Chapitre 20 - Hailey
— Bien. Détends-toi.
Après leur étreinte, qui avait été plus longue qu'elle ne voulait bien l'admettre, Hailey avait suivit Mme Embershadow jusqu'à une grande pièce circulaire cachée dans la bibliothèque, et elles se tenait prête à commencer l'exercice dont la directrice lui avait parlé.
— Respire profondément, et concentre-toi sur ma voix, reprit l'adulte
Hailey inspira lentement et relâcha ses muscles. Un feu brûlait dans l'âtre, à sa gauche, et une douce chaleur se répandait sur sa peau. Le souvenir de Maeve lui revint mais elle l'écarta rapidement. il lui serait impossible de se détendre avec ce genre de réminescences.
— Je vais me rendre dans ton esprit, et tu vas devoir me forcer à en sortir. D'accord ?
L'adolescente hocha la tête et se concentra. Un sourire se dessina sur ses lèvres quand elle sentit la présence de Mme Embershadow dans sa tête. Elle ne cherchait visiblement pas à se cacher et l'attendait dans le hall d'entrée de son esprit, entourée des portes et, plus près, des pensées de Hailey.
Les yeux de la jeune fille devinrent vitreux alors qu'elle se déconnectait du monde réel pour se rendre dans son propre esprit, comme elle l'avait fait tant de fois auparavant. Il lui suffisait de suivre le même protocole qu'elle usait pour visiter les esprits d'autre gens, mais sur elle-même. C'était d'ailleurs bien plus simples que pour les personnes extérieures, et elle se retrouva rapidement face à la directrice, dont la silhouette avait prit forme humaine, à ceci près que son corps était composé de milliards de minuscules éclairs.
— C'est votre pouvoir, n'est-ce pas ? L'électricité ? demanda Hailey, se souvenant de chaque personne qu'elle avait sondée
À chaque fois, la représentation mentale d'une personne était basée sur ses pouvoirs. Constituée d'eux.
Il lui sembla qu'une ombre passait quelque part dans les éclairs mais se reconcentra vite sur l'exercice à venir. Il ne s'agissait probablement que de son imagination.
— Oui, c'est ça, confirma la directrice en hochant la tête
— Et le deuxième ? Est-ce que c'est un complémentaire ou un inverse ? Non, attendez, laissez-moi deviner... si c'est un complémentaire, alors ce serait peut-être... un champ de force ? Et si c'est un inverse, le contrôle de la terre. Puisque c'est un isolant. Ou du bois.
Mme Embershadow sourit et posa sa main sur la tête de Hailey, qui baissa les yeux sur sa propre représentation. Comme à son habitude, elle était composée de lignes entremêlées, multicolores. Un ensemble hypnotisant.
— Tu as raison. Bravo. Ce sont les champs de force. Tu... c'est rare que quelqu'un puisse deviner. C'est impressionnant.
— Merci ! répondit Hailey, tout sourire
— Bien... à présent, tu ne dois pas détourner ton attention. Ton but est de me faire sortir de ton esprit, d'accord ? Je vais tout faire pour que tu n'y arrives pas, et l'exercice ne prendra fin que dans deux cas : si tu réussit ou si tu abandonnes. Compris ?
L'adolescente hocha la tête rapidement, remontée à bloc. Elle réussirait, coûte aue coûte.
Elle s'apprêtait à projeter une vague d'énergie vers la directrice quand celle-ci disparut. Hailey se retourna vivement, vérifiant de tous les côtés, en haut en bas, mais nulle trace de la directrice.
C'est mon esprit, se rappela-t-elle. Je peux tout contrôler.
La pensée résonna dans le hall et un rire retentit à sa suite.
— Tout, vraiment ? la charria la voix de Mme Embershadow. Alors pourquoi ai-je réussit à disparaître ?
Sourde à la provocation, elle plissa les yeux et imagina qu'il pleuvait soudain de l'eau colorée. Ainsi, elle pourrait détecter la présence de la directrice.
— Pas mal du tout ! la félicita celle-ci. Mais il en faudra plus que ça pour me battre, je le crains.
Hailey tendit la main et une rafale de vent surgit dans cette direction. Elle tourna sur elle-même pour former une tornade, qu'elle contrôlait assez facilement malgré sa taille. Elle s'imagina délimiter la pièce, en faire quelque chose de consistant, et des murs apparurent autour d'elle ainsi que le sol. Elle projeta la tornade devant elle et lui fit faire le tour de la pièce sans que Mme Embershadow ne révèle sa présence.
