Chapitre 30 - Edaline

17 septembre, 9:37 am

Levée depuis plusieurs heures déjà et parfaitement réveillée à partir du moment où elle avait ouvert les yeux, la directrice de Westwood réfléchissait.

Encore, encore et encore.

Elle avait convoqué trois élèves faisant partie de l'Élite de Westwood – composée d'une vingtaine d'étudiants au total, tous plus doués les uns que les autres pour contrôler pouvoirs, capacités et démons – et les dévisageait un à un, tentant de percer leurs barrières mentales.

Tous trois étaient des élèves de onzième année, et exécutaient le test qui leur permettrait d'intégrer l'équipe de recherche,s' ils le réussissaient, étant donné que ses six membres actuels peinaient à suivre le rythme des nombreuses informations qui leur parvenaient.

Les temps changeaient, pour le mieux comme pour le pire. Ils devraient affronter leur monde d'origine, bien sûr, mais également eux-mêmes. Leurs démons. Leurs souvenirs.

La directrice prit de l'élan, ou du moins imagina son esprit le faire, puis s'élança contre les trois murailles mentales, divisant son énergie psychique afin d'attaquer sur tous les fronts. Ces élèves étaient puissants, certes, puisqu'ils faisaient partie de l'Élite, mais ils n'étaient pas encore assez entraînés pour résister à seize ans de travail acharné. Ils le seraient sans doute un jour, mais elle continuerait de s'entraîner, elle aussi. Jusqu'à la fin.

— Pourquoi c'est si compliqué...? gnogna un des garçons, les sourcils froncés par la concentration et les poings crispés sur le bord du bureau

— Parce que vous faites partie de l'Élite, répondit simplement Edaline, qui ne montrait aucun signe de difficulté

Pour intégrer ce niveau, il fallait résister à ses assauts cérébraux à soixante pourcents de sa force, ainsi que maîtriser les capacités au point de s'en servir naturellement. Elle vérifiait ce point en proposant à l'élève un duel – généralement, ils acceptaient avec un grand sourire – et s'il se servait autant de ses pouvoirs que de ses capacités, alors il était en mesure d'intégrer l'Élite, qui bénéficiait de cours plus avancés et d'entraînements bien plus difficiles. Une fois à ce niveau, certains élèves pouvaient rejoindre la petite équipe se chargeant des recherches sur les démons. Et c'était précisément ce que venaient faire ces trois élèves.

Malheureusement, il fallait remplir certaines coches pour décrocher le poste, et deux d'entre eux paraissaient déjà épuisés alors qu'elle n'avait déployé que quarante pourcents. Ils ne tiendraient pas jusqu'au bout – le bout étant soixante-cinq pourcents, et la preuve que leurs défenses n'avaient pas bougé d'un millimètre.

— Terminé, déclara soudain une des élèves en se redressant brusquement

Edaline cligna des yeux rapidement, surprise. Arwen avait beau être talentueuse, elle n'aurait pas dû être capable de repousser une offensive mentale, juste de l'éviter. Pourtant, elle y était parvenue, à diverses reprises.

— Tu t'es entraînée... souffla la directrice, impressionnée. Et pas qu'un peu.

La jeune fille hocha la tête, un grand sourire sur les lèvres.

— Quelqu'un ma donné des conseils, révéla-t-elle avec un air conspirateur

— Puis-je savoir de qui il s'agit ?

Arwen hésita puis secoua la tête.

— Elle ne voudrait pas. Désolée.

— Ce n'est rien... merci, Arwen. Je vais discuter avec Aerin. Je ne sais pas si elle voudra te laisser intégrer l'équipe, au vu de ton âge.

L'adolescente lui adressa un dernier sourire puis quitta le bureau, la laissant avec les deux élèves restants. Deux garçons qu'elle connaissait pour les avoir maintes fois empêchés de taguer les murs de l'école à l'aide de leurs pouvoirs et qui, apparemment, ne s'étaient pratiquement pas entraînés depuis leur admission dans l'Élite, considérant probablement la chose comme acquise.

— Vous deux... vos défenses sont trop faibles. Beaucoup trop faibles. Voyez ça comme un mur, d'accord ? Il faut qu'il soit haut, épais et solide. Le votre est à peine assez gros pour empêcher vos pensées de virevolter. Entraînez-vous puis revenez. En attendant, vous ne pouvez pas prétendre faire partie de l'Élite. Vous savez que vous en êtes capables, mais il faut me le prouver, maintenant.

Les adolescents se concertèrent du regard puis soupirèrent et lui tendirent les insignes argentés qui indiquait leur appartenance à l'Élite. Elle referma ses doigts dessus et les glissèrent dans un des tiroirs de son bureau, aux côtés des quelques pendentifs de secours qu'elle avait. Les tagueurs quittèrent la pièce, penauds, et Edaline se laissa couler dans son siège, exténuée. Ils n'avaient pas assez de temps. Il fallait que l'équipe de recherche trouve comment se servir des démons à leur guise. Il fallait qu'elle trouve le moyen de rencontrer cette mystérieuse femme pour qui travaillaient nombre de ses élèves. Il fallait qu'elle s'occupe de ses nouvelles élèves, qu'elle parle à Hailey, qu'elle empêche Claire d'assassiner Maeve et que celle-ci apprenne à faire confiance aux personnes qui le méritaient.

