CHAPITRE 52


CASSANDRE


« Personne ne saura que tu travailles au Lust Mansion. »

Axel a utilisé le mot « travail ». Le terme « pute » véhicule une charge tellement négative à l'échelle de la société qu'il aurait pu s'en servir comme d'une insulte. La plupart des gens à sa place l'aurait fait. Ça fait déjà plusieurs fois que je le range dans la case du pseudo mâle alpha macho et sexiste. Une nouvelle fois, il vient de prouver que je me goure à son sujet. Rien que le choix de ses mots montrent qu'il a du respect pour la manière dont j'utilise mon corps.

Il n'a aucun idée du fait que mon consentement n'a pas sa place dans mes fonctions.

Est-il sincère lorsqu'il affirme qu'il ne balancera pas mon secret ? Je n'arrive pas à savoir si je peux le croire. Notre relation n'a pas le moindre sens. On s'aime et on se déteste. On se hait, même. Parfois, on se tolère.

Tu as fait un peu plus que le tolérer sur cette piste glacée.

Ce baiser... je mentirais si j'affirmais ne pas l'avoir apprécié. Il s'est passé quelque chose à l'intérieur de moi. Un fragment de mon âme s'est brisé. Ou deux fragments se sont recollés. Je n'arrive pas à le savoir. Ça m'a fait mal mais c'était une douleur agréable.

Je perds l'esprit.

J'ai besoin de parler. D'extérioriser. De me confier. Sinon, je vais péter les plombs dans les grandes largeurs. Il n'y a qu'une personne capable de me venir en aide à un tel stade de détresse.

Carmen.


***


Une heure plus tard, je suis roulée en boule dans le canapé du salon. Mon père n'est pas ici, comme d'habitude. Je suis une maladie contagieuse. Pour vivre en bonne santé, il convient de se tenir le plus loin possible de ma personne.

Lorsque la porte s'ouvre sans même qu'on ait frappé, je ne sursaute pas. Carmen a toujours agi ainsi. Le bruit de ses talons sur le carrelage m'affirme qu'il s'agit d'elle. Je reconnaîtrais sa démarche sautillante entre mille. Elle se plante face à moi, debout, les mains sur les hanches, à la manière d'une super-héroïne venue sauver le monde. En même temps, c'est un peu le cas. À défaut de sauver le monde entier, elle va sauver mon monde. Ou du moins essayer.

— Alors c'est quoi cette urgence ?

Elle sort son téléphone de sa poche pour lire et déclamer solennellement en détachant chaque syllabe :

— SOS ! C'est la merde.

Carmen m'observe sous toutes les coutures. Je ne dois ressembler à rien dans cette position mais elle en a vu d'autres. Son mulet se secoue au rythme de ses simagrées. Je ne me fais toujours pas à cette coupe, même si ma meilleure amie est si jolie qu'elle pourrait se faire des extensions avec un sac poubelle sans rien affadir de sa beauté.

Ces pensées ne servent pas à grand chose mais elles ont le mérite de me distraire une poignée de secondes.

— Déjà tu ne t'es pas chié dessus, commente Carmen. C'est un bon point.

— Quoi ? lâché-je interloquée.

— Je sais pas ! T'as dit « c'est la merde ».

— Au sens figuré, Carmen ! Tu crois vraiment que je t'aurais appelé si j'avais eu un accident ?

Me rendant compte de ce que je suis en train de dire, j'ajoute à la hâte :

— Et puis je n'ai plus deux ans. J'ai un sphincter en excellent état, pour ton information.

— T'aurais pu avoir une chiasse fulgurante. La gastro, ça touche tout le monde. Même les bourges avec une baraque trop classe.

— Haha !

Je lui adresse un doigt d'honneur. Elle éclate de rire. Carmen adore me chambrer. Au début de notre rencontre, elle y allait plus doucement sur les piques, le temps de prendre la température. Quand elle a compris que j'avais de l'auto-dérision, elle a lâché les chevaux. Depuis, plus rien ne l'arrête. Heureusement que la susceptibilité ne fait pas partie de mon arsenal.

Enfin, sauf quand Axel se retrouve dans l'équation. Tout m'agace dès lors qu'il est concerné.

— Ça va mieux ? me demande Carmen.

Je réalise alors que ses conneries avaient pour unique but de me faire sortir de ma tête.

— Tu es redoutable, commenté-je. Je ne sais pas comment tu t'y prends, mais tu arrives toujours à m'apaiser.

C'est peut-être un grand mot vu mon trouble intérieur, mais avant l'intervention de ma meilleure amie, j'étais prisonnière d'une spirale d'angoisse.

— C'est ça le talent ! Que veux-tu ?

Carmen effectue une courbette comme si je constituais à moi toute seule le public d'un théâtre. En parfaite diva, elle s'y reprend à deux fois puis vient s'asseoir à côté de moi sur le canapé.

— Allez ! Passe à table. Qu'est-ce qui t'arrive ?

Le moment est venu. Je ne peux plus garder tout ça pour moi.


Bạn đang đọc truyện trên: AzTruyen.Top