CHAPITRE 37




AXEL

— T'as une sale gueule, me lance Rayane.

— Tu peux me rappeler pourquoi on est amis, déjà ?

— Parce qu'on a essayé d'être plus mais que ça n'a pas marché.

Mon cœur se serre.

— C'était une question rhétorique. Merci pour ce souvenir, commenté-je.

Rayane hausse les épaules.

— À ton service !

Il s'élance sur le lit et rebondit deux fois, avant d'appuyer son coude sur le matelas puis sa tête sur sa main.

— Je t'écoute ! Raconte-moi tes malheurs. Tu te sentiras mieux après.

Je serre les mâchoires. Mes problèmes tournent en boucle dans ma tête. Je vais péter un plomb si je ne trouve pas une manière d'évacuer. Sûrement serait-il préférable de parler que d'enfoncer mon poing dans un mur et de me briser les phalanges.

Et en même temps... je n'ai jamais mêlé personne à mes histoires. Rayane ne doit pas savoir que je suis un tueur à gage, ça pourrait le mettre en danger. Je pourrais peut-être lui avouer que je fréquente un bordel clandestin et que j'ai couché avec Cassandre. À deux reprises. Mais si je fais ça, c'est elle que je mets en porte-à-faux. Je doute qu'elle ait envie que tout le monde sache qu'elle vend son corps. Si elle porte un masque, il y a une raison. Bien que je ne saisisse toujours pas pourquoi elle a décidé de me dévoiler son identité il y a deux jours...

Demain je dois retourner sur le campus. En cours. Notre soutenance ensemble a lieu dans trois jours. Et je dois l'éliminer.

La tuer.

Un frisson remonte le long de mon épine dorsale.

Pourquoi ai-je le réflexe de protéger cette fille si je dois lui ôter la vie ?

Ça n'a aucun sens. Mon esprit mélange des faits triviaux avec des faits d'une gravité indicible. Et si j'ai toujours fait en sorte de cloisonner dans ma tête et de considérer mes actes en tant qu'Obsidienne comme étant neutre afin de continuer à avancer jour après jour, je n'y arrive plus depuis quarante-huit heures.

C'est trop difficile.

Rayane fronce les sourcils.

— Tu m'inquiètes, Axel. Vraiment ! Je ne t'avais encore jamais vu dans un état pareil.

Je soupire et m'assois sur le bord du lit, près de lui. Puisque je ne peux pas dire la vérité et que je n'aime pas mentir à mon meilleur ami, il ne me reste qu'une solution. Une semi-vérité.

L'arbre qui cache la forêt.

— Tu te rappelles la promesse que je me suis faite à moi-même ?

— De ne plus jamais coucher deux fois avec la même personne ?

J'opine du chef. Rayane me sourit. Il n'y a pas de joie dans cette esquisse, rien qu'un peu d'amertume.

— Quand on s'est rencontrés, toi et moi, il s'est passé un truc, évoqué-je. Ça ne m'était jamais arrivé. D'habitude, les gens me laissent indifférent. Alors j'ai cru que...

— Je l'ai cru aussi, tu sais, me dit-il d'un ton calme.

Je tourne la tête vers lui. Son regard se veut rassurant. En me plongeant dans ses iris bleus, je me remémore les deux nuits que nous avons passé ensemble. Si les gens ne m'évoquent pas d'émotion, j'ai toujours su que j'étais sexuellement attiré par les hommes et les femmes. En fait, je n'ai jamais fait de différence. Rayane m'a dit que j'étais pansexuel mais je ne suis pas très branché étiquette. S'il a besoin de m'en mettre une pour mieux comprendre son monde, ça me va. Je n'utilise juste aucun terme pour me définir moi-même.

— C'était quand même bon, précise-t-il. Tu es un de mes meilleurs coups.

Un rire m'échappe.

— Et pourtant, j'ai couché avec plus de femmes que d'hommes.

Question d'opportunité, je suppose. Cela fait un moment que je n'ai plus eu de rapport sexuel avec un mec. Il y en a eu trois ou quatre après Rayane, pas plus. Et au Lust Mansion, les professionnelles sont exclusivement féminines.

— Ça t'as quand même appris à être très à l'écoute. Enfin, bref ! Toi et moi, on s'est bien amusés mais on sait tous les deux que notre complicité est amicale. Il n'y avait pas de petit truc en plus.

— C'est vrai.

Au terme de notre deuxième nuit ensemble, nous avons discuté et décidé de rester pote. Il manquait un petit supplément d'âme, un frisson quand nos peaux se touchaient, une flamme quand nos bouches se frôlaient. Je crois qu'en fait, on s'appréciait beaucoup. Pour rire, jouer aux jeux vidéos ou se parler.

Rayane est devenu mon tout premier ami. Comme je n'en ai jamais eu avant, je ne savais pas à quoi ça ressemblait.

Cette expérience m'a laissé des séquelles. Moi qui ne souffrait jamais de rien parce que je m'étais anesthésié de toute émotion, j'ai été chamboulé. Je me suis soudain posé beaucoup de questions, demandé ce qui clochait chez moi et j'ai pris peur. Je me suis dit que jamais je ne devrais coucher deux fois avec la même personne pour que mes tourments ne se reproduisent pas.

Et voilà que je viens de commettre cette erreur. Parce que j'avais cette blonde candide en tête en permanence et que le souvenir de sa peau contre la mienne a refusé de s'effacer. J'ai résisté autant que j'ai pu, jusqu'à ce qu'Obsidienne prenne les rênes et que le contrôle m'échappe. J'ai eu besoin d'un exutoire.

— Qu'est-ce qui ne va pas avec ta promesse ? me demande Rayane.

— J'ai fait une connerie, Rayane. Une énorme connerie.

— Tu as recouché avec quelqu'un ?

J'acquiesce. Son silence laisse tellement de place dans ma tête que la question non posée résonne en boucle.

Qui ?

Qui ?

Qui ?

Puis...

Cassandre.

Cassandre.

Cassandre.

Cette blonde aussi agaçante qu'intelligente, qui a le tempérament pour me tenir tête et m'évoquer quelque chose. Cette étudiante pénible qui empêche mon quotidien sur le campus d'être un long fleuve tranquille. Cette prostituée singulière avec laquelle j'ai choisi de me dénuder par deux fois.

Il y a une boule dans mon ventre. Et un clou rouillé dans mon cœur.

Cette fille ne me laisse pas indifférent.

Mais je dois la tuer. J'ai prêté serment. Si je refuse d'aller au bout de ma mission...

... c'est moi qui mourrai.








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