plusieurs secondes de lutte, je parviens enfin à me libérer de son emprise. La température remonte, l'électricité revient, tandis que je reprends possession de mon souffle. La première chose que je fais n'est pas d'interroger l'homme sur ce qu'il s'est passé, mais d'accourir vers Polly.

— Ça va ? je m'empresse de lui demander.

Rare sont les fois où je l'ai aperçue dans un tel état. Cette attitude me rappelle cette effroyable période que nous avons été contraint de vivre l'année passée, après cet accident. Or, ma jumelle se relève, respire un bon coup avant de m'assurer que tout va bien.

Elle ne va rien me dire. Je le sais. Elle ne m'a jamais rien dit sur ce qui l'habite constamment, les démons intérieurs qui la tourmentent. Elle refuse de se confier à moi. Et je l'ai accepté.

— Ça alors, souffle une voix ébahie dans mon dos.

Je me retourne et découvre le professeur Spencer qui me sonde d'un air stupéfait. Je dois admettre que Polly avait raison à son sujet. Il n'est pas net. Il émane de lui une étrangeté indescriptible, une sorte d'aura équivoque qui m'interpelle. Il s'avance d'un pas, avant de s'immobiliser. Et pour cause, d'autres élèves débarquent dans la classe, plongés dans leurs discussions.

Polly et moi, on s'empresse de regagner nos places, tandis que l'homme s'installe derrière son bureau, sans toutefois nous lâcher du regard. Ma gorge se noue sous l'effet du sentiment de malaise qui me gagne progressivement. Vivement que ce cours soit terminé qu'on déguerpisse d'ici.


Durant quarante-cinq minutes, mon esprit ne cesse de cogiter sur ce qu'il s'est passé. D'où ça venait ? Qu'est-ce que c'était ? Est-ce que Polly a subi la même chose ? Quelque chose dans sa réaction me dit que c'est le cas. Mais comment en être sûr ? Si je le lui demande, elle ne m'en parlera jamais. Tout comme elle n'a jamais rien dit le jour de l'accident. Elle s'enferme dans sa coquille, telle une huître, et parfois, cette attitude me frustre. Puis, je me rappelle qu'il s'agit pour elle, d'une carapace qu'elle s'est forgée à cause de nos tortionnaires. Une carapace dont elle ne détient plus le moindre contrôle. Pas même en ma présence.

À la fin du cours, je m'empresse de quitter ma chaise, imité par Polly. Au moment où je m'apprête à quitter la salle de classe en dernier, la voix du professeur m'interpelle.

— Jeune homme, me fait-il avec délicatesse.

Je m'immobilise, tandis que Polly retrouve son caractère qui la définit tant. Il n'y a plus personne dans la pièce, sauf ma jumelle, moi et cet homme étrange qui nourrit un sentiment de peur en moi.

— Tu dois trouver ça étrange ce qui vient de se passer, poursuit monsieur Spencer.

Étrange ? C'était flippant !

— Mais je dois t'expliquer que c'est normal. C'est la prophétie des sœurs Wardwell qui s'est manifestée. Tu es une des cinq âmes destinées à vaincre le monde démoniaque.

Je scrute Polly avec une ardeur mêlée d'étonnement.

Qu'est-ce qu'il raconte ?

Les sœurs Wardwell sont une vieille légende que les parents de cette ville racontent à leurs enfants pour les effrayer et s'assurer qu'ils ne fassent pas d'écart de conduite. Un gamin espiègle fera la rencontre, dans les ténèbres de la nuit, du fantôme des sorcières.

Le professeur jette un coup d'œil en direction de l'entrée dont les couloirs demeurent déserts. Il prend une profonde inspiration et s'avance à nouveau d'un pas prudent.

— Il y a longtemps, les sorcières ont prédit que cinq personnes détruiront le Mal. On les appelle les âmes de la Prophétie. Et un Formateur sera aussi désigné pour les guider et les former. J'ai été choisi pour être ce Formateur et toi, ainsi que Polly, vous avez été choisi par la Prophétie.

J'examine ma jumelle avec ahurissement. Alors elle a aussi vécu ça ? J'aimerais faire comme Polly, clamer qu'il est fou. Pourtant, une part profonde de mon être ressent ce désir irrépressible de lui accorder ma croyance. De croire à ses paroles qui, d'une manière étrange, font sens. Ces mots m'envoûtent, me charment. À l'instant où l'homme s'avance d'un nouveau pas, Polly se place devant moi.

