CHAPITRE 43
AXEL
— Notre jury est presque au complet, reprend M. Glabglouston en se grattant l'arrière de la tête. Il nous manque... Ah ! Le voilà !
La porte à l'autre bout de la salle s'ouvre. À mes côtés, Cassandre fait un pas de côté, comme si elle avait failli s'évanouir mais qu'elle s'était rattrapée de justesse. Je plisse les yeux pour observer les traits du nouvel arrivant.
Ma bouche s'entrouvre quand je réalise de qui il s'agit.
L'homme s'installe à derrière la table et nous jette un regard d'une froideur arctique. Sans prononcer le moindre mot, il joint ses mains et patiente.
Cassandre balbutie un son inintelligible avant de réussir à prononcer :
— Papa ?
Le doyen de l'université qui se déplace en personne pour assister à notre soutenance ? C'est du jamais vu. Il n'est là que parce que sa fille est sur la sellette. Et vu la température ambiante d'environ... -8 000° j'imagine sans mal que ce n'est pas pour l'encourager mais pour la tester. À en juger par la posture moindre droite de mon binôme, elle est déjà déstabilisée.
Ça s'annonce mal...
Une envie ardente crépite au creux de mon ventre. Celle d'appuyer Cassandre pour que cette soutenance se passe au mieux et qu'elle rabatte le caquet de son père. Je ne connais pas la nature de leur relation mais un simple coup d'oeil suffit pour comprendre que ce n'est pas l'amour fou. Il n'est pas là pour l'encourager mais pour assister à sa chute et je n'ai pas l'intention de laisser ce cas de figure se produire. Ce type est antipathique à souhait. Il me suffit de poser les yeux sur lui pour le détester.
Le problème ? C'est que je ne devrais pas vouloir aider Cassandre. Parce que je dois l'éliminer. Mes émotions interfèrent déjà avec ma mission. Je n'y arriverai jamais...
C'est la première fois que je dois mettre à mort quelqu'un pour qui j'éprouve quelque chose. De l'aversion, de l'agacement, de la curiosité, du désir. Peut-être d'autres trucs encore, tout est flou. Sauf que pour déshumaniser mes cibles, j'ai besoin de ne rien ressentir pour elle. Je ne les considère même pas comme des êtres humains, juste une case à cocher dans mon agenda de tueur à gage. Une simple feuille qui doit tomber de sa branche car l'automne est arrivé. La vie, la mort. Tout cela n'est qu'un cycle.
Prendre le dernier souffle d'une personne que je côtoie...
L'impasse se profile. L'échec aussi. Pourtant, ce n'est pas une option.
— Axel ? Axel ?
Je relève la tête. Cassandre m'observe avec de grands yeux assassins qui ne parviennent pas à embraser ma colère. Elle a l'air de vouloir me dire « bouge-toi le cul ou on va prendre cher ».
Tout ce que je vois, c'est une fille captive du regard de son père.
Une étudiante brillante qui a commis une erreur.
Une femme séduisante dont les clavicules appellent à la luxure.
Et aux souvenirs.
Sa peau contre la mienne.
Ma bouche sur sa peau.
Nos intimités mêlées.
Putain de cerveau ! Il faut que je débranche tout.
— Quand vous voulez ! annonce M. Glabglouston.
Je m'éclaircis la gorge.
— Bonjour à toutes et à tous, déclaré-je. Merci d'avoir pris de votre temps pour assister à cette soutenance. Nous allons évoquer aujourd'hui deux sujets que nous avons choisi de croiser : les croyances individuelles et la manière dont elles divisent ou rassemblent les employés au sein d'une société. L'objectif de ce dossier est d'étudier les forces et les limites de la foi de chacun dans la création d'une cohésion globale. Nous étudierons plusieurs secteurs d'activité avec des profils variés, de tous âges et horizons, puis nous les appuierons par des chiffres.
Cassandre opine du chef et enchaîne :
— Dans un second temps, nous comparerons les chiffres d'affaire, bénéfices et dividendes, puis nous les mettrons face aux données précédemment citées dans le but de nourrir la réflexion autour de l'angle que nous avons sélectionné.
Elle regarde chaque interlocuteur droit dans les yeux, sauf son père. Elle ne tient pas plus d'une seconde et demi.
— Si vous avez des questions, n'hésitez pas à nous solliciter durant l'exposé, précisé-je. Nous serons ravi de jeter un nouvel éclairage sur une zone d'ombre.
Le jury acquiesce. Sauf le doyen. Il demeure stoïque. L'auteur semble s'être réveillé depuis qu'il a entendu l'amorce de notre introduction. Il faut croire qu'on ne se débrouille pas trop mal.
Le début de l'exposé me pose les plus grandes difficultés. Il y a trop d'informations dans mon cerveau. La charge mentale m'enferme dans un étau.
Réussir l'exposé.
Tuer.
Aider Cassandre à porter le projet.
Tuer.
Protéger Cassandre de son père.
Tuer.
Rendre fier mes parents.
Tuer.
Tuer.
Tuer.
Ça prend toute la place. J'observe ma binôme de la tête aux pieds. Et le switch opère. Le passé et le présent entrent en collision. Mon regard efface le top en satin noir de Cassandre pour le remplacer par le corset rouge qu'elle portait au bordel l'autre nuit. L'odeur de renfermé de cette salle où les fenêtres sont trop rarement ouvertes s'estompe au profit de son parfum sucré.
Le désir impulsif que j'éprouve pour cette fille me retourne les tripes.
Je cligne des yeux.
Je me mords la langue jusqu'au sang.
Je me pince la cuisse.
Je serre les dents.
Bạn đang đọc truyện trên: AzTruyen.Top