CHAPITRE 30
AXEL
La nuit est froide. Mon cœur aussi. Si tant est que j'en ai un.
L'orée d'un tapis de feuilles est apparue sur le trottoir avec les prémices de l'automne. À longer la chaussée à une cadence régulière, je les observe. Elles sont mortes. Leur existence est vaine. Il en sera de même pour ma cible.
À la lueur des réverbère, je ne suis qu'une silhouette de cuir dans la nuit. L'un d'eux clignote, comme dans un mauvais film d'horreur. Je pourrais avoir peur mais à quoi bon ? Le danger, c'est moi.
En arrivant sur le campus de Princeton, je ne croise personne. Au beau milieu de la semaine et à une heure aussi tardive, il est rare de croiser âme qui vive. Mes pas sont lents, mesurés. Cadencés. En pilote automatique, mon corps se meut en direction de son destin.
J'entre dans le deuxième bâtiment abritant les chambres où dorment les étudiants les moins fortunés. Axel aurait dû faire partie de ceux-là mais il n'a pas rendu le dossier à temps, l'an passé. Sans sa rencontre avec Rayane, il dormirait dans la rue, faute d'avoir un toit sur la tête.
La chaleur du couloir tente de m'envelopper mais j'y reste hermétique. Rien ne peut réchauffer la mort ni même sa personnification. Je n'ai pas de grande cape noire ni de faux. Mon visage n'est pas un crâne décharné. N'en demeure pas moins que j'apporte le même message.
Des voix dans le couloir m'incitent à me planquer derrière la première porte à ma gauche : un local entretien. Je me mêle aux balais et autres serpillères, le cœur battant à un rythme régulier. L'adrénaline est devenue mon amie. À moins d'atteindre un seuil élevé, elle ne pousse pas mes signes vitaux à s'emballer.
— Je lui avais dit de faire gaffe, aussi.
La première voix est féminine. Elle m'évoque quelque chose mais je ne l'identifie pas. Axel l'aurait sûrement reconnue, lui. C'est pour ça qu'elle m'est familière. Mais obsidienne possède ses propres souvenirs, sa propre conscience. Le tueur doit exister pleinement pour exécuter sa mission et cela implique d'écraser entièrement celui avec lequel il partage ce corps.
— On a pris trop de risques ces deux dernières semaines. Il faut ralentir la cadence.
Cette voix-ci est masculine. Plutôt aiguë mais je sais qu'elle n'appartient pas à une femme.
— Baisse d'un ton ! intervient une troisième plus gutturale. On pourrait nous entendre.
La conversation se poursuit dans des murmures, ce qui empêchent les étudiants d'entendre depuis leur chambre. Mais comme j'ai laissé la porte du local entrouverte, en tendant l'oreille, je parviens à suivre.
— Si on se laisse aveugler par le profit, on va se faire gauler. Et on ne parle pas d'un blâme ou d'un renvoie de Princeton. On parle de faire de la taule, putain !
Le dernier mot n'était pas un chuchot.
— Tu nous prends pour des demeurés ? On sait très bien à quoi on s'expose, avec ce bordel clandestin.
Un frisson remonte le long de ma colonne vertébrale. Ils parlent du Lust Mansion. Si c'est Axel qui s'y rend à chaque fois, Obsidienne y trouve son compte. Il observe dans son coin, se nourrissant d'une jouissance bien faible à côté d'un meurtre mais qui s'en rapproche d'une certaine manière.
Ce n'est pas pour rien qu'on appelle l'orgasme « la petite mort ».
— Je n'ai pas dit le contraire. C'est juste que vous vous sentez protégés mais on ne l'est pas. Au moins de pas de travers, le château de cartes s'écroulent. Et je n'ai pas l'intention de me faire enculer dans des douches en milieu carcéral.
— Ça ne te ferait pas de mal, pourtant, raille la voix féminine. Ça t'aidera à enlever le balai que t'as dans la cul.
— Ferme la !
Les trois continuent de se chamailler mais je n'arrive plus à comprendre ce qu'ils disent. Ils sont en train de s'éloigner dans le couloir. Je jette un œil à mon téléphone portable pour vérifier dans mes notes le numéro de la chambre de ma victime.
Elsa Downford.
Quatre lettres. Huit lettres.
Douze lettres.
Elle n'est pas une personne, elle est deux mots. Une identité. Un peu d'encre sur un registre appelé l'état civil. C'est tout.
Elle n'est pas la fille de quelqu'un. Ni la sœur. Ni l'amie. Elle n'a pas de goût, de passion ni de libre arbitre. Elle n'a pas de conscience propre.
Elle est juste un corps qui vit. Et bientôt, elle sera un corps qui meurt.
Je quitte le local entretien sans un bruit, après avoir veillé à ce que personne ne se trouve dans les parages. Je me faufile le long des portes jusqu'à trouver le numéro qui m'intéresse. Là, je colle mon oreille contre la cloison. Un bruit de fond me parvient. Une télé allumée.
J'actionne la poignée.
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