Chapitre 38 - Edaline

La petite Maeve était à genoux, trop effrayée pour se relever. L'adolescente, elle, restait figée, les yeux écarquillés devant son frère qui, pour le moment, n'avait pas pris vie. Il n'était qu'un pantin sans âme, souvenirs ou émotions.

Mais il va le devenir, songea amèrement Edaline en se remémorant son plan.

Et ça va faire vraiment très mal. Elle va peut-être entrer en Transe. Je ne sais pas. Le fait que Maeve soit si déphasée avec ses émotions pourrait aider, dans le cas présent. Quoique. Elle doit quand même connaître la peur. C'est la moindre des choses, avec une vie comme celle-ci.

L'adulte bloqua sa respiration pour ne pas abandonner si près du but – si son plan fonctionnait, Maeve trouverait probablement le moyen de protéger son esprit, tout comme Hailey si cette dernière repensait à leur duel – et posa sa main sur la tête de Luck, qui ne montra aucun signe d'intérêt pour elle.

— Détruis-la, dit-elle d'une voix dénuée de toute émotion

Le jeune homme fut pris d'un long frisson à mesure qu'il s'animait. La mémoire qu'avait accumulé le vrai Luck rejoignait la marionnette à son image, ainsi que ses sentiments, son attitude et ses tendances... brutales.

Il se releva brusquement, fit rouler ses épaules et craquer ses doigts, puis baissa les yeux sur l'enfant recroquevillée à ses pieds.

— Bonj-jour, bredouilla la petite Maeve en croisant son regard méprisant

Les membres tremblants, elle jetait des regards désespérés à l'adolescente, qui ne les remarquait pas, trop concentrée sur la présence de Luck dans ce havre de sûreté qu'avait toujours été son esprit.

— Bonjour, répondit son frère avec un sourire carnassier

Il empoigna l'épaule de la petite fille, qui se débattit faiblement. Edaline expira enfin et recula d'un pas, camouflant sa présence dans les ombres ambiantes. Elle n'avait plus besoin de faire quoi que ce soit, sauf surveiller la joyeuse réunion de famille qui se déroulait sous ses yeux.

— C'est bizarre, lança tout à coup Luck en secouant la fillette comme s'il s'était agit d'un vulgaire caillou sur son chemin. Tu me paraissais plus grande, la dernière fois. Et tu étais en prison. Non, en fait... tu étais morte.

Ah oui ? Il faudrait penser à vérifier que les cadavres en sont réellement, mon cher.

— Je... mais... en prison ? bégaya l'enfant en se tordant les doigts – une habitude qu'elle avait apparemment gardée à travers les années

— Oui, en prison... mais c'est que j'ai raison. Tu étais bien plus grande. Au moins seize ou dix-sept ans. Peut-être même dix-huit.

Non, seulement quinze. Il y a des limites au désintérêt.

Luck projeta la petite Maeve plusieurs mètres plus loin avant de se retourner vivement, faisant face à l'adolescente, qui recula encore. Lui éclata d'un rire sinistre, ravi de sa découverte.

— Te voilà ! Je me disais bien que tu ne pouvais pas être si minuscule... maintenant, on va pouvait discuter.

— Discuter ? interrogea Maeve dans un souffle, une étincelle d'espoir brillant au fond de ses yeux

— Oui, discuter... acquiesça Luck en se rapprochant insidieusement. Enfin, moi, je n'aime pas trop parler, mais si tu veux, tu peux hurler et me supplier de te laisser en vie.

La jeune fille s'immobilisa, toutes ses défenses abattues par quelques mots. Son frère franchit l'espace qui les séparait en un pas et, sitôt qu'elle fut à portée, lui asséna un violent coup de poing dans les côtes, qui la propulsa en arrière. Elle se releva promptement et, les mains tendues devant elle en gage de paix, tentait de garder suffisamment de distance entre elle et Luck pour garder ses os intacts – mission qui, malheureusement, n'avait jamais été accomplie. 

Le garçon, agacé par l'écart qui le séparait de sa sœur – et l'empêchait de la torturer – saisit le poignet de Maeve et le tordit violemment avant de plaquer ses épaules au sol. Elle ferma les yeux, le visage déformé par la peur, attendant sa sentence dans l'un de ces silences bruyants, de ceux qui précédaient les orages. Elle en avait connu, des orages, avec une pluie sanglante et des éclairs de douleur. Les nuages sombres ne partaient jamais vraiment, patientant sagement d'être assez régénérés par sa peur pour pour tonner à nouveau.

Et cette fois-ci ne fit pas exception à la règle : le coup suivant, porté à sa mâchoire, fit grincer ses os et résonna dans son crâne. Un deuxième suivit aussitôt, et un craquement discret lui indiqua que son os ne tiendrait plus très longtemps.

