CHAPITRE 51


AXEL


— Attends !

Tout en m'écriant pour attirer l'attention de Cassandre, je me débats avec la manche de mon blouson en jean que je galère à enfiler. Le vent me fouette le visage alors que je cours pour rattraper... mon binôme à la fac ? La cible que je dois assassiner ? La pute avec laquelle j'ai couchée deux fois alors que je me le suis toujours interdit ?

Ou simplement Cassandre. Au moins, son prénom m'évite de la définir. Cette fille fait voler en éclat tous les piliers sur lesquels reposent mon existence. Je perds l'équilibre, je perds pied.

— T'es sourde ou quoi ?

Je lui attrape l'épaule. Elle fait volte-face. Des éclairs jaillissent de tes yeux.

— Je me doutais que c'était toi depuis un moment ! assène-t-elle. J'aurais dû écouter mon intuition.

Elle secoue la tête, ses boucles blondes dansent sur ses épaules. Son teint à blêmi et cela n'a rien à voir avec la température glaciale de la patinoire. Il fait plus doux dehors, pour autant son visage n'a pas retrouver ses couleurs.

— De quoi tu parles ?

— C'était plus facile de me mentir à moi-même, poursuit-elle sans tenir compte de mes mots.

Elle semble prisonnière d'une bulle que ma voix n'atteint pas.

— Tu peux m'expliquer ? insisté-je malgré tout. L'espace d'une seconde, on patine. La suivante, tu m'embrasses et après tu te tires comme une furie. Je... j'ai fait quelque chose ?

Est-ce bien là l'essentiel ? Savoir si j'ai été incorrect avec elle alors que je ne devrais voir qu'une figure déshumanisée qu'on m'a ordonné d'abattre ?

D'habitude, je considère mes victimes comme des robots. Des automates sur lesquels on a cousu de la chair humaine. Les tuer revient à les débrancher. Ce n'est qu'une machine que j'envoie à la casse. Pas d'humanisation, pas d'émotion.

Le temps qui m'a été imparti pour éliminer Cassandre Caldwell touche à sa fin. Je n'en ai plus beaucoup et je n'arrive toujours pas à passer à l'acte. J'ai même été patiner avec elle sur la glace.

Patiner, putain !

Quel genre de tueur à gage s'acoquine avec l'ennemi ? Les règles sont pourtant simples et je n'ai pas été foutu de les respecter. Si seulement on ne m'avait pas attribué quelqu'un que je connaissais déjà...

— C'est toi, me dit Cassandre à voix basse.

Il me faut presque tendre l'oreille pour l'entendre à présent.

— Le client du Lust Mansion avec lequel...

Mon cœur rate un battement. Comment m'a-t-elle reconnu ? Je n'ai jamais enlevé mon masque, moi.

— C'est toi, répète-t-elle.

Le malaise tisse sa toile dans mon ventre. Je suis coincé. À quoi bon mentir ?

— C'est moi.

— Ça fait des jours qu'on se voit dans la vraie vie et à aucun moment tu n'as pensé à me le dire ? Ça te faisait kiffer de savoir que je fais la pute sans que personne n'en sache rien ? Tu t'es dit que ça te donnait du pouvoir sur moi ? Que tu pourrais t'en servir au pire moment pour m'humilier ? Briser ma réputation et ma vie ?

Sa bouche a débité sans interruption, telle une mitraillette.

— Je ne me suis rien dit du tout, à vrai dire, expliqué-je. Ça m'a embarrassé de découvrir que c'était toi, compte tenu de notre relation.

Et de réaliser que je ressens autant de désir que de haine envers la même personne. Bien que je ne le spécifie pas à voix haute, ça demeure la vérité. Les deux émotions se sont mêlées pour en former une nouvelle que je ne parviens pas à comprendre. Toutefois, j'ai saisi les blocages qu'elle a crée. Je ne parviens pas à aller au bout de ma mission.

— Tu ne comptes pas le balancer à tout le campus ? me demande-t-elle d'un air farouche.

Je secoue la tête.

— Je ne dirai rien à personne.

Cela ne m'avancerait à rien, je dois te tuer. Mes pensées martèlent ma poitrine. Prise dans un étau, elle reçoit de moins en moins d'oxygène. Je suis au grand air mais j'étouffe.

Après une éternité de silence, Cassandre me lance :

— Je ne te crois pas. Le dossier, la présentation, la patinoire ! Tout ça, ce n'était que du vent pour mieux m'amadouer et me faire baisser les armes. Tu es encore plus détestable que ce que je croyais.

Elle tremble de la tête aux pieds. Si sa voix affirme chacun de ses propos, son langage corporel trahit le doute et la confusion.

— Tu te trompes, rétorqué-je d'une voix ferme. Ne te méprends pas : c'était une connerie de sympathiser et d'aller ensemble à la patinoire. Là-dessus, on n'est bien d'accord. Mais je n'ai rien calculé. Je te rappelle que c'est toi qui m'y a emmené.

Cassandre rehausse la anse de son sac sur son épaule pour se donner contenance.

— Tu m'as manipulée ! À me faire croire que tu n'étais pas le connard que je voyais en toi au début, tu savais que j'allais m'adoucir à mon tour. Tu avais tout prévu, j'en suis certaine. Avoue ! Avant même que j'enlève mon masque au bordel, tu savais déjà que c'était moi. C'est quoi ton délire ?! Me stalker ?

Elle recule d'un pas. Je ne bouge pas.

— T'es en pleine parano Cassandra. Et je ne suis pas venu ici pour me faire insulter gratuitement. Crois ce que tu veux ! Je maintiens ce que j'ai dit : personne ne saura que tu travailles au Lust Mansion.

— Je crois pas un mot qui sort de ta bouche, crache-t-elle. Reste loin de moi ! Je ne veux plus jamais te voir.

Alors qu'elle s'éloigne dans la rue, je ne songe qu'à une seule chose : elle n'en a aucune idée, mais son vœu ne va pas tarder à être exaucé. Morte, elle ne verra plus personne.

Be careful what you wish for.


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