Chapitre 19 - Hailey
La veille.
Hailey avait rejoint sa chambre seulement quelques minutes auparavant, mais elle se demandait déjà si elle ne devrait pas en sortir. Et toquer à la porte voisine.
Maeve avait eu l'air tellement nerveuse... mais pourquoi ?
— Est-ce que tu voudrais que je vienne te voir ? Ou tu préfères rester seule ? demanda-t-elle en espérant une réponse venue de nulle part
Elle se mordit la lèvre inférieure, tendue. Elle ne pouvait décemment pas laisser quelqu'un dans le besoin, juste a côté d'elle... mais Maeve n'était pas tellement sociale, elle préférait sûrement régler ses problèmes seule. Et puis, qui disait qu'elle avait un problème ?
Rien de mal ne pouvait lui arriver, pour le moment.
— J'espère que je ne fais pas une erreur, murmura Hailey en se glissant sous les draps de son grand lit
Elle ferma les yeux et s'endormit aussitôt, laissant la lumière allumée, plongeant dans un monde qui n'appartenait qu'à elle.
Un sentiment étrange l'obsédait depuis un moment, ainsi qu'une pensée qui n'était pas la sienne.
"Je dois le faire. Je n'ai pas le choix."
L'adolescente se leva de son lit et soupira. Depuis qu'elle s'était réveillée, des flashs emplissaient son crâne. C'était également ce qui l'avait réveillée, à vrai dire. Elle ne se levait jamais avant neuf heures et son réveil n'en annonçait que cinq. En vérité, ces images la laissaient en pleine incompréhension. Il était impossible que ce qu'elle voyait se réalise maintenant. Non. C'était bien trop violent pour l'atmosphère du collège. Les séquences ne représentaient que du sang, de la douleur, des larmes... un poignard, aussi. Des bras couverts de cicatrices, d'une pâleur de mort.
"Encore cinquante-quatre..."
Hailey fronça les sourcils. Ça non plus, ça ne venait pas d'elle. Confuse, elle s'assit en tailleur sur la tapis violet de sa chambre - assorti au couvre lit, aux rideaux et à la bande de couleur qui ornait les murs, semblable à celle du couloir - et réfléchit. Longtemps.
Mon pouvoir.
Bien sûr ! C'était évident... comment avait-elle pu ne pas y penser ? Elle n'avait pas utilisé son pouvoir depuis tellement longtemps qu'elle l'avait presque oublié, mais il était encore bien présent. Et, appartement, il s'activait sans qu'elle ne le veuille.
Le jour où elle avait découvert ses pouvoirs, elle s'était évanouie sous le choc. Après tout, des dizaines de souvenirs et de voix qui ne lui appartenaient pas lui avaient soudainement empli le crâne - il y avait de quoi paniquer. Contrairement à ce qu'elle avait pensé durant les premières semaines, elle n'avait pas un don de télépathie, non - même si, à en croire Mme Embershadow, cela n'allait plus tarder - mais ceux de voir les rêves des gens et leur "historique". C'était ce qui se rapprochait le plus de l'idée, étant donné qu'elle pouvait voir les souvenirs des gens comme si c'étaient les siens. Deux facultés qui lui avaient appris beaucoup de choses quant à ses parents, sur qui elle avait souvent exercé ses pouvoirs, mais également sur ses frère et sœur, bien qu'ils ne se soient jamais caché quoi que ce soit.
Au grand dam de sa mère, ses pouvoirs lui avaient également été fort utiles pour ses nombreuses investigations auprès de certaines personnes qui, à l'époque, l'intriguaient. Aujourd'hui, ces mêmes personnes lui paraissaient banales à en mourir. Quoique ce n'étaient pas leur faute. Simplement, après avoir tué quelqu'un de sang-froid - action dont elle ne se souvenait pas le moins du monde - puis été arrêtée deux jours plus tard, emmenée de force à Hansaï, avoir subi un procès au cours duquel son avocat n'avait même pas parlé, reçu une peine de sept ans d'emprisonnement, rencontré Maeve, avoir changé de monde après avoir secouru une adolescente qui ne l'aimait pourtant pas et rencontré Claire au passage puis avoir élu domicile dans une école remplie de gens dans la même situation qu'elle, les petits secrets de cour d'école ne l'intéressaient plus tellement. En revanche, elle sentait qu'elle aurait besoin de papier et d'un stylo, bientôt.
"Vingt secondes"
Hailey cessa de faire les cent pas et fixa le mur qui séparait sa chambre de celle de Maeve, tâchant de décider si elle devait y pénétrer ou non. Quoique la jeune fille voulait probablement rester un peu seule.
— Maeve... tu vas bien, dis-moi ? Est-ce que... tu as besoin que je vienne t'aider ? Tu... si tu en as besoin, tu n'as qu'à m'appeler... d'accord ?
Elle espéra que les murs soient assez fins pour que Maeve l'aie entendue et pour se rassurer, elle imagina l'adolescente hocher la tête doucement.
— Bon... alors... je te laisse, pour l'instant. Tu n'es sûrement pas encore réveillée... tu viendras me voir quand tu te lèveras ?
Encore une fois, elle imagina l'adolescente lui sourire et confirmer, mais cela ne la rassurait que faiblement.
Elle ne pouvait s'empêcher de se demander si les images qu'elle voyait, ces flashs sanglants, n'étaient pas en train de se produire quelque part. Et puis la silhouette qu'elle avait aperçue dans ces bribes de souvenirs ne lui étaient pas étrangère non plus... elle ressemblait à celle de Maeve. Comme par hasard. Un sentiment de danger, une douleur qui ne lui appartenait pas l'envellopa, s'enroula dans sa poitrine pour l'étouffer peu à peu.
Qu'était il en train de se passer ? Son pouvoir ne s'était jamais comporté ainsi ! Elle pouvait voir les souvenirs et les rêves des gens - en sachant que les réminescences devaient remonter à plus de deux semaines, selon les derniers calculs qu'elle avait effectué - mais certainement pas ressentir leur douleur et encore moins vivre la scène en même temps qu'eux !
