CHAPITRE 39
CASSANDRE
C'est parti.
Étape numéro un : des excuses suffisamment modérées pour qu'il y croit mais suffisamment sincère pour adoucir l'atmoshère.
— Désolée, j'ai des galères à gérer. Je vais faire un effort pour être plus agréable.
Axel entrouvre la bouche, étonné par mon revirement d'attitude.
— T'inquiète, se contente-t-il de dire.
Mes oreilles sont branchées sur une fréquence analytique à tel point que ma bouche sort des phrases sans que je les anticipes, comme sur pilote automatique.
— Tu veux aller où ?
— On peut peut-être s'asseoir sur un banc ? proposé-je. De toute façon, l'idée c'est surtout de mettre en commun nos idées et de s'accorder sur nos temps de parole. Mais si tu préfères qu'on s'installe à une table, on peut.
Il secoue la tête.
— Je prendrais des notes sur mon téléphone si besoin est.
Alors que nous marchons côte à côte dans le parc de Princeton, je grimace. Axel a la voix très grave mais j'ai l'impression que celle de mon client l'était encore plus. À moins que ce soit un effet de mon imagination ?
Le mieux serait peut-être de lui faire prononcer une phrase similaire. Là au moins, je saurais si c'est la même personne. Sauf que je me vois mal demander à Axel de me dire qu'il va « me défoncer ».
Une nuée de frissons me couvre la peau. Le sexe avec cet inconnu a été à deux reprises, sauvage et tendre. Je n'arrive même pas à expliquer comment c'est possible. Toute la brutalité de ses gestes n'était pas dirigée vers moi en tant que personne pour me posséder, mais vers l'atteinte du plaisir et sa transmission. Un défi qu'il a relevé avec brio. Les clients qui se paient des prostituées ne pensent qu'à eux. Pas lui.
C'est aussi une des raisons que je place dans ma colonne mentale intitulée « ce n'est pas Axel ». De ce côté-là, on retrouve aussi :
- Je n'éprouve aucun désir pour lui
- Je le hais
- Impossible de ne pas l'avoir reconnu même s'il porte un masque
Dans la colonne « c'est Axel », j'ai marqué :
- Ils ont la même silhouette
- La réaction de mon client quand il a vu mon visage prouve qu'il me connaît de près ou de loin
L'idée d'ajouter « ça me rassurerait que ce soit Axel » me traverse l'esprit. Vu l'état de nos relations, ça paraît étrange mais c'est le cas. Si c'était bel et bien lui, je pourrais lui parler. Le raisonner. Le supplier de n'en parler à personne et de ne pas utiliser cette information contre moi. Il serait libre de ne pas m'écouter bien sûr, et c'est probablement ce qu'il ferait. Il n'accorde aucun crédit à ce que je désire. M'emmerder au quotidien représente son plaisir ultime.
Toutefois, ça a un côté rassurant d'imaginer un visage familier. Si mon inconnu est une personne qui sait qui je suis mais pas l'inverse, alors ça lui donne un énorme pouvoir sur moi. Et s'il me faisait chanter à son tour ?
Je suis une experte en la matière. Si je me prostitue au Lust Mansion, c'est parce que quelqu'un détient de quoi ruiner ma réputation. Si une seconde personne s'y mettait, mes nerfs n'y survivraient pas.
Le flot de mes pensées s'interrompt lorsque nous trouvons un banc vide. Axel et moi nous installons l'un à côté de l'autre et c'est seulement là que je prête attention à sa tenue. Il porte un col roulé noir, un pantalon de la même couleur et une paire de Dr Martens. Le volume de ses cheveux avec sa middle-part donne de la profondeur à son visage.
Mon client avait les siens plaqués vers l'arrière, un peu comme Dracula. Ou comme Leonardo Di Caprio dans le Loup de Wallstreet, mais en mieux. Axel n'a jamais stylisé ses cheveux comme ça sur le campus mais sa longueur le lui permettrait. Encore un élément qui ne me permet ni d'affirmer, ni d'infirmer.
Bordel ! Il faut que je trouve un biais.
Mon esprit me ramène une phrase que mon client m'a dite vendredi dernier : « pour vous, je ferai une exception ». En la jouant fine, je devrais pouvoir trouver un moyen de pousser Axel à la prononcer à voix haute. Là, je serais fixée.
— Voilà ce que je propose, me dit-il soudain. Plutôt que de laisser l'un de nous deux gérer l'introduction, j'ai pensé qu'on gagnerait des points à se la répartir. Il faudrait presque qu'on se réponde l'un l'autre, pour montrer qu'on a réfléchi ce projet en binôme. Je suis sûr qu'ils ont l'intention de nous évaluer sur ça plus que sur les connaissances qu'on va mettre en avant.
— Tu crois ?
— Nous deux en travaux de groupe ? Ce n'est pas un hasard. OK ! J'entends leur argument de « vous avez eu la meilleure note dans la matière où l'autre est nul » mais quand même. S'il nous demande une soutenance orale du dossier, c'est parce qu'il compte évaluer notre travail en équipe. Sinon, il aurait suffi d'envoyer le fichier par mail.
Tant de choses me préoccupent que j'ai à peine songer à ce dossier, ces derniers jours.
— Tu... tu as raison, admets-je. Ça se tient.
— J'ai toujours raison. Il est temps de t'en rendre compte.
Je serre les mâchoires pour contenir la réplique cinglante qui me vient. Ce type est tellement agaçant ! Impossible qu'il soit capable de me donner autant de plaisir dans un lit. Ça ne peut pas être lui. Mais je dois en avoir le cœur net.
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