Chapitre 47 - Aerin
19 novembre, 10:45 a.m.
Ne jamais faire confiance à personne avant d'avoir pu vérifier ses intentions ; voilà la logique dans laquelle elle évoluait. Pas qu'elle soit asociale, ou même paranoïaque. Simplement, la vie, le destin ou peut-être quelque résident des Enfers, lui avait démontré que la confiance ne devait sous aucun prétexte être gratuite. Certains de ses amis, avec qui elle s'entendait pourtant bien, n'étaient pas encore parvenus à lui arracher cet aveu tacite, ce « Je te fais confiance » inaudible qui signifiait tant lorsque c'était elle qui le disait.
Pour être franche, seules quatre personnes avaient réussi à faire tomber ses barrières : Edaline la première, ayant gagné sa reconnaissance et son respect en la sauvant d'une mort certaine, puis sa dévotion lorsqu'elle avait créé Westwood. Et puis trois membres de l'Élite de l'école, dont un qui aurait pu, en des circonstances moins tumultueuses, être son petit ami. Seulement, la situation était ce qu'elle était, et elle ne changerait pas si elle ne faisait pas quelques sacrifices. Ses relations amoureuses et son temps libre pouvaient bien attendre la fin du conflit, et ce serait déshonorer son statut de cheffe de l'équipe de recherches sur les démons ainsi que celui de membre de l'Élite que de se reposer avant l'heure, quoi qu'en dise Edaline.
— Aerin ? l'appela une jeune fille aux cheveux blonds bouclés
Elle leva les yeux du livre dont elle devait rendre un compte-rendu pour son cours de français, qu'elle lisait en diagonale depuis une demi-heure. Elle haussa un sourcil à l'intention d'Arwen qui, comme à son habitude, lui adressa un grand sourire en retour.
— J'ai réussi, lui déclara-t-elle avec une phénoménale dose de triomphe dans la voix. Maintenant, qu'est-ce que je fais ?
Aerin inclina la tête, dubitative.
— Vraiment ? souffla-t-elle, se retenant à grand-peine de laisser son pouvoir envahir l'air ambiant et lui révéler le mensonge évident de l'adolescente
À vrai dire, elle n'aurait pas dû pouvoir contrôler ce pouvoir. Étant un pouvoir directement lié à son corps, et plus particulièrement à ses yeux, il aurait dû être activé en permanence, d'autant plus que son autre pouvoir, un complémentaire, le renforçait. Heureusement, Edaline, avec ses idées novatrices et ses théories quelque peu délirantes, avait réussi à assembler les arcanes de manière à ce qu'elle puisse activer et désactiver ces dons à sa guise, lui évitant ainsi une migraine perpétuelle.
Le fait était qu'elle pouvait, à l'instar de sa famille, voir la magie. Détecter ceux qui étaient dotés de pouvoirs, et les simples humains qui grouillaient dans les rues de cette planète. La magie, partie intégrante des habitants de Laena, se révélait à elle sous la forme d'un rayonnement plus ou moins lumineux suivant la force des pouvoirs de celui qu'elle observait. Elle avait grâce à ce don découvert la terrible injustice qui sévissait dans son monde. La magie, élément volatile et doué d'une volonté propre, était une caractéristique héréditaire, puisqu'elle était liée à celui qui en usait par son sang. En revanche, son intensité dans ledit sang ne suivait aucune logique. On pouvait naître presque sans magie même si nos parents étaient les êtres les plus puissants de notre monde. Et aucun artefact, malgré les nombreuses tentatives des scientifiques, ne pouvait le changer. Il n'était pas rare, dans les milieux aisés, que des enfants soient abandonnés dans les rues.
Arwen, elle, jouissait d'un certain potentiel. Son aura, d'une douce teinte rose – Aerin n'avait pas encore saisit ce que les couleurs représentaient – s'étendait à un bon mètre d'elle, et son talent d'hydrokinésiste, bien que commun, était assez puissant pour qu'elle créée une courte pluie. Elle lui avait demandé un an plus tôt de devenir son élève, et son enseignement semblait porter ses fruits étant donné que la jeune fille, l'année précédente en dixième deux, avait intégré la classe un cette année.
— Si je comprends bien... continua la jeune femme avec un sourire moqueur, tu as détourné la trajectoire d'un cours d'eau en moins d'une heure ? Tu sauras, jeune fille, que je ne te donne pas d'exercice hasardeux. J'ai fait toutes sortes de calculs avant de t'y opposer et, selon les données que j'ai collectées, il y a une pression aquatique suffisante pour te poser problème pendant un minimum de quatre heures et quarante-huit minutes. Une fois la solution trouvée, tu aurais dû mettre une heure et demie pour la mettre en œuvre. Je suis donc au regret de te dire que je ne te crois pas. Cela dit, si tu as une preuve, je serais heureuse que tu me donnes tort.
Arwen déglutit, son sourire se transforma en grimace gênée, puis elle se répandit en explications hésitantes :
— C'est que, tu vois, je voulais, mais il y avait des gens qui passaient, je ne voulais pas qu'ils me prennent en train de faire de la magie, ils auraient pu demander des comptes à Edaline, et je ne veux pas faire de tort à Westwood, tu comprends ? Je ne voulais pas...
— Ça suffit, soupira Aerin. Quand tu mens, et que tu te fais prendre...
— ... admet immédiatement, compléta Arwen en grommelant
— Exact. C'est difficile, n'est-ce pas ?
L'adolescente hocha la tête, n'osant regarder Aerin dans les yeux. Cette dernière sourit légèrement puis laissa son pouvoir secondaire déferler dans ses veines, lui communiquant les intentions de son élève officieuse.