Et les pouvoirs n'évoluaient pas. Jamais. C'était tout bonnement impossible.
— Maeve ? entendit elle depuis le couloir. Tes pensées sont étranges depuis un moment, je voudrais juste m'assurer que tout va bien. Je peux entrer ?
Mme Embershadow ?
Hailey fronça les sourcils. Les pensées de Maeve étaient étranges... et les flashs qu'elle recevait sans cesse semblaient mettre en lumière des évènements terrifiants impliquant l'adolescente...
Oh, mon dieu.
Tandis que les images dans sa tête empiraient, devenant plus pressantes, définitives et surtout, bien plus douloureuses, ses genoux cédèrent et elle tomba au sol dans un bruit sourd.
Ses pensées se mêlaient a celle de Maeve, mélange d'incompréhension et d'une décision qu'elle n'avait pas prise elle-même, inextricable désirs de fin et de continuité ou subsistait une tristesse infinie qu'elle ne comprenait pas, une lassitude se la vie et de ses complications qu'elle n'avait jamais évoquée mais malgré tout, un minuscule espoir que le sinistre événement qu'elle espérait tant n'aille pas jusqu'à son irrémédiable fin.
— Maeve ? Tu es là ? insista la directrice
Hailey respirait difficilement, voyait trouble. Non... non, non, non, c'était tout bonnement impossible.
Elle lâcha une insulte envers le monde entier alors qu'en essayant de se relever elle s'écroulait à nouveau. Sa faiblesse soudaine - non, l'impuissance de Maeve - s'insinuait dans ses veines et la capturait toute entière dans cet état étrange de flottement. Étendue sur son tapis, elle usa de réserves de force dont elle n'avait pas conscience jusque là pour se relever et saisir la poignée de la porte.
— Pourquoi serais-je déçue ? Maeve, ouvre cette porte ! criait à present Mme Embershadow
Les doigts de Hailey glissèrent sur le métal de la poignée, refusant obstinément d'ouvrir le battant.
— Maeve, qu'est-ce que tu fais ?!
Elle meurs.
Sa pensée s'était imposée à elle avant même qu'elle l'aie songée. Bien qu'elle fasse sens, la formuler lui faisait mal au cœur et elle serra les dents pour empêcher ses mains de trembler.
— MAEVE, NON !
Enfin, elle parvint à ouvrir cette satanée porte, la laissa percuter le mur puis la referma d'un geste brusque. Ses pensées s'étaient soudainement déconnectées de celles de Maeve, mais elle pouvait encore voir les échos des flashs effrayants auxquels elle avait eu accès.
Quelqu'un la bouscula et, après s'être excusé rapidement, courut jusqu'à l'escalier au bout du couloir. Hailey reconnu alors la directrice, portant une silhouette couleur de neige drapée de l'uniforme sombre de Westwood et d'un rouge écarlate qui tâchait ses vêtements, sa peau et le couloir.
L'adolescente se figea, la respiration coupée, s'interdisant pourtant de détourner les yeux.
Une pensée s'insinua dans son esprit, oppressante, horrifique.
Maeve était morte.
Hailey s'agrippa au mur, tentant tant bien que mal de ne pas flancher. Mais... comment ? Elle venait de voir le cadavre de Maeve. Son corps sanglant, tremblant, sans vie.
Ou peut-être pas.
Un espoir infime, fou, l'aveugla. Finalement... elle avait simplement vu Mme Embershadow passer, Maeve dans les bras. En bien piètre, certes, couverte de son sang, ses bras paraissanr brûlés, et inconsciente. Mais peut-être respirait-elle encore. Peut-être était-elle encore vivante.
À cette pensée, Hailey se mit à courir dans les couloirs, sans savoir ou elle allait exactement. Elle prit l'escalier que Mme Embershadow avait emprunté avant elle en se demandant pourquoi elle ne l'avait pas suivie lorsqu'elle l'avait aperçue plus tôt.
Elle parcourut les couloirs nimbés d'une lumière matinale, repérant ceux par lesquels elle était déjà passée la veille. Elle se retrouva rapidement devant le bureau de la directrice, puis s'arrêta net.
Et maintenant ?
Hailey, le souffle court, examina les seuls choix qui s'offraient à elle : rebrousser chemin en espérant croiser quelqu'un malgré l'heure tardive, ou continuer tout droit jusqu'au prochain embranchement, ou elle se reposerait la question.
Déterminée, ele se força à avancer encore, même si elle n'avait aucune idée d'ou le chemin aboutirait.
— Tu cherches quelque chose, peut-être ? demanda une voix impérieuse derrière elle
Une femme coiffée d'un chignon strict dans lequel se glissait quelques mèches grises se tenait devant elle, les mains jointes dans la posture typique de l'adulte responsable, sévère, quelqu'un à qui on devait le respect - le même genre de personnes contre qui les adolescents pestaient tout bas.
— Hum... je... vous sauriez...
— Es-tu inscrite ici ? l'interrompit la femme. Tu ne sembles pas savoir où tu te trouves. Et tu ne portes pas d'uniforme. Pour quelle raison ?
— Hum... c'est que je ne suis pas encore complètement inscrite mais... Mme Embershadow... il faut bloquer ses pensées, mais ce n'est pas le sujet ! Il faut que je trouves, heu... l'infirmerie ! Il y a bien une infirmerie, ici, non ?
L'adulte haussa un sourcil agacé.
— Bien entendu. Ton nom ?
— C'est urgent !
— Ton nom ? insista la femme
— Hailey ! Hailey Solt ! répondit rapidement l'adolescente. Et maintenant, vous pouvez me dire où je suis censée allée ?
— Suis-moi.
Elle s'engagea dans un passage étroit que Hailey n'avait pas remarqué aupravant et conduisit la jeune fille à travers l'école labyrinthique. À croire que ceux qui l'avaient conçue souhaitaient voir les élèves se perdre.
