CHAPITRE 55
AXEL
Mon épaule me lance. Je change de posture, plaçant mon dos contre le tronc de l'arbre. Quand enfin la porte d'entrée de la demeure s'ouvre, une fille à la gestuelle étrange traverse le perron en sautillant puis s'éloigne dans la nuit.
Pas une fille à la gestuelle étrange : Carmen.
Je serre les dents pour faire taire cette voix tapie dans mon esprit.
Je ne suis pas juste une voix, je suis ton humanité.
Mes incisives s'enfoncent dans ma langue. Le fer envahit ma bouche. Je me gorge de mon propre sang pour focaliser mes pensées.
Je ne suis pas Axel. Je suis Obsidienne. Je le sais parce qu'il y a du cuir partout sur ma peau. Je n'ai pas de conscience, je n'ai qu'un objectif : tuer.
Le mulet de la fille se déhanche au rythme de sa tête sous la lueur des réverbère. Lorsqu'elle est loin, il est temps.
Ma cible est seule. Je peux passer à l'action.
Pas ta cible : Cassandre.
Je lance mon crâne en arrière pour qu'il percute l'écorce plusieurs fois. La douleur irradie dans mes os. Je me concentre sur elle. Uniquement sur elle.
Puis j'avance. Un pas après l'autre en direction de la maison. La demeure des Caldwell est située dans un quartier cossu et s'aligne à ce qu'on s'imagine du modèle d'élégance propre à la Nouvelle-Angleterre, qui mêle traditions architecturales coloniales et opulence discrète d'une famille influente.
La maison est peinte d'un blanc éclatant qui jure dans le velouté de cette nuit d'encre. Son impeccable symétrie donne l'impression qu'elle a été dessinée avec une rigueur mathématique. Les volets noirs, bordant chacune des hautes fenêtres à guillotine, ajoute un contraste frappant à la façade. En dépit de sa beauté sculpturale, cette maison a quelque chose d'intimidant. Chaque détail est minutieusement pensé et contrôlé, comme si elle avait la volonté d'incarner la perfection inatteignable de ceux qui vivent sous son toit.
En grimpant les marches, je rejoins le porche couvert courant sur toute la largeur de la maison, soutenu par des colonnes corinthiennes d'un blanc pur, qui rappellent l'architecture fédéraliste commune à cette région. La porte d'entrée en bois massif noirci évoque la sécurité, pourtant elle ne m'empêchera pas de commettre un crime ce soir.
Mes doigts frôlent le heurtoir en laiton représentant un aigle – symbole qui m'évoque l'autorité et la toute-puissance d'observe le monde depuis les cieux. Vu ce que je sais du doyen de l'université, je ne suis pas étonné qu'il ait glissé ce genre de détail pour souligner son statut de maître des lieux.
Et comment en sais-tu autant sur le doyen ? Merci Cassa...
Tuer.
Tuer.
Tuer.
Je me répète ce mot autant de fois qu'il le faut pour qu'il n'y ait que lui dans ma tête. Si je laisse mes émotions me submerger, je vais échouer et il n'existe qu'une seule manière d'en payer le prix.
La mort. La mienne.
Je ne suis pas prêt à renoncer à ma vie. Pas avant d'avoir retrouvé l'assassin de mes parents. Pas avant de les avoir vengés.
Je bannis mes émotions. Et pour ça, il faut que je donne tout le pouvoir à l'observation. À l'analyse et l'intellectualisation. Alors j'observe mon environnement et m'accroche à chaque détail afin de garder la tête froide.
Dans mon dos, il y a une allée circulaire en gravier clair, bordée de lanternes en fer forgé et de massifs de buis taillés avec une précision militaire. Au centre, une fontaine en pierre grise représentant une muse de la mythologie grecque. L'eau est menaçante sous le ciel noir mais je l'imagine scintiller sous les rayons du soleil.
Le jardin qui borde la maison est impeccablement entretenu. Ses pelouses sont tondues ras et les haies qui en forment le pourtour sont sculptées avec une précision chirurgical. Mon regard s'arrête quelques secondes sur les arbres anciens, probablement plantés des décennies plus tôt, qui se dressent en sentinelles protectrices.
C'est inutile : aucun gardien ne saurait former un rempart efficace entre mes victimes et moi. Obsidienne va toujours au bout de sa mission.
Je fais le tour de la maison à la recherche d'une fenêtre mal fermée ou d'une ouverture plus facile d'accès. À l'arrière, la porte est bien moins renforcée et récente que celle de la façade avant. C'est un jeu d'enfant de crocheter la serrure pour se faufiler à l'intérieur.
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