Chapitre 50 - Hailey

20 novembre, 9:26 a.m.

—... elles étaient utilisées pour de nombreux domaines, surtout les sciences. Bien entendu, elles étaient également très présentes dans la vie de tous les jours. Au dix-huitième siècle, années terriennes classiques, des lois ont même été passées pour interdire ce qu'ils appelaient la "sorcellerie" et appliquer des sanctions à ceux qui en usaient.

Hailey hocha la tête rapidement, concentrée comme elle l'avait rarement été. Après sa discussion avec Mme Embershadow, elle s'était empressée de faire son sac, deux fois, puis avait passé une bonne demi-heure à régler l'alarme de son réveil. À vrai dire, elle avait voulu demander à Maeve comment elle avait fait pour programmer le sien, mais lorsqu'elle avait toqué à sa porte, laissée entrouverte, elle n'avait trouvé personne. Claire aussi avait disparu, et l'adolescente en était parvenue à la conclusion que les deux jeunes filles traînaient probablement ensemble quelque part dans l'école. Cette nouvelle, plus que ravissante – elle avait bien remarqué les légères tensions entre ses deux amies – sonnait pourtant faux, comme un violoncelliste s'essayant à la trompette. Elle n'avait su dire pourquoi et était retournée à ses occupations, mettant sa fébrilité sur le compte de sa rentrée imminente.

Elle avait donc plus ou moins dormi, ayant trop hâte de retourner en classe pour être calme, et avait sauté de son lit lorsque les chiffres de son réveil avaient annoncé six heures. Elle s'était habillée – du moins avait-elle essayé, étant donné qu'elle avait enfilé ses chaussettes comme des gants et qu'il avait fallu une bonne dizaine de minutes pour qu'elle s'en rende compte, puis elle avait vérifié que toutes ses affaires étaient dans son sac à dos, avait empoigné sa carte enchantée et son emploi du temps et s'était rendue à son premier cours, mathématiques.

Son professeur, un vieil homme sympathique qui répondait au nom de Julius Tros et qui insistait pour que ses élèves l'appellent par son prénom, lui avait relaté les diverses notions qu'elle aurait étudiées si elle avait disposé d'une éducation en règles. Il lui avait remis un petit paquet de feuilles expliquant en détail tout ce qu'il y avait à savoir sur les notions de trigonométrie, algèbre arithmétique qu'elle avait raté puis, après s'être assuré qu'elle n'avait rien d'autre à rattraper, avait repris son cours.

Enchantée par les nouvelles perspectives qui s'ouvraient à elle, et à peine assez concentrée sur elle-même pour se rendre compte que les boutons de sa chemise étaient accrochés de travers, Hailey n'avait remarqué l'absence de Maeve que lorsque son deuxième cours avait commencé et que, remarquant que les tables étaient assemblées deux par deux, elle avait voulu lui proposer de se placer côte à côte. Alors inquiète de l'absence de l'adolescente, elle avait demandé à une fille blonde sans se rendre compte que celle-ci faisait vraisemblablement partie d'un groupe de pimbêche de l'école qui lui avait répondu avec un dédain non dissimulé : "Qu'est-ce que j'en ai a faire, de cette gamine ?"

À défaut de pouvoir la frapper, Hailey s'était réjouie d'entendre la voix de la professeure, qui venait d'arriver dans la salle de classe, lancer : "Tu pourras prétendre que les autres sont des gamins lorsque n'en seras plus une toi-même, Arwen." La fille – Arwen, donc – avait rougit, serré les dents et détourné le regard. Hailey, triomphante, s'était retournée pour savoir à quoi ressemblait sa sauveuse, mais avait déchanté dès qu'elle avait aperçu les yeux bleu brillant de Mme Embershadow, qui lui souriait gentiment.

— Vous êtes... prof ? avait grincé la jeune fille en rivant son regard vers le plafond, souhaitant éviter le regard de la directrice mais refusant de baisser les yeux

— Oui, avait confirmé l'intéressée, un sourire dans la voix. Je suis professeure d'histoire et de pratique des arcanes pour les classes un. Tu vas donc me voir plusieurs fois par semaine. Je me charge également de certains entraînements capacitaires, mais pas tous. Oh, bien sûr, j'assiste aux entraînements des élèves à propos de leurs pouvoirs. Et il m'arrive d'aider Helena à l'infirmerie, quand j'ai le temps, mais ça arrive assez rarement. La médecine requiert un calme dont je suis bien loin...

La directrice avait froncé les sourcils et secoué la tête, puis elle avait incité les élèves au silence d'un grand geste du bras. Depuis, elle faisait cours à la vingtaine d'élèves qui composait la classe des onzième un. Hailey, qui avait pris garde à s'installer à une place reculée, suivait le cours avec attention – l'histoire des arcanes était une notion qui n'était ni apprise à Laena ni dans le monde humain, ce qui la rendait particulièrement exaltante – en essayant vainement d'oublier qui parlait.