— Les élèves, non. Nous souhaitions que les visiteurs incongrus s'y perdent. Les passages menant aux endroits tels que les dortoirs où l'infirmerie, justement, ont été façonnés pour qu'une personne avertie les repère, contrairement aux personnes mal intentionnées. Ce n'est pas rare, en ce moment.
— Vraiment ? Vous voulez dire... des gens s'introduisent dans l'école ? Pourquoi ? Pour enlever des élèves ? Les tuer ? Ou même les professeurs ?
Un grincement sinistre résonna dans le couloir vide et Hailey découvrit avec surprise qu'il s'agissait du rire de la femme.
— Jeune fille, tu sauras que pour être enseignant ici, il ne suffit pas de brandir un diplôme. Il faut être qualifié, comprends-tu ? Il faut être capable de s'occuper de centaines d'élèves, de les protéger malgré leur situation, de les aider à devenir plus forts que leurs démons, tout en leur apprenant à se servir de leurs pouvoirs correctement. Évidemment, tous les professeurs ici son parfaitement aptes à se défendre contre les menaces extérieures, à commencer par la directrice. Personne ne peut pénétrer dans l'enceinte de Westwood tant qu'elle est là.
L'adolescente réfléchit longumement tandis que l'adulte lui jetait des regards tamtôt inquisiteurs, tantôt amusés à mesure que son point de vue et ses pensées évoluaient.
Donc nous sommes en sécurité. Sauf que non, pas forcément. Elle a dit qu'il n'est pas rare que des gens menaçent l'école. Qui ? Des terriens ? Impossible. Ils sont bien trop impuissants. Alors quoi ? Des gens envoyés par Kent ? Ils seraient venus en sachant qu'il n'y a aucun moyen de revenir chez eux ?
— Il y a bien un moyen de retourner à Laena, l'interrompit la femme, un léger sourire sur les lèvres
Hailey resta interdite un moment, assimilant la phrase.
— Attendez... fit-elle enfin. Mais... quoi ? Où ? Comment ? Est-ce un passage ou un objet pouvant aller d'un monde à l'autre ? Kent en a-t-il conscience ? Qui le sait, en tout ? Tous les élèves et professeurs de l'école, bien sûr, et qui d'autre ? Des terriens ? Qui peut s'en sevrir ? Pourquoi les élèves ne rentrent-ils pas chez eux en sachant ça ? Non... ça, c'est évident. Ici, ils sont en sécurité. Mais... oui... ils le savent, n'est-ce pas ? Kent, les agents de Hansaï, ils le savent. Et ils envoient des gens. Pour essayer de tuer les élèves et les professeurs.
Un hochement de tête, à peine perceptible, lui indiqua qu'elle avait vu juste.
— Expliquez-moi le reste, demanda aussitôt la jeuen fille
— Peut-être une autre fois, en cours. Ou alors Edaline te dira tout. Mais nous sommes arrivées. Tu souhaites sans doute voir ton amie ?
Hailey sursauta en remarquant l'écriteau placardé au-dessus de la porte à double battant.
"INFIRMERIE"
— Merci pour... commença-t-elle avant de remarquer que la femme avait déjà disparu dans le passage caché qu'elles venaient de traverser
Elle haussa les épaules et, nerveuse, se concentra le plus fort qu'elle le pouvait sur la perspective que Maeve était encore en vie, peut-être. Elle se la représenta souriante, se jouant de Mme Embershadow, qui s'était faite avoir par sa blague.
Maeve ne fait que sourire, et encore, c'est rare. Alors on repassera, pour faire des blagues.
Après une grande inspiration, la jeune fille poussa doucement la porte et entra en silence, observant ses chaussure avec insistance. Le sol sous ses pieds était vraiment très intéressant, aussi fixa-t-elle longuement la surface immaculée avant de laissa ses yeux vagabonder dans un plus grand périmètre. Les murs était blancs, comme le sol. Deux rangées d'un dizaine de lits de camps étaient alignés contre les murs, et rideaux pouvaient être tirés pour donner de l'intimité aux élèves. Une porte en bois clair, dans le fond de la pièce, laissait apercevoir un bureau, uen chaise à roulettes et une masse considérables de papiers et de stylos en tout genre. Enfin, à sa droite, se tenaient Mme Embershadow, une vieille femme aux traits doux et...
Hailey ne put retenir un sanglot horrifié lorsqu'elle la vit. Étendue sur un des lits, inerte. Terriblement immobile. Les vêtements blancs de Hansaï faisaient ressortir la couleur du sang avec une vivacité irréelle, rouge sur neige. Les manches retroussées jusqu'au coude, ses avants-bras étaient couverts de sang qui coulait sans discontinuer, gouttant sur le sol, sur les draps, partout, larmes rouge vif qui glissaient depuis les entailles plus foncées près de son poignet et de son coude. Sous la couche floue d'écarlate, Hailey crut discerner d'autres cicatrices, mais elle détourna le regard, submergée par tant d'informations qui ne collaient pas avec la perspective que Maeve était encore vivante.
En se concentrant sur le visage de l'adolescente, Hailey pensait échapper au pire, mais un hoquet de surprise et d'autre chose qui lui fit mal lui échappa. Les yeux révulsés, les cheveux tâchés de sang, le liquide carmin s'écoulant entre les lèvres, la peau plus pâle que jamais, si c'était encore possible.
— Hailey... souffla une voix hésitante
La jeune fille se tourna vers la propriétaire de cette voix aux intonations si douces et tristes, trouvant devant elle une Mme Embershadow tentant avec plus ou moins de succès de cacher son choc, qui se reflétait malgré tout dans ses yeux vifs.
— Est-ce qu'elle est... ? articula l'adolescente sans parvenir à prononcer le dernier mot
Morte ?
Le mot lui semblait si dur. Une seule syllabe aux accents métalliques, froids.
La directrice ferma les yeux un instant et sourit doucement.
— Pour l'instant, non.