— Arrête de l'embêter ! cria la petite Maeve en se précipitant vers son frère

Elle attaqua ce dernier de front, enchaînant des séries de coups de poing ridiculement inefficaces contre Luck qui semblait à peine le remarquer. Il arme son propre poing et l'envoya s'écraser dans le ventre de l'enfant, qui fit un vol plané spectaculaire.

— C'est pas gentil... 

Le jeune homme leva les yeux au ciel puis décocha un dernier coup à la mâchoire de l'adolescente, qui se fractura dans un douloureux entrechoquement de fragments d'os. Maeve laissa échapper une unique larme avant de parvenir à ravaler ses sanglots, se rappelant que son frère les haïssait plus que tout.

— Maeve... ne me dis pas que tu pleures ? souffla Luck en effleura la joue de sa sœur

— Non... non, c'est juste... ce n'est pas ce que tu crois, hasarda l'adolescente

Le garçon accentua la pression sur les épaules de Maeve et son articulation grinça désagréablement.

— Ce n'est pas ce que je crois ? Donc... je suis un menteur, si je comprend bien ?

Horrifiée, l'adolescente secoua la tête, la gorge trop serrée pour parler – et le regretta lorsque sa mâchoire la rappela à l'ordre.

— Attends, attends, je ne comprends plus, rit Luck en refermant son poing au-dessus du visage de Maeve. Donc... ce n'est pas ce que je crois, ce qui veut dire que je mens. Mais tu me dis que c'est faux, alors j'ai tort... attends... si, je comprends. Tu as dit que je mentais, et ce à deux reprises. Peux-tu me rappeler... qu'elle est la sanction ?

— Non ! Non, s'il-te-plaît, je ne...

— Maeve... je doute que tu veuilles en rajouter.

La jeune fille se raidit, son regard vrillant les doigts repliés de son frère, prêts à frapper dès que l'occasion se présenterait.

— Je ne... m'en souviens pas, mentit-elle en espérant que lui aussi aurait négligé l'aspect incendiaire de la torture en question

— Moi, si, sourit le jeune homme alors que des flammèches commençaient à danser autour de son poing

Le feu, irradiant le visage de l'adolescente d'une lueur menaçante, se consolidait sur les doigts de Luck, devenant presque tangible. Les rubans dorés et rougeâtre exécutaient la sinistre danse qu'elles avaient tant effectué auparavant : d'abord, virevolter librement sur le bras de leur détenteur. Puis effleurer la peau de Maeve, lui donnant un avant-goût de la douleur à venir. Enfin, se déposer sur le cou de l'adolescente dans une étreinte fulgurante, consumer sa peau, embraser sa chair, rouvrir les blessures à peine refermées. 

Et brûler, brûler, brûler tout ce qui se présentaient à elle, tout transformer en cendres sanglantes, couler tel un poison ardent le long de son bras, entourer sa main et dévorer son être, le noyer dans les flammes, faire d'elle un cadavre vivant, un complexe assemblage d'os et de chair mourant sous le poids de la vie.

— T'as pas le droit ! cria quelqu'un en se précipitant vers le brasier

— Arrête... vas-t'en, marmonna Maeve, sa voix réduite à un faible crissement de graviers

— Lâche-la ! continua la petite fille en ignorant son avertissement

Luck releva la tête distraitement et brandit son poing flamboyant pour repousser l'enfant qui, à défaut d'être une menace, le gênait dans cet art subtil qu'était la torture. Une explosion de flammes entoura la petite Maeve, dont la silhouette fut quelques instants brouillée par l'attaque. Lorsque le brasier se tarit, laissant entrevoir la victime – ou ce qu'il en restait – Maeve sursauta. Son frère, le regard noir, délaissa l'âme délabrée de sa sœur pour se tourner vers la petite chose insignifiante qui osait, malgré sa futilité, rester debout à travers le feu et le regarder dans les yeux alors qu'il la surplombait tel un géant devant un lilliputien.

— T'as pas le droit, répéta la petite fille, les poings serrés

— Je t'interdis de me regarder dans les yeux, gronda Luck sans accorder le moindre intérêt à sa remarque

— Je fais ce que je veux, d'abord. Mais t'as pas le droit de l'embêter, dit l'enfant en pointant l'adolescente étendue au sol qui, au bord des larmes, tentait vainement de se relever, les membres tremblants

— Je n'ai pas le droit ? Et qui es-tu pour me donner des ordres ? Tu n'es qu'une espèce de gamine sans importance... je pourrais te tuer en moins d'une minute, et tu oses me parler ainsi ?