Et il fallait...

Non. Une chose à la fois, se reprit la directrice

Elle porta la main à son cou et effleura la chaîne de son pendentif. Il était orné de deux breloques : la pierre permettant de la prévenir lorsque ses démons se faisaient plus agités, qui scintillait présentement d'un bleu vif, ainsi qu'un enchevêtrement de courbes métalliques en or irisé de rose pâle formant un lys et un coquelicot aux tiges entrelacées. Sa mère le lui avait donné avant qu'elle aille à Hansaï, avant qu'elle ne se fasse posséder, avant que sa sœur jumelle ne disparaisse soudainement et qu'on la tienne pour responsable de l'enlèvement.

— Je n'aurais jamais fait le moindre mal à Kiera, murmura-t-elle en serrant son collier entre ses doigts. Je ne lui aurais jamais rien fait, comment avez-vous pu croire que c'était moi ?

La directrice patienta longtemps, espérant sans doute une réponse céleste qui, selon toute évidence, ne vint pas. L'adulte soupira, lissa les plis de sa robe bleu nuit et s'apprêtait à quitter son bureau et à aller à la rencontre d'Aerin lorsqu'elle remarqua un morceau de papier plié glissé sous sa porte. Perdue dans ses pensées, elle ne l'avait pas vu jusqu'alors.

Elle fit mine de le ramasser mais ses doigts s'immobilisèrent a quelques centimètres du papier. Il n'était pas rare qu'elle trouve des missives dans son bureau – déposées par d'autres professeurs ou par des élèves qui lui en voulaient toujours terriblement a cause de l'exercice mais qui avait besoin de son aide ou de son aval pour certains projets. Généralement, elle était contente de recevoir des mots d'élèves qui, a défaut de lui pardonner, lui faisaient assez confiance pour la laisser les aider.

Seulement, ce papier-là ne venait pas de Westwood.

Ce n'était qu'un coin de page arraché, une page de livre, comme l'indiquait le numéro inscrit en bas. Une ligne faisant partie du roman avait été déchirée en même temps : "𝚎𝚕𝚕𝚎 𝚗𝚎 𝚌𝚘𝚖𝚙𝚛𝚒𝚝 𝚚𝚞𝚎 𝚝𝚛𝚘𝚙 𝚝𝚊𝚛𝚍 𝚎𝚝 𝚗𝚎". La fin et le début de la phrase lui étaient inconnus, probablement encore encrés dans le livre auquel appartenait la page.

La directrice de décida a déplier la note et retint un hoquet de surprise. Elle reconnaissait l'écriture. Elle avait déjà vu ces lettres rondes, comme repliées sur elles-mêmes. Pourtant, elle ne parvenait pas a se rappeler qui écrivait ainsi.

"Bonjour, Edaline. Ça fait longtemps.
K.E."

— Qu'est-ce que...? souffla-t-elle en retournant le papier dans tous les sens

Rien d'autre. Cinq mots et un acronyme.
Edaline sortit de son bureau et tourna sur elle-même pour apercevoir qui que ce soit dans le couloir désespérément vide. Quiconque avait déposé le message était parti depuis longtemps.

Ou se cachait.

Ou était invisible.

— Claire ? appela-t-elle en espérant qu'elle réponde autant qu'elle ne le fasse pas

Aucun son ne troubla le calme surnaturel du couloir, et Edaline rangea le papier dans sa poche après avoir lu le message une dernière fois.

K.E.

Il y avait au moins six élèves a Westwood qui correspondaient, mais elle était certaine qu'il ne s'agissait pas d'un étudiant. La lettre, bien que dépourvue de véritable message, lui envoyait des vagues de menace, de danger imminent.

K.E., qui es-tu ?

Elle ne pouvait même pas être sûre que ce soit un nom. Cela pouvaient être l'acronyme d'un lieu, ou... de n'importe quoi.

Elle.

Et si K.E. était cette "elle" pour qui certains élèves travaillaient ? Aucun d'entre eux ne lui avait jamais communiqué son nom, pour la simple et bonne raison qu'ils ne le connaissaient pas.

Elle était prudente. Très prudente. Trop pour qu'elle puisse espérer la retrouver, du moins pas sans qu'elle ne soit d'accord.

Et peut-être l'était-elle. Peut-être souhaitait-elle la rencontrer.

"Ça fait longtemps."

S'étaient-elles déjà vues auparavant ?

Possible.

Toujours était-il qu'elle connaissait sa position, et savait se repérer dans l'école. Sauf si elle avait demandé a un de ses espions de le faire. Tout était possible, mais rien ne lui semblait logique.

Dans un élan de nervosité, Edaline éclata de rire, forçant ses muscles a se détendre.

— K.E... viens donc me trouver ! lança-t-elle dans le vide

Loin, très loin, quelqu'un le lui promit.

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