CHAPITRE 6

AXEL


— C'est écrit sur son visage, me dit Rayane. Cassandre Caldwell n'avale pas. Mais je suis sûr qu'elle suce comme une déesse.

— Moi je pense surtout qu'elle met les dents. Remarque, ça te ferait peut-être pas de mal qu'on t'arrache le gland.

— Ça arrive à tout le monde de mettre les dents. Je t'ai bien pardonné, à toi.

Je lui envoie mon poing dans l'épaule tandis que nous rions de concert. Le prof nous adresse un premier regard nous invitant à nous taire. Nous nous redressons sur nos sièges mais je ne peux empêcher mes yeux de partir en direction de Cassandre. Ses boucles blondes cascadent sur ses épaules et remuent en fonction des mouvements de ses épaules. Ses doigts s'agitent sur le clavier de son ordinateur alors que le cours n'a pas encore commencé.

— Dans le genre intello coincée, marmonné-je entre mes dents.

Rayane suit le mouvement de mes yeux.

— C'est justement ce que je trouve sexy.

— Qu'elle soit plus intelligente que toi ?

— Ouais. J'adore !

— Il reste donc de l'espoir pour toi, tu ne juges pas tout sur le physique.

Rayane pose une main sur son cœur, comme si on venait de lui tirer dessus puis répond :

— Eh non ! Je ne suis qu'un pauvre mortel avec ses travers humains.

— En parlant de travers humain, si tu veux mon avis, tu devrais lâcher l'affaire avec Caldwell.

Mon pote m'avise avec suspicion. Le bleu de ses iris m'évoquent les fonds marins chaque fois qu'il prend son air sévère.

— Pourquoi, t'as mis une option dessus ?

— Ça va pas la tête ?! Je dis ça pour toi. Si cette meuf est aussi chiante au pieu que dans sa vie, ça doit être un cauchemar.

Rayane hausse les épaules.

— Du cauchemar au rêve érotique, il n'y a qu'un pas.

Je lui donne une tape derrière la tête. Il se pince les lèvres pour se contenir de rire tandis que le prof prend enfin la parole. Il a installé ses affaires avec une minutie qui frôle la maniaquerie. Son ordinateur est parfaitement aligné au bureau, les feuilles déposées autour forment des tas réguliers. Rien ne dépasse, comme s'il avait tout mis en place à l'aide d'une règle et d'une équerre.

À la seconde où il ouvre la bouche, je saisis pourquoi sa réputation le précède. Tout le monde dit de lui qu'il est barbant et que sans un rail de coke il est impossible de suivre son cours de bout en bout sans roupiller. Je sens déjà les effluves de ma courte nuit revenir au galop, me suppliant de fermer les yeux pour prendre Morphée dans mes bras.

— Je veux mourir, geint Rayane.

— Tout le monde veut mourir.

Il suffit de tourner la tête pour réaliser que l'amphithéâtre est unanime sur la question. Monsieur Glabglouston n'enseigne pas aux première année. Nous ne pouvions donc nous fier qu'à l'avis des élèves plus aguerris que nous pour développer une opinion sur eux. Je réalise seulement à quel point l'année va être longue.

Réussir mes études n'est pas mon objectif de vie. Je suis ici pour sentir la fierté de mes parents vibrer dans mes os en parcourant le même sol qu'eux. Je ne cherche pas à être major de promotion, ni à obtenir le poste le plus en vue lorsque j'aurai achevé mon cursus.

Ma quête n'a qu'un sens, qu'une direction. Je sais où je vais. Lorsque j'aurai terminé, ma vie n'aura plus d'intérêt. Je pourrais me reposer...

... pour l'éternité.

— Heureusement qu'il y a Cassandre pour nous divertir, me dit mon pote. D'ailleurs, elle regarde dans notre direction.

À l'instant où mon visage pivote, nos prunelles se heurtent. La violence du choc ébranle quelque chose en moi. Il faut reconnaître que même si son naturel enjoué et excentrique est agaçant, tout comme son aura de bourgeoise matérialiste qui pue le fric et la bonne morale à plein nez, elle est pas mal. Sexy, même. Je me garde bien de le confier à Rayane, sinon j'en entendrai parler jusqu'à la fin de mes jours.

Qui est sûrement plus proche que les gens le pensent.

D'où je me tiens, je ne vois pas les chaussures de Cassandre. Je ne sais pas comment elle a pu se tromper en en mettant deux différentes. Surtout quand on sait le soin qu'elle met à se présenter en société : tirée à quatre épingle, maquillée et coiffée comme si elle passait en prime-time sur la CBS. Non pas que je m'intéresse plus que ça à elle : personne n'est digne de mon attention, ici. Mais au milieu de la masse, elle brille plus que les autres. Même si on veut s'en foutre, elle attire le feu des projecteurs. Au bout d'un an dans les mêmes cours, on finit forcément par la remarquer.

Je me désintéresse d'elle avant qu'elle pense que j'ai été piqué par notre joute verbale près du tableau de liège tout à l'heure. Elle a du mordant, je ne peux pas dire le contraire mais je l'ai remise à sa place.

Plus les minutes passent, plus le temps ralentit. Non seulement ce premier cours d'histoire anthropologique est inintéressant mais le prof réussit l'exploit de le rendre encore plus indigeste. Comme toujours, je finis par dessiner sur mon bloc-notes, histoire de laisser mon esprit s'échapper de cette réalité.

Au terme de ces deux heures infernales, tout le monde range ses affaires et se précipitent vers la sortie quand monsieur Glabglouston nous interpelle.