Après une unique heure, Hailey avait l'impression que son cerveau allait imploser sous la masse colossale d'informations qui venaient de lui être livrées. Elle regarda passivement ses camarades empaqueter leurs affaires de cours, tâchant de prendre une décision logique. Il y avait de fortes chances que Mme Emebrshadow sache où se trouvait Maeve, mais elle répugnait à l'idée d'avoir besoin de son aide. Elle pourrait tout aussi bien sécher le cours suivant – éducation physique, si ses souvenirs étaient bons – et partir à sa recherche.

Avant qu'elle ait pu trancher, sa professeure s'avança vers elle, effleurant distraitement les tables des élèves au passage.

— Maeve est à l'infirmerie, mais elle en sortira bientôt, révéla l'adulte en posant sa main sur l'épaule de Hailey

Cette dernière se redressa d'un bond, prête à sprinter jusqu'à l'infirmerie.

— Du calme, la retint Mme Embershadow en lui barrant le passage. Pour le moment, elle a besoin de calme. Je t'informe uniquement pour que tu ne t'inquiètes pas.

— Que je ne m'inquiète pas ?! s'étrangla l'adolescente en tentant de forcer le passage. Vous ne pouvez pas me dire qu'elle est aux portes de la mort et me demander de ne pas m'inquiéter !

— Je n'ai jamais dit que son état était inquiétant. Hier soir, tard, Claire a tenté de la tuer. Une élève de dernière année est intervenue et elle va bien. Elle a juste besoin d'un peu de repos. D'accord ? Je t'encourage à aller te changer, maintenant. Il est plutôt déconseillé de faire sport en jupe.

Hailey baissa les yeux sur son uniforme et hocha vaguement la tête mais, alors qu'elle allait sortir, elle se souvint d'une réflexion qu'elle s'était promis de partager avec quelqu'un de compétent. Malheureusement, la personne la plus compétente qu'elle connaissait était Mme Embershadow et, bien qu'elle eut préféré s'en remettre à quelqu'un d'autre, cela ne concernait pas qu'elle et, dans son ordre de priorité, Maeve passait avant son aversion pour la directrice de Westwood.

— Dites-moi... vous savez, lorsque nous sommes allées dans l'esprit de Maeve ? Sa magie paraissait comme... enfermée. Je me demandais... y aurait-il une manière quelconque de séparer la magie de quelqu'un de son corps ? De... l'enfermer dans une partie latente du conscient ? Parce que cela expliquerait pourquoi elle ne peut pas contrôler ses pouvoirs ni y faire appel lorsqu'elle le veut, mais qu'ils se déclenchent quand même. Vous avez parlé d'une arcane d'annihilation. Y aurait-il un dérivé ? Quelque chose qui, sans dissiper entièrement la magie de quelqu'un, la retienne ?

Un long silence troublé par les pas et les discussions des élèves dans les couloirs suivit sa question. L'adulte, visiblement troublée, ne cessait de marmonner des mots qui échappaient à Hailey, le regard dans le vague.

— Oh, non. Je ne veux pas. Je ne veux pas, répéta Mme Embershadow en se détournant de l'adolescente, la tête entre les mains

— Quoi ? Pourquoi ? Qu'est-ce qu'il y a ? s'enquit la jeune fille, anxieuse

— Rien. Rien qui doive te préoccuper. Vas en cours. Je dois en parler avec... Aerin, et puis... Maeve, bien sûr... Helena, Kareen... Thom, éventuellement... si ça se dégrade, on peut être sûrs qu'elle y passera... il faut que j'aille chercher quelqu'un, conclut la directrice en cessant subitement de tourner en rond

Elle sortit de la salle à grands pas, les semelles de ses chaussures claquant contre le sol boisé. Hailey, immobile, la respiration hachée, se retrouva seule dans la salle de classe, à écouter tous les sons à proximité à la recherche de celui qui lui indiquerait son erreur. Non, elle n'avait pas entendu "on peut être sûrs qu'elle y passera", bien sûr que non. C'était simplement une hallucination auditive. Une distorsion du son due au bruit de fond causé par les élèves déambulant dans les couloirs. Il ne fallait surtout pas s'inquiéter. Tout irait pour le mieux.

Une larme, unique source de silence dans le brouhaha alentour, trébucha contre ses cils, roula sur sa joue et s'écrasa contre le col de sa chemise immaculée. Un spasme secoua ses épaules et ses genoux flageolants la laissèrent tomber au sol, les mains tendues devant elle dans une vaine tentative de se rattraper à quelque chose, n'importe quoi, pour ne pas chuter, sachant que si elle tombait trop bas elle ne s'en relèverait pas.

