Prologue
La grotte n'avait ni feux ni ombres qui glissaient contre les parois pour éclairant ce passage sombre. Il n'y avait que des reflets venus d'ailleurs, d'un monde où l'Éther était maîtresses des éléments. Le roi s'avançait pourtant entre ces murs humides aux hiéroglyphes d'un autre temps. Il sentait qu'à chaque pas, une once de ses pouvoirs s'estompait — avalé par les paroles de diverses divinités de ces déserts arides. Leurs puissances brûlaient sa peau, néanmoins subtile. Ce n'était que de simples effleurements piquant comme les ronces à mesure qu'il s'enfonçait dans les entrailles de la Terre...
Comme si elles savaient qu'il était, qu'elles n'ignoraient pas l'étendue de ses pouvoirs.
Un rire léger retentit au loin, un écho contre les pierres aiguisées. La femme ne se révéla pourtant pas, se jouant de lui et de son souffle asséché. Elle sentait la méfiance qui émanait de lui, et avait décidé de rester invisible lorsqu'il atteignit finalement l'alcôve démunie d'issue. Seules quelques torches éclairaient les parois gravées de bas-reliefs. Des icônes animales, mais également des déesses anciennes qui offraient leur voix à celle qu'il était venu voir.
— Le puissant roi quitte finalement son royaume pour demander... la parole des plus anciennes que lui, résonna une intonation suave semblable à celle des lamias.
Dans un recoin, une ombre se dessina puis une figure se révéla, ses courbes marquées comme les silhouettes sur les murs. Celle aux nombreux dons acceptait sa visite, celle qui lui avait octroyé une réponse par le passé dont même Hécate en avait été incapable. La femme lui sourit, ses dents se dévoilant tel un serpent avant de ricaner doucement. Les multiples bracelets sur ses bras retentirent à mesure qu'elle s'avançait vers lui.
Le dieu baissa lentement le regard pour le poser sur le bas du vêtement qui la recouvrait. Il était déchiré, tâché d'une trace aussi rouge que le sang, mais les dorures de ses bijoux et de sa ceinture camouflaient la nature obscurcie par ses pouvoirs. Il ne laissa pas paraître ses frissonnements.
L'immortelle s'arrêta à quelques pas de lui, ses cheveux sombres et bouclés recouvrant ses pupilles teintées de cette once de folie — celle dont toutes les autres aux mêmes dons qu'elle possédaient. Le dieu l'observa et déglutit, car ce visage qui lui était offert était un des plus dangereux qu'il ne lui avait été donné de voir, mais également le plus trompeur par sa beauté. Une menace silencieuse qui se faufilait entre les cavités.
— Sybille, salua-t-il la femme qui jouait doucement avec ses bracelets, battant le rythme de son cœur accélérant à mesure que le silence s'allongeait.
Elle claqua la langue, impatiente que sa demande ne soit exprimée. Mais comme unique réponse, il croisa les bras et souleva son menton. Un affrontement, une preuve que depuis le dernier âge, il avait trouvé sa place, imposé sa force — et qu'il n'était plus le jeune roi à qui elle avait éclairé le passage. L'immortelle n'en fut toutefois nullement impressionnée.
Autour d'eux, les flammes s'élevèrent, se reflétant sur la peau ébène de la femme brillant d'une aura différente. Elle lui indiquait qu'il restait le bienvenu dans son antre. À sa façon, avec une dissuasion.
— Nous avons des ennemies communes.
— Je sers Cybèle, les avons-nous réellement ? questionna-t-elle dans un rire gras, amusée par la situation.
Elle se moquait de lui, mais il se retint de déclarer sa fureur. Il lui devait le respect, et elle lui en offrait en retour. Une marque de sa part bien rare, et les ossements à l'entrée en avaient été la preuve.
— Cybèle est d'Anatolie, du Croissant. Ne joue pas à tes jeux avec moi.
— Tu es différent, laissa-t-elle échapper en ignorant sa mise en garde.
Elle fit un pas pour s'approcher de l'homme dont les yeux sombres la détaillaient avec méfiance. Ses doigts fins sertis de nombreuses bagues d'or se promenèrent sur ses épaules, les tapotant du bout de ses ongles aussi obscurs que les oracles. Elle jouait, gloussant doucement lorsqu'elle effleura les marques sur son dos, dissimulées par son pagne noir aux fils d'or. Il n'était pas venu avec sa couronne, mais ses vêtements devaient suffire pour signifier son rang.
Elle restait Sybille pourtant, enroulant autour de son index une mèche de ses longs cheveux noirs et bouclés, avant de tapoter sa joue. Puis, elle s'écarta enfin. Son rictus avait disparu, laissant place à un sourire étincelant aux lèvres.
— Tu as effectué la chute..., lui fit-elle remarquer.