— Et si on parlait un peu, pendant que tu fais ça ? On a le temps, proposa cette dernière, amusée. Je voudrais en savoir un peu plus sur toi. J'ai rapidement exploré tes pensées, la dernière fois, mais je n'ai pas pu accéder à tes souvenirs, même les plus récents. D'habitude, j'arrive à remonter jusqu'à quelques jours en arrière, même si la télépathie n'est pas faite pour ça, mais je n'ai rien vu avec toi. Tu bloquais la porte des souvenirs. C'est grâce à ton pouvoir ?
— Peut-être, oui, je ne fais pas attention, grommela Hailey en dissipant la tempête pour couvrir les murs, le sol et le plafond de verglas en espérant trouver des traces de pas
Peine perdue.
— C'est très bien... ça te dérange, si je te pose des questions ? Tu m'intrigues.
— Faites ce que vous voulez, répondit Hailey distraitement en fixant les trois portes, se demandant si elle n'était pa passée par l'une d'elles pour se cacher
— Parfait ! Alors... j'ai remarqué que tu étais plutôt proche de Maeve et de Claire, ce qui semble être réciproque. Vous vous connaissez depuis longtemps ?
L'adolescente réfléchit une seconde, déconcentrée par la surstimulation que subissait son cerveau.
— C'est-à-dire que...je connais Claire depuis... deux jours, dit-elle finalement après avoir effectué le décompte dans sa tête
Ça fait seulement deux jours ? s'étonna-t-elle
La pensée résonna autour d'elle et elle entraperçut une silhouette passer à sa gauche. Elle se retourna vivement, vit Mme Embershadow, tendit les mains et... rencontra du vide, qui ne la retint pas de sa chute.
Allongée au sol, la tête douloureuse, elle plaqua ses mains sur ses oreilles pour les empêcher de siffler.
— S'il-vous-plaît, grommela-t-elle. Il faut juste... deux secondes.
— Tu veux une pause ? clarifia une voix moqueuse dans son dos
Oui, pensa l'adolescente en même temps qu'elle répondait "Non !"
— Bon. On va rester dans ton esprit, mais on va ralentir, d'accord ? proposa Mme Embershadow en tendant une main à Hailey
Celle-ci l'agrippa, heureuse de pouvoir enfin l'atteindre, et se releva. Un désagréable sentiment d'impuissance la gagna alors que la main de la directrice se dématérialisait et passait à travers la sienne.
— Comment vous faites ? souffla-t-elle déçue
Elle avait toujours réussit à contrôler son esprit, mais malgré cela elle ne parvenait pas à en faire sortir quelqu'un.
— Oui, enfin, ce quelqu'un a été entraîné pendant des années pour parvenir à ce résultat, sourit Mme Embershadow. Ce quelqu'un est une adulte qui a dû se défendre pour survivre et qui a pour but de protéger trois cent élèves d'un monde entier de menace, et ce avec seulement vingt autres personnes. Tu comprends ? À vrai dire...
Elle s'interrompit, passa une main dans ses cheveux et soupira.
— J'avoue que... je t'avais sous-estimée. Je ne te pensais pas capable de ça. La pluie, la glace, le vent... c'est impressionnant. Félicitations. J'ai pour habitude de laisser tomber mes défenses pendant ce genre d'exercices, pour laisser plus de chances aux élèves. Si tu pensais légèrement différamment, tu y arriverais sans mal.
Un silence passa, à peine troublé par le bruissement des pensées de Hailey, paisibles.
— Vous croyez vraiment ? demanda-t-elle timidement
— Parfaitement. Il faut simplement que tu voies les choses autrement.
— Comment ?
Mme Embershadow afficha un sourire malicieux et répondit dans un murmure :
— Où se trouvait la glace que tu as créée ? La tornade ? La pluie ? D'où viennent-ils ?
— De... mon esprit ?
— Exact. Donc ce que tu contrôles, ce n'est pas exactement ton esprit, ce serait plutôt...
— Ce qu'il y a à l'intérieur ! s'exclama la jeune fille en se redressant brusquemment
La directrice hocha la tête puis devint invisible, effaçant sa présence au passage.
Tout. Je peux tout contrôler, il faut juste trouver comment.
— Peut-on continuer de parler pendant que tu cherches ? demanda l'adulte
— Mmh-hmm.
— Bien ! Où en étions-nous... ? Ah, oui. Depuis combien de temps connais-tu Maeve ?
— Oh, hum... disons que... nous ne sommes amies que depuis quelques jours, mais nous nous connaissions déjà... deux ans auparavant.
Contrôler et créer les choses ici ne relèvent pas du même principe... je ne peux pas voir une âme comme un objet, quand même. Alors quoi ?
