Chapitre 32 - Elle

17 septembre erreur impossible de définir une unité temporelle précise.

Les échecs. Le jeu de stratégie le plus prise au monde – que ce soit celui de Laena ou des terriens.

Elle ne faisait pas exception à la règle, enivrée par l'agencement des pions, les feintes et les règles qui, parfois, étaient assez troubles pour ne pas se déclarer tricheur.

C'était justement devant un plateau quadrillé qu'elle se tenait, le menton posé sur ses mains jointes et un sourire triomphant sur les lèvres.

Elle chassa une mèche sombre de devant ses yeux, puis saisit la reine blanche pour la placer au centre du plateau. Les autres pièces attendaient sagement sur les bords, mais prendraient bientôt place dans son plan.

Elle avait toujours joué avec les pions noirs – entre autres car sa sœur choisissait systématiquement les blancs – et les affectionnait tout particulièrement. Tout ce qui était sombre représentait généralement le mal, la douleur, le danger, la peur, alors que les couleurs vives étaient pures et faciles à comprendre. Les choses qui se cachaient dans l'ombres n'étaient pas les plus amicales, non, mais elles était fascinantes. Mais elle ne voulait pas être trouble, une simple ombre dans la nuit, elle voulait être la reine de cette partie et, pour que ce soit le cas, il lui fallait être lucide.

Elle s'était donc nommée reine blanche de la partie, et laissait planer sa main au-dessus des autres pièces.

Elle saisit le roi blanc et le déposa dans le coin supérieur droit du damier. Kent. Il avait beau être le pire de tous, il exerçait une certaine influence, et les gens influents pouvaient s'avérer utile du jour au lendemain.

Les huit pions blancs prirent place aux côtés du roi. Ses sbires n'étaient pas négligeables, bien qu'inconscients de ce qu'ils faisaient.

De l'autre côté du plateau, face aux soldats de Kent, les pions noirs. Les élèves de Westwood.

Du moins, ceux qui ne méritaient pas d'autre place que celle de pions. En revanche...

Aerin, un cavalier. Elle était aussi fidèle à sa directrice que puissante. Dangereuse si elle décidait de ne pas se rallier à elle.

Claire, un fou. Celle-ci lui avait déjà juré fidélité quelques années auparavant, mais avait tendance à ajouter son grain de sel dans les plans. Comme celui qui consistait à enrôler Maeve dans leur camp.

— Maeve... tu ne te souviens pas de moi, n'est-ce pas ? Tu étais trop petite... et à peine consciente, murmura-t-elle en effleurant le plateau. Espérons que tu sois plus forte à présent.

Maeve... une tour. Un élément majeur ou un cadavre inutile, selon les évènements à venir.

Il y avait aussi cette autre fille... Hailey. Mais elle n'en savait pas assez pour connaître sa place au sein de cette partie.

Luck, un autre fou. Il était... aussi imprévisible que Claire, deux fois plus violent et moitié moins perspicace.

Elle hésita un long moment, ses doigts oscillant entre le deuxième fou noir ou l'un des blancs.

Elle opta pour une des pièces claires, se rappelant que Luck ne pouvait en aucun cas être dans le camp de Maeve, et le plaça sur une case blanche encore inutilisée.

Ensuite...

Elle observa les pièces qu'ils lui restaient. Un fou, les cavaliers et les tours blancs. Le roi, la reine, un fou, un cavalier et une tour noirs.

— Oh j'allais presque t'oublier... souffla-t-elle en saisissant la reine noire pour la placer devant les pions, rassemblés sur deux lignes à la bordure du plateau. Edaline... j'ai attendu de te revoir pendant des années, tu sais ? Le moment est enfin venu. Bientôt. Je te le promet.

Elle sourit et prit un pion dans les deux camps pour les poser à côté de la reine noire, trônant au centre de l'échiquier. Ses espions, dispersés dans les deux mondes. Elle avait ainsi des yeux et des oreilles partout, précaution bien utile pour choisir avec qui s'allier et qui trahir.

Les pièces restantes se mettraient en place au fur et à mesure, mais pour le moment, tout était encore incertain. Trop pour qu'elle choisisse son camp. Elle avait une certaine préférence pour Westwood, ou plutôt une aversion pour Kent, mais elle avait comme principe de toujours se ranger du côté des vainqueurs.