À ces mots, des traces blanches se torsadèrent autour de son corps comme une brume.
— Félicitations, souverain, tu m'as écouté au final. Après avoir perdu une guerre, avoir été maudit et exilé dans ton propre royaume, énuméra-t-elle en comptant sur ses doigts moqueurs. Un exploit.
Sa mâchoire se contracta au rappel de ses défaites, mais il n'en laissa rien paraître. Cela l'amusait — et elle le testait une nouvelle fois. Il ne devait pas tomber dans son piège, c'était ce qui lui avait sauvé la vie la dernière fois. Sans qu'il n'en ait conscience.
— Sybille, la mit-il en garde. Je suis venu comme je suis venu il y a des siècles. Tu m'as prédit le moment adéquat, lorsqu'elle s'éveillerait pour me détruire et que je devrais réclamer ce qui m'était le plus précieux. Ainsi que sa clé avantelles.
Le sourire de la femme disparut, son visage se rétracta et revêtit le masque de son rôle, de l'Oracle de ces terres. Des taches blanches se matérialisèrent, laissant entrevoir ces fragments des voiles entre les mondes. La respiration du dieu se coupa, conscient qu'il atteignait finalement le propos de sa visite.
— Quelle est donc ta question ? persista-t-elle naïvement, et un souffle saccadé s'échappa.
Ses pupilles se dilataient, signifiant que les divinités n'étaient pas si lointaines de son ouïe. Elle résistait toutefois à ses pouvoirs qui s'immisçaient entre ses pores, patientant qu'il ne s'exprime. Le dieu perçut la sueur couler le long de sa tempe, ses lèvres entrouvertes. Il ne pouvait pas faire durer sa torture. Elle était née humaine — et malgré sa puissance, finissait par se plier à ses dons. Il comprenait une partie de sa douleur, et il se hâta donc.
— Dois-je aller la chercher ?
— Nomme-la...
— Tu sais de qui je parle, la coupa-t-il.
— Nomme-la ! hurla-t-elle de mille et une voix diverses et tonitruantes.
Les parois de la grotte tremblèrent, mais les jambes du souverain restèrent ancrées au sol. Les échos se succédèrent le long du tunnel jusqu'aux oreilles de Namtar et Thanatos qui patientaient son retour. Ils avaient traversé le désert depuis Canaan, pour se retrouver ici, à Ta Ntéjer — et il ne serait pas venu pour rien. Sybille elle-même était partie de ses terres pour cette demeure au sud du Nil, s'assurant que nulle divinité n'ait connaissance de leur rencontre. Faire perdre patience aux plus anciennes que lui, à ces entités qui l'avaient tacitement soutenu il y a trois siècles signifierait sa perte.
— Perséphone, prononça-t-il d'une voix amère, les dents serrées.
Les yeux de Sibylle se révulsèrent, ses traits se déformèrent et ses mains saisirent ses cheveux avec rage. Une rage qu'elle retournait contre elle. La douleur transparaissait son visage. Les perles de sueur ne cessaient de couler. Ses lèvres s'entrouvrirent, et sa bouche délirante s'exprima. Son intonation était devenue caverneuse au point de pénétrer dans ses os, enflammant son épiderme, attaquant son âme.
Ses cicatrices s'éveillèrent d'une douleur dont jamais n'avait-il ressenti la souffrance à mesure que les sentences de la Sybille ruisselèrent dans des tons inconnues, venues d'ailleurs. Ses paroles étaient celles des années passées, des trahisons et des alliances déchirées, des souvenirs qui l'assaillaient par des mots.
Brusquement, elle s'effondra au sol et les parois cessèrent de trembler. Sa voix s'éteignit, ne devenant qu'un murmure. Des sons indistinguables s'échappèrent de ses lèvres écorchées aux gouttes écarlates. Elle s'exprima finalement pour ce qu'il était venu chercher, si bas qu'il dû s'approcher. Il s'agenouilla devant une immortelle tombée d'épuisement, la tête penchée sur la poussière, ses cheveux collant à son visage. Il ne pouvait pourtant pas la toucher ni l'aider.
Il déglutit, ses bras tremblants, les retenant de frôler ses épaules pour la relever.
Son sang se glaça lorsqu'elle posa ses pupilles sur lui, le fixant à nouveau. Il sentait la brume s'éloigner de ses ombres qui le protégeaient face au danger. Sibylle n'avait qu'une expression éteinte, des stries sur son visage, tout sourire disparut. Ses lèvres s'entrouvrirent, et elle prononça une nouvelle fois cette phrase incompréhensible qui n'annonçait qu'un futur dans les ténèbres.
— Oh Hadès... Si tu faillis, ton royaume est fini.
Mais dis donc... Qu'est-ce que Sybille veut bien dire par là ? 👀
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