2. L'effleurement des Ombres (1/2)

La pulpe de mes doigts caressa les esquisses fines du pinceau qui, sur cette paroi d'ocre, avait donné vie aux antilopes pour qu'elles courent à travers la pièce. Les rayons du soleil éclairaient faiblement l'intérieur de l'alcôve, mais l'intensité était suffisante pour admirer les couleurs.

Retenant mon souffle malgré moi, mes yeux suivirent le troupeau à mesure que je reculais de quelques pas. Mes phalanges se décollèrent de la fresque et vinrent soutenir la jarre emprisonnée entre mes bras. L'eau douce de la source de Rhéa parsemait de ses gouttes la poterie et mon épiderme, mais je n'en avais cure. Au coin des parois, les ténèbres de ces montagnes tapies dans les grottes me protégeaient.

Au moins m'avaient-elles revues la veille, mais en ces occasions elles ne me lâchaient plus durant des jours. Je devais donc faire bien plus l'intention, refusant de les repousser. En espérant que Rhéa ne les aperçoive pas.

Mon esprit tentait de saisir la beauté derrière cet art mort. Ces bêtes fuyaient la lionne puissante dont les griffes acérées écrasaient de hautes herbes, juste au-dessus de l'autel et de la statue de l'immortelle. Ses cheveux bouclés retombaient avec grâce le long de son dos, les mêmes que Diwija.

Pourtant, elle semblait me juger, semblait savoir que la veille je m'étais retrouvée avec sa fille. Nous ne complotions pas, mais cette sensation au creux de mon cœur hurlait la trahison lorsque je ne faisais que mon devoir.

— Perséphone ?

Je sursautai, et posai ma main libre sur ma poitrine avant de me retourner doucement vers Siramaritai et Rekasa. Elles m'observaient silencieusement depuis l'entrée, leur corps baigné de la lumière du jour tandis que je restais dans les pénombres de cette grotte. Siramaritai pencha sa tête de côté et fronça les sourcils à la vue de l'encens éteinte à mes pieds, et aux flammes faiblissantes du foyer. La statue même de Rhéa demeurait humide de la nuit. Seule l'odeur des cendres nous parvenait, offrant à nos sens les images branches de sapin qui avaient été brûlées la veille, sauf la plus verte. Elle portait encore la trace de mes doigts sur ses épines pliées.

Un toucher qui avait souhaité la réduire en cendres pour démontrer à la déesse que je restais une Grande Korê, et que sa fille ne recevrait aucun ordre de ma part. Assignée à elle pour ce cycle ne signifiait en aucun cas que je m'immiscerais dans des affaires privées.

— Une réunion s'annonce avant la prochaine Saison, la Grande prêtresse nous appelle pour parler des issues, m'informa-t-elle, jetant une œillade derrière son épaule, ses lèvres se retroussant.

J'espérais ne devoir répondre de rien. Que ce ne soit qu'un échange de tablettes venues d'ailleurs. De messagers d'Égypte de préférence, nous annonçant que tout était calme. Une journée comme tant d'autres avais-je eu avant que mes sens ne s'éveillent par cette étrange énergie que seule Diwija avait également ressentie. Les autres déesses de la renaissance telle Ariadne se trouvaient avec les éternels en Anatolie. Un lieu plus sûr.

Rekasa ne dit mot, patientant en silence. Elle ne serait pas conviée, n'étant pas une seconde comme Siramaritai qui me fit signe de me hâter. Aucune des deux ne réalisa mon visage qui s'était raffermi. Un masque prêt à affronter les autres prêtresses.

Mes pieds foulèrent le sol de pavés de marbre alors que je me dirigeais vers celles que je considérais comme mes sœurs. Elles avaient recommencé à m'observer en silence, suspicieuses désormais. Finalement, avaient-elles remarqué mon expression.

Les ongles de Siramaritai tapotaient la tête d'un des deux lions qui gardaient l'entrée. Figés dans le temps, ils contemplaient la mer en contrebas. Le soleil les éclairait et finit par m'éblouir lorsque j'atteignis l'air extérieur. Les bruits clairs des oiseaux me parvinrent, et l'odeur de la nature maîtrisée par la civilisation m'enveloppa, m'apaisant doucement.

Je levai ma main devant moi pour me protéger de l'astre. Mes paupières papillonnèrent pour m'accoutumer à la luminosité. Derrière moi, je pouvais encore sentir l'aura et le regard de Rhéa posé sur moi, ses lions grondant devant elle. Mon service auprès de la déesse-mère prendrait bientôt fin, et peut-être serais-je plus libre pour échanger avec Diwija avant qu'il ne soit trop tard pour les korês. En espérant que celles de ma maison cessent d'être aussi méfiantes à tout rapporter à Déméter. Je jetai une œillade en particulier à Rekasa.

— Où devons-nous nous rendre ? questionnai-je Siramarita tout en me forçant à ne pas me retourner.

Du bout du doigt, elle désigna en contrebas, au centre même de l'île, le temple de la Grande Déesse. Je hochai la tête, mais à peine m'avançai-je d'un pas qu'un vent frais souffla et effleura le dos de ma main, provoquant des frissonnements le long de mon échine. Quelques poussières se déposèrent sur mon pied avant de s'envoler à nouveau, se perdant entre les feuillages. Je crus sentir un souffle et les poils d'un félin contre ma nuque. Mais nulle peur ne me traversa, uniquement un simple mouvement du menton qui intima à l'esprit de partir.

De son pied droit, Siramaritai frappa trois fois le sol avant que ses doigts ne forment un cercle et que des paroles sacrées ne s'échappent d'entre ses lèvres, telle une mélopée. Elle était bien trop superstitieuse et effrayée de certaines entités, comme si elle était éternellement en danger. Elle était une korê, nul être ne l'atteindrait, mais elle ne s'en était jamais fiée. Rekasa rit doucement, mais l'imita en effectuant un léger geste.

— Tu l'as senti ? me demanda Siramaritai craintivement, ses pupilles aussi obscures que ses iris et ses cheveux, guettant les environs.

Je ne fis que secouer la tête, fixant le temple en contrebas au bout du chemin de pierre de la montagne de Rhéa. Le soupir de Siramaritai me parvint, mais il n'était pas celui d'un cœur rassuré. Je surpris dans son regard le même éclat, cette lueur de méfiance à mon égard. Elle était après tout celle à avoir tenté de me retenir la veille.

— Siramaritai, commença Rekasa, il ne se passera rien, ni à toi ni à Perséphone.

Ma seconde était trop protectrice, mais était une korê, tout comme moi. De jeunes prêtresses dont le sang immortel coulait dans nos veines, assignées aux différentes déesses-mères dans une maison précise — que ce soit Rhéa, la déesse aux serpents ou encore Déméter, ma mère. Elle qui m'avait élevée au sein de son temple et dont je portais la marque tout comme mes sœurs : un collier autour du cou au pendentif de blé.

Notre allégeance allait à celle nommée notre mère et dont nous étions les filles. Siramaritai et Rekasa l'avaient jurée à Déméter, déesse de la végétation, des plantations et de la terre nourricière. Les fleurs poussaient aux pieds de ses prêtresses, offrant vie et joie chaque printemps.

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