— Ça suffit avec vos histoires ! Laissez mon frère tranquille où je rapporte tout à Sneiders, crache-t-elle.

Le fauve en elle s'est réveillé. Or, contrairement à d'habitude où je la laisse faire, je saisis délicatement son bras. Elle se retourne sans abandonner son air furieux et chargé de méfiance.

— Et si c'était vrai, Polly ?

Ses iris atteint d'hétérochromie sont voilées d'une lueur de stupéfaction qui se propage sur l'ensemble des traits de son visage. Elle ne supporte pas le fait que je ne partage pas son ressenti à l'égard de ce type. En réalité, j'ai l'impression que ma vie est terne et sans relief depuis des années. Et voilà que les paroles de monsieur Spencer ajoutent un peu d'agitation dans mon existence.

J'ai envie de le croire.

Je veux que ma vie soit bouleversée par ce qu'il raconte.

Et savoir que je suis une âme destinée à vaincre le mal m'emplit d'un délicieux sentiment d'excitation, bien que j'ignore tout de l'univers dans lequel je m'apprête à mettre les pieds. Et s'il a sorti le même discours à Polly qui a vécu exactement la même chose, ça ne peut être que vrai.

 N'est-ce pas ?

— Qu'est-ce que ça veut dire, exactement ? je demande en m'avançant à la hauteur de ma sœur, tout en ignorant son expression furieuse.

— Et bien, moi-même je ne sais que très peu de choses sur le sujet. Mais il est de mon devoir de vous guider et de vous apprendre tout ce que vous devez savoir.

— C'est-à-dire ?

Il me répond par un haussement d'épaules. Ce geste me donne un coup mental douloureux. C'est comme si je venais de me heurter à un mur. Ça m'apprendra à croire et espérer trop vite.

— Il reste trois autres âmes à localiser. J'ignore où elles sont situées et comment les trouver.

Il libère un soupir.

— On pourrait peut-être les chercher nous-mêmes, je propose d'un ton timide.

— Quoi ? s'écrie Polly, outrée.

Elle me jette un regard abasourdi. Cette réaction était prévisible de sa part.

— Même pas en rêve Stev' ! Tout d'abord, parce que ce ne sont rien d'autre que des balivernes à dormir debout et imaginons que cette histoire soit vraie, il est hors de question que je serre la main de tous les habitants de Mallory West !

Elle croise ses bras sur sa poitrine, tandis que je roule des yeux. On est peut-être jumeau, mais notre vision de l'avenir est si différente. Des rêves d'aventures et de péripéties m'animent, tandis que Polly, lassée de cette ville et de son existence routinière, n'aspire qu'à s'en échapper. On s'est fait le serment, qu'une fois notre diplôme en poche, nous prendrons le large pour vivre notre grande aventure, à la découverte des États-Unis et des confins du globe.

Mais voilà que l'arrivée de ce professeur remet en question mes perspectives.

Je m'approche délicatement de ma sœur, lui témoigne d'un regard affectueux et sincère. Je glisse ma main dans la sienne.

— Tu n'as pas envie de savoir si ce que ce type raconte est vrai ? Ce qu'il raconte, ça ne t'intrigue pas un tout petit peu ? soufflé-je d'un ton délicat.

Elle secoue la tête.

— Pourquoi ça ?

— Parce que j'ai un entraînement de cheerleaders qui m'attend et je n'ai pas le temps de penser à ces idioties !

Elle tourne les talons et m'abandonne avec monsieur Spencer dans la salle de classe. Je libère un soupir défaitiste. Je sais ô combien ma voisine d'utérus peut se montrer entêtée quand elle s'y met. Or, je nourris l'espoir qu'elle change d'avis.

Car il se pourrait bien que ce soit là l'expédition tant espérée, dont nous avons si longtemps rêvé.

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• Hey beautiful people ! 🤗

Ils sont différents pour être des jumeaux, hein ? •

•......•

• Votre avis sur ce chapitre ?

• Sur le personnage de Steven ?

• Du lien qu'il partage avec sa sœur ?

• Mais comment Steven va-t-il parvenir à convaincre sa jumelle ?

•......•

☆ Le prochain chapitre sera d'un  PDV de Polly ☆

Kissouilles !

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