Ἐπίλογος

Athéna se tenait face à un bureau aménagé spécialement pour elle dans la partie ouest de la montagne de feu, éloigné des automates et des forges. Les idées se bousculaient sans cesse dans sa tête. Elle ne pouvait rester calme, envahie par des doutes, des questions. Elle qui devait normalement se reposer en vue des nombreuses épreuves qui l'attendaient dès le lendemain, déjà ternie par une semaine de combats intenses contre des dieux, de plusieurs jours d'emprisonnement, d'attaques d'un Dragon Primordial et de voyages temporels, elle ne pouvait guère reconstituer ses forces en mangeant. De toute façon, elle n'avait pas faim, et oubliait tout ce qui se passait autour d'elle.

À chacun de ses états de réflexion intensive, la déesse matérialisait son carnet en cuir et sa plume extraite de sa chouette chevêche pour coucher ses pensées les plus profondes. Une fois encore, elle écrivit tout ce qu'elle avait sur le cœur, espérant qu'un jour, ses mots seraient lus et étudiés, pour qu'enfin régnât la paix dans les esprits des immortels et des humains.


« Je ne parviens guère à trouver le sommeil. Une légion d'idées accable mon esprit. Jamais je ne fus autant écrasée par les doutes.

Daímôn...

Tant de péripéties nous sont arrivées depuis que je t'ai ramené. Les regretté-je ? Ce serait mentir que de dire non. Parfois, il aurait été préférable que tu restes prisonnier de ton sommeil éternel... »


Elle s'immobilisa tout à coup et relut son dernier paragraphe, puis se morigéna avec véhémence. Les mots continuèrent de danser sous l'encre de la plume, d'une fluide rapidité.


« Ai-je osé écrire telle ignominie ?!

Les fondements mêmes de notre monde tremblent et ploient sous la pression constante du déséquilibre ancestral que provoqua ta Chute. Ce n'est que ton Éveil qui pallie cette erreur. Je n'ai guère le droit de juger mon acte comme une faute, car sans lui, il n'y aurait plus une seule trace de vie – ce que nous ignorons tous.

Oui, nous ne ressentons guère les remous maudits des profondeurs les plus obscures de cette terre. Elles sont pourtant bien présentes, et s'affichent par bien des manifestations physiques sur le monde : l'élévation du niveau des mers, des océans, des températures, la fonte des glaces, les transformations du climat, les catastrophes naturelles plus nombreuses... qui ne manqueront tôt ou tard d'exterminer toute trace de vie, provoquant avec elles aussi bien la fin des mortels que des dieux. Car que serait notre monde sans les mortels ? Rien de moins que le Chaos Primitif. Alors nous autres immortels, régisseurs et protecteurs de nos enfants les hommes, n'aurions aucune raison de poursuivre notre éternité dans les cieux de l'Olympe.

Ne nous reste plus que comme seule alternative finale ton ascension, Daímôn, et ce par le biais de la quête prophétique annoncée par les Moires elles-mêmes. Pourtant, bien que tes pouvoirs élémentaires ressurgissent, qu'en est-il des Dragons ? Comment comptes-tu provoquer leur avènement ? Toi-même tu l'ignores, ne comptes que sur l'usure de ton pouvoir qui les éveillera tour à tour. Je me souviens de tes quelques paroles, lorsque Pûr fut devant nos yeux. Tu sais qu'une minuscule parcelle du corps de ton dragon évolua à mesure que la puissance du Feu Originel fut utilisée. Mais si tes dragons n'ont guère pu conserver un fragment de leur être, comment pourraient-ils évoluer et grandir jusqu'à adopter de nouveau leur apparence antérieure ?

Voilà encore des questions et des doutes, dépourvus de toute réponse confiante et probante.

Nous ne devons donc plus que poursuivre notre quête, en commençant par Poséidon. Et pour que celui-ci t'apporte son assistance, je n'ai qu'une seule solution ; or, si celle-ci n'a guère l'effet que j'escompte, rien ne pourra se conclure – positivement, du moins. Car je connais mon oncle des mers, le sais aussi têtu que tu peux l'être. Et par sa grandeur des Trois Frères, pourquoi écouterait-il les revendications de la pauvre déesse de la Sagesse ?

Puisse-t-il entendre la voix de la Raison !


Outre Poséidon, Nous devons connaître les intentions des autres dieux à ton égard.

Aphrodite me fit la promesse de récolter les mûres semences de ses investigations futures. L'Espérance ne me quitte guère : puissent les dieux changer d'opinion sur toi ; et convaincre Zeus, car dans son accès de folie, celui-ci s'est condamné, emprisonné par la peur qu'il te souffre.