La petite Maeve afficha un grand sourire, ses yeux scintillants de malice.

— Tu peux pas me tuer, d'abord. On peut pas tuer ce qui n'est pas vivant, et je suis la magie ! Tu peux me frapper, me brûler, me noyer et me briser, mais tu ne me tuera jamais, d'abord !

— Oh, tu vas voir si je ne peux pas te tuer, grogna Luck en empoignant la petite fille par le col, la faisant décoller de terre

Sa main serrée s'embrasa soudain, entourant la petite Maeve de flammes écarlates.

— C'est tout ? lança-t-elle, sincèrement étonnée. Je pensais que ça faisait plus mal.

Le jeune homme arma son poing, menaçant, mais sa victime ne montrait aucun signe de peur. Son corps de flammes gelées contrastait étrangement avec celui, humain, de son frère, marquant nettement la limite des deux passés hétérogène, violence et espoir, ce dernier étranglé par le premier qui l'écrasait, l'étouffait et tentait de le réduire à néant.

Mais on ne pouvait tuer la magie. Et elle n'aimait pas que l'on essaye, aussi la petite flammèche d'espoir qu'était cette frêle et minuscule enfant s'éveilla de son long sommeil et s'embrasa, devant tout à coup un incendie gelé. Les flammes s'élevèrent autour d'elle et de Luck, gelant à mi-parcours puis fissurant la glace pour monter plus haut, pour former une tempête de feu et de glace, de cendres et de neige, d'espoir et de peur, d'humanité et de magie.

Et le jeune homme cria, brûlé par la glace, gelé par le feu, terrassé par le réveil de cette magie qu'il avait soigneusement tarie sans parvenir à l'annihiler.

Edaline, cachée dans la pénombre de l'esprit, dissipa les voulûtes sombres autour d'elle, s'approcha du duo incendiaire à pas lents, hébétée par le spectacle brûlant qui se jouait sous ses yeux. Elle tendit la main, effleura l'épaule du jeune homme qu'elle avait créé, et murmura :

— Disparaît.

Le jeune homme s'immobilisa puis s'évapora, redevenant un amas de fumée, de souvenirs et d'émotions. Ne restaient qu'une petite fille entourée de flammes incontrôlables et une adolescente stupéfaite et brûlée à vif. La directrice s'agenouilla devant la petite Maeve, le feu traversant son corps sans le prendre en compte alors qu'elle effaçait sa présence.

— Bonjour, Maeve, souffla-t-elle en effleurant la joue de l'enfant de son pouce

Celle-ci sursauta, la tornade flamboyante redoublant de vitesse et de flammes, puis ralentit lorsqu'elle reconnut l'adulte.

— Maeve a dit que vous étiez gentille, lança la petite fille, mi-accusatrice mi-craintive

— Oui, je sais. J'essaie de l'être le plus souvent possible mais, dans certains cas, la situation doit empirer avant de s'améliorer. Mais c'est fini, maintenant. Tu sais quoi ? Le but général de cet exercice est de me faire quitter son esprit. Mais je me suis rendue compte un peu tard que je ne l'avais pas précisé à Maeve et, de toute façon, elle n'aurait pas réussit. Même dans une école comme celle-ci, emplie d'élèves tous différents, elle dénote. Ça pourrait être un problème si j'ai raison et que cela signifie qu'elle a les démons les plus puissants. Mais... j'ai probablement tort, car sinon elle devrait être en Transe constamment... elle n'est pas encore assez solide, physiquement et mentalement, pour supporter une telle charge, mais alors... ça n'a aucune logique... 

Edaline, qui marmonnait à présent plus pour elle-même que pour la petite fille, releva la tête brusquement.

— À moins que les démons ne soient liés à la magie ! Le fait que tu sois séparée de son corps impliquerait que ses démons sont comme prisonniers à l'intérieur de toi et non d'elle, et par extension de son esprit, mais pas de son corps, et c'est pour ça qu'elle n'est pas entrée en Transe ! Merveilleux, c'est merveilleux, je n'avais pas envisagé cette hypothèse, c'est...

La directrice se figea, son sourire ébahi quittant peu à peu ses lèvres.

— Tu sais quoi ? reprit-t-elle en se tournant vers la petite Maeve. Ça n'a pas d'importance. Enfin, si, ça en a, mais pas pour le moment. Qu'est-ce que je disais ?

— Que Maeve n'était pas pareille que les autres, murmura l'enfant, inquiète quant à l'expression de l'adulte quelques secondes plus tôt

— Ah, oui, merci... bref, j'ai adapté l'exercice, et je voulais que ses pouvoirs se déclenchent, au moins dans son esprit. Tu as utilisé tes flammes. C'est fantastique. Bravo, Maeve, je suis fière de toi. 

