Chapitre 43 - Maeve

17 novembre, 7:30 a.m.

Hailey, après l'avoir accompagnée jusqu'à sa salle de classe, l'avait enlacée – en évitant soigneusement d'appuyer sur la blessure qu'elle portait au-dessus de sa hanche, dont l'horrible couleur d'un rouge noirâte était heureusement estompée par la chemise – puis l'avait laissée, lui promettant de la rejoindre bientôt, et de travailler sur sa théorie à propos du blocage.

Depuis, Maeve attendait, nerveuse comme elle l'avait rarement été et les doigts douloureux à force d'en tordre les articulations. Les cours ne commençait qu'une demi-heure plus tard, mais des élèves affluaient déjà par petits groupes, semblant étrangement paisibles, même en sachant que chacun de leurs camarades pouvait entrer en Transe et leur sauter à la gorge.

— Maeve ! s'exclama une voix surprise à l'angle du couloir

L'adolescente se tourna vers la propriétaire de l'appel et découvrit la jeune fille qui lui avait parlé le soir de son arrivée à Westwood – qui lui semblait remonter à des lustres.

Elle ne se souvenait plus de son nom, mais avait bien retenu en revanche son tempérament plus sociable que de raison et non moins enjoué. Le fait même qu'elle l'interpelle alors qu'elle l'avait plus ou moins insultée en pensée, sans savoir qu'elle pouvait les percevoir, le prouvait.

— Bonjour, répondit faiblement l'adolescente

Elle se colla au mur et croisa les bras pour cacher les marques qui striaient son corps – heureusement, Hailey ne lui avait pas demandé de porter un short, auquel cas elle aurait fait une crise d'angoisse dans les quinze secondes qui auraient suivi. Découvrir ses jambes pour que Helena puisse soigner son genou était une chose, montrer les affreux enchevêtrements d'entailles gravés dans sa chair aux centaines d'élèves qu'habritait Westwood en était une autre.

— Tu as réussit le test d'Eda ! s'écria la nouvelle venue en la prenant par les épaules. Donc tu vas commencer les cours ! Tu veux que je t'aide à trouver ta classe ?

— Oh, c'est... je crois que c'est ici, marmonna Maeve en jetant un coup d'oeil à la carte magique, à présent vierge

— Donc... attends... Eda t'a dit dans quelle classe tu es, n'est-ce pas ? 

L'intéressée opina, méfiante quant au ton qu'employait la fille, en prononçcant chaque syllabe comme si elle croyait que Maeve, dans un soudain accès de stupidité, ne puisse comprendre ce qu'elle disait.

— Je suis en onzième un, lança-t-elle brusquemment, coupant l'herbe sous le pied de l'adolescente, qui se préparait visiblemment à poser la question. Et c'est ici. Non ?

Faites que ce soit ici, supplia la jeune fille en se retenant de redemander son chemin à la carte. Faites que je ne me ridiculise pas.

— Disons que... oui, les onzième un commençent ici, aujourd'hui, mais ça m'étonnerait beaucoup que tu sois dans cette classe. Tu es certaine d'avoir bien entendu ? Elle l'a écrit quelque part, peut-être ? Elle s'est sans doute trompée. Ou alors tu as mal lu : elle a probablement écrit sept, ou un deux très étrange, mais certainement pas un.

— Elle me l'a juste dit, admit Maeve, la voix aussi tremblante que la flamme d'une bougie exposée au vent d'Okuno. Mais je suis presque sûre...

— "Presque" ? releva la fille en se rapprochant encore. Donc tu n'es pas sûre. Tu ne peux pas venir ici si tu n'es pas sûre, Maeve. Les classes "un" sont les meilleures de Westwood en terme de capacités. Seuls les meilleurs élèves de ces classes peuvent espérer intégrer l'Élite. Je te conseille d'aller vérifier parce que, tu vois, je suis en onzième un. Et je doute que tu puisses en dire autant.

— Comment tu peux le sav...?

— Parce que tes barrières mentales viennent de tomber. Tu ne te concentres pas, siffla l'adolescente avec un regard méprisant. Tu mériterais à peine d'entrer en quatre. Et encore – seulement si le niveau est bas cette année.

Sans qu'elle sache exactement pourquoi, Maeve sentit le cocon doré qui couvrait son coeur s'embraser. Pas comme son coeur lorsqu'elle avait perdu tout espoir, brûlant tout pour ne laisser que cendres froides et larmes teintées de rouge. Pas non plus comme son âme lorsque, petite, elle avait senti quelque chose qui lui ressemblait tout en étant complètement opposé à elle se glisser dans son corps et lui ravir le contrôle qu'elle avait dessus.

Non, cette fois, ce n'était pas pour la détruire que les flammes illuminaient les ténèbres. C'était pour éclairer la scène lorsqu'elle envoyerait son poing dans la mâchoire de cette espèce d'enfant gâtée et prétentieuse.

Peut-être qu'en effet, elle ne méritait pas sa place dans la classe la plus prometteuse de Westwood. Peut-être même qu'elle était si mauvaise en magie qu'aucune classe, même la plus basse de celles réservées aux jeunes enfants, ne voudrait d'elle. Mais elle ne pouvait supporter le regard inquisiteur que la fille posait sur elle, comme si elle l'évaluait à contrecoeur, tâchant d'attribuer un rôle à un bambin empoté.

— Bref... soupira la fille, levant les yeux au ciel, abandonnant l'idée de trouver une utilité à Maeve. Tu devrais partir. Les cours vont bientôt commencer et tu ferais mieux de ne pas te mettre dans le passage.

Pour illustrer son propos, la fille jeta ses cheveux blonds derrière son épaule et écarta l'adolescente d'un coup d'épaule pour ouvrir la porte de la salle de classe pour le moment vide, prenant soin de la refermer derrière elle en lançant un dernier sourire volontairement forcé à Maeve, qui ne put que reculer d'un pas et saisir son emploi du temps pour vérifier que sa salle de classe se trouvait bien ici – ce qu'elle commençait à redouter, si cette pimbêche ne prenait même pas la peine de lui laisser une chance.

"Maeve Erin – 11°1", signalait le document. Il n'y avait pas d'erreur possible – un caractère écrit à la main aurait pu être déformé, mais pas un chiffre imprimé noir sur blanc.

Maeve songeait à entrer dans la salle à son tour lorsque la sonnerie suraiguë qui l'avait déconcertée la veille retentit une nouvelle fois, marquant le début de la journée de cours. À l'infirmerie, alors qu'elle se reposait après le léger incident qui avait eu lieu dans sa nouvelle chambre, elle ne l'avait jamais entendue. C'était probablement volontaire, pour que les malades ne doivent pas ajouter un mal de tête à leur liste de maux.

Mais cela aurait au moins eu l'avantage de la préparer, et ses oreilles n'auraient pas été si sauvagement agressées.

Enfin, la cloche se tut, remplacée par les bruits de centaines de pas qui foulaient le plancher de l'école. Les élèves passaient par petits groupes, s'agglutinaient contre les murs pour attendre l'arrivée du professeur, bousculant tout et tout le monde sans songer à s'excuser.

Maeve fut, comme la veille, projetée de côté, la poignée d'une porte appuyant douloureusement sur la balafre au-dessus de sa hanche, qu'elle sentit proche de se rouvrir.

Non, paniqua l'adolescente en se déplaçant autant que possible dans la marée d'étudiants. Elle ne pouvait pas se permettre d'afficher une chemise tâchée de sang dès son premier jour

"Et pourquoi pas ? C'est tout à fait ton style." aurait sûrement ricané la fille qui l'avait abordée quelques minutes plus tôt.

Du moins, c'est ce qu'elle aurait dit si elle avait eu connaissance des heures que Maeve avait passé à nettoyer, repriser et détâcher ses vêtements aux ourlets brûlés et effilochés, jusqu'à ce que chemises et pantalon se confondent, tissu foncé par les cendres, rougi par le sang, épuisé d'être traîné au sol à la recherche d'un endroit sûr.

— Allez, rentrez, ne perdez pas de temps, lança une voix familière au-dessus du bruit ambiant

Aussitôt, les élèves amassés devant la salle des onzième un y entrèrent, discutant allègrement, adolescents parfaitement sereins dans le chaos de la vie.

Maeve resta immobile, résistant difficilement à l'envie de se recroqueviller au sol pour disparaître à jamais, les genoux tremblants. Si Helena avait soigné son articulation défaillante, elle l'avait prévenue qu'elle serait faible les jours suivants. Elle aurait pu la réparer entièrement, mais l'organisme de la jeune fille, qui se remettait tout juste de son passage près de la Mort, n'aurait pas supporté les effets secondaires pourtant bénins de l'élixir.

— Oh, Maeve. Parfait. J'espérais que tu n'aurais pas eu trop de soucis à trouver la salle, l'interpella la professeure – qui, par un hasard peu commun, se trouvait être en plus de cela directrice de l'établissement

Mme Embershadow lui adressa un sourire franc et, lorsque le dernier élève à part Maeve fut entré, elle ferma la porte à demi pour examiner l'adolescente du regard, s'attardant ostansiblemment sur ses bras.

— C'est courageux, commenta-t-elle sans avoir de esoin de précier de quoi elle parlait

La jeune fille, qui avait presque oublié ne pas porter de veste, croisa les bras avec empressement, le rouge de ses jues reflétant les marques de sa peau.

— C'est Hailey qui m'a obligée, maugréa-t-elle en ramassant son sac à dos

— Tu la remercieras de ma part. Ce n'est sans doute pas très agréable au début, mais il faut bien commencer quelque part. Quoi qu'il en soit... Arwen n'a rien contre toi en particulier. Elle est juste... enfin, elle est membre à part entière de l'Élite et chacun sait que les places y sont comptées, pour plusieurs raisons que je t'expliquerais une autre fois. Elle a simplement peur de trouver plus fort qu'elle. Mais tout ira bien. Tu viens ?

L'adolescente hocha la tête, déterminée à prouver sa valeur malgré le noeud qui se tendait dans son estomac.

— Comment vous savez qu'elle...? commença Maeve en se rendant compte que l'adulte n'avait pas été présente lors de la discussion qu'elle avait eu avec la fille, Arwen

Elle vérifia aussitôt que ses défenses mentales étaient toujours en place mais, à son grand étonnement, elles tenaient bon.

— Je me suis permise de... vérifier si tu allais bien, admit Mme Embershadow avec un sourire coupable. Et je te félicite : tes barrières sont solides, pour une novice.

Apparemment peu encline à revenir sur son intrusion psychique, la professeure invita Maeve à entrer puis la suivit à l'intérieur. La nouvelle élève balaya la classe du regard, honteuse de n'avoir plus de repères scolaires. Les tables des élèves étaient heureusement individuelles – elle n'aurait pu supporter les regards insistant que lui aurait jeté son voisin – et il n'en restait miraculeusement qu'une seule de libre, au premier rang. Maeve s'y dirigea à grand pas, de peur que les étudiants ne détournent leur attention des conversations qu'ils entretenaient pour la dévisager comme l'avait fait Arwen plus tôt et elle sortit quelques affaires de son sac sans savoir exactement ce dont elle avait besoin.

— Juste ça, lui souffla Mme Embershadow en désignant un cahier pour le moment vide et une plume blanche irisée d'argent. Silence, s'il-vous-plaît, ajouta-t-elle à l'attention des autres adolescents, qui se turent aussitôt. Comme vous avez pu le remarquer, une jeune fille ici présente à passé le test avec succès et rejoint notre classe aujourd'hui.

La concernée baissa la tête et libéra ses cheveux de derrière ses oreilles pour qu'ils tombent devant ses yeux. Elle vit vaguement les trois rubans bleu, violet et rouge qui dansaient dans ses mèches, et se concentra dessus pour ne pas avoir à relever les yeux.

— Tu viens te présenter ? proposa Mme Embershadow en posant une main sur son épaule

Le coeur de Maeve manqua un battement et elle releva lentement la tête jusqu'à croiser la regard de la directrice-professeure en espérant qu'elle n'insiste pas. Malheureusement pour elle, l'adulte semblait déterminée à la faire parler devant une salle remplie d'adolescents moqueurs, et elle ne put que se lever et se retourner pour faire face à la vingtaine de visages inconnus qui la fixaient avec, au choix, amusement, désintérêt ou mépris. Voire tout en même temps. 

Une longue minute passa sans qu'elle ne puisse dire un seul mot, sa voix coincée dans sa gorge semblant vouloir l'étrangler, mais aucun élève – ni leur professeur, qui n'avait pas l'air de remarquer l'embarras de sa victime – ne détourna le regard.

Tu pourrais commencer par ton nom, suggéra une voix dans sa tête, un sourire invisile teintant les mots

— Je... Maeve, bredouilla-t-elle donc, les doigts douloureusement noués

Ton âge, maintenant.

— Quinze... je crois.

Ce que tu aimes faire dans la vie ?

— Ne pas mourir. Et lire.

D'accord... et ce que tu n'aimes pas ?

— Mourir. Ça fait mal.

Un rire étouffé lui parvint depuis le fond de la salle et elle découvrit avec horreur un groupe de filles qui se chuchotaient des messes basses en la pointant du doigt. L'un de ses doigts émit un craquement et une douleur lancinante lui parcourut la main sans qu'elle ne songe à démêler ses phalanges.

Je pense que ça suffit pour aujourd'hui, remarqua la voix – qui ressemblait à s'y méprendre à celle de Mme Embershadow. Tu peux retourner à ta place.

L'adolescente esseya. Elle esseya de toutes ses forces de placer un pied devant l'autre pour rejoindre sa table, mais ses jambes refusaient de lui obéir.

Une main se posa de nouveau sur son épaule mais cette fois, elle n'y réagit pas, la terreur d'avoir fait mauvaise impression dès le premier cours de l'année s'insinuant en elle tel un poison pas suffisamment puissant pour la tuer, mais bien assez pour lui faire mal.

— Mourir, ça fait mal ! s'exclama un garçon, faisant grimper sa voix dans les aigus pour se rapprocher de celle de Maeve

Qui craqua.

Les larmes coulèrent sur ses joues et un cri grossit dans sa gorge, l'empêchant de respirer. Elle plaqua ses mains sur son cou, lacérant sa peau pour laisser l'air y entrer, mais quelqu'un prit ses poignets et les mintint fermement.

Elle se débattit faiblement, laissant les quelques gouttes de sang qu'elle avait libérées couler jusqu'au col de sa chemise, qu'elles tachèrent de rouge, voulant à tout prix reprendre le contrôle, pouvoir avoir mal uniquement lorsqu'elle le désirait et, pour une fois, c'était ce qu'elle voulait. Sentir les coups au lieu des mots, le sang au lieu de la honte qu'elle s'était attiré.

Non, refusa la voix de la directrice dans sa tête. Tu ne fais pas ça. Je ne te laisserais pas te faire du mal, compris ? On va régler ça, tout ira bien, et quand je dis "tout", ça te concerne aussi.

Non, renchérit sa propre voisx, ténue. J'ai promis. Je ne peux pas. Il ne faut pas.

Maintenant, respire, l'encouragea Mme Embershadow

Elle prit une inspiration hachée et la professeure dessera sa prise sur ses poignets.

— Aiden, emmène-la à l'infirmerie, ordonna-t-elle à un garçon – heureusement pas celui qui l'avait imitée – qui s'avança à petites foulées. Et ne la laisse pas toute seule. Reviens avec elle aussi.

— Je vais bien, protesta Maeve, qui ne se sentait pas capable d'affronter un élève seule à seul

La directrice, peu convaincue, attendit que le garçon soit arrivée à leur hauteur pour lâcher ses poignets.

— Qu'est-ce que je dis à Helena ? demanda le garçon d'une voix qui avait déjà mué

— Simplement qu'elle a besoin d'un calmant. Mais pas de sédatif.

L'étudiant hocha la tête puis pris Maeve par le coude et l'emmena dans le couloir. L'adolescente ne se risqua pas à croiser son regard, bien qu'il ne semblât pas particulièrement hostile, et le suivit sans broncher jusqu'aux portes de l'infirmerie.

— Je n'ai pas besoin...

— Bien sûr que si, la coupa le garçon en la faisant entrer. Helena ? On a "je-Maeve-quinze-je-crois" pour toi.

L'infirmière sortit de son bureau, de l'autre côté de la pièce, et examina les deux arrivants.

— Maeve ! Ça fait longtemps, ironisa-t-elle en désignant le lit de camp sur lequel Maeve l'avait laissée la soignée la veille et encore quelques jours auparavant

Les draps, par chance, ne portaient plus la moindre trace du sang qu'elle avait déversé dessus. Elle effleura le bandage qu'elle portait au bras gauche, là où les treizes premières cicatrices qu'elle s'était infligé le soit de son arrivé à Westwood se refermaient lentement. Elle aurait aimé penser à scarifier ses deux bras – ainsi, personne n'aurait pu voir les affreuses zébrures qui découpaient son corps. Mais elle avait promis à Helena, Mme Embershadow et Hailey de ne pas réitérer, alors elle n'en aurait plus jamais l'occasion.

Le garçon s'appuya contre le mur et la dévisagea longtemps, la détaillant comme s'il voulait graver chaque détail dans sa mémoire. Maeve se risqua enfin à détacher son regard du sol carrelé pour observer le mur à côté du garçon – le regarder lui était bien trop demander.

De ce qu'elle voyait, il avait des cheveux noirs, bouclés, et une peau mate qui soulignait à merveille ses yeux bleu pâle. Des yeux au regard dur et coupant comme le verre, critiquant silencieusement son être.

— Tu sais que tu es vraiment très étrange ? lança soudain le garçon, un léger sourire se dessinant sur ses lèvres

— Je... je sais, répondit Maeve en détournant à nouveau les yeux

— Ce qui ne veut pas forcément dire que c'est mal. Être étrange, parfois, ça permet de secouer un peu les gens. Dis moi... tes cicatrices, c'est des fausses, rassure moi ? Comme on en met pour Halloween ?

L'adolescente vrilla son regard et, malgré ses iris transcendants, il ne put déceler chez elle aucun signe confirmant sa théorie.

— C'est... c'est vrai ? Toutes les blessures, c'est que du vrai ? souffla-t-il en montrant du doigt les entailles qui cisaillaient sa peau. Mais alors... tu es... vraiment très maladroite.

Maeve sourit doucement, retournant au sol immaculé. Mme Embershadow avait dit que personne ici n'était plus vraiment un enfant. C'était peut-être vrai, mais la plupart voulaient encore y croire. Se laisser bercer par l'illusion que tout allait bien, que les démons n'allaient pas prendre le dessus, que personne n'allait les égorger pendant leur sommeil, que Kent ne traverserait pas la barrière des mondes pour les attaquer, qu'une adolescente à la peau à vif était simplement maladroite.

— Mon frère est maladroit, murmura-t-elle en guise de réponse, se souvenant des mois qu'il lui avait fallu pour ne plus chercher d'excuses à Luck

Il était alors la seule famille qu'il lui restait ; comment aurait-elle pu deviner qu'il valait mieux fuir à jamais que d'attendre que l'orage passe ? Mais lorsqu'elle avait tenté de prendre la décision de courir jusqu'à n'en plus pouvoir, de s'éloigner de l'être malfaisant qui n'était plus tout à fait son frère, il l'avait rattrapée à quelques mètres à peine de la porte d'entrée, l'avait projetée à l'intérieur, claqué la porte et lui avait sourit.

"Tu y as vraiment cru, pas vrai ? Mais tu ne peux pas m'échapper. Tu ne peux pas échapper à son destin."

Il semble que si, rétorqua Maeve en se demandant si elle serait capable de le lui dire en face.

— Voilà, voilà, je l'ai enfin trouvé ! intervint Helena en ressortant de son bureau, une fiole au contenu leu sombre à la main. Prends ça, attends quelques minutes et tout ira bien. C'est possible que tu aies mal à la tête plus tard, reviens me voir si c'est le cas. J'aimerais profiter que tu sois là pour changer tes bandages et vérifier l'état de tes blessures.

— Oh, c'est que... je dois retourner...

— Non, faites-le, l'interrompit le garçon. Il ne faudrait pas qu'elle nous fasse un malaise.

L'infirmière sourit gentiment et lui dit qu'il pouvait retourner en classe, mais il lui répéta ce que Mme Embershadow lui avait indiqué de faire et se campa fermement près du lit de Maeve, qui évita son regard comme le feu évitait la pluie.

— Je-Aiden-quinze-je-crois, annonça-t-il en tendant la main pour qu'elle la serra dans la sienne

Elle hésita un moment, ne sachant comment réagir face à la semi-moquerie que venait de lui faire le garçon. Et puis qu'avait-elle à y perdre, après tout ? Elle saisit la main du garçon, qui la secoua énergiquement.

— Dis... c'est de toi que parlait Edaline, l'autre jour ? demanda Aiden d'un ton conspirateur

— Tout dépend de ce qu'elle disait, répondit Maeve, hésitante

— Qu'une élève avait essayé de... mourir. Et, sans vouloir te vexer, tu as l'air tout droit sortie d'une morgue.

La jeune fille sourit tristement et hocha la tête rapidement avant de se recontrer sur les gestes de Helena, qui avait entrepris de dérouler le bandage autour de son bras et examinait attentivement les nouvelles cicatrices qui s'y trouvaient. Six lignes droites, alignées telles des soldats attendant leurs ordres, et sept autres un peu plus bas. Luck, lui, ne se préoccupait pas de savoir où il devait frapper. Souvent, il ne la regardait même pas. C'était à se demander s'il savait encore ce qu'il faisait, ou si c'était seulement un réflexe haineux. Quelle que soit la réponse, elle ne changeait rien au sang ni à la douleur, alors à quoi bon tenter d'y répondre ? De toute façon, son frère l'avait sans doute déjà oubliée. Elle n'avait jamais été importante à ses yeux. Si ça avait été le cas, il ne l'aurait pas dénoncée. Elle n'aurait pas rencontré Hailey, ni Claire, aussi étrange soit-elle, ni Mme Embershadow, Helena, Jake et Aiden, à peine plus normal que Claire.

Un étrange sentiment qui lui donna envie de rire et de hurler s'insinua en elle. S'i ne l'avait pas dénoncée, elle n'aurait jamais appris à sourire. Alors devait-elle ressentir de la gratitude à son égard ?

L'infirmière appliqua un baume froid sur sa peau et elle tressaillit, arrachée au dilemme qui faisait rage en elle, opposant la jeune fille servile et chétive que son esprit avait préféré devenir pour ne pas se briser et celle, étrange, qui voulait cesser d'être invisible. Cette même fille qui avait dit à Mme Embershadow qu'elle se tournerait vers l'avenir au lieu du passé et, à présent, elle était bien obligée d'honorer sa promesse.

— Pourquoi en a-t-elle parlé, au juste ? s'enquit Maeve, dont le cerveau refusait de changer de sujet

— Oh, eh bien... commença Aiden, les yeux rivés vers les cicatrices que Helena avaient révélé. J'imagine que... en fait, elle nous a simplement dit d'être prudents et que si, par un quelconque hasard, nous discernions des signes de détresse chez un élève, il fallait l'en avertir de suite. Je n'ai pas compris tout de suite qu'elle parlait de toi en particulier parce qu'elle l'a dit pendant un rassemblement, dans l'amphitéâtre, alors toute l'école était là.

La concernée se sentit rougir en se rendant compte que la directrice – et une des professeures – de Westwood avait indirectement parlé de son cas devant des centaines d'élèves. Et qu'Aiden ait réussit à l'associer à sa déclaration signifiait que d'autres étudiants avaient sans doute tiré les mêmes conclusions que lui. Donc... elle allait être mise au banc de la société et passer le restant de sa vie à chercher un moyen de s'intégrer.

— Au fait, pour, disons... l'accueil que t'a réservé notre classe, lança le garçon nerveusement. On ne pensait pas que tu serais aussi... enfin, quand on a décidé de la faire, c'était simplement pour... je ne sais pas. En fait, c'est Edaline qui nous l'a demandé. Enfin, non, pas pour toi précisément, mais elle nout a demandé comme à toutes les autres classes un de l'école de le faire à tout nouvel arrivant. Parce que, tu sais, les classes un habritent les potentiels membres de l'Élite. Mais, pous en faire partie, il faut bien contrôler les capacités, et avoir la force mentale nécessaire. C'est pour ça. Pour faire un premier tri. Je m'excuse au nom de la classe, ça n'aurait pas dû être si brutal. Bien sûr, c'est terminé, maintenant. Tu as lamentablement échoué au test, mais c'est terminé.

Maeve ferma les yeux et prit une grande inspiration pour garder son calme. Une partie d'elle voulait éclater en sanglots, déçue de perdre encore et encore, mais une autre souhaitait faire remarquer à Aiden son manque pourtant évident de tact et lui demander comment il réagirait si sa pire peur se réalisait devant lui. 

Ne pouvant choisir d'intermédiaire, elle se contenta de patienter, les paupières closes, sentant la magie rassurante de Helena, qui couvrait de nouveau son bras.

— C'est bientôt terminé, lui dit cette dernière en fixant la bande blanche. Il faudra que tu reviennes me voir encore une fois, vers la fin de la semaine, d'accord ?

—  La fin de... d'accord. Mais alors... quel jour est-on ? interrogea l'adolescente, qui avait perdu la notion du temps depuis des années 

L'adolescent à sa gauche éclata de rire, pensant probablement à une blague, mais Helena l'arrêta d'un regard.

— Mardi, l'informa-t-elle avec un sourire. Viens, disons, vendredi soir ou samedi, tu veux ? Normalement, tes blessures devraient déjà avoir cicatrisé mais ton corps est épuisé. Pense à dormir et manger, de temps en temps, suggéra l'infirmère en refermant le sachet de bandages restés sur la table accolée au lit de camp. Ce serait une bonne idée.

Elle hocha la tête, peu convaincue que baisser sa garde serait judicieux, puis avala le flacon que lui avait donné Helena et se releva. Aiden lui ouvrit la porte théâtralement et elle ne put retenir un sourire amusé. Il était décidément peu commun.

Le trajet se déroula sans encombre et Maeve sentit peu à peu les effets de l'élixir se répendre dans son corps, relâchant ses muscles tendus à l'extrême, parés à quelque attaque que ce soit. Sa respiration rendue plus facile par le calmant, elle savoura l'oxygène qui s'infiltrait dans ses poumons,  écouta les voix qui lui parvenaient au travers des portes, observa les tresses que Hailey avait soigneusement noué.

Enfin, Aiden parvint devant la porte et, lui jetant un regard interrogateur, lui ouvrit la porte.

— Merci, s'empressa de dire Maeve. Pour... je ne sais pas. Pour m'avoir accompagnée. Pour...

—  T'inquiète, la coupa le garçon avec un geste nonchalant de la main. Maintenant, un conseil : même si tu as envie d'intégrer l'Élite, ce qui n'est, j'espère, pas le cas, n'en parle pas. Sauf à des gens à qui tu fais confiance. Mais vraiment confiance, d'accord ? Pas des gens que tu as rencontrés la veille et avec qui tu t'entends bien. Sinon, tu peux dire adieu à ta tranquilité.

Sur ce, il entra dans la salle de classe, laissant l'adolescente seule avec ses interrogations. Heureusement pour elle, Mme Embershadow lui fit signe d'entrer, lui faisant quitter ses pensées – et lui évitant une nouvelle situation gênante dans laquelle les élèves l'auraient dévisagée, se demandant pourquoi elle restait plantée là comme une idiote.

Elle remplit ses poumons d'air frais puis, retenant son souffle, se prépara à subir les tortures de l'Enfer avec une seule pensée en tête.

Ça ne peut pas être pire que Luck. Si ? 


Bonsoir/bonsoir, chères lecteur/ices !

Veuillez excusez mon flagrant retard, je suis MALADE. Mais alors bien malade (après chaque phrase je tousse si fort que le plafond de l'Enfer va tomber) ce qui rend le processus d'écriture relativement compliqué.

Cependant, je vous promet de me ratrapper : j'ai ENFIN trouvé la fin de ce livre, ça va être plutôt sympa, j'espère que vous êtes parés parce qu'il va y avoir un nouveau personnage, des morts, des arcanes, de la magie, et du sang, beaucoup de sang. 

Vous êtes prêts ?

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