— Non quoi ? Est-ce que... est-elle vivante ? demanda finalement Hailey, évitant l'unique syllabe qu'elle se refusait à dire
Mme Embershadow secoua la tête lentement sans quitter les yeux de l'adolescente.
— Mais... c'est impossible ! Ce n'est pas juste, elle... c'est de ma faute ! Je le savais ! Je savais qu'il se passait quelque chose ! J'aurais dû...
— Non. Ce n'est pas la peine de te torturer pour ça. C'est fini.
— NON !!! hurla la jeune fille en se précipitant vers Maeve
La directrice la retint fermement.
— Écoute-moi, Hailey. Pour l'instant, elle est morte, mais on peut changer ça. Helena possède un pouvoir de guérison, lui révéla-t-elle en désigna la femme âgée qu'elle avait aperçue plus tôt. Reste tranquille, d'accord ?
Elle hocha la tête rapidement, focalisée sur son nouveau but. Mme Embershadow la relâcha et elle rejoignit Maeve en deux pas. Helena, comme l'avait nommée la directrice, murmurait toutes sortes de mots dans une langue qu'elle ne comprenait pas en faisant voleter ses mains au-dessus du corps sans vie de la jeune fille allongée, sans vie, traçant des motifs complexes avec ses mains, qui laissaient des marques vert clair dans l'air derrière elles.
— Jeune fille... pourrais-tu faire quelque chose pour m'aider ? demanda Helena en jetant un regard rapide à Hailey
— Bien sûr ! Ce que vous voulez ! répondit aussitôt l'adolescente
— Alors prends la fiole bleue sur la table.
La jeune fille repéra la table en question, sur laquelle s'étalaient divers récipients colorés et saisit un flacon azur.
— Très bien. À mon signal, verses-en la moitié sur son cœur, d'accord ?
— Oui.
— Un...
Hailey retint sa respiration en débouchant la fiole. Une douce odeur sucrée lui parvint mais elle n'y prêta pas attention, concentrée.
— Deux... trois !
Helena agita ses mains dans une série de geste complexes et les traînées lumineuses qu'elles laissaient en passant virèrent au violet. L'adolescente laissa la une part de l'élixir couler au niveau du cœur de Maeve, là où sept entailles profondes marquaient sa chair.
— Merci, reprit la femme. À présent, il me faudrait la petite bouteille ronde. Orange.
Hailey hocha la tête, espérant voir Maeve respirer à tout instant, et s'empara de la fiole que lui désignait Helena.
— Il faut qu'elle la boive en entier, annonça celle-ci en reprenant ses signes compliqués. Attention... fais-le doucement, il ne faut pas qu'elle s'étouffe... maintenant.
La jeune fille versa la potion entre les lèvres de Maeve, s'assurant que le produit passait.
— C'est très bien, l'encouragea Helena. Continue.
Hailey vida le reste du flacon, s'interdisant de trembler, puis expira enfin.
— Maintenant, on attend, fit Mme Embershadow. Et on espère que ça marche.
— Mais ça va marcher, hein ? C'est obligé ? tenta l'adolescente en regardant tour à tour la directrice et Helena
Les deux adultes restèrent impassibles et Hailey eut un pincement au cœur.
— D'accord, souffla-t-elle. Alors on espère.
Elle contourna le lit de camp et effleura la main de Maeve - celle qui n'était pas couverte de sang - et la prit dans la sienne.
— Nous avons déjà essayé deux fois, à vrai dire, avoua la directrice, peinée. Mais son organisme rejette tout, ou alors les élixirs ne font pas effet. Pas plus que la magie de Helena, ce qui est plus normal étant donné qu'elle sert à guérir les blessures et non pas à ramener quelqu'un à la vie.
Hailey ferma les yeux et pinça les lèvres, sentant les larmes couler sur ses joues. Elle serra la main de Maeve plus fort et sentit un sursaut, si minuscule qu'elle veut l'avoir rêvé.
Pourtant, lorsqu'elle releva la tête, elle vit que l'expression des deux adultes avait changé, passant d'une tristesse palpable à un étonnement mêlé d'un espoir qu'aucune ne s'autorisait vraiment à ressentir.
— Est-ce que... vous croyez que... murmura Hailey sans savoir ce qu'elle devait dire exactement
Mme Embershadow hocha néanmoins la tête, lentement.
Un nouveau mouvement se fit sentir et Hailey baissa les yeux sur sa main, qui tenait fermement celle de Maeve. Son pouls. Elle sentait les battements de son cœur reprendre à travers ses veines.
Un rire troublé de larmes emplit l'air d'une douce sonorité et Helena sourit, rassurée, avant de se rapprocher et de reprendre ses mouvements, laissant des traînées bleues cette fois-ci.
Mme Embershadow s'approcha de Hailey et posa une main sur son épaule.
— Tu sais, je pense que tu y es pour quelque chose, lui murmura-t-elle alors que la poitrine de Maeve se soulevait faiblement
— Comment ça ? s'étonna Hailey en fixant le visage de la jeune fille alitée, espérant le voir s'animer
— Tu sais aussi bien que moi à quel point Maeve a du mal à faire confiance aux gens. Elle ne me fait pas confiance, ni à Helena, c'est évident. Mais à toi, peut-être. Tu ne crois pas ?
Un sentiment de fierté et de soulagement envahit l'adolescente, qui haussa les épaules en espérant que les mots de la directrice soient vrais.
— Hailey... une fois que l'état de Maeve sera stabilisé, je voudrais te parler. De plusieurs sujets, dont ton admission à Westwood, évidement.
— D'accord. Ce sera... un genre de test ?
— Non. Le test, c'est de fermer ton esprit. Ce sera une simple discussion, où je te poserais des questions. Je te soumettrai aussi a un petit exercice, mais rien de bien méchant. C'est en rapport avec ce test, justement. Pour évaluer en combien de temps tu pourras le réussir.
Hailey acquiesça sans quitter les yeux de Maeve, dont elle ne voyait que le blanc. Au bout d'un moment qui lui parut à la fois extrêmement long et un seul instant, l'adolescente ferma les yeux, et un éclat mauve les traversa juste avant qu'elle ne close ses paupières.
