CHAPITRE 10


CASSANDRE



Étendue en travers du canapé, je m'acharne sur le clavier de mon ordinateur et les feuilles volantes que j'ai accumulées ces derniers jours.

— Tu peux t'énerver autant que tu veux sur le papier, ça ne va pas t'aider ! me lance Carmen dont le mulet s'agite au rythme de ses mouvements.

Je n'arrive toujours pas à m'habituer à cette coupe. Elle lui va bien, c'est juste qu'elle est plutôt atypique et que faute de l'avoir vu régulièrement sur différentes personnes, mon cerveau a du mal à s'adapter.

— Je sais, grommelé-je.

J'entortille une mèche autour de mon index, puis la cale dans ma bouche. Ces derniers temps, j'ai développé ce tic à ne plus savoir comment gérer ma nervosité. J'ai beau me creuser la tête depuis des jours, aucun miracle ne m'est apparu. Pourquoi la vie a-t-elle décidé de me placer dans une situation aussi inextricable ?

— Quand tu seras prête à entendre la vérité, tu me feras signe, enchaîne Carmen tout en gesticulant sur son tabouret pour fixer sa guirlande au plafond.

Si mon père voyait l'état de la maison alors que la soirée d'intégration n'a pas encore commencé, je ne donnerais pas cher de ma peau. Organiser une fête ici était la pire des idées et comme d'habitude, je me suis laissée convaincre par Carmen. Pourquoi ai-je donc si peu de volonté ?

Des ballons de baudruche jonchent le sol tandis que d'autres sont suspendus aux cloisons par trois tel des bolas. Une table a été recouverte d'une nappe noire pour faire office de buffet. On y trouve ainsi trois jarres contenant trois cocktails différents, ainsi qu'un pichet de jus de fruits. Il a l'air bien ridicule à côté de ses voisins.

— Au moins on ne pourra pas dire qu'on est pas inclusifs, commente Carmen qui a suivi mon regard.

Je suis transparente aux yeux de cette fille. Elle lit dans mes pensées comme si elles étaient siennes. Enfin, dans une certaine mesure. Heureusement pour moi, je mens mieux que je l'aurais cru sinon elle m'aurait grillé lors du tirage de cartes qui a annoncé... des trucs que je refuse de croire.

— C'est un peu le principe d'une soirée d'intégration, souligné-je.

— Alors non : le principe d'intégration c'est de se bourrer la gueule jusqu'à en oublier son prénom pour faire connaissance avec les autres.

— Plus contradictoire, tu meurs.

Carmen hausse les épaules, tout en nouant un énième ballon de baudruche.

— C'est pas moi qui fait les règles. Je reviens, je vais chercher les appareils photos jetable dans ma voiture.

L'idée de capturer un maximum de souvenirs à l'ancienne me ravit. Nous ne saurons pas à quoi ressemble le résultat avant de les faire développer. Le rendu sera sûrement horrible mais c'est ce qui fera tout son charme.

Pendant que ma meilleure amie sort, j'en profite pour remuer ciel et terre une fois de plus. Je me repasse les prévisions que j'ai faites, la quantité surhumaine de travail, l'étendue de la tâche. Il n'existe qu'une seule issue à mon problème et je le sais. Je n'avais juste pas envie de m'y résoudre. J'ai eu la naïveté d'espérer que je trouverais une solution magique.

Il est temps d'affronter mon destin. Lorsque Carmen revient les bras chargés d'appareils photos jetables jaunes, je me précipite vers elle pour en sauver un in extremis.

— On a failli perdre un soldat, s'esclaffe-t-elle.

Elle se penche sur le plan de travail de la cuisine pour y déposer ses biens. Lorsqu'elle se retourne, elle perçoit aussitôt dans mon regard que quelque chose s'est produit : je me suis résignée.

— Je suis prête à entendre la vérité, lâché dans un soupir.

Carmen me sourit.

— Je me doutais que ça ne tarderait pas. Alors la voilà : tu n'as pas le choix que de bosser avec Axel. Si vous vous travaillez chacun dans votre coin pour faire la soutenance ensemble, ça se verra direct.

Je m'apprête à ouvrir la bouche, mais elle lève l'index pour m'empêcher de prendre la parole.

— Non, mettre vos idées en commun pendant une heure avant la soutenance ne vous sauvera pas. Et tu le sais aussi bien que moi, sinon tu ne serais pas en train de te torturer. Fais-toi une raison, ma vieille !

— Axel est insupportable. L'idée même de passer des heures entières, tous les jours, pendant trois semaines me donne la boule au ventre.

— T'exagère ! C'est pas un monstre non plus. Et je te signale que vous n'avez rien foutu cette semaine, donc il ne vous en reste plus que deux. Pas trois.

La pression m'écrase la cage thoracique.

— Merci de me rassurer. Je te rappelle que si on se foire sur ce dossier à la con, on perdra tous les deux nos places à Princeton.