— Je vais demander à une dizaine d'élèves de rester.

Parmi les noms qu'ils citent, je m'étonne d'entendre le mien. Passé ce moment, je n'écoute plus rien et me rapproche de son bureau, intrigué. Je ne prête pas attention à ceux qui se retrouvent dans la même situation que moi, avec cette drôle d'impression d'être préparés pour le pilori.

— Avant cette rentrée, nous nous sommes réunis avec mes collègues : ceux qui ne vous suivent plus cette année nous ont renseigné sur chacun de vous. Je suis au regret de vous annoncer que si vous êtes là, c'est que vous êtes en dessous du niveau général dans au moins une matière.

Là, il se met à enchaîner un prénom avec une matière, comme s'il rédigeait une liste de course. Je remarque, perplexe, qu'il ne me cite pas. Je me garde toutefois de l'ouvrir. Si ça se trouve, il s'est planté en me désignant. Ça arrangerait bien mes affaires : je n'ai pas envie de perdre mon temps avec un cours supplémentaire. Je n'ai pas besoin de soutien.

— Vous recevrez par e-mail un dossier individuel à réaliser sur les notions qui restent fragiles chez vous avec une semaine de délai pour le réaliser. Ça vous aidera à vous remettre à niveau avant que nous ne rentrions dans le vif du sujet. Sinon, vous risquez de décrocher avant la fin du mois de septembre.

Tout le monde s'éloignent en direction de la porte. Au moment où je fais un pas en direction du prof pour clarifier ma situation, une voix familière me coupe l'herbe sous le pied.

— Il y a dû avoir une erreur, vous m'avez oubliée.

En relevant le menton, je découvre Cassandre. Elle me fusille du regard en s'apercevant en retour de ma présence. Elle n'a pas dû digérer mon commentaire sur ses performances à quatre pattes.

— Je me permets d'ailleurs d'attirer votre attention sur le fait que mes résultats l'an passé était exemplaire. Je n'étais pas loin d'être majore de promotion.

Monsieur Glabglouston l'avise avec un mépris qui me prend à la gorge.

— Justement : vous ne l'avez pas été. Vos résultats en sociologie des entreprises ont été catastrophiques. Et justement...

Il pivote vers moi et me désigne de la main :

— Monsieur...

Il appuie sur ses lunettes pour les enfoncer puis plisse les yeux en lisant son ordinateur.

— ... McCall a eu la meilleure note à l'examen de fin d'année dernière.

Un sourire me gagne à cette piqure de rappel toujours agréable. Cassandre lève les yeux au ciel. Si elle avait pu mettre ma tête sous le talon de ses escarpins, elle l'aurait fait avec un plaisir non dissimulé.

— Et il s'avère que monsieur McCall a de grosses difficultés en religions et spiritualités, ou vous vous êtes illustrée l'année passée, miss Caldwell.

Un sourire au parfum de fierté étire ses lèvres tandis que mon cerveau crée des connexions qui ne me plaisent pas du tout. Ne me dites pas que...

— Vous voyez où je veux en venir ? Vous allez unir vos forces pour rédiger un dossier, ou appelons ça un mini-mémoire. Après tout, vous êtes deux. Vous avez trois semaines pour le rendre au terme d'une soutenance devant les enseignants des matières concernées plus deux autres personnes qui seront déterminées par après.

Ma mâchoire se décroche. Cassandre se décompose, le teint livide.

— L'idée étant bien sûr de déterminer un sujet qui met en valeur les deux matières sur un point convergent. Je reste à votre disposition par e-mail si vous avez besoin de mes lumières. Excellente soirée !

Après avoir frotté sa moustache grise avec satisfaction, le gaulois s'en va, nous laissant seul, Blondie et moi.

— Il n'est pas question que je bosse avec toi ! s'écrie Cassandre.

— Va falloir te faire une raison, Cassandra.

Une grimace agite ses traits. Écorcher le prénom des gens a toujours cet effet jouissif.

— C'est Cassandre ! corrige-t-elle.

— Te supporter trois semaines me donne envie de m'arracher les globes oculaires avec les ongles et de me vider de mon sang dans le caniveau, mais je vais prendre sur moi.

— Si t'as besoin d'un coup de main, je serai ravi de nettoyer le sang sur le goudron. Je ne voudrais pas que quelqu'un chope une de tes MST parce que ton cadavre traînait dans le centre-ville.

Je serre les poings. Quelle petite garce ! N'ayant pas l'intention de perdre plus de temps que nécessaire avec elle, je me fais une raison et lâche :

— Je propose qu'on réfléchisse chacun de notre côté. On met nos idées en commun demain. En trente secondes. Dans un lieu privé ou personne ne nous verra. Je ne voudrais pas qu'on pense qu'on traîne ensemble.

— T'aurais bien de la chance d'être vu avec moi, rétorque-t-elle. Encore que, si on nous voyait côte à côte, on ressemblerait à une mauvaise peinture de la princesse Diana qui offre une soupe chaude à un sans abri.

Fière de sa réplique, elle m'avise avec un rictus narquois.

— Tu ne dis rien ?

— Ma salive a plus de valeur que tout ce que ton fric pourra jamais t'acheter, réponds-je avec une simplicité qui la percute. Bonne soirée, Cassandra.

Alors que je m'éloigne sans un regard de plus pour elle, je l'entends brailler dans mon dos :

— C'EST CASSANDRE !!

Et ça me fait sourire.


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