— Deux ans... très bien. Quel genre de relations entretiens-tu avec elles ?
— Euh... on est amies, mais... je ne sais pas. Ce ne sont pas les mêmes personnes, alors forcément, certaines idées divergent et... c'est dur à expliquer. En fait, Claire est très... démonstrative. Ce n'est pas un mal, mais c'est comme... une surstimulation constante à elle toute seule. J'aime passer du temps avec elle mais pas... pas tout le temps. Maeve... c'est une autre histoire. Elle est loin d'être aussi exhubérante.
Peut-être essayer de créer quelque chose d'intangible ? Comme de la lumière ?
Un flash aveuglant surgit aussitôt du néant et Hailey ferma les yeux, éblouie.
On change de stratégie.
— Alors ? Comment la vois-tu ?
— Vos questions, c'est pour me déconcentrer ?
— Exactement. Mais ça m'intéresse pour de vrai. Donc ?
— Je ne sais pas. Je... je veux la protéger. Comme si elle était... ma petite soeur. Je sais qu'on a le même âge, mais... elle est tellement fragile...
Un rire qui ne paraissait pas particulièrement joyeux résonna dans son esprit et elle tourna sur elle-même pour en trouver l'origine.
Non. Ça ne sert à rien. Il faut une autre approche.
— Précise ce que tu entends par "fragile".
— Qu'est-ce que vous voulez dire ? Fragile, c'est... fragile.
— Physiquement ou mentalement ? précisa la directrice
— Les deux. Enfin, je ne lui ai pas brisé les os pour vérifier, mais j'ai vu... un de ses souvenirs. Je... je ne sais pas si j'aurais dû le faire. J'ai l'impression d'avoir violé son intimité, mais je sais que... c'est nécessaire. Je veux l'aider, mais je ne peux pas si elle ne me laisse pas faire, et j...
Elle soupira et secoua la tête.
— Tu... ? l'encouragea Mme Embershadow en redevenant visible pendant une fraction de seconde
— Je ne sais pas. Elle est distante. Je ne peux pas la connaître pour de vrai.
— Oh, vraiment ? Je pense que tu es celle qui la connais le mieux. Tu lui as sauvé la vie. tu dis qu'elle ne te laisse pas faire et, d'une certaine manère, c'est vrai, mais son inconscient te fais confiane. C'est pour ça que... je pensais à quelque chose.
Hailey attendit la suite distraitement, fixant le vide pour savoir comment l'adulte pouvait disparaître ainsi. Et surtout savoir comment elle pouvait l'en empêcher.
— À quoi ? demanda-t-elle enfin
— Il faut que... je ne sais pas si je devrais t'en parler. Tu n'as que quinze ans.
— Heu... vous ne pouvez pas considérer les adolescents de Westwood comme des adolescents normaux. Nous avons tués des gens. Notre famille, parfois. Et je sais que vous le savez et que vous aussi, d'ailleurs, mais ne nous prenez pas pour des enfants.
La silhouette électrifiée de la directrice réapparut devant elle, souriante.
— Je sais. Ce n'est pas une question de maturité, tu l'es bien assez. C'est que c'est une lourde responsabilité et que je ne veux pas te la donner sans que tu saches ce que ça impliques. Et tu as le droit de refuser, évidemment. D'accord ?
Hailey hocha la tête, abandonnant un instant ses théories spirituelles.
— Je suis chargée de protéger trois cent jeunes gens qui ont chacun des pouvoirs, des démons et des difficultés en tous genres. Je suis très heureuses d'occuper cette fonction mais le fait est que je ne suis pas aussi proche des élèves que leurs amis, c'est évident. Beaucoup des adolescents ici ont des démons assez faibles pour que je les laisse gérer leurs problèmes comme ils l'entende, et d'autres sont aidés par des personnes en qui j'ai plainement confiance, et je sais qu'ils sont entre de bonnes mains.
— Maeve, devina Hailey en se détendant. C'est pour ça que vous me parliez d'elle et Claire. Vous voulez que je la surveille.
— Je ne le veux pas, ce n'est pas une obligation...
— Je vais le faire. Je l'aurais fait même si vous ne me l'aviez pas demandé.
Les traits de la directrice s'adoucirent et elle posa sa main - tangible - sur l'épaule de la jeune fille.
— Je suis fière de toi. La Transe et les démons affectent chacun différament. Claire se cache. Maeve est perdue. Je n'ai rencontré que deux personnes dans ton genre.
— Quel genre ?
