Kill me



Laissant la pulpe râpeuse de mon index frôler la surface plane de la barrière métallisée, j'inspire une dernière fois la fumée de ma cigarette, offrant aux toxines mes poumons dans une douce torture pour, par la suite, abandonner le mégot dans un petit cendrier de verre. J'expire l'air embrumé en entrouvrant mes lèvres, et les pourlèche en tentant de leur redonner constance. Puis, je reporte mon attention sur la ville, dont les éclairages nocturnes prennent peu à peu vie. Sur ma droite, dans un immeuble, quelques lumières viennent de s'allumer, tandis que le soleil s'éteint enfin, pour mon plus grand malheur.

Une brise légère vient me caresser le visage, s'infiltrant dans mes cheveux récemment teints et laqués, me faisant grimacer et les remettre en place. Je souffle, puis fais demi-tour pour rentrer dans mon appartement en prenant soin de fermer la porte-vitrée à ma suite. Ici, tout est calme.. Seul le bruit lointain de mon téléviseur se fait entendre dans un murmure inaudible. Je décide d'écouter quelques minutes les nouvelles informations diffusées, mais fronce rapidement les sourcils lorsque la présentatrice passe sur un nouveau sujet.

« Flash info. Un meurtre a été commis dans la nuit de samedi à dimanche. En effet, le corps d'un jeune étudiant du nom de Jeon Jungkook, poignardé à plusieurs reprises puis laissé sans vie au milieu d'une ruelle, a été retrouvé ce matin dans le quartier d'Itaewon. Selon les témoins ayant découvert le cadavre, il ne semblait pas y avoir de traces du coupa-- »

Rageusement, je prends la télécommande pour arrêter la diffusion, et me dirige vers l'entrée du studio afin de prendre une de mes vestes. Je choisis un long manteau noir en fourrure et en cuir, car l'automne rend le vent plus frais lors de la nuit tombée. J'attrape ensuite mes gants, puis mes clefs de voiture, et sors enfin. Après avoir descendu les escaliers de l'immeuble, je cours presque dans le parking, commençant à ressentir les effets de l'obscurité sur mon psychique.

Les mains agrippées sur le volant qui couine dès que mes doigts l'enserrent trop, je rejette ma tête en arrière quelques secondes pour détendre mon cou qui craque sous le geste et me re-concentre sur la route. Les bandes blanches défilent rapidement sous les roues de ma voiture, et je frôle de près un accident lorsque j'aperçois les phares d'une auto en face de moi, braquant le volant pour me remettre sur la bonne voie au dernier instant.

Je souffle, et déglutis bruyamment en me passant une main sur le visage pour essuyer la goutte de sueur coulant le long de ma tempe. Autour de moi, l'opacité de la nuit et la brume oppressante me font perdre le contrôle de ma raison, et j'appuie plus fort sur la pédale d'accélération pour arriver plus vite.

J'arrive enfin devant la maison, et gare la voiture dans une rue adjacente. Je claque la portière, et pose immédiatement une main sur l'habitacle pour retenir mon chancellement. Je ferme les yeux, et les souvenirs émergent aussitôt brusquement, m'encerclant de toute part, m'étouffant, tandis que j'essaie de me retenir de hurler de douleur. Le désespoir m'étreint, l'angoisse et le déchirement me bâillonnent..  Je ne peux rien y changer, rien y faire.

Je ne ressens que le malheur et l'affliction qui reposent sur mes épaules depuis des années, tel un prisonnier traînant ses chaînes. Dès lors que la nuit tombe, que la lune embrasse les étoiles dans une douce caresse, mon cœur se brise, s'écartèle, afin de laisser les souffrances envahir mon propre corps. Je ne me retiens pas, mais tremble en sentant mes poings se resserrer, égratignant mes paumes dont les ongles s'enfoncent lentement dans la chair, rouvrant les cicatrices comme à chaque fois.

Je reprends mes esprits pour un court laps de temps, et en profite pour me dépêcher de me rendre devant la maison souhaitée. Je me poste près de la grille d'entrée, et observe la seule fenêtre éclairée. Je contemple la silhouette qui fait plusieurs aller-retours derrière le fin rideau transparent, et des frissons hérissent les poils de mon épiderme, me faisant sursauter.

J'observe ce garçon depuis plusieurs jours, juste après m'être occupé de Jungkook. Il est serveur dans un petit café du centre-ville, près du magasin de fleurs. Et il m'intrigue, il m'affole, il me terrifie. Il a l'air si rayonnant, prospère et équilibré.. Et ça me révolte, m'écœure. Comment peut-il se comporter aussi simplement, alors que je ne suis qu'une âme misérable qui ère sans but précis ? Qui n'a pas de famille, pas de contacts ?

Les humains ne m'approchent pas, pire, ne s'aperçoivent pas de ma présence. J'ai déjà essayé de discuter avec une femme, mais elle n'avait pas pris la peine de lever le regard pour me parler. J'étais alors devenu déchaîné, exalté, et j'avais du me charger d'elle pour qu'elle puisse me voir enfin. Mais elle avait disparu, comme les autres.

Je passe une main tremblante dans la poche de ma veste afin de sortir mon paquet de cigarettes, mais maladroit et étourdi, je le laisse tomber au sol. Je soupire, puis me baisse pour le récupérer.. Et c'est à ce moment que j'entends la porte d'entrée s'ouvrir. Le garçon, nommé Jimin, n'était pas censé sortir ce soir. C'est pour cela que j'avais souhaité lui dérober sa vie au crépuscule, dans sa maison.

Concentré sur son téléphone, il ne constate pas que je le suis dans une rue plus sombre que les autres, dont un lampadaire grésille à une fréquence défectueuse. J'esquisse un petit sourire, puis passe une main dans mes cheveux blonds pour les replacer correctement en arrière. Je regarde à droite, à gauche, m'assure que personne ne se trouve dans les environs.. Et fais quelques enjambées plus grandes afin de le rattraper. Je lui tire soudainement le bras pour le retourner vers moi, et je perçois l'incompréhension, la peur, dans ses prunelles lorsque nos regards se croisent.

Son portable tombe à terre dans un bruit de verre brisé, et c'est comme si mon cœur venait de se prononcer au travers de cet accident. Il est ébréché, et a besoin de se reconstruire. Cependant, dès que je réussis à le réparer, à panser ses blessures, une nouvelle circonstance le foudroie et l'anéantit. Et Jimin fait parti de ces situations. De le voir si joyeux, si comblé.. Je ne peux pas le laisser comme ça.

« Qu'est-ce.. Qu'est-ce que vous.. vous voulez ? J-Je n'ai p-pas d'argent sur moi et..et..--

─ Tais-toi, et laisse-toi faire.

─ J-Je vous en su..-u..plie.. Laissez-moi ! M'implore-t-il en tirant lamentablement son bras maintenu par mes doigts qui s'enfoncent dans sa peau. »

Mes lèvres s'étirent, et je penche la tête en le fixant longuement. Il couine à plusieurs reprises, semblant vouloir s'accroupir sous le poids de ma prestance, mais je le retiens et le rapproche brusquement de moi pour enrouler mon autre main autour de son cou. Ses yeux s'agrandissent, alors que je ne serre pas encore sa jugulaire, et je lâche son bras pour venir le frapper dans l'estomac. Il émet un bruit d'étouffement et crache de la salive, puis se met à gémir en fermant les yeux.

Je déteste quand on ne me regarde pas, je veux profiter de son regard avant qu'il ne se porte plus sur moi, et j'abats alors à nouveau mon poing dans son ventre pour lui faire rouvrir les paupières. Il se lamente, et je lui relève le visage en posant deux doigts sur son menton, tenant toujours son cou dans mon autre main.

« Ferme-la, Jimin. Et continue de me regarder. »

Il m'obéit, laissant son regard embué fixer le mien. Je souris, et resserre lentement mes doigts autour de sa gorge. Il panique, pose ses paumes sur mon bras pour le pousser, mais sa trop petite force ne fait que m'effleurer, me faisant rigoler.

« Alors, tu es toujours heureux comme ça, hm? Tu vois, moi, je ne le suis pas. Personne ne me voit, ne fait attention à moi. Et je suis obligé de te faire cela pour que tu puisses voir que j'existe. »

Je lui donne un coup sur sa joue gauche, puis un deuxième.

Encore un autre.

« Je vous en suppl-- »

Un autre, sur sa mâchoire. Il crache du sang, la tête tournée mais me regardant du coin de son œil gonflé. Des larmes s'écoulent le long de son visage, glissant dans son cou et s'écrasant sur ma main. Je grogne, et serre progressivement mes doigts sur son cou pour le voir appréhender la suite et l'entendre produire des gargarismes étranges, mais plaisants. Il souffre, comme moi. Je lève la tête et regarde le ciel sombre, qui me provoque en me faisant face, m'offrant toute l'immensité dans laquelle je me perds rapidement.

Je ne tiens plus, et ajoute ma deuxième main pour le finir. Il est pris de spasmes, de hoquets, et ses yeux se révulsent tandis que je le roue de coups de genoux.  

Et alors que sa fin semble si proche, des phares de voiture se dirigent vers nous, en plein milieu de la ruelle. Je le lâche, et il tombe lourdement au sol. Sa tête frappe le bitume dans un bruit sourd, et je cours me mettre à l'abris derrière un mur. L'automobile s'arrête vers Jimin, et le conducteur, alarmé, se met à composer un numéro sur son portable après avoir vu l'état dans lequel se trouve ma victime. J'y étais presque.. Mais peut-être que cela aura fait réfléchir ce gamin, et qu'il essaiera d'être moins heureux lorsque d'autres personnes ne le sont pas.

Je m'allume un énième bâton de nicotine, et inspire lentement la fumée en fermant mes paupières. Puis, je quitte les lieux en faisant claquer les talons de mes chaussures, avec au loin le bruit assourdissant des sirènes de l'ambulance. J'expire, et passe sans faire attention au travers d'une personne qui court en direction du raffut et des nombreuses alarmes qui retentissent derrière moi.

Je ne suis personne, je n'existe pas, et l'obscurité de la nuit m'apporte le laborieux réconfort qui m'anéanti tant pendant quelques instants..

Je ne veux simplement qu'exister aux yeux de ces humains insouciants, qui plaisantent et se distraient en s'amusant. Je ne les supporte pas. Je ne suis que l'opposé de leur bonheur, celui qui canalise leurs nombreuses souffrances en les enfermant dans mon cœur. Mais lorsque la nuit m'oppresse et me tue à petit feu, j'ai besoin d'extérioriser ce mal, et de faire prendre conscience aux gens que je ne ne peux pas panser seul leurs blessures.

Un jour, ce sera à eux de réussir à vaincre leurs problèmes, car ils finiront par m'achever à mon tour.

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