— Bon, déclara Helena. Elle est vivante et le restera. Il faudrait juste que les sérums fassent effets... je vais essayer autre chose. Hailey, ne la lâche surtout pas. Si nous avons raison et que ta présence l'aide, il ne faut pas gâcher cette chance. Je reviens.
Elle disparut dans la pièce attenante à l'infirmerie, qui faisait office de bureau, et en ressortit presque aussitôt armée d'un petit flacon au contenu clair, comme de l'eau légèrement rosée.
Lorsqu'elle l'ouvrit, une forte odeur de cannelle se répandit dans l'air et Hailey inspira profondément. Elle avait toujours aimés tout ce qui contenait de la cannelle, et le parfum lui rappelait les biscuits qu'elle emportait à l'école étant petite. Elle les échangeait souvent avec les autres bambins de sa classe, contre des fruits ou d'autres gâteaux. À l'époque, la seule monnaie qu'elle connaissait était composée de sucre, et l'heure du goûter devenait un marché noir tant les gamins qu'ils étaient alors croyaient leurs manigances interdites.
Helena fit couler le liquide translucide entre les lèvres de Maeve, vérifiant entre chaque gorgée si l'adolescente était toujours en vie.
— Si ça marche, elle sera sur pieds après-demain, annonça-t-elle avec un grand sourire. Elle se réveillera sans doute avant, d'ailleurs, mais il faudra qu'elle se repose. Il ne reste qu'à panser ses blessures. Vous n'êtes pas obligées de rester, ça ne va pas être beau à voir.
Conne pour illustrer ses paroles, elle releva légèrement la chemise de Maeve, laissant paraître trois coupures profondes, remplies de sang grenat. Hailey frissonna à l'idée que l'adolescente se soit infligé une douleur pareille et se promit de lui en parler, lorsqu'elle irait mieux. De faire en sorte que ça n'arrive plus jamais.
— Bien. Nous allons laisser Helena travailler, d'accord ? Je vais en profiter pour te faire passer l'entretien dont je t'ai parlé.
La jeune fille hocha la tête distraitement, focalisée sur le bras découvert de Maeve. À présent qu'elle était en vie, Hailey ne pouvait s'empêcher d'étudier ces cicatrices qu'elle ne se rappelait pas avoir vu auparavant, qui paraissaient pourtant trop vieilles pour avoir été faites seulement une heure avant qu'elle ne les voie.
— Est-ce... juste une minute... je voudrais vérifier quelque chose, murmura-t-elle à l'intention de la directrice
— Ses cicatrices ? clarifia celle-ci sur le même ton. D'accord, mais je te déconseille de lui dire que tu les a vues. Vous pourrez en parler à l'occasion, mais... fais-le doucement. Je... je sais certaines choses, que j'ai vu dans son esprit, alors... c'est un sujet sensible. Je ne veux choquer aucune de vous deux.
— C'est à ce point là ? Attendez... est-ce qu'elle se les ai faites toute seule ? Ou bien c'est quelqu'un d'autre ?
Les traits de Mme Embershadow se tirèrent et lui répondirent. Hailey afficha une mine grave, mi-menaçante mi-inquiète.
— Qui lui a fait du mal ? Qui a fait ça ? demanda-t-elle dans un souffle rauque, empli d'une colère qu'elle savait ne pas pouvoir déverser maintenant
L'adulte plongea ses iris lumineux dans les siens, d'une étrange couleur qui oscillait entre le brun et le rose foncé, qui ne lui venait d'aucun de ses parents.
— J'aimerais te le dire. Je sais que tu pourrais comprendre et que tu serais - que tu seras - un soutient précieux pour elle, comme l'a démontrée cette confiance que même son inconscient t'accorde. Mais je ne peux pas. Je suis certaine qu'elle te le dira, à toi. Peut-être pas à d'autre et je doute qu'elle en fasse de même avec Claire mais à toi, elle le dira. J'ai confiance ; en elle autant qu'en toi.
Hailey hésita un moment.
— La personne qui lui a fait ça... elle ne peut plus l'atteindre maintenant, n'est-ce pas ? Elle est encore à Laena ?
— Oui, ne t'inquiète pas. J'ai vérifié.
L'adolescente sourit, remarquant avec une pointe de satisfaction qu'elle avait eu raison. Maeve s'était donc bien détendue lorsqu'elles avaient changé de monde, puisqu'elle savait qu'à présent, celui qui lui avait causé ces blessures ne pouvait plus l'atteindre. Hailey sourit, quelque peu apaisée de savoir que Maeve ne pourrait plus être blessée par... cette autre personne dont elle avait hâte de savoir le nom.
Pour l'ajouter à sa liste de personnes à poignarder. Elle était une meurtrière, après tout.
— Oui, mais non. Je te demanderais de ne poignarder personne pour le moment, rit Mme Embershadow, qui écoutait ses pensées comme à son habitude. Ça ferait tâche dans ton dossier, ajouta-t-elle avec un sourire
Hailey nota dans un coin de son esprit que la directrice avait malgré ses airs sérieux un côté espiègle, et se demanda quels autres secrets recelait cette adulte responsable de centaines de jeunes alors qu'elle était à peine plus âge qu'eux.
— Quel âge avez-vous ? interrogea l'adolescente brusquement
— Quel âge crois-tu que j'aie ? répliqua son interlocutrice
— Je ne sais pas... vingt-ans. Peut-être vingt-cinq.
Mme Embershadow sourit, mystérieuse.
— Je t'attends dans le couloir. Fais ce que tu as à faire.