"Je voulais que tu sois fière de moi..." admit la voix d'Arwen dans son esprit. Ce n'était pas de la télépathie, mais un aveu de son inconscient, qu'elle percevait comme un murmure psychique, une vérité indiscutable malgré les réticences de la jeune fille à la lui livrer.
— Je ne suis pas fière des tricheuses , railla la jeune femme en bloquant à nouveau son pouvoir, le sentant frémir d'indignation dans ses veines
L'intéressée se figea, serra les poings, les desserra et baissa la tête. Aerin, mécontente, plissa les yeux, laissant son don principal filtrer à travers ses barrières. L'aura de l'adolescente avait faiblit, prouvant que les émotions jouaient un rôle important dans la maîtrise de la magie. Elle saisit un carnet de note, l'ouvrit à la page intitulée "Maeve Erin" et inscrivit : "Pouvoirs incontrôlés = émotions ?" avant de le refermer dans un claquement sec et de revenir à Arwen.
— Ce n'est pas correct, lança-t-elle si soudainement que l'adolescente sursauta. Ce n'est pas correct, ce que je viens de faire. Je n'ai pas le droit de me servir de mon pouvoir contre toi à moins d'un situation extrême, si ?
La jeune fille secoua la tête puis chercha à croiser son regard. N'y parvenant pas – et pour cause, Aerin fixait son livre sans le lire – elle passa une main dans ses boucles blondes, ramenant les mèches devant ses yeux.
— Alors pourquoi tu restes aussi indifférente ? Pourquoi aurais-je le droit d'ignorer les règles et pas toi ?
Arwen, visiblement désarçonnée, haussa les épaules. Sa professeure leva les yeux au ciel puis se leva et souleva le menton de l'adolescente pour qu'elle la regarde dans les yeux.
— Pourquoi aurais-je le droit d'ignorer les règles et pas toi ? répéta-t-elle dans un murmure
La jeune fille, qui paraissait sur le point de pleurer une seconde auparavant, écarquilla les yeux et afficha un grand sourire, comprenant ce qu'Aerin attendait d'elle.
— Tu n'as pas le droit ! s'exclama-t-elle donc, les iris et la voix emplis du désir d'avoir la bonne réponse
— C'est exact, opina son interlocutrice. J'aurais préféré que tu le dises parce que tu le sais et non parce que c'est ce que je veux que tu répondes, mais nous verrons cela plus tard. Maintenant...
— ... je retourne au ruisseau, sourit Arwen
Elle courut jusqu'à la sortie, heurta son pied contre le mur, lâcha une exclamation de douleur puis disparut dans l'embrasure de la porte. Aerin soupira, ramassa son sac à dos, y fourra distraitement les fournitures qu'elle avait éparpillé et, après avoir consulté l'heure, se dirigea vers la salle de cours que les onzième un occupaient en ce moment. Leur cours se terminait dans quatre minutes, soit le temps suffisant pour qu'elle se rende à l'endroit indiqué et trouve un bon point d'observation sans avoir à attendre trop longtemps pour considérer avoir perdu du temps.
Parfait.
≈ ᚖ ᚖ ᚖ ≈
La cloche retentit à l'instant où Aerin ouvrait son calepin et chargeait sa plume d'encre. Une poignée de secondes passa puis la porte s'ouvrit et les étudiants commencèrent à déferler hors de la salle. La jeune femme plissa les yeux, essayant de repérer une jeune fille aux cheveux blancs qui ne devrait, en théorie, pas être trop difficile à repérer. "Un peu maladroite, probablement recroquevillée dans un coin en attendant que les autres élèves passent." lui avait révélé Edaline, un air un peu coupable sur les traits. De ce qu'elle en savait, la directrice ne ressentait jamais de pitié pour personne – elle savait à quel point il était énervant d'entendre les remarques désolées de ce qui, au fond, ne l'étaient pas – mais elle n'était pas avare de sympathie. Cependant, cela ne semblait pas être ce qu'elle avait offert à Maeve – plutôt une promesse de soutient, d'aide tacite qu'elle donnait déjà aux élèves de Westwood, mais qu'elle spécifiait clairement à l'adolescente.
Étrange, songea Aerin en le notant sur son cahier.
Une tâche blanche se noyant dans la masse des élèves majoritairement bruns lui fit relever les yeux de son calepin, et elle s'empressa de passer les bretelles de son sac sur ses épaules pour suivre la jeune fille, qui semblait sur le point de s'évanouir. Se mouvant entre les adolescents avec une expérience forgée par des années d'études, elle atteignit rapidement l'adolescente qui, au contraire, se faisait bousculer et marcher sur les pieds par tous ceux qui passaient près d'elle. La voyant vaciller, la jeune femme franchit d'un bond le mètre qui la séparait de Maeve et attrapa les épaules de celle-ci pour l'empêcher de tomber – elle avait appris que les étudiants étaient peu enclins à aider un élève tombé au sol, allant parfois jusqu'à l'enjamber sans se soucier de savoir s'il était blessé ou non. La concerné sursauta et se retourna vivement, se dégageant de sa poigne. Son aînée fronça les sourcils et fixa sa main, certaine d'avoir senti une magie étrangère se glisser dans ses veines. Elle secoua la tête et sourit aimablement – sourire auquel son interlocutrice ne sembla pas prête de répondre.
— Bonjour, la salua Aerin en ignorant le bruit ambiant. J'aurais quelques questions à te poser. Ce sera rapide, promit-elle en tendant la main à Maeve
Cette dernière sembla hésiter un moment puis recula d'un pas et se fit avaler par la marée d'élèves. La jeune femme leva les yeux au ciel puis, décrétant qu'elle aurait plus de chance en rencontrant la jeune fille dans un lieu plus calme, se faufila dans la foule et disparut à son tour.
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