CHAPITRE 46


CASSANDRE


— Je te propose un truc, me dit-il alors que je me cramponne à mon siège dans un virage.

Si le chauffeur avait prévu de nouer tuer sur le chemin, il ne s'y prendrait pas autrement.

— J'arrête de te questionner sur cette surprise que tu me réserves si tu me parles de ta relation avec ton père.

L'envie de répondre « en quoi ça te regarde » me brûle la langue mais je la retiens. Si je veux percer à jour les mystères qui entourent ce garçon, ce n'est pas en lui rentrant dedans que je vais y parvenir. Il a un caractère bien trempé qui fait écho au mien. Si je n'abaisse pas un minimum la garde, il n'en fera rien non plus.

Le problème ? C'est que, comme il l'a si justement souligné, mon père symbolise ma corde sensible. Je n'ai pas du tout envie de me confier sur le sujet.

C'est pourquoi je change de stratégie et renverse sa proposition.

— On va à la patinoire.

Les lèvres d'Axel s'entrouvrent. Il conserve le silence mais il n'en pense pas moins : il a bien compris que j'évitais le sujet à tout prix.

— Pourquoi ce choix ?

Sa voix paraît encore plus rauque que d'ordinaire. Est-ce qu'il est en colère ? Je fuis son regard, me recroqueville sur mon siège et d'une petite voix, j'explique :

— Ben, comme tu m'as dit que tu ne savais pas patiner mais que tu aimerais apprendre, je me suis dit que...

Le silence entre nous est mortifère.

— Laisse tomber ! C'était débile. On a qu'à descendre au prochain arrêt et chacun trace sa route.

Axel hausse les épaules.

— Je n'ai pas dit que c'était débile. Je suis juste... surpris.

Je retiens le sourire qui menace d'étirer mes lèvres. Au fil des semaines, j'ai commencé à cerner son fonctionnement. Monsieur a un tempérament très similaire au mien : nous détestons que les gens nous donnent des ordres ou essaient de nous faire rentrer dans le rang. C'est notre côté rebelle. Je passe tellement de temps à jouer la petite fille modèle dans l'espoir que mon père me remarque et m'aime que dès que je suis avec d'autres gens, j'ai besoin de sortir de ce rôle. D'agir à l'extrême inverse, même.

Axel aussi doit avoir une figure pour laquelle il est irréprochable et qui explique pourquoi c'est un électron libre le reste du temps. Reste à savoir qui et pourquoi.

Je me doutais qu'en jouant la carte du doute et en proposant de tout annuler, il interviendrait pour maintenir l'activité. C'est son côté dominant et maniaque du contrôle.

Un point pour moi. Zéro pour lui.

— Surpris que j'ai retenu ton envie d'apprendre à patiner ou surpris que je te propose d'y aller ensemble ?

— À vrai dire... les deux. Tu es surprenante, Cassandra.

Ça y est, le retour de mon surnom. Mais étrangement, il ne m'agace pas cette fois. Parce qu'Axel n'y a mis aucun cynisme, aucun sarcasme. Je trouverais presque chouette qu'il soit le seul à utiliser ce mot pour me désigner, comme si c'était notre petit truc à nous.

Non mais ça va pas ? Tu débloques ma grande, redescends sur Terre !

Je suis complètement paumée entre Axe qui souffle le chaud et le froid, et ce qui s'est passé avec mon mystérieux client au Lust Mansion l'autre nuit. Plus le temps passe et plus je suis convaincue que ça réglerait une partie de mes problèmes qu'Axel et lui soient la même personne. Ça en créerait de nouveaux, c'est certains. Mais pas les mêmes. Au moins je n'aurais pas l'impression d'affronter un ennemi invisible. Se battre contre le vent est impossible.

Axel a un nom et un visage. Des défauts aussi. Mais il ne me fait pas peur.

— Toi aussi, tu es surprenant, admets-je. Tu m'as bluffé avec ce dossier. Je pensais que tu m'aurais réservé un mauvais coup.

— Je me serais tiré une balle dans le pied. Ma réputation et mon avenir étaient en jeu aussi.

Son regard part de biais. Il a l'air de penser ce qu'il dit... et pourtant, non. C'est étrange. Je n'arrive pas à comprendre ce qui se passe dans sa tête.

— Tu m'as déjà prouvé que tu n'avais pas de limite pour te venger de moi, nuancé-je. Tu aurais pu te sacrifier pour qu'on tombe tous les deux.

Il rit. C'est un son grave et pourtant clair.

— Tu me surestimes, Cassandra ! Je suis prêt à beaucoup de choses pour t'emmerder parce que ça m'amuse. Mais s'il y a bien une personne que je ne sacrifierais pas pour cette cause, c'est moi-même.

— Prétentieux ! Tu t'aimes hein ?

— Pas vraiment.

Les mots lui ont échappé. Je le vois dans son regard. Il tourne aussitôt la tête pour observer les rues de la ville qui défile à travers a vitre rayée par l'usure.

— Désolée. Je... je ne voulais pas être désagréable.


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