Elle tendit la main à la petite fille qui, au lieu de la prendre, se précipita dans ses bras. Edaline sourit et l'enlaça à son tour.

— Elle va bien ? Maeve ? demanda tout à coup la petite en se tortillant pour se dégager de l'étreinte

— Bien sûr. Ses blessures ne sont pas réelles. Mais... elle va m'en vouloir à vie. C'est un risque que j'étais prête à prendre, bien sûr, mais c'est toujours difficile...

— Mais non, l'interrompit fermement l'enfant. Elle va pas vous en vouloir du tout, puisque c'est pas vrai.

L'adulte haussa les épaules et se releva, balayant la scène du regard jusqu'à trouver l'adolescente à genoux, qui se redressait tant bien que mal, une main crispée sur son cou, un filet de sang coulant entre ses doigts. La petite fille accourut vers elle et l'aida à se relever autant qu'elle le put, étant bien trop petite pour aller au bout de son mouvement. La directrice prit le relais, passant le bras libre de Maeve autour de son cou pour la maintenir debout.

— Ne t'en fais pas, murmura-t-elle. Ce n'est pas réel. Dès que tu te réveilleras, ça disparaîtra.

— Je sais, répondit Maeve d'une voix écorchée

— Bien. On y va ?

— J'imagine, oui...

Edaline se tourna une dernière fois vers la petite Maeve, qui lui adressa un grand signe de la main, auquel elle répondit, quoi qu'avec un peu plus de retenue.

— Au revoir, lança-t-elle doucement

J'espère, n'osa-t-elle ajouter

Elle serra l'adolescente contre elle, se concentrant sur le lien intangible qui les liait au monde réel. Elle inspira longuement puis franchit l'espace qui les séparait de leur corps en une fraction de seconde qui lui parut une éternité.

Elle ouvrit enfin les yeux, certaine de croiser ceux de Maeve et de Hailey, qui était probablement restée aux côtés de son amie tout au long du processus, mais ne vit aucun des deux regards.

D'ailleurs, elle ne vit pas non plus les meubles et les bibelots qui traînaient un peu partout dans son bureau.

Il n'y avaient que des flammes.

— LE FEU. EST. RÉEL ! hurlait une voix – appartenant certainement à la personne qui la secouait violemment par les épaules

— Que se passe-t-il ? demanda-t-elle en fouillant la pièce du regard, cherchant de quelconques informations

— COMMENT VOULEZ-VOUS QUE JE LE SACHE ?! continua Hailey, la propriétaire indéniable de la voix – et de la poigne

Le feu, autour d'elles, se rapprochait dangereusement, dévorant le sol boisé et les murs de plâtre.

— Où est Maeve ?

— QUE S'EST-IL PASSÉ DANS SON ESPRIT ?! QU'AVEZ-VOUS FAIT ?! D'OÙ VIENNENT CES FLAMMES ?!

— Calme-toi, Hailey. C'est le pouvoir de Maeve. Tout va bien. Il a dû se déclencher par inadvertance.  Où est-elle ?

L'adolescente, les dents serrées de colère – et probablement de peur – lui désigna rapidement un coin de la pièce, en proie aux flammes les plus ardents de la pièce.

— J'ai essayé de la déplacer mais mais le feu...

— Je sais, la coupa Edaline en se relevant rapidement

La fumée, d'une étrange couleur – blanche et non grise, comme les feux de bois habituels – l'étouffa un instant, mais elle reprit sa respiration malgré l'air toxique qui pénétrait ses poumons. Les mages guérissaient bien plus vite que les humains, et Helena pourrait lui porter secours si jamais elle poussait ses limites trop loin.

— Hailey, lança-t-elle avant de s'engager dans le brasier. Retourne à ton étage, et toque à la porte de Jake Springflame. Il est à quelques chambres de la tienne, à droite, d'accord ?

La jeune fille hocha la tête et quitta le bureau prestement avant de s'enfuir dans les couloirs, laissant Edaline seule avec des flammes bien trop anormales à son goût. Lorsqu'elle s'était éveillée, elles étaient d'un rouge flamboyant, arborant ici et là quelques flammèches dorées, mais elle tournaient à présent au pourpre, parsemé de reflets aux teintes violacées de plus en pus présentes à mesure qu'elle se rapprochait de Maeve. Le brasier, étouffant, entourait ses mollets et brûlaient l'ourlet de sa robe, faisant flotter une odeur de brûlé qui, couplée à celle du bois et des papiers en combustion, rendait l'atmosphère quasiment irrespirable.