— Tu es forte. Solide. Courageuse. Les démons détruisent les gens et les reconstruisent à leur manière. Bien sûr, tout le monde ici a de mauvais souvenirs, tout le monde a des secrets, mais il y a différents stades. J'en ai dénombré cinq au total : être brisé. Maeve en est encore là. Mentir, pour cacher son mal. C'est ici que stagne Claire, et ce sont les plus dangeureux, parce qu'on ne peut pas savoir à quoi s'attendre. Accepter. Et, au passage, recevoir de l'aide. Se réparer. C'est l'étape la plus longue, mais c'est dans ces moments-là qu'on rencontre les gens pour de vrai. Comme si on les connaissait enfin pour ce qu'ils sont vraiment. Enfin, ton stade, celui que les gens mettent en général bien plus de temps à atteindre, aider. Aider les autres à accepter, puis à se reconstruire. Même les quinzièmes années ont du mal à replonger dans leur vieux souvenirs pour assister ceux qui en ont besoin.
— Je vais l'aider, assura Hailey, on ne peut pus sérieuse. Je vous le promet.
Mme Embershadow ferma les yeux un instant et l'adolescente sentit un contact froid dans sa main, dans le monde réel,
— Qu'est-ce que c'est ? demanda-t-elle
— Tu verras plus tard. C'est à Maeve. Fais-en ce que tu veux. Tu peux lui rendre, le détruire, le garder, je te fais confiance.
La jeune fille fronça les sourcils, déconcertée, puis se reconnecta instantanément à son envelloppe physique pour ordonner à ses yeux de s'ouvrir et de regarder ce qu'elle tenait.
— Un poignard ?! s'étrangla-t-elle
L'adulte hocha la tête.
— C'est avec ça qu'elle... ? commença l'adolescente sans parvenir à terminer sa phrase au souvenir que Maeve n'était toujours pas réveillée
Nouveau hochement de tête, qui lui donna envie de jeter l'arme par la fenêtre, ou non, de la briser en morceau pour de la mettre quelque part, très loin, là où Maeve ne pourrait plus jamais la trouver.
— Si tu veux, accepta la directrice en haussant les épaules. Bon... je te remercie, du fond du coeur. Vraiment. Maintenant, si tu veux bien, nous allons pouvoir commencer le vrai exercice.
— Pardon ? Il n'avait pas déjà commencé ?
— Ha ! Je t'ai laissé du temps pour prendre tes marques et pour réfléchir à ma stratégie, entre autres. Maintenant, tu vas devoir trouver un moyen de fermer ton esprit pour m'en faire sortir, te défendre et attaquer. Choisis ce que tu préfères et débrouilles-toi pour réussir ! Ça commence... maintenant.
Soudain, des symboles brillant d'un bleu pâle s'illuminèrent sur les murs que Hailey avait créés. Elle tenta de les détruire, sentant que les allégories n'étaient pas ses alliées, mais des chaînes du même bleu surgirent des parois et enserrèrent ses poignets et ses chevilles. Elles se tendirent et, en un instant, elle se retrouva à genoux, les épaules à deux doigts de se déboîter. Le métal acéré coupait sa peau et un filet de sang coula sur son poignet gauche, la faisant grincer des dents.
Elle ne s'était pas attendue à un départ si violent.
— Violent ? Tu crois sincèrement que ceci est l'apogée de mes capacités en matière de violence ?
La directrice se pencha pour croiser son regard. Son expression, si tendre quelques secondes quelques secondes auparavant, avait changé du tout au tout. Menaçante, sérieuse, toute trace de chaleur avait quitté ses yeux. Hailey déglutit difficilement en se rendant compte que le test venait tout juste de commencer.
Un sourire froid étira les lèvres de la directrice et elle claqua des doigts. Les chaînes se resserrèrent brutalement et Hailey étouffa un sanglot alors que ses poignets se tordaient douloureusement.
— Je t'avais prévenue. Maintenant, je peux t'attaquer. Tu dois être capable de te défendre. Dans un combat réel, je retiendrais mes coups mais tu ne peux pas mourir dans ton esprit et tout le mal qui t'es fait ici n'a aucune répercussion sur ton corps dans le monde réel, ce qui signifie que je n'aurais aucun scrupule à te blesser. Tant que tu n'arriveras pas à te défendres, tu pourras bien agoniser si tu veux, ça ne m'empêchera pas te faire tout ce qui est en mon pouvoir pour te préparer au monde extérieur.
— Vous êtes une sadique !
— Si tu le dis. Tu peux ne détester si tu veux, la colère aide, parfois. Tant que je te sais en sécurité, ça me va.
Elle ferma les poings et Hailey hurla alors qu'une pointe métallique s'enfonçait dans ton épaule.
Je suis mal, songea-t-elle
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