Hailey haussa un sourcil interrogateur auquel la directrice ne répondit pas. Elle sortit de la pièce et l'adolescente remarqua qu'elle était à présent seule avec Maeve, Helena ayant sûrement rejoint son bureau pour quelque raison. La jeune fille pinça les lèvres et contourna le lit de camp prudemment, effrayée à la perspective que l'adolescente alitée ne se réveille soudain. L'infirmière avait essuyé le sang qui couvrait le bras, le visage et les côtes de Maeve, et seuls ses vêtements trahissaient les évènements sanglants qu'elle venait de vivre. Hailey effleura la peau à vif de l'adolescente, prenant garde à ne pas toucher aux entailles encore ouvertes. Elle avait d'abord cru que le sang en était le responsable, mais des marques rouges couvraient les avant-bras de Maeve, même celui qui avait été épargné par les coups de couteau.
— Ce sont des brûlures, expliqua Helena, qui revenait les bras chargés de désinfectant et de bandages. Je ne sais pas si elle se les ai infligées elle-même ou si c'était une tentative pour avoir moins mal. Ou l'inverse. Je ne suis pas très bonne en télépathie, je n'arrive pas à retracer les souvenirs des gens plus de quelques minutes en arrière et encore, il faut qu'ils soient conscients et calmes, sinon leur inconscient ou leurs pensées me troublent. Edaline est bien meilleure.
— Qui est Edaline ? questionna Hailey en se souvenant des mots que la femme lui avait adressé avant de la laisser devant l'infirmerie
Elle avait également évoquée cette Edaline, et il semblait à Hailey qu'elle en avait déjà entendu parler, au travers d'une porte. Elle ne sut dire quand ou qui avait prononcé les mots, cependant.
— C'est la directrice, voyons ! Edaline Embershadow.
— D'accord... oh, pendant que j'y pense, je peux peut-être vous aide pour les souvenirs de Maeve. C'est mon pouvoir. Je peux apercevoir les rêves des gens ou leurs souvenirs.
— Vraiment ?
Hailey hocha la tête avec un sourire radieux. Ses pouvoirs n'avaient toujours servis qu'à ses petites investigations, les dons psychiques étant rarement utiles pour autre chose. Du moins était-ce ce qu'elle pensait alors, mais il semblait que son pouvoir allait rétablir la vérité sur les évènements passés. Elle inspira un grand coup et posa ses doigts sur les temps de Maeve. Elle pouvait le faire sans contact physique, mais elle n'avait pas usé de son pouvoir depuis longtemps et elle préférait ne prendre aucun risque.
Elle projeta son esprit au-dessus de la pièce et vit ceux de Helena et de Maeve : le premier, calme, comme un cours d'eau tranquille fait de milliers de paillettes vert clair. Le second, étrange, mouvant, comme constitué d'un brasier ardent... des flammes qui gelaient, avant de briser les entraves de glace et de se remettre à brûler. Hailey laissa son esprit planer encore quelques instants avant de se précipiter dans les flammes. Elle avait appris à ses dépends que pénétrer dans un esprit n'était pas une mince affaire. Elle avait tenté plusieurs fois de se faire discrète en entrant lentement, mais elle avait vite compris que la rapidité était de vigueur ; sinon, des murs se dressaient devant elle lorsque les propriétaires de l'esprit remarquait sa présence. Des murs qu'elle franchissait sans encombre, pour la plupart.
Une idée pour le test de Mme Embershadow lui parvint et elle la rangea dans la case de son esprit "À regarder plus tard" avant de se faufiler dans l'esprit de Maeve.
Hailey avait visité une bonne cinquantaine de conscients dans sa vie, et elle en gardait de nets souvenirs. Tous les esprits étaient différents, calmes, lents et droits ou bien volatiles, tortueux et hyperactifs. Celui de Maeve en revanche, était simplement... vide. Lorsqu'elle "visitait" quelqu'un, la première chose qu'elle voyait - l'entrée, comme elle l'appelait - constituait l'endroit le moins protégé. Ici flottaient les pensées, les idées en tout genre avant qu'elles ne s'évanouissent dans le noir ou se classent dans les tiroirs mentaux que se représentaient les gens. Ensuite, il y avait des sortes de portes qui représentaient diverses "pièces" de l'esprit. Elle les avait toutes situées pour ne pas se perdre et garder des repères quel que soit son nouveau sujet. Il y avait la chambre, pour les rêves, qui n'était accessible que pendant le sommeil. Le garage, là où étaient entassés tous les anciens songes - un endroit auquel les gens n'avaient généralement pas accès eux-même. Et le grenier, un immense grenier où étaient stockés les souvenirs.
Là encore, le système de rangement pouvait aussi bien être ordonné par date ou importance que... inexistant. Il lui était arrivé plusieurs fois d'entrer dans un grenier dépourvu de tout ordre, où les souvenirs s'entassaient comme autant de petites billes de verre - la représentation qu'elle avait des réminiscences. Les orbes changeaient de couleur selon les souvenirs et elle avait fini par comprendre qu'elles constituaient un code couleur émotionnel assez évident : rouge pour la colère, jaune pour la joie, vert pour le calme, violet pour la peur, bleu pour la tristesse et noir... elle ne savait pas exactement. Elle n'en avait vu qu'un, dans un seul esprit, et n'avait pas eu assez de temps pour le visionner.
— Il y a quelqu'un ? cria-t-elle dans le vide intersidéral qui s'offrait à elle
Soudain, une rafale de vent amena un entrelacs de pensées indiscernables, emmêlées, qui ricochaient contre les parois de ce lieu sans nom qui devenait enfin un tant soit peu normal.
Les pensées, points lumineux et sonores, lui tournaient autour comme des insectes autour de la lumière. Elle avança doucement, tendant l'oreille pour percevoir le moindre mot intelligible, mais il y avait trop de bruit pour comprendre quoi que ce soit. Elle crut discerner son nom, à un certain moment, mais elle ne pouvait même pas être certaine de la langue dans laquelle s'exprimait Maeve, alors reconnaître un nom !
Les portes se dessinèrent enfin devant elle, passages vers l'ensemble de l'esprit de Maeve, qui n'opposait aucune résistance - probablement car elle était inconsciente.