— Je ne perdrais plus jamais. Ça fait trop mal.

Elle gardait encore les stigmates de ses dernières défaites, aussi bien physiques que mentales.

Les cicatrices qui couraient sur sa peau, entrelacs rose pâle ou rouge vif selon la manière dont elles avaient été faites, lui rappelaient cruellement à quel point elle avait perdu. Et comment les perdants étaient considérés.

Une larme vint s'écraser sur une case noire encore vide, suivie d'un rire secoué de sanglots.

— Je ne perdrais pas ! cria-t-elle, les mains tremblantes, ses yeux bleus troublés par la peur qui l'étreignait

Elle essuya ses joues d'un geste rageur et prit plusieurs grandes inspirations pour se calmer.

Non, je ne perdrais pas.

Elle se reconcentra sur les échecs, tentant de connaître l'issue de la partie au travers des quelques pièces disposées sur le cadrillage. Mais tant que toutes les pièces ne seraient pas en place, impossible de le savoir.

Elle replaça le fou blanc, qui dépassait de sa case. Lui était sur une case blanche – tout comme le roi et les pions clairs – étant donné que les cases blanches étaient Laena. Pour le moment, ils y étaient encore. Les élèves et la directrice de Westwood, eux, occupaient les cases noires. Le monde humain. Il n'y avait qu'elle, la reine posé sur l'embranchement des cases blanches et noires, qui se trouvait quelque part entre les deux.

A vrai dire, elle était plus ou moins bloquée là, en suspension entre les mondes. Supposant a raison que l'endroit était un havre mental, elle y avait créé une pièce qui lui permettait de ne pas être sans cesse happée par Laena ou la Terre. Elle en sortait parfois, pour apercevoir son monde s'épanouir, ou un autre se mouvoir. L'un des Passages donnait sur une place mal éclairée et à présent recouverte de neige immaculée, bien que septembre ne comptât pas parmi les mois hivernaux. L'autre offrait une vue sur une forêt dense aux arbres encore vêtus de leurs feuilles, d'un vert vif. Une fois, elle avait vu des gens apparaître dans cette forêt ; elle avait reconnu Claire, bien sûr, et celle-ci lui avait appris plus tard que la jeune fille aux cheveux noirs était Hailey et que l'autre n'était autre que Maeve, bien plus grande que dans son souvenir. Mais tout aussi fragile, malheureusement.

Elle n'avait pas vu les trois adolescentes passer dans cet espace étrange, entre les deux mondes, étant donné que la traversée ne prenait qu'une fraction de seconde.

— Hailey... qui es-tu ? Qui deviendras-tu ? Non, la vrai question, c'est plutôt... pourrais-tu m'être utile ?

L'adolescente ne lui avait pas répondu et, en tout logique, elle avait cessé de s'adresser à des gens qui ne pouvaient pas l'entendre.

Prise d'une soudaine envie de voir l'extérieur, elle ouvrit précautionneusement la porte de sa pièce psychique et sortit dans l'étendue infinie qui séparait les deux mondes. A sa gauche, Laena : le Passage luisait d'une douce lueur verte, projetant un filtre coloré sur la neige et les pavés glacés. A sa droite, la Terre : cette fois, pas de lumière indiquant le Passage, rien que la forêt luxuriante. Entre les deux, un étroit couloir baigné d'une aura grisâtre et plongé dans un épais brouillard. Ils s'étendait à l'infini mais au bout d'un certain point, la brume devenait si opaque qu'elle en semblait tangible. Elle avait donc renoncé à apercevoir une quelconque fin.

Une fois, elle avait vu quelque chose – ou quelqu'un – rôder dans les tréfonds du couloir. Elle avait songé à le poursuivre, pour enfin parler à un être vivant, mais avait eu trop peur pour s'approcher plus que de raison.

« Qui est là ? » avait-elle demandé timidement

Personne n'avait répondu, et l'ombre avait disparu pour ne plus jamais réapparaître, emportant avec elle les vestiges de son impression de sécurité.

Bạn đang đọc truyện trên: AzTruyen.Top