La directrice atteignit enfin la jeune fille recroquevillée contre le mur, là où les flammes se faisaient presque violettes – détail qu'Edaline négligea consciemment, préférant trouver un moyen de ne pas finir asphyxiée. Elle tendit la main vers l'épaule de Maeve, qui tressauta et se referma encore davantage sur elle-même.

— Maeve, s'il-te-plaît. Il faut que tu contiennes ton pouvoir. Je t'apprendrais à le contrôler, mais d'abord, il faut que tu parviennes à le désactiver. Tu en es capable : respire profondément, calmes-toi, et désactive-le.

L'adolescente releva enfin la tête. Le visage baigné de larmes qui s'évaporaient instantanément à cause de la chaleur et les mains tremblantes, elle tentait en vain d'étouffer les flammes qui couvraient son corps.

— Je ne peux pas ! cria-t-elle en secouant la tête, la respiration hachée. Je ne... je ne peux pas, répéta-t-elle en enfouissant son visage dans ses mains en feu

Edaline prit ses poignets et les écarta lentement, ignorant la douleur qui lui parcourait les doigts.

— Maeve. La toute première fois que tu es venue ici. C'est Jake qui vous avait emmenées, tu sais ?

L'adolescente hocha la tête rapidement, les yeux baissés.

— Je t'ai donné un sédatif. Et ton organisme... n'a pas beaucoup aimé, comme tu as pu le remarquer. Je pense que tu es à demi entrée en Transe en perdant le contrôle de la conscience. Mais ce n'est pas le sujet... voilà : en connaissant les risques que tu entres en Transe, voire que ce soit douloureux, veux-tu que je te donne un calmant ?

Maeve se crispa et, dans un geste qui tenait plus du réflexe que de l'acte conscient, elle se déroba à la poigne d'Edaline et ramena ses mains contre elle, brûlant la manche droite de l'uniforme de Weswtood.

— Ça... ça arrêterait le feu ? demanda-t-elle d'une voix hésitante

À ces mots, les flammes autour de ses poings redoublèrent d'ardeur – et de reflets, dont l'ensemble des flammes prenait peu à peu la teinte mauve – et la directrice hocha la tête.

— Tu ne peux pas déclencher tes pouvoirs si tu es inconsciente.

— Par ici ! cria quelqu'un à l'extérieur. Dépêche-toi !

La porte s'ouvrit dans un grand fracas, laissant entrevoir Hailey, talonnée par un Jake aux cheveux plus qu'ébouriffés et au pyjama froissé. En les voyant, Maeve sursauta violemment et, tout aussi soudainement, tout s'arrêta.

L'incendie, qui brûlait pourtant sans paraître à court de combustible ou d'espace, stoppa net, retenu par un voile leu pervenche qui recouvrait tout, le sol, les murs, le plafond, le feu et les jambes des personnes présentes, qui eurent le réflexe de secouer leurs membres pour se débarrasser de la glace qui, sinon, les aurait recouvert.

Maeve, de tous la plus gelée et, de fait, la plus grelottante, n'avait pas esquissé le moindre mouvement. Les genoux remontés contre sa poitrine et les bras serrés autour, elle frissonnait alors que le verglas était apparu quelques minuscules secondes auparavant, bloquant les flammes dans leur danse infernale.

Flammes qui se brisèrent en un millier d'éclats qui tombèrent au sol dans un bruit de sable s'écoulant dans le désert, et il ne resta plus que la fine pellicule de glace qui couvrait chaque objet telle une couche de peinture translucide, colorant la pièce d'une douce teinte lilas.

— Maeve... souffla Edaline, le nom formant un nuage blanc dans l'air devant elle

L'intéressée releva la tête timidement, tremblante, et détailla le tableau sans avoir l'air surprise.

— Je suis désolée, dit-elle d'une voix enrouée par le feu puis le brusque changement de température. C'est déjà arrivé mais... pas autant... je vous promet de faire plus attention ! s'écria-t-elle alors plus fort. Ça ne se reproduira pas ! Je... je ferais tout ce que je peux pour...

— Tout va bien, l'interrompit Edaline, coupant court au discours, qui se serait à coup sûr soldé par des pleurs et une peur irrationnel d'un renvoi de Westwood. Je vais t'aider à maîtriser tes pouvoirs. Mais tu ne peux nier que j'avais raison, ajouta-t-elle avec un sourire

Elle attendit que la jeune fille crois son regard pour achever :

— Tu ne peux pas me dire que tu ne possèdes pas de magie. Imagine ce que tu pourras faire lorsque tu la contrôlera ! C'est déjà fantastique que tu aies réussit à arrêter le feu.

— Je n'ai pas fait exprès, marmonna Maeve d'une voix étouffée par la manche de sa chemise

— Ça ne fait rien. C'est un excellent début.