« Jek ? Où est Eheel ? demanda Hailey en jetant négligemment son sac à dos sur son lit

Sa petite sœur ne manquait jamais une occasion de sauter sur son dos ou de s'accrocher à sa jambe lorsqu'elle rentrait de l'école, or il n'y avait nulle trace d'elle dans la maison. Jek, la mine sombre, rejoignit l'adolescente dans sa chambre et l'étreignit si fort qu'elle sentit l'air être expulsé de ses poumons.

— Où est Eheel ? demanda-t-elle de nouveau

À l'hôpital. Mais tout ira bien, ne t'inquiète pas.

La jeune fille repoussa brusquement son frère et le dévisagea longuement, cherchant désespérément une trace d'humour sur son visage fermé.

Pourquoi ? souffla-t-elle en reculant encore, les larmes aux yeux

Elle est juste... ne t'inquiètes pas. Elle reviendra bientôt.

Jek, dis-moi pourquoi Eheel est à l'hôpital !

Le garçon resta silencieux un moment puis marmonna une phrase inintelligible qu'il lui fallut répéter trois fois pour que sa sœur la comprenne. Eheel, trop jeune pour aller à l'école avec ses grands frère et sœur, était restée à la maison avec leurs parents qui, pour une raison ou une autre, ne tenaient apparemment pas à y rester. Ils étaient sortis pour rendre visite à quelque richissime habitant de la capitale de Laena, Kisû, où les Solt habitaient eux-mêmes. Ils n'avaient visiblement pas songé à ce qu'il pourrait se produire s'ils laissaient une enfant de quatre ans seule chez eux, alors qu'un feu de cheminée ronflait joyeusement dans l'âtre. Bien entendu, n'ayant pas encore conscience de la dangerosité des flammes, Eheel avait tenté de « jouer » avec. Le feu avait atteint la manche de son pyjama, avait brûlé le tissu et sa peau mais, seule, elle n'avait rien pu faire d'autre qu'attendre en pleurant pour que quelqu'un vienne l'aider.

Ils sont rentrés il y a une heure et l'ont emmenée aux urgences.

Mais elle va s'en sortir ? insista Hailey en cherchant le regard fuyant de son frère. Elle va s'en sortir, n'est-ce pas ?

Hailey... elle est vraiment très jeune, et puis... la brûlure est grave. Il se peut aussi qu'elle ait inhalé beaucoup de fumée. Alors...

L'adolescente plaqua ses mains sur ses oreilles, fit un nouveau pas en arrière, son dos heurta le mur et elle se laissa glisser au sol, se recroquevillant dans l'espoir que sa carapace de silence empêche la réalité d'exister. Elle avait toujours su ses parents négligents – ils jugeaient que seul Jek avait véritablement de l'importance, étant donné que leurs deux autres progénitures étaient des filles – mais elle n'aurait jamais cru qu'ils iraient jusqu'à laisser leur propre fille seule chez eux.

Ça ne se reproduira pas, pensa Hailey en ouvrant les yeux brusquement pour fixer le sol devant elle. Jamais.

Sa vision s'obscurcit et elle eut le temps d'entendre Jek l'appeler par son nom avant de sombrer et qu'une colère froide qui ne lui appartenait pas tout à fait remplace ses larmes. Elle se releva lentement et, placide, fixa longuement son frère, qui ne put que la dévisager en retour.

Dévisager ses yeux dont la couleur s'éloignait peu à peu du doux brun rosé qui la caractérisait. »

— Je ne te perdrais pas, promit Hailey en essuyant rageusement une nouvelle larme. Je n'ai pas perdu Eheel et je ne te perdrais pas non plus.

Elle prit une grande inspiration, rejeta loin de son esprit la silhouette sombre qui lui murmurait de la laisser entrer, puis sortit de la salle d'histoire des arcanes pour se diriger vers le gymnase.

Maeve devait rester au calme, selon Mme Embershadow. Très bien. Dans ce cas, elle irait en cours de sport, en profiterait pour épuiser tout le surplus d'énergie que la nouvelle avait causé en elle puis se rendrait à l'infirmerie. Que la directrice soit d'accord ou non.

Se rappelant soudain qu'elle devait se changer, Hailey courut jusque dans sa chambre et troqua son uniforme impeccable contre une tenue plus adaptée et s'apprêtait à courir pour arriver à l'heure à son cours lorsqu'elle remarqua un mot sur sa table de chevet.

« Fais-y attention. »

L'adolescente fronça les sourcils puis comprit le sens de la missive en remarquant l'objet qui l'accompagnait. Le poignard de Maeve.

Étrange, songea la jeune fille en saisissant l'objet

La sonnerie indiquant qu'elle était déjà en retard retentit et elle dévala les escaliers si vite qu'elle crut tomber à plusieurs reprises. Alors, d'un geste presque inconscient, elle glissa l'arme dans sa poche.

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