ΙΙΙΙ - ἜΡΩΣ (partie 4)
Dans la salle du Conseil, il ne restait ainsi plus que Daímôn et Éros, accompagnés d'Aphrodite et d'Athéna. La déesse de l'Amour s'approcha de son fils et l'étreignit contre elle. Athéna salua Cupidon et posa une main amicale sur l'épaule de Daímôn qui tremblait.
— N'aie pas honte d'avoir peur, lui dit Athéna dans l'espoir de le rassurer. Quiconque serait dans le même état.
— Je n'ai pas peur ! affirma Daímôn d'une voix bourrue.
Athéna le gratifia d'un sourire affectueux.
— Bello Daímôn, intervint Aphrodite. Tu as ma bénédiction, ainsi que celle des autres dieux du Conseil. Ne t'en fais pas pour Zeus, il ne te fera rien. Il parle beaucoup, mais c'est, comme diraient les mortels de nos jours, une grande gueule. Il n'est pas méchant, juste colérique. Héra va le calmer.
Daímôn n'en fut pas le moins du monde convaincu, et l'enjôlement que pratiqua Aphrodite n'eut aucun effet sur lui, ce qui la surprit d'autant plus. D'aussi près, nul ne lui résistait. Ce fils de Chaos était vraiment exceptionnel !
— Qui, hormis Zeus, désirait ma mort ? s'enquit Daímôn. Il y a eu deux voix pour.
— Il ne faut pas lui en vouloir, souffla Athéna. Elle ne le désirait pas vraiment. Héra est la déesse de la Fidélité et de la Famille, qui plus est reine des dieux. Il est légitime qu'elle s'assujettisse aux décisions de son mari, même s'il n'en fut pas toujours cas jadis.
— Et Héra va le calmer, n'est-ce pas ? répéta Daímôn d'un ton ironique en toisant Aphrodite droit dans les yeux. (Elle se contenta de sourire.)
— De toute façon, fit Cupidon, moi-même, Mère, Athéna et les Olympiens te protégeront. Alors ne t'en fais pas : tu es en sécurité.
Mais Daímôn avait la profonde impression qu'il s'était toujours défendu de lui-même et que jamais personne n'avait réussi à le protéger réellement. Mais comment se défendre ? Ses pouvoirs apparaissaient d'eux-mêmes, indépendamment de sa volonté, autant contre Zeus que contre les monstres aux côtés d'Athéna. Et plus que tout, à cette heure, ses pouvoirs étaient épuisés. Il se sentait vide, à l'instar de sa mémoire. Si encore était-il armé... Mais je ne sais pas me servir d'une épée, songea-t-il tristement.
— Ne te préoccupe pas de tes armes ou de tes pouvoirs, petit frère, le rasséréna Cupidon ayant lu dans ses pensées. Chaos te portera tout cela en temps voulu et les autres dieux te viendront en aide, même si tu en doutes. Mais en attendant, pour connaître l'étendue et l'origine exacte de tes pouvoirs, nous devons nous rendre auprès de la déesse de la Magie, Hécate.
— Hécate..., souffla Daímôn.
Il se souvenait avoir fugacement perçu des plaintes de divinités inconnues quelques heures plus tôt, à la couronne la plus basse, alors qu'il gravissait le colossal escalier central de l'Olympe.
— Hécate emploie ce que les mortels pourraient nommer, dans leur folklore, la magie noire, fit Cupidon, une force que bon nombre de dieux craignent ; mais elle est très puissante et ne se trompe jamais dans son domaine. C'est la seule personne que je connaisse qui pourrait répondre avec exactitude à nos questions. Elle seule pourra te donner le nom et l'origine de ton pouvoir. Lorsqu'un nouveau dieu vient au monde, c'est à elle que l'on demande pour connaître ses dons, son rôle, l'élément sur lequel il présidera – bien qu'un véritable dieu ne soit pas né depuis fort longtemps.
Athéna et Aphrodite acquiescèrent d'un même mouvement de tête. Hécate n'était certes pas la déesse la plus adulée au monde, ni la plus adorée, mais elle seule excellait dans le domaine de la Magie ; et de par son ancienneté en tant que fille de Titans, elle était une déesse antérieure aux Olympiens. Les mortels sacrifiaient des animaux en son nom et entonnaient des incantations pour se la rendre favorable. Elle présidait également les carrefours et les choix. La déesse de la Magie avait été aussi vénérée que crainte par son entourage mortel et divin.
— Mais cela suffit pour aujourd'hui, conclut Athéna. Je te sais fatigué, Daímôn, à l'instar de nous tous, et il se fait tard. Vous rendrez visite, toi et Cupidon, à Hécate demain, dès l'aube. Elle se lève généralement très tôt. En attendant, repose-toi, sustente-toi de nectar et d'ambroisie pour refaire tes forces. Je te retrouverai demain. Et n'aie crainte : tu es en sécurité ici.
— Je l'hébergerai, le temps de son séjour sur le mont Olympe, proposa immédiatement Aphrodite, un étrange plaisir dans les yeux.
— Mère, pardonne-moi, mais je pense qu'il serait préférable que Daímôn demeure à mes côtés, s'interposa Cupidon. C'est mon frère, alors il se sentira sans nul doute plus apaisé à me savoir près de lui. Les liens des Primordiaux sont puissants, souviens-toi.
— Psyché ne sera-t-elle pas dérangée par sa présence ?
Cupidon sentit l'ironie mauvaise de la question. Aphrodite n'aimait pas Psyché – qui le lui rendait, ceci dit, fort bien !
— Elle se fera un plaisir de le couver, bien au contraire, répondit sèchement Cupidon. Qu'en penses-tu, Daímôn ?
— Je ne veux en rien déranger, fit-il. Mais si je devais choisir, alors je préférerais partir avec Éros. Pardonnez-moi, Aphrