CHAPITRE 7

CASSANDRE


À peine ai-je eu le temps d'ouvrir la porte que Carmen entre comme une tornade.

— Tu devineras JAMAIS qui j'ai croisé en ville tout à l'heure.

— Laisse-moi deviner ! Axel. Et c'était pas un hasard, tu le stalkais.

Ma meilleure amie emprunte un air indigné.

— Pas du tout ! D'accord, j'ai peut-être surpris une conversation entre Rayane et lui disant qu'il avait rendez-vous avec son assurance.

— Et tu as peut-être planqué deux heures devant l'enseigne dans l'espoir de le percuter par « mégarde ».

— Clichééééé ! Déjà je n'ai attendu que trois quarts d'heure, mauvaise langue. Et ensuite, je lui ai fait un signe. Le bulldozer, c'est toi.

— Compte pas sur moi pour rentrer dans ce connard. Ça me saoule déjà assez de devoir bosser avec lui pendant trois putain de semaines. J'en ai pas dormi de la nuit.

— Tu m'étonnes ! Moi non plus, je n'en dormirais plus la nuit.

— Ouais mais pas pour les mêmes raisons, Carmen. Tu feras gaffe, t'as un filet de bave là...

Je m'essuie le coin de la bouche en désignant la sienne. Carmen traverse la cuisine pour aller dans le salon où elle se laisse choir lourdement sur le canapé crème. Sa robe rouge à motif bleu électrique irradie dans l'espace neutre. La décoration de cette maison n'a jamais changé depuis ma naissance : épurée, sans âme, sans vie. J'ai grandi dans une belle demeure avec tout le luxe dont le commun des mortels peut rêver.

J'ai eu une maison. Je n'ai jamais eu de foyer.

— Tu veux boire un truc ?

— N'importe quoi de frais pour calmer mes ardeurs.

Un rire m'échappe tandis que je me rends dans la cuisine pour récupérer une canettes de coca zéro dans le réfrigérateur. Je la lance à Carmen qui l'attrape avec une adresse notable.

— Quoi qu'Axel s'est déjà bien débrouillé sur le sujet, précise-t-elle.

— Laisse-moi deviner ! Il ne t'a pas fait coucou en retour ?

— Pire : il m'a regardé droit dans les yeux pour bien me faire comprendre qu'il m'avait vu. Le visage fermé, pas de sourire et il a changé de direction en m'ignorant. Putain ! Ce qu'il est sexy quand il est glacial.

J'arque un sourcil.

— T'es vraiment pas nette, ma vieille. Tu sais que ton fantasme porte un nom ? Ça s'appelle le masochisme. Il existe des clubs où tu trouverais des gens qui combleraient tous tes désirs. On les appelles des sadiques.

Carmen chasse cette idée d'un revers de la main.

— Tu me vois vraiment dans un club BDSM ? Je suis trop fleur bleue pour ça. J'aime juste déconner mais en vrai j'aime pas le cul sans connexion émotionnelle. Je parle pas d'amour, hein ! Juste un lien, quoi. Je peux pas baiser comme ça.

— Ravie d'en apprendre un peu plus tous les jours sur tes préférences sexuelles.

Ma pote ouvre la canette de coca qui émet un bruit lors de la décompression. Les bulles pétillent pour remonter à la surface, brisant le court silence qui caractérise si bien ce maudit salon.

— Tu devrais me comprendre, toi qui ne couche jamais avec personne. Tu sais que si t'es toujours vierge, tu peux me le dire, Cass' ! Ça fait un moment que je veux te dire ça. Il n'y a pas de honte, chacun son rythme.

Je soupire.

— Merci pour ta bienveillance et ton intérêt. Je ne suis pas vierge mais j'aurais été ravie d'avoir une amie comme toi, le cas échéant.

— Tu m'étonnes ! Qui ne serait pas ravi de m'avoir dans sa vie ? Je suis un cadeau du ciel. Sauf pour Axel McCall visiblement...

Elle se redresse tout à trac et enchaîne :

— D'ailleurs ! Comment tu vas faire pour bosser avec lui, si tu ne le supportes pas ?

— Il ne me supporte pas non plus, rappelé-je. Je réfléchis à un stratagème. Je me dis qu'on pourrait bosser chacun de notre côté pendant trois semaines, on fait une mise en commun au dernier moment et on fait la soutenance ensemble.

Carmen grimace.

— Sérieux ? Comment tu peux étudier à Princeton et penser une seule seconde qu'une technique pareille fonctionnerait ? Si tu veux te rétamer et devenir la risée du corps enseignant, fonce ! Tu tiens le bon bout.

— Ça a le mérite d'être clair...

— Tu préférerais que je te laisse aller droit dans le mur ?

— J'ai pas dit ça.

Un nouveau soupir m'échappe. Ça commence à devenir une habitude. Où est passée la Cassandre fofolle et déjantée que tout le monde adore ? J'ai l'impression de ne plus être que l'ombre de moi-même depuis la rentrée. Il va falloir remédier à ça au plus vite !

— Je suis désolée, Cass' mais il faut te rendre à l'évidence : tu vas devoir passer tout ton temps libre avec Axel McCall ces trois prochaines semaines. C'est ça ou tu dis adieu à Princeton !

Un frisson me couvre la peau. Déjà que mon père n'a aucune estime pour moi... si j'ai en plus l'audace de ne pas aller au bout de mon cursus dans la seule université à laquelle il voue un culte, je serais définitivement grillée à ses yeux. Je n'ai pas le droit à l'échec.

— Tu as raison.

— Redis-le comme si ce n'était pas surprenant, s'il te plaît. C'était un peu vexant, là !

Je lui adresse un doigt d'honneur, elle éclate de rire. À nouveau, je me sens hypnotisé par les couleurs chatoyantes de sa robe. Tout est si fade dans mon monde que j'essaie éperdument de briller pour avoir l'air colorée moi aussi, dans le regard des gens. Il n'y a que les autres qui peuvent me donner ce que je n'ai jamais eu. De l'attention.

— Tu n'es pas juste venue pour me dire que tu avais pris Axel en filature. Si ?

Ma meilleure amie secoue la tête et cale une mèche brune derrière son oreille. Les grands anneaux qui pendant à ses lobes lui donnent l'air d'une diseuse de bonne aventure.

— J'avais une autre news : la soirée d'intégration a lieu samedi soir... chez toi.

— Quoi ?! Jamais de la vie. Mon père péterait les plombs s'il savait.

— Il n'en saura rien puisqu'il a un séminaire dans le Nevada. D'ici là qu'il traverse le pays et revienne, la soirée sera passée ni vu ni connu.

— Comment tu sais ça ?

— Tout le monde en parle sur le campus.

Ravi d'apprendre que mon propre père part à des milliers de kilomètres par ma pote qui le tient de parfaits inconnus. C'est quel genre de vie, ça ?

— S'il te plaît, Cass' ! Si tu dis non, la soirée n'aura pas lieu. On n'a pas d'autres endroits et c'est ma seule chance de chopper Axel. Allez ! Dis oui ! S'il te plaît ! Pleaaase !

— Tu vas me harceler jusqu'à ce que je dise oui... pas vrai ?

— Tu me connais.

Je me retiens de ne pas soupirer une nouvelle fois. Après tout, mettre un peu de vie dans la morosité de cet endroit ne fera pas de mal. Peut-être même que cela embrasera de nouveau l'étincelle en moi.

— OK mais tu gères toute l'orga', Carmen ! Et le ménage. Je suis sérieuse !

— T'as une femme de ménage et une gouvernante, Cass' !

— Justement ! Je n'ai pas envie qu'elles sachent ni qu'elles voient, sinon mon père sera mis au courant. C'est à prendre ou à laisser.

Carmen fait la moue.

— T'es dure en affaire ! J'accepte mais à une condition...


______

INSTAGRAM : @kentinjarno

Bạn đang đọc truyện trên: AzTruyen.Top