L'adolescente ferma les yeux quelques secondes puis, après une longue inspiration troublée de cendres et d'une toux inopportune, releva la tête avec un sourire timide. Elle remarqua enfin les cendres au sol, les papiers brûlés, les murs noircis là où les flammes les avaient touchés et les deux adolescents patientant derrière Edaline, dont un jeune homme quelque peu débraillé qui la fixait intensément, le tout recouvert d'une fine couce de glace. Elle détourna rapidement le regard et tenta de se relever tout aussi vite mais un craquement sourd résonna dans sa jame et elle s'effondra dans un hurlement étouffé.

— Et si nous allions à l'infirmerie ? proposa la directrice en tendant une main à Maeve pour l'aider à se relever sans prendre appui sur son membre blessé

— Je sens que je vais y passer des journées entières... grommela la jeune fille en acceptant à contrecoeur l'aide de l'adulte

Helena, les mains planant dans l'air devant ses patients, fulminait.

"Edaline..." avait-elle lancé sur un ton de reproche lorsque la directrice et les trois adolescents avaient passé le pas de la porte.

"Non, c'est de ma faute." avait murmuré Maeve, le regard rivé vers le carrelage et l'empreinte de pas qu'elle avait laissée, curieux mélange de brûlé et de glace

L'infirmière les avait alors tous jaués du regard puis avait soupiré en secouant la tête et leur avait demandé de patienter là afin qu'elle rassemble son matériel. Edaline avait installé Maeve sur un des lits de camp malgré ses failes protestations avant de s'écrouler à son tour, entourant les épaules de l'adolescente d'un bras protecteur.

"Tout se passera bien.", répétait-elle en jetant des regards inquiets à son élèves, espérant visiblement qu'elle finirait par y croire. "Je te promet que tout ira bien."

En vérité, elle n'avait pas voulu dire que les choses se dérouleraient comme prévu, sans intervention de sa part, mais qu'elle ferait en sorte de tous les ramener sains et sauf de la vague d'ennuis qui ne tarderait pas à s'abattre sur eux.

Puis Helena était revenue, les bras chargés de baumes, d'élixirs, de désinfectant et de bandes de gaze – et les veines frémissantes de magie curative. À présent, elle traçait des symboles dans l'air, qui suivaient toujours plus ou moins le même schéma : un cercle entourant un signe. Plusieurs revenaient sans cesse ; les deux losanges entrecroisés, le triangle parcouru de lignes dans toute sa longueur et le carré divisé par une croix nette. 

Edaline, immobile, les yeux mi-clos, savourait le calme soudain que lui procurait la magie de celle qui avait été sa professeure, sa conseillère, son amie. Celle qui l'avait épaulée durant cette vie qui lui avait semblé durer une éternité.

Heureusement que l'éternité est infinie, dans ce cas, songea la directrice avec un sourire

Hailey, encore sous le choc des flammes puis du verglas, gardait le regard dans le vague, en proie à des milliers de pensées et de théories qu'Edaline aurait souhaité connaître mais qui, à la réflexion, lui donneraient une migraine épouvantable.

Jake, lui, ne semblait pas comprendre l'ampleur de la situation, croyant probablement que les pouvoirs de Maeve lui avait échappé mais qu'elle avait volontairement et consciemment arrêté l'incendie avec le gel. Ce qui, bien entendu, n'était pas le cas – pas pour le moment, même si l'avancée était majeure.

Il restait donc immobile, scrutant les visages fermés de Hailey et Maeve.

Cette dernière, justement, semblait la plus agitée de tous, les mains parcourues de tremblements – à défaut de se tordre les doigts, étant donné que la directrice l'en avait empêchée, bloquant ses mains dans les siennes dans un geste doux mais ferme, comme le reste de sa personnalité.

"Je suis désolée, j'aurais dû savoir, c'est de ma faute, j'aurais dû y penser, je suis désolée..." murmurait-elle en boucle, les yeux fermés pour empêcher les larmes de couler

— Bien... soupira Helena. Vous avez mis vos poumons dans de sacrés états, mais c'est réparé. Cependant... je vous demanderais d'avaler ça demain, vous voulez bien ? ajouta-t-elle en leur tendant chacun un flacon contenant un liquide tourbillonant. Vous pouvez retourner à vos occupations. Sauf toi, Maeve. Je dois encore m'occuper de ta jambe.

Les patients hochèrent la tête et saisirent le remède sans dire un mot. Parfois, dire ce que tout le monde savait était de trop – même si le cas de Jake ne s'appliquait pas, étant simplement trop respectueux – ou trop endormi – pour dire quoi que ce soit.

Il quitta la salle après avoir reçu l'approbation de Helena, repartant probablement dormir, et Hailey le suivit avec un soupir. Arrivée à la porte, elle se retourna, hésitant à ajouter quelque chose.