— Raison de plus pour vous bouger le cul et commencer à bosser tous les deux. De toute façon, il vient à la soirée. C'est l'occasion de vous organiser.

Super ! Je n'étais déjà pas emballée à l'idée de faire la fête chez moi, maintenant il faut que je me farcisse la présence de ce gros lourd et que je sauve mon avenir universitaire. Un plaisir !

Assister Carmen avec les préparatifs me permet de sortir de ma tête. J'en profite pour ranger tous les bibelots de valeur dont la fragilité fait d'eux des cibles privilégiés pour des gros lourds bourrés qui ne savent pas se gérer. Autant anticiper pour m'éviter un incident diplomatique.

— Aide-moi ! On va bouger la table.

Carmen rapplique aussitôt. Nous décalons le meuble afin de rouler le tapis sur lui-même puis je vais le planquer dans ma chambre que je ferme à double tour. Celle de mon père aussi, d'ailleurs. Il ne manquerait plus que quelqu'un ait l'idée d'aller copuler dans son lit. Une vison d'horreur m'accable. Je retiens difficilement une nausée.

— C'est bon, le bunker est prêt ?

— Ha ha ! Je suis écroulée, raillé-je. J'aimerais t'y voir. Si t'avais un père aussi chiant que le mien, je peux te dire que tu ferais moins la maligne. Et tu comprendrais pourquoi je prends mile précautions.

— Le peu de fois où j'ai vu le tien en dehors du campus, il a toujours été très sympa avec moi.

— C'est bien ça, le problème. Il est toujours très sympa avec tout le monde.

Sauf avec moi. Je n'achève pas ma phrase mais ma meilleure amie semble la comprendre d'elle-même puisqu'elle s'approche pour me prendre dans ses bras.

— C'est notre année, d'accord ? affirme-t-elle dans mes cheveux.

Je la serre de toutes mes forces, comme si cela pouvait permettre à ses mots de mieux imprégner mon esprit.

— On va kiffer cette soirée, on gérer nos études et on va gérer des putains de beau gosse ! Dis-le !

Carmen s'écarte pour me tenir à bout de bras. Un gloussement m'échappe alors que je répète mot pour mot sa phrase.

— Un peu plus de conviction sur la dernière partie.

— On va gérer des PUTAIN de beau gosse.

— Voilà ! That's my girl !

Je secoue la tête, en proie à l'hilarité contagieuse de Carmen. Je ne sais pas ce que je ferais sans elle. Ma vie serait bien terne et monotone. Elle se rend dans la cuisine pour faire l'inventaire des bouteilles qu'elle a amené.

— Tu sais quoi ? On va pimenter cette soirée, me propose-t-elle en haussant le ton. Le premier mec qui rentre, tu le galoches dans la soirée.

— « Galoches » sérieusement ? raillé-je. Même mon père est trop jeune pour utiliser cette expression.

— Bla bla bla. T'as pas le cran, avoue !

Je hausse les sourcils.

— Moi je n'ai pas le cran ? Alors là ma vieille, tu te goures. Vendu ! Le premier mec qui rentre je le galoche avant minuit.

J'ai bien appuyé l'ironie sur le verbe.

— Même s'il s'agit d'Adrian Sanders ? Il est sacrément vilain...

— Les yeux fermés, dans le noir, avec une cagoule et dix shots de vodka, ça passe.

Carmen explose de rire tandis que je me pince les lèvres. La sonnette s'actionne au même moment. Je me précipite vers la porte, guillerette.

— Mon destin m'attend ! m'écrié-je.

Alors que les gonds pivotent, mon sang se fige. Sur le pallier se trouve Axel, plus séduisant que jamais dans sa chemise et son pantalon noir. Il a retroussé ses manches sur ses avant-bras, dévoilant un réseau de veines en relief sur sa peau soyeuse. Il porte plusieurs bagues et son verni a opté pour la même teinte que ses fringues. Ses cheveux ébouriffés lui donnent l'air d'arriver d'un long voyage en mer. Il est d'une beauté détestable.

Je vais tuer Carmen.

Je ferme la porte au nez d'Axel, pour lancer à ma meilleure amie :

— T'avais vu par la fenêtre que c'était lui ?

Son air mutin alors qu'elle s'agrippe à sa bouteille de Jagger ne laisse planer aucun doute sur la question.

— Je te déteste !

Sur cette conclusion, j'ouvre de nouveau la porte. Axel me fusille du regard.

— Tu maîtrises l'art de recevoir toi, grogne-t-il. J'ai su que t'allais me casser les couilles dès l'instant où on m'a dit que la fête serait chez toi.

Déterminée à ne pas laisser la colère me submerger, je lui souris et réponds :

— Et encore, ce n'est que le sens figuré pour l'instant, minaudé-je. À ta place, je les protégerai toutes la soirée. On n'est pas à l'abri de me voir trébucher et t'enfoncer mon genou jusqu'à la vessie.


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INSTAGRAM : @kentinjarno

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