Hailey choisit le passage qui menait au "grenier" et s'avança dans la nouvelle pièce qui prenait forme sous ses yeux. Les sons s'estompèrent au fur et à mesure et elle ferma les yeux, concentrée. Ici, un certain ordre semblait avoir été établi, et les sphères lumineuses s'agencèrent pour former des lignes distinctes, comme des rangs de soldats.
Des soldats triés par couleur.
Bingo.
Elle s'approcha des souvenirs violets, presque certaine que Maeve avait eu peur récemment, mais elle interrompit son geste, interloquée. À présent que les souvenirs étaient rangés en fonction de l'émotion qu'ils représentaient, elle pouvait voir combien se trouvaient dans chaque catégorie. La peur, justement, en comptait bien trop. Généralement, une personne avait une dizaine de souvenirs apeurés, voire moins.
Elle fixa l'alignement d'orbes mauves, tentant de comprendre comment il était possible d'avoir eu aussi peur dans sa vie,
"Qui lui a fait du mal ? Qui lui a fait ça ?"
Oh. Oui, c'est logique.
Elle se détourna des billes violettes pour trouver les jaunes et les vertes, espérant en compter beaucoup. Peine perdue : seules deux sphères de chaque couleur flottaient tristement à hauteur d'épaule, côte à côte. Les billes bleues s'étendaient sur plusieurs mètres, à l'instar de celles contenant de la peur, et, au fond... un océan de billes noires comme la nuit.
Hailey se dirigea instinctivement vers celles-ci, ses pas résonnant dans la grande pièce, qui ne semblait pourtant pas comporter le moindre mur. Ni même de sol, et pourtant l'adolescente marchait bien sur quelque chose.
Elle tendit la main vers la sphère la plus proche et fut aussitôt emportée par le souvenir. Aspirée par l'orbe lumineux.
Elle avait déjà visionné plusieurs souvenirs, et elle était donc habituée à la scène qui se déroulait devant ses yeux : le décor se mettait en place, traçant les lignes, ajoutant les couleurs. Une... une chambre, voilà ce que dessinait l'esprit de Maeve. Une chambre bien vide, à vrai dire. Minuscule. Un lit simple, aux draps blancs, se dressait dans un coin de la pièce. Une lampe à la lumière crue brillait au plafond, se répercutant sur les murs et le sol immaculés.
Enfin, les acteurs apparurent. D'abord un homme, grand, bien bâti, avec des épaules larges. Des cheveux blond platine, des yeux d'un bleu froid, sans âme, un air sérieux et menaçant sur ses traits anguleux, il se tenait bien droit, le regard dirigé vers le sol, où était recroquevillée une fille. Une toute petite fille. Elle avait remonté ses genoux contre sa poitrine, enroulé ses bras autour et appuyé son front dessus. Hailey reconnu Maeve, sa peau pâle, ses cheveux qui lui paraissait ici plus blonds qu'à présent.
Le souvenirs se mit en branle. Le fillette sanglotait doucement, ses épaules frêles secouées de tremblements. Hailey se retint de courir l'étreindre, sachant d'avance qu'elle passerait au travers du corps du souvenir.
— Relève toi, ordonnait l'homme d'une voix basse, sans appel
— Mais ç... ça fait mal... protesta la petite Maeve
— Ne me force pas à répéter, Maeve. Tu ne voudrais quand même pas perdre un membre.
La gamine au sol fut prise de tremblements et se releva précipitamment, fixant ses chaussettes obstinément.
— C'est bien, sourit l'homme. Maintenant, dis-moi... pourquoi n'es-tu pas rentrée à la maison directement, hier ? J'avais bien précisé que je souhaitais que tu le fasses.
— Je... je suis désolée, c'est parce que... je n'ai pas fait exprès... je me suis perdue, parce que... avant, c'était maman qui m'emmenait à l'école, et... je ne savais pas le chemin.
Les traits de l'aîné se durcirent et il se tourna vers la commode accolée au mur du fond pour se saisir d'un objet posé dessus. Le cœur de Hailey manqua un battement lorsqu'elle reconnut l'artefact, et elle espéra du plus profond de son âme que rien de mal n'allait se produire. Que la ceinture que tenait l'homme serait rapidement attachée autour de sa taille, sans servir à quoi que ce soit d'autre.
Bien entendu, il n'esquissa pas le moindre geste pour cela. Il se contenta de la passer d'une main à l'autre en fixant la petite fille qui frissonnait en gardant les yeux rivés au sol.
— Tu me déçois beaucoup, Maeve. Puisque tu es une incapable et que tu ne peux même pas trouver le chemin de l'école, tu n'iras plus. Me suis-je bien fait comprendre ?
— Mais ils ont dit que... commença la petite Maeve
L'homme réagit aussitôt, levant la ceinture au-dessus de sa tête pour l'abattre sur l'épaule de l'enfant, qui lâcha un cri de surprise et de douleur avant de se laisser tomber à genoux et de se replier sur elle-même telle une fleur fanée.
Une fleur dont les pétales rouge vif commencèrent à se déployer, lentement, s'étendant sur sa peau pâle au fil de leur croissance. Fleur sanglante aux corolles de douleur qui poussaient d'un fertile engrais de métal acéré et de paroles tranchantes. Le sang s'écoulait sur le sol, à peine retenus par sa chemise qui rougeoyait, qui lui collait à la peau, découvrant son corps décharné.
— C'est de ta faute. Tu le sais, n'est-ce pas ? reprit l'homme en jetant la ceinture dans un coin de la pièce
La petite Maeve ne répondit pas et, constatant son silence, il l'attrapa brutalement par le coude pour la relever, avant de la plaquer contre le mur.
— J'ai dit : c'est de ta faute. N'est-ce pas ?
Cette fois, la fillette hocha la tête précipitamment. L'homme sourit, froid, et posa sa main libre sur la joue de sa victime.
— Dis-le. Dis clairement que c'est de ta faute, et pas de la mienne.
— C'est... mais, c'est que... si tu me montrais le chemin, je pourrais...
Elle s'interrompit, fixant avec horreur les flammèches qui dansaient sur la main de l'homme, qu'il avait écarté de son visage.