— Maeve... commença-t-elle

Remarquant l'état d'hébétude de son amie, elle abandonna l'idée de lui faire la converastion et son regard vrilla celui de la directrice, qui lui sourit sans attendre que l'adolescente en fasse de même – ce qui n'arriva effectivement pas.

— Dites-lui que si elle a besoin d'aide, je suis là, dit-elle simplement avant d'ajouter : s'il-vous-plaît.

Edaline hocha la tête, l'air fatigué, les doigts de Maeve se démenant pour se rejoindre et se briser entre eux. Contrôler la douleur. Casser phalange après phalange pour sentir le mal se répendre en elle en sachant qu'elle pouvait l'arrêter dès qu'elle le souhaitait. Ce qui n'arrivait pas, étant trop effrayée pour donner satisfaction à son bourreau, pour lui donner la permission de se charger lui-même de répandre le sang.

— Je me déteste, souffla la jeune fille en cessant de lutter contre Edaline, contre elle-même, contre le monde. Je me déteste, répéta-t-elle comme pour s'assurer de ses mots. Je me déteste, acheva-t-elle d'un ton plus certain, plus déterminé

— Non, Maeve. Ce n'est pas toi que tu détestes. C'est ça, dit la directrice en désignant le haut de la manche de sa chemise, à l'endroit où se trouvait l'une de ses déchirures. Ça, ajouta l'adulte en pointant son cou, là où une brûlure ravivée par les flammes précédentes colorait sa peau en rouge. Ça, continua-t-elle en effleurant l'espace au-dessus de sa hanche, où une deuxième blessure transparaissait sous le fin tissu de sa chemise. Et ça, conclut Edaline en posant son index contre ses côtes, juste au-dessus de son coeur.

Maeve frémit, repoussa la directrice et fit mine de se recroqueviller sur elle-même avant de laisser tomber l'idée lorsque sa jambe abîmée la rappela à l'ordre.

— J'ai raison , n'est-ce pas ? murmura Edaline en laissant planer sa main au-dessus de l'épaule de Maeve, ne sachant trop comment réconforter l'adolescente. Ce n'est pas toi que tu détestes, ce sont toutes ces cicatrices, c'est le feu, c'est ta magie quand tu ne parviens pas à la contenir. C'est Luck, même si tu ne te l'avoues pas encore, ajouta-t-elle d'une voix douce en posant ses doigts près de sa brûlure au cou

La jeune fille secoua la tête – signe de dénégation ou geste pour subtilement chasser ses larmes, la directrice ne put le deviner. Elle remarqua, en revanche, que Maeve ne se dégageait pas, et sourit. Elle restèrent ainsi un long moment sans que leur regard ne se croise, le silence seulement troublé par Helena, qui avait visiblement du mal à trouver quelque matériel.

Finalement, l'infirmière revint, apportant avec elle cinq nouvelles fioles, des bandes de tissu immaculées ainsi qu'un short, qu'elle tendit à Maeve.

— Sinon, je ne pourrais pas voir ta blessure, sourit-elle lorsque l'adolescente se saisit du vêtement

Edaline appliqua une pression réconfortante sur son épaule puis s'éloigna, tirant derrière elle le rideau qui permettait de séparer les lits de camp. Maeve se changea hâtivement, ses mains tremblantes à l'idée de montrer tant de peau. Car pour elle, peau était synonyme de cicatrices, or elle détestait le regard que les autres posaient sur elle quand ils remarquaient les marquent. 

Parfois, de la compassion. Comme s'ils comprenaient, songeait alors la jeune fille amèrement.

Souvent, de la pitié. Je n'en ai pas besoin, sifflait-t-elle en serrant les dents.

Quelques fois, du dégoût. Je sais, soupirait-elle en pensée.

Quel serait celui de la directrice ? De Helena ? Elles qui étaient si gentilles, le resteraient-elles à la vue de son corps déchiqueté ?

Prise d'une rage soudaine et d'une certaine témérité, Maeve écarta le rideau, exposant nombre de courbes rougeâtres, qui ne manquèrent pas d'attirer le regard des deux adultes. Edaline, figée, suivait le chemin sanglant que formaient les blessures. Helena, elle, inclina la tête, comme pour voir la situation sous un autre angle.

— As-tu déjà essayé de mettre un onguent dessus ? Et peut-être... elles sont vieilles, donc elles ne partiraient pas complètement, mais avec l'élixir approprié...

