CHAPITRE 38


CASSANDRE


Les bras croisés sur la poitrine, je marche d'un pas incertain. Les feuilles humides qui jonchent le trottoir disent tout ce qu'il y a à savoir sur l'arrivée de l'automne. Les passant se pressent en tout sens avec des imperméables et des parapluies. J'étais tellement à côté de mes pompes ce matin que j'ai enfilé un top bleu azur qui crie son appartenance à la saison estivale et un pantalon blanc. Résultat : je suis frigorifiée dans la rue. Non pas qu'il fasse moins dix par cette fin de mois de septembre mais un gilet aurait été apprécié.

Je suis frileuse...

J'ai enlevé mon masque. Quelle conne ! Mais quelle conne...

Pourquoi j'ai fait ça ?

Plus jamais je ne touche à la drogue de Clarissa. Le mélange avec l'alcool m'a mise dans un état second, levant toutes mes inhibitions. Résultat, je n'étais pas dans mon état normal et j'ai laissé certaines émotions prendre le dessus au risque de me mettre en danger. L'excitation de ce mystérieux client capable de me faire jouir alors que chaque autre transaction sexuelle que j'ai effectué au Lust Mansion était purement mécanique. Mes gémissements étaient modulés en fonction de la demande. Rien n'était vrai.

Mais pas avec lui. La première comme la seconde fois, il s'est passé un truc entre nous. Sa peau a électrisé la mienne. Nos corps fonctionnent comme des aimants. C'est aussi inexplicable qu'inextricable.

Sur le coup, je n'ai même pas perçu que c'était risqué de dévoiler mon identité. J'étais tellement anesthésiée que ça m'a paru normal. Lambda, même.

À présent, quelqu'un connaît mon secret. Et pas n'importe qui : un homme avec lequel j'ai couché. Deux fois. Il sait que je me prostitue et il pourrait me reconnaître au détour d'une rue. D'autant que la majorité de la clientèle du Lust Mansion est constituée d'étudiants de Princeton. Les campus des villes alentour en profitent aussi, ainsi qu'une poignée d'autres clients que je suppose trié sur le volet. En fait, je n'en ai aucune idée.

La boule logée dans mon ventre me donne envie de me plier en deux. Si mon père apprend que je me prostitue, je ne donne pas cher de ma peau. Et si mon secret venait à être exposée sur le campus, c'est ma réputation et mon image qui voleraient en éclat. Je ne pourrais plus jamais avoir une vie normale.

Je suis dans la merde...

Les souvenirs de vendredi soir passe en boucle dans ma tête. Je revois mon masque. Sur mon visage. Puis plus. L'odeur d'encens. L'air horrifié du client. Ses mouvements maladroits pour quitter la chambre. Suis-je donc si laide que ça pour qu'il ait pris ses jambes à son cou ? Ou alors...

Mon cœur se serre. Une autre hypothèse me hante et même si je refuse d'y croire, elle paraît plausible. C'est bien ce qui me terrifie. Ce qui pourrait justifier la réaction de mon client, c'est qu'il m'ait reconnu. Qu'il sache qui est Cassandre Caldwell. Qu'il me côtoie dans mon quotidien sans avoir la moindre idée que je vends mon corps. Maintenant, il sait.

Il y a bien une personne qui me hante sans cesse. Un mec tout à fait capable de fréquenter le bordel clandestin universitaire où j'exerce contre mon gré.

— Axel !

Je pivote, le cœur battant à tout rompre. Est-ce que je viens de penser son prénom si fort que j'ai réussi à l'entendre ? En découvrant une fille au carré roux qui trottine vers le concerné, je réalise que ce n'était pas une hallucination auditive.

Tu ne perds pas la raison Cassandre. Respire.

— Tiens. Je te rends le bouquin que tu m'as prêté la semaine dernière pour le cours d'économie libérale. Merci encore !

Elle le gratifie d'un sourire qu'il ne lui rend pas et s'éloigne à grandes enjambées. Axel m'aperçoit et se dirige vers moi, tout en rangeant l'ouvrage dans son sac.

— Te voilà, Cassandra ! Je commençais à croire que tu allais encore me poser un lapin.

En dépit de son timbre de voix assurée et de la confiance qui transparaît de ses mots, son visage n'est pas aussi fermé que d'habitude. J'y découvre une brèche dans laquelle mon esprit s'engouffre.

Et si c'était lui le client à qui j'ai dévoilé mon identité ?

Et si j'avais déjà couché deux fois avec lui alors que je le hais de toutes les fibres de mon être ?

Ça pourrait expliquer pourquoi je le trouve moins sûr de lui que d'ordinaire. Ou alors c'est dans ma tête et je cherche dans les moindres détails une confirmation de mon intuition.

Je soupire.

C'est fatigant d'être dans ma tête.

— Ça y est, tu souffles déjà ? On n'a pas fini de s'amuser, raille Axel.

— Je ne suis pas d'humeur.

Je croise les bras sous la poitrine tout en le scrutant de la tête aux pieds. Il fait la même taille que mon client. Leur couleur de cheveux est similaire. Enfin, des grands bruns qui vont à la fac, il y en a des milliers...

Il faut que j'étudie son timbre de voix. Et pour ça... je dois le faire parler.



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