— Tu disais ? souffla-t-il alors qu'une gerbe d'étincelles enveloppait son poignet
— Non... non non, c'est juste que j... ça ne prendrais pas longtemps, et puis...
— Mauvaise réponse.
Il ferma son poing, qui se couvrit de flammes, mais ne frappa pas Maeve. Il écarta les cheveux de la petite fille avec son autre main puis déplia les doigts lentement pour effleurer son cou.
— C'est de ma faute et... pas... pas toi, bredouilla la petite Maeve en luttant pour rester debout alors que les flammes de l'homme venaient danser devant ses yeux
— Trop tard, répondit-il avec un sourire qui n'en était pas vraiment un, empli d'une émotion à mi-chemin entre la joie et la colère
Hailey, paralysée à un mètre de la scène, sentit une haine incommensurable naître en elle. Elle le tuerait. Elle le tuerait, qui qu'il soit, où qu'il soit, elle le retrouverait et elle le tuerait de ses mains.
Elle se promit de la frapper de toute ses forces avant de l'achever lorsqu'il posa la paume de sa main sur la cou de Maeve sans en ôter les flammes, brûlant sa peau ordinairement glacée. La petite fille hurla et tenta tant bien que mal de se défaire de la poigne de l'homme, mais il prit son poignet de sa main libre et le tordit violemment jusqu'à ce qu'un craquement sinistre ne retentisse.
Il fit un pas en arrière après quelques secondes et la petite Maeve s'écroula au sol, serrant son poignet sanglant contre elle. Des larmes de douleur, ou peut-être de peur, dévalèrent ses joues et elle frémit quand l'une d'elle atteignit la marque rouge qu'elle avait maintenant au cou.
— Est-ce que tu pleures, Maeve ? demanda l'homme
Elle secoua la tête et essuya ses larmes avec sa manche mais il éclata de rire, prit son menton entre ses doigts et releva sa tête pour la forcer à le regarder dans les yeux.
— Tu sais que je pourrais te tuer, et tu oses pleurer pour ça ? Bon sang, tu es encore plus pathétique que je ne le pensais. Je ne savais même pas que c'était possible ! Pitoyable, c'est pitoyable. Et toi, tu n'es qu'une gamine tellement faible qu'elle ne peut même pas résister à ça. Je devrais te tuer, vraiment, mais... tu es ma petite sœur, quand même. Les gens se poseraient trop de questions. Maintenant, nettoie-moi tout ce sang, et vite.
Il la lâcha et sortit de la chambre en claquant la porte. La petite Maeve resta immobile quelques secondes puis se remit à pleurer en silence. Le souvenir disparut doucement et Hailey lança un dernier regard à la petite fille recroquevillée par terre avant de fermer les yeux.
Elle n'aurait jamais du voir ce qu'elle avait vu. Jamais. Et pourtant, elle avait envie de savoir la suite, le après, ce qu'il s'était passé, ou plutôt avant. Pourquoi être si cruel envers elle alors qu'elle était sa sœur ?
Hailey frémit en se rendant compte que la même chose aurait pu se produire dans sa famille. Jek était plus fort qu'elle et Eheel réunies, elles le savaient. Lors des batailles d'oreiller, alors qu'il fallait constituer les équipes, elles ne parvenaient jamais à le battre, même à deux contre lui. Il aurait pu les frapper. Briser leurs os à coups de poings et leur âme avec des mots.
Elle secoua la tête, refusant d'imaginer cela. C'était faux. Jek était attentionné et s'était occupé d'elles quand leurs parents ne le faisaient pas. Lui était fiable, sûr, loyal.
Elle eut une dernière pensée pour Maeve, petite fleur fragile piégée dans une forêt de ronces, puis quitta son esprit malgré son envie grandissante d'en savoir plus.
— Alors ? demanda Helena avec espoir
Elle secoua la tête tristement et sortit de l'infirmerie. Mme Embershadow l'attendait, dehors, et elle lui adressa un regard tendre. Hailey ferma les yeux, les mains tremblante.
— Elle est... commença-t-elle, sans savoir comment finir la phrase
— Je sais.
La directrice l'enlaça et elle laissa les larmes couler, laissant libre cours à sa peine, sa rage et à la promesse silencieuse qu'elle avait faite à Maeve.
Elle rendrait coup pour coup tout ce qu'elle avait subi.
Elle se vengerait.
Et voilà, c'est la fin de ce dix-neuvième chapitre - oui, je sais, ça fait longtemps que je n'ai pas publié, mais pour ma défense ce chapitre est quand même long et j'ai un truc super illogique qui s'appelle des COURS et des DEVOIRS. Inutiles, pour la plupart.
Bref. Ce n'est pas le sujet. On enchaîne donc sur un chapitre de 7000 mots, quand même, c'est la moitié de chapitre précédent - j'avais mis tellement de temps à le faire, ce chapitre - dans lequel on voit un bout du passé de Maeve, et on ne va pas tarder à voir la suite, plus... Hailey !
Ça vous intéresse ? J'espère, parce que je vais bientôt faire des chapitres sur les souvenirs de Hailey, sa relation avec ses parents - elle veut les tuer donc heu, hein - son frère - dont j'ai parlé brièvement - et sa petite sœur, Eheel - ne me demandez pas d'où vient le prénom, j'en sais rien. J'ai tapé des lettres au hasard sur la clavier. Alors, que pensez-vous de ce cher Luck ?
J'ai une question pour vous. Une vraie question, genre je ne sais pas encore, à propos des souvenirs de Maeve. Est-ce que vous voulez voir avant ou après ? Parce qu'il y a plusieurs moments que je repasserais dans l'histoire mais je voudrais en intégrer un dans les prochains chapitres, et je ne sais pas lequel : quand ça a commencé, quand elle s'est brisée ou quand elle a été emmenée à Hansaï ?
Voilà, c'est vous qui choisissez. À bientôt pour un nouveau chapitre sur Hailey - parce que j'ai pas fini, avec elle, hein !
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