— Je suis certaine qu'il y a un moyen, la coupa Edaline doucement, mais ne serait-il pas plus judicieux de commencer par son genou ? demanda-t-elle en désignant son articulation violacée

L'infirmière hocha la tête, s'empara d'un pot au contenu bleuâtre et intima à l'adolescente de se rasseoir – ce qu'elle fit aussitôt, sa jambe l'élançant davantage qu'elle ne l'aurait cru.

Pendant que Helena examinait sa blessure et effleura la peau alentour, Edaline se réinstalla à côté de Maeve, incapable de détacher son regard des nombreuses entailles qu'elle portait.

— Elles te font encore mal ? demanda la directrice sans avoir besoin de préciser de quoi elle parlait

Maeve, se souvenant de tout ce qu'avait entraîné sa réponse lorsque Hailey lui avait posé la même question, se contenta de secouer la tête. Edaline avança alors sa main vers un enchevêtrement de cicatrices particulièrement nombreuses, juste en-dessous de l'articulation de son genou. À mieux y regarder, l'autre, que Helena recouvrait de son baume bleu, arborait le même fouillis de balafres.

— Je peux ? murmura l'adulte en approchant encore ses doigts

L'adolescente haussa les épaules, mais détourna le regard lorsque la main de la directrice entra en contact avec sa peau couturée de rouge. Elle suivit les courbes emmêlées avec attention, des dizaines de questions trottant dans son esprit.

Pourquoi en as-tu autant au même endroit ?

Comment ont-elle été faites ?

Pourquoi ne m'en as-tu pas parlé auparavant ?

Pourquoi n'as-tu pas demandé mon aide ?

Quand a-t-il levé la main sur toi pour la première fois ?

Pourquoi ?

Pourquoi tes parents n'ont pas réagit ?

Pourquoi tu n'as pas demandé d'aide à qui que ce soit ?

Edaline sursauta quand ses doigts butèrent sur une cicatrices qui, contrairement aux autres, paraissait relativement neuve. La directrice cligna des yeux et fronça les sourcils. Si elle n'avait pas remarqué la différence avec les blessures les plus ancienne, celle-ci différait nettement de celles qui s'étendaient sur la peau de ses bras.

— Maeve, lança-t-elle brusquement en agrippant le coude de la jeune fille. Comment ont-elles été faites ?

— Je... mais... 

— Réponds-moi !

L'adolescente déglutit difficilement, évitant le regard perçant de la directrice, qui ne semblait pas près de la lâcher.

— Je... je me me souviens plus, bredouilla-t-elle donc, quelque peu honteuse de son mensonge

— C'est faux. Ne me force pas à aller chercher le souvenir directement dans ton esprit, Maeve.

Surtout que je n'en suis techniquement pas capable...

Maeve baissa les yeux, haussa les épaules puis, après une longue hésitation, lui répondit :

— C'est que... ce n'est pas lui qui... ce n'est pas directement lui qui les a faites, c'est simplement que... quand...

Edaline ferma les yeux, d'une part pour amortir le choc, et d'autre part pour connecter son esprit à celui de Maeve et lui faciliter ainsi la tâche en prévoyant ce qu'elle allait dire.

— Quand il brise tes os, acheva-t-elle donc d'une voix étranglée

— Oui... des fois, il n'arrive pas à faire que la brisure soit nette alors... parfois... 

La directrice fut prise d'un haut-le-coeur en réalisant ce que son élève tentait de lui faire comprendre sans mettre les mots dessus.

"Il n'arrive pas à faire que la brisure soit nette."

Maeve... ne comprends-tu pas qu'il le faisait exprès ? Ou souhaites-tu simplement forcer ton esprit à y croire ?

— Mais ce n'est pas le sujet, déclara l'adolescene rapidement, ses doigts entremêlés dans un douloureux noeud. Je dois vous dire quelque chose. Mais ça ne va pas vous plaire.

Edaline rouvrit les yeux, mi-curieuse mi-inquiète, mais elle se rassura en constatant le léger sourire sur les lèvres de Maeve.

— Vous avez perdu votre pari.

Hahahahaha ! Alors ? 

Pour excuser mon retard grandissant, voici un looong chapitre (on est à 5767 mots, quand même, contre 1500 pour la plupart des autres chapitres).

Bien !

Pensez-vous que Maeve aie vraiment réussit à bloquer son esprit ?

Peut-être, peut-être pas, qui sait ? Moi. Oui, moi, je sais.

Indice : PEUT-ÊTRE. Désolée. C'était trop tentant.

J'avais oublié de vous demander, mais que pensez-vous des "déchirure de Maeve" ?

Oh, au fait, est-ce que le sous-entendu était assez sur-entendu, à propos des blessure de son genou ? J'ai essayé de faire au mieux sans dire complètement mais si c'est pas compréhensible ça ne sert strictement à rien !

...

À bientôt !

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