Chapitre 42 - Hailey
17 novembre, 6:00 a.m.
Hailey se réveilla en sursaut lorsque la sonnerie stridente de son réveil retentit. Elle n'avait techniquement pas besoin de se lever si tôt – et, d'ailleurs, la plupart des élèves de Westwood dormaient encore paisiblement, les cours ne commençant qu'à huit heures – mais Maeve ayant décidé d'aller emplir son cerveau de son nouvelles informations le jour même, et par extension de se lever aux aurores, elle en avait fait de même, premièrement pour vérifier que l'adolescente allait bien – et plus spécifiquement que sa chambre n'était pas redevenu une scène de crime – mais également pour se faire au rythme de l'école, qu'elle comptait intégrer le plus tôt possible.
Dans la perspective de se réveiller avant Maeve, elle ne passa qu'une dizaine de secondes sous les couvertures avant de se décider à les repousser, à frissonner légèrement lorsqu'un courant d'air froid lui ravit sa léthargie matinale et à effleurer le tapis pastel de sa chambre en s'étirant.
Elle n'avait jamais aimé se réveiller – elle aimait l'être, et la productivité faisait partie des valeurs qu'elle appréciait, mais elle détestait le moment en lui-même, la pénible extraction d'un monde tout autre qui, lui, n'inclut pas d'aller à l'école.
— Maeve, grommela-t-elle en se frottant les yeux
Après une dernière inspiration profonde, elle se mit debout et se dirigea d'un pas décidé vers son armoire, choisit quelques vêtements marqués aux effigies de Westwood et les enfila rapidement.
Enfin, après s'être brossé les dents et avoir passé une main dans ses cheveux – depuis que son démon les avait coupés, il était rare qu'un nœud y fasse son apparition – elle alla toquer à la porte de Maeve, qui ne lui répondit pas immédiatement. Elle attendit quelques minutes puis, jugeant que la jeune fille devait être encore endormie, tenta d'ouvrir la porte – qui n'opposa aucune résistance, à son grand désarroi. Maeve n'était pas du genre à laisser sa porte ouverte la nuit, ce qui signifiait qu'elle était certainement réveillée.
Une exclamation de douleur étouffée le lui confirma et, inquiète à l'idée de ce qui pouvait bien faire mal à la jeune fille, Hailey se précipita dans la salle de bains, préparée à trouver Maeve dans une mare de sang.
Elle balaya la pièce du regard, cherchant la moindre trace de lutte ou du poignard qu'elle savait pourtant caché sous une pile de vêtements dans son armoire, puis éclata de rire en comprenant qu'elle avait paniqué pour bien peu.
La jeune fille, debout devant le miroir, tentait vainement de démêler ses cheveux, une brosse à la main.
— Tu veux que je t'aide ? proposa-t-elle en s'approchant
Maeve, qui avait ostensiblement feint de ne pas remarquer sa présence – probablement pour masquer sa gêne – marmonna un "Non, tout va bien." quelque peu difficile à croire puis passa une nouvelle fois la brosse dans une de ses mèches blanches.
Hailey s'adossa au chambranle de la porte, croisa les bras et observa l'adolescente grimacer de douleur en démêlants les nœuds qui, elle, ne l'épargnaient pas.
Au bout de quelques minutes, elle sembla hésiter, jeta un regard à la dérobée à la spectatrice puis pinça les lèvres, embarrassée.
— En fait... si tu... si tu veux bien, c'est que je...
Hailey leva les yeux au ciel et, ne lui laissant pas davantage de temps pour bredouiller tout ce qui lui venait à l'esprit, prit la brosse et la passa doucement dans les cheveux de la jeune fille.
Elle lui rappelait sa petite sœur, à refuser son aide, insistant pour se débrouiller seule, puis à l'accepter en lui jetant des regards en coin. À part l'écart d'âge, d'ailleurs, Maeve ressemblait à une version décolorée d'Eheel, comme si la petite fille avait récupéré le tempérament timide, fébrile et fermé de l'adolescente avant d'y ajouter son propre personnalité énergique et malicieuse, qui faisait d'elle quelqu'un de très... Eheel.
Impossible de savoir quelle version d'elle-même elle serait ce jour-là, ou l'étrange combinaison des deux qui la caractérisait.
Maeve, contrairement à sa sœur, ne possédait pas cette autre facette rieuse, paraissant presque toujours nerveuse – ce qui était probablement vrai.
— Hailey ? murmura l'adolescente, les doigts aussi emmêlés que ses cheveux
— Oui ?
— Est-ce que tu... tu as une idée de comment bloquer tes pensées ?
Hailey sourit, comprenant où la jeune fille voulait en venir.
— Oui, j'ai une idée. Ne t'en fais pas. Tu ne seras pas seule longtemps.
Un mince sourire ourla les lèvres de la jeune fille qui chercha son regard dans le miroir.
— Merci.
— Pas de quoi.
Hailey passa une dernière fois la brosse dans les mèches à présent dénoués de Maeve, puis s'éloigna pour s'assurer qu'aucun nœud n'avait échappé à sa vigilance. Une idée traversa soudain son esprit et, après avoir vérifié qu'il n'était pas temps pour l'adolescente de partir, elle courut dans sa chambre et fouilla l'uniforme de Hansaï qu'elle avait délaissé la veille pour y trouver une des seules choses qui, sans compter l'observation, lui avait permis de survivre à l'ennui.
Elle se précipita à nouveau dans le couloir et, de retour dans la chambre de Maeve, adressa un grand sourire à la jeune fille en réponse à son regard vaguement interrogateur, puis brandit les rubans colorés qu'elle avait récupérés.
— Je peux tester quelque chose ? demanda-t-elle alors que l'adolescente examinait les bandelettes de tissu
— Comment ça ? interrogea cette dernière, méfiante
— Avec tes cheveux, précisa Hailey en s'empêchant de rire devant l'air suspicieux de Maeve face à de simples rubans
L'intéressée resta de marbre pendant un moment puis haussa les épaules, apparemment sceptique.
— Tu me fais confiance ? demanda l'adolescente en choisissant une bande de tissu bleue
Sa question, pourtant innocente, parut alourdir l'atmosphère aussi vite que tombait la neige à Okuno. Les épaules de Maeve se raidirent et les jointures de ses doigts blanchirent tant elle exerçait de pression dessus. Hailey, choisissant d'ignorer ce soudain accès de nervosité, prit une mèche de cheveux blancs et la sépara en trois.
— Dis-moi... reprit-elle d'une voix douce. Y a-t-il quelqu'un, n'importe qui, à qui tu fasses confiance ?
L'adolescente baissa la tête et haussa les épaules rapidement.
— Qu'est-ce que ça peut te faire ? demanda-t-elle d'une voix où perçait la peur plus que la colère
Faisant toujours mine de ne pas voir sa nervosité, Hailey chercha une bonne excuse avant de se résoudre à ne pas mentir – comme disait sa mère les rares fois où elle se rappelait avoir des enfants, mieux valait une vérité douloureuse qu'un horrible mensonge. Et puis, cette vérité-ci n'avait rien de douloureux. Bien sûr, Maeve pourrait se refermer sur elle-même, lui ordonner de rester loin d'elle à jamais et lui claquer la porte au nez... mais elle ne le ferait pas, elle en était convaincue.
— C'est simplement qu'il est toujours utile d'avoir quelqu'un à qui se confier, répondit-elle donc en glissant le ruban bleu dans les cheveux de la jeune fille. Et que je suis là. Alors, me fais-tu confiance ?
— Ça ne te regarde pas, répliqua Maeve, acerbe
— Un peu, quand même, sourit son interlocutrice en tressant les trois mèches qu'elle avait préparées, dont une avec la bande bleue. J'aimerai savoir si je fais partie de ta liste ô combien sélective.
L'adolescente risqua un regard vers Hailey, qui lui répondit en élargissant son sourire.
— Tu trouves que je suis méchante ? demanda Maeve dans un murmure
Ses yeux, qu'elle semblait vouloir recouvrir de glace, trahissaient néanmoins son inquiétude – tout comme ses phalanges à moins d'un doigt de craquer.
— Méchante ? s'esclaffa Hailey en nouant le ruban autour des cheveux de Maeve pour que la tresse ne se défasse pas. Je pense surtout que tu es seule. Méchante, non, certainement pas. Mais difficile à approcher, ça, oui !
Elle prit une nouvelle bande de couleur, violette cette fois-ci, et recommença à enchevêtrer les mèches de l'adolescente.
— Et c'est mal ? interrogea encore Maeve, qui semblait s'être légèrement détendue en entendant la réponse de Hailey
— Non. C'est compréhensible, avec... tout ce qu'il s'est passé, décréta prudemment l'adolescente
Maeve laissa retomber ses mains avant de se briser les os et attendit patiemment que Hailey ait terminé de nouer ses cheveux. Elle semblait comme éloignée de cette chambre, de cette école, de ce monde même – mais plus encore de celui de Laena. Comme si son être ne concordait pas avec les lieux, qu'elle aurait dû se trouver autre part, ou bien nulle part. En tout cas, pas ici.
— Ne t'en fais pas, souffla Hailey en attrapant un ruban rouge sombre. Je vais t'aider. Tu trouveras ta place ici.
Elle entrecroisa soigneusement ses cheveux si clairs et le ruban vif jusqu'à ce que les mèches de Maeve soient trop courtes pour aller plus loin, et entoura le résultat avec la bande rouge. Enfin, elle recula d'un pas et observa son œuvre avec un grand sourire.
L'adolescente prit une des minuscules tresses qu'avaient nouées Hailey, ornée du ruban mauve, et la fit tourner entre ses doigts, observant les mèches entremêlées avec un intérêt soudain.
— C'est... commença-t-elle, circonspecte
— C'est...? l'encouragea la jeune fille, curieuse
— C'est... joli, acheva Maeve, la surprise se peignant sur ses traits alors qu'elle prononçait les mots
— Merci !
L'adolescente ne répondit pas, trop occupée à détailler les rubans colorés qui agrémentaient ses cheveux. Puis elle se tourna vers Hailey et désigna la mèche rouge qu'elle avait ajouté à sa coiffure des années auparavant, davantage pour énerver ses parents que par réel intérêt esthétique.
— C'en est un aussi ? demanda-t-elle, la tête inclinée
— Oh, non, c'est de la teinture. Mais ça revient à peu près au même. Si tu v...
Hailey fut interrompue par le réveil de Maeve, qui sonna pour lui rappeler d'aller en cours. Bien qu'il ne fut que sept heures moins le quart, elle avait probablement raison de se mettre en route si tôt. Après tout, qui savait combien de temps elle mettrait à trouver les passages cachés et les portes dérobées ?
La propriétaire du bruyant appareil courut l'éteindre et attrapa au passage un sac à dos posé sur son lit. Il avait l'air lourd, et contenait proablement l'intégralité de ses fournitures, bien qu'elle sache déjà quels cours composeraient sa journée.
La jeune fille ramassa les bandes colorées restantes, les fourra dans la poche du sweat qu'elle avait enfilé et observa, placide, Maeve s'affairer à gauche et à droite, visiblement nerveuse.
— Maeve, intervint Hailey en voyant les mains de l'adolescente trembler alors qu'elle tentait de fermer la fermeture éclair de son sac après avoir vérifié une septième fois qu'elle y avait mis tout ce dont elle avait besoin. Tout va bien se passer, je te le promets. Tu as besoin d'aide pour quelque chose ? Je peux t'accompagner jusqu'à ta salle, si tu veux. Comme ça, je serais sûre que tu ne t'es pas perdue.
La concernée hocha vaguement la tête et parvint enfin à fermer son sac. Elle le posa au sol et courut dans la salle de bains pour se brosser les dents, fébrile. Hailey, toujours aussi calme – elle avait appris à ne pas absorber le stress des autres au fil des années, lorsque ses frère et soeur paraissaient toujours prêts à flancher devant les divers manquements de leurs parents – alla récupérer le sac à dos de Maeve, le jeta sur son épaule et s'approcha de la carte qui, accompagnée de l'emploi du temps de la jeune fille, patientait sur la table de chevet.
— Salle d'histoire terrienne des onzième année, déclama-t-elle en effleurant la carte enchantée
Aussitôt, le trajet pour y parvenir scintilla sur le papier, et Hailey suivit le tracé du bout du doigt. Il suffisait pour atteindre la salle de se rendre au bureau de Mme Emershadow, puis d'emprunter un passage secret situé face à celui qui conduisait à l'infirmerie, puis de monter deux escaliers et de parcourir une vingtaine de mètres. Malgré la faible complexité du parcours, l'adolescente l'étudia jusqu'à ce que Maeve soit prête, qu'elle enfile une paire de chaussures – en se débattant pour nouer ses lacets – et qu'elle la fixe, attendant visiblement des instructions, conseils, ou n'importe quoi qui lui signifie de partir. Ou peut-être voulait-elle simplement que Hailey lui rende son sac et lui donne la carte et son emploi du temps.
Quoi qu'il en fut, la jeune fille observa la nouvelle élève des pieds à la tête – elle n'avait surtout pas besoin d'une quelconque humiliation dès son premier jour – puis s'approcha à grand pas et défit les boutons qui maintenaient la veste de Maeve en place pour la lui enlever, la déposer sur le bureau pour le moment vide de l'adolescente, sourire à cette dernière et se mettre en marche.
— Hailey, je ne... je ne peux pas sortir comme ça, protesta Maeve en croisant les bras pour cacher ses cicatrices
Elle n'avait apparemment pas envisagé la possibilité d'enlever sa veste et avait par conséquent choisit une chemise blanche et dotée de manches courtes qui découvrait – et faisait ressortir de par sa blancheur – les nombreuses entailles et brulûres qu'elle portait aux bras. Sur le gauche, juste en-dessous de l'épaule, la déchirure que lui avait infligé son frère transparaissait, tâche rougeâtre sous le tissu de la chemise.
— Si, tu peux. Et tu va le faire, lui répondit Hailey en prenant son poignet pour qu'elle la suive
— Mais je... je ne dois pas...
— Oh, que si, sourit l'adolescente en se tournant pour regarder Maeve dans les yeux. Tu le dois. Premièrement, parce que tu ne peux pas te cacher toute ta vie. Deuxièmement, parce qu'elles font partie de toi et de ton passé, aussi douloureux soit-il. Et troisièmement, ne serait-il pas plus facile d'endosser dès ta rencontre avec tes camarades ton propre rôle, et non pas celui que tu joues pour que personne ne te voie vraiment ?
L'intéressée baissa les yeux sur les marques qui striaient sa peau si pâle, indécise.
— Mais... et si c'était pire ? s'enquit-elle dans un murmure. Et si ils ne voulaient pas que je sois... la personne que je voudrais être ?
— Depuis quand ont-ils le droit de choisir qui tu es ? C'est à toi et à toi seule de décider de ce que tu veux accomplir, des gens à qui tu fais confiance et de ceux que tu ne souhaites pas approcher. Tu n'as pas à te restreindre de vivre seulement parce que des adolescents immatures te disent que tu ne le peux pas.
Maeve déglutit difficilement et tira sur sa manche dans le fol espoir de la voir s'allonger. Avant qu'elle n'aie pu émettre de contre-argument, Hailey revint à l'assaut en pressant sa main pour la rassurer.
— Je sais que c'est comme ça que ton frère t'a dit d'agir. Mais tu n'es plus obligée de l'écouter. Il ne te fera plus jamais de mal, tu m'entends ? Jamais. Je l'en empêcherais. Mme Embershadow l'en empêchera. Même s'il arrivait, par un quelconque miracle, à trouver comment t'atteindre, personne ici ne le laisserait faire. Dans ces conditions, je suis au regret de te dire que tu dois radicalement changer ta manière de voire les choses, Maeve. Tu ne peux plus te contenter d'exister...
Elle patienta jusqu'à ce que Maeve relève les yeux et croise son regard, plongeant les eaux glacées de ses iris dans ceux, d'une douce tiédeur, de Hailey.
— ... tu dois vivre.
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