Pis, par l'abject anathème dont il t'épilogue, il emporte dans son blâme l'avenir de sa génération et des suivantes. Il n'est qu'un roi, bien plus jeune que le prologue de la vie, dont les Primordiaux – toi ! – font partie. Il ne peut te damner, car il n'en est légitime, n'est assez puissant. Car la vérité est diamétralement opposée : tu es celui qui est en droit de l'assujettir !

Cependant, par les préceptes institués par Kháos le Créateur, tu es le Gardien, l'être qui impose la Justice, afin que l'équilibre prédomine sempiternellement. Mais la condamnation reviendrait à briser plus encore cet équilibre. Voilà toute la dualité de ton existence : tu es le bras droit de Díkê, mais tu ne peux l'imposer.

Et malgré cette stricte vérité, le cancer du mensonge et du fourvoiement gangrène notre ère. Une affirmation s'impose alors : l'authenticité éclora lorsque sera accomplie la Prophétie du Déchu.


Voilà que la seule alliée, dont le fourvoiement commun des dieux ne l'a guère atteinte, n'est plus à mes côtés. Hécate, où es-tu ? Aphrodite me fit également la promesse solennelle de te retrouver. Serait-ce la manifestation d'une nouvelle infamie de notre roi ? Si tel est le cas, il ne fait plus aucun doute que la folie assaille notre souverain. Alors comment nos confrères osent-ils ne guère agir, arrêter ce fanatisme, déflagrateur de l'avenir ?

Tu es celle en qui je voue une confiance aveugle. Oh ! certes pourrais-tu penser que je puisse offrir telle faveur à Cupidon, mais n'oublie guère que c'est un Primordial, un être qui se veut à la fois messie et annihilateur, une toute autre dualité de leur existence.

Car voilà que je ne puis guère étouffer cette obscène idée de mon esprit. Plus mes réflexions perdurent et plus la plausibilité me paraît fondée. Qui d'autre aurait pu ? Devrais-je remettre en doute leur loyauté quant aux responsabilités accréditées par leur père lui-même ?

C'est sûrement à cause de cette force que je ressens, mais aussi par souvenir de Gaïa, l'aînée des Primordiaux. Par trois fois celle-ci voulut nous anéantir, sans jamais y parvenir : la Titanomachie, la Typhonomachie et la Gigantomachie. Réside un point commun entre ces trois faits, en la personne des êtres que nous dûmes vaincre : tous sont issus des entrailles génitrices de Gaïa. Brûlent toujours en elle, quoi que fût le lieu de son retranchement, la haine et l'instinct de vengeance. Où se trouve-t-elle d'ailleurs ? Voilà bien des milliers d'années que jamais plus elle ne s'est manifestée. Et pourtant Daímôn devra la trouver, aussi bien pour la réappropriation de son pouvoir sur la Terre que pour sa quête, car Gaïa est l'un des cinq protagonistes élémentaires de la prophétie. Mais comment pourrait-elle nous venir en aide, si c'est pour le salut des dieux, les êtres qu'elle abhorre plus que tout ? Que nous reste-t-il comme espoir ? Une fois encore, seul l'avenir nous le dira...


Enfin, que mijotent Pandore et Héphaïstos ?

Ils se sont enfermés dans leur atelier, gardé par deux automates qui rugissent d'une violente sonnerie assourdissante à une quelconque approche. Ils me dirent de ne guère m'inquiéter, mais je connais mon frère : il est aussi fou que génie, autant que le fut mon fétiche mortel, Dédale. En lui naissent des idées toutes plus saugrenues les unes que les autres. De plus, il ne m'échappa point que sa « création » est un présent à Daímôn. Il fut celui qui lui apporta Díkê. Est-ce un artefact similaire, dotée d'une telle puissance commune ? À quoi joues-tu, mon cher Bossu ? Le doute n'en est que plus grand et la vérité n'éclatera que lorsque Daímôn recouvrera le contrôle des Quatre Éléments.


Pour l'heure, concentrons-nous sur nos proches péripéties à venir. Poséidon, Éole et les dieux de la terre.

Sera-ce difficile ? Évidemment !

Dangereux ? À n'en pas douter !

Provoquera-ce moult changements sur le monde ? Rien n'en est plus sûr !

Mais tout l'avenir demeure opaque par les légions de questions sans réponses, de mensonges transmis de génération en génération, de cette inconstante folie dont souffrent les dieux et de ce fourvoiement plus qu'authentique.

Ne me reste-t-il donc plus qu'une imploration : ne jouez point avec l'avenir, mes chers dieux, car nous assistons à l'Éveil. Celui du Nouveau Monde, de l'Équilibre, de Drákôn, le dieu des Dragons !


Le phénomène intrinsèque qui mutera le monde, l'Éveil du Déchu, lequel vous appelâtes éhontément :

Le Parjure de l'Olympe ! »




FIN DU TOME 1

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