CHAPITRE 47


CASSANDRE


— Tu me surestimes, Cassandra ! Je suis prêt à beaucoup de choses pour t'emmerder parce que ça m'amuse. Mais s'il y a bien une personne que je ne sacrifierais pas pour cette cause, c'est moi-même.

— Prétentieux ! Tu t'aimes hein ?

— Pas vraiment.

Les mots lui ont échappé. Je le vois dans son regard. Il tourne aussitôt la tête pour observer les rues de la ville qui défile à travers a vitre rayée par l'usure.

— Désolée. Je... je ne voulais pas être désagréable.

Il hausse les épaules, toujours dos à moi.

— Ce n'est rien. Je ne sais même pas pourquoi j'ai dit ça.

Le malaise tisse sa toile au creux de mon ventre. Pour le dissiper, j'enchaîne :

— En plus, c'est toi qui aurais raison. On en fait des caisses quand les gens se priorise ou s'aime vraiment, mais ce sont ces gens-là qui ont tout compris. On n'est jamais mieux servi ni aimé que par soi-même. Si on compte sur les autres pour ça, on pourra crever la bouche ouverte, seul dans le caniveau.

Mon cœur se tord à mesure que les mots s'extirpent de ma bouche.

— T'as l'air d'en avoir gros sur la patate, commente Axel.

Il pivote de nouveau vers moi. C'est le moment de lui en donner un peu si je veux qu'à son tour il finisse par se dévoiler.

— T'as bien vu l'attitude de mon père. À la loterie de la vie, on ne peut pas dire que j'ai tiré le gros lot alors j'ai appris à être mon plus grand soutien.

— Je comprends.

Le silence qui nous accompagne jusqu'à notre arrêt de bus ne me met pas mal à l'aise. Il me permet de méditer sur les paroles d'Axel et sur la manière dont j'ai intérêt de mener la conversation si je veux arriver à mes fins. Comme je ne sais pas exactement ce que je cherche, c'est difficile d'estimer quelle stratégie me permettra d'obtenir ce que je veux. Autrement dit, je ne peux me fier qu'à mon instinct.

Il faut que je mette Axel le plus à l'aise possible et que je lui donne l'opportunité de s'exprimer sans retenue. Peut-être que dans le lot des informations qui sortiront se cachera un élément décisif.

La patinoire de la ville de Princeton n'a rien de bluffant comparée à celle du campus. L'équipe de hockey a la côte depuis des années dans le cadre de la compétition nationale inter-universités. Les équipements sont à la pointe de la technologie et tout est sans arrêt remis à neuf pour accueillir le public dans les meilleures conditions. Ça permet d'attirer davantage de médiatisation et de sponsors. Je ne compte plus le nombre de fois où j'ai entendu mon père déblatérer sur le sujet au téléphone.

Tout cela explique que la patinoire où nous entrons est un bâtiment modeste qui ne comprend que deux pistes : une pour les plus aguerris et une pour les enfants. Ou pour les débutants qui tiennent à ne pas se casser le coccyx. Ne plus pouvoir poser mes fesses sur les bancs des amphis de Princeton la foutrait mal pour mon avenir...

Axel a les yeux qui brillent alors qu'il observe par la vitre les gens qui sillonnent la glace. Je profite de son manque d'attention pour régler deux tickets puis le guide à travers le portique pour rejoindre les vestiaires et le comptoir de location de patins.

— Merci, me dit-il brièvement. Tu n'étais pas obligée de payer pour moi.

— C'est ma surprise. J'invite ! Ne te fais pas de films.

Axel ricane.

— Me faire des films ? Avec toi ? Tu te fourres le doigt dans l'œil Cassandra.

— Il vaut mieux ça que le voir passer sous un patin. Une main à quatre doigts, ce ne serait pas très pratique pour continuer notre cursus.

Le teint d'Axel pâlit. J'imagine sans mal les images qui défilent dans son cerveau. Ça m'a toujours terrifié de tomber sur la glace. N'importe qui pourrait patiner près de moi et passer mes phalanges à la guillotine. Ça ne doit pas se produire tous les quatre matins mais je n'arrive pas à m'empêcher d'y penser quand je viens ici.

Comme en écho à mes pensées, Axel me demande :

— Tu viens souvent ici ?

— Une ou deux fois par mois, je dirais. Ça m'aide à me détendre et à penser à autre chose. Carmen déteste ça alors j'ai pris l'habitude de me contenter de ma compagnie.

— Oh, je vois ! Donc je suis ton bouche-trou, en fait. Je comprends mieux pourquoi tu es sympa depuis tout à l'heure. Ça me rassure, tu sais ! Pour un peu, j'aurais cru qu'on commençait à bien s'entendre.

— Ça ne va pas ? Tu veux me donner la gerbe ou quoi ? Bien sûr que tu es mon bouche-trou.

Nos regard se croisent et nous partageons un sourire de connivence. C'est bizarre mais ça fait pétiller quelques bulles dans mon ventre. Il y a longtemps que je n'avais plus ressenti ça.

— Comment on fait ? me demande Axel en observant son environnement.

— Tu retires tes chaussures et tu indiques ta pointure aux employés derrière le comptoir. N'hésite pas à dire un peu plus grand. C'est désagréable quand ça sert trop le pied. N'exagère pas non plus, si tu flottes dans son patin, tu risques de nous faire une dinguerie.

— Je vais éviter de couper les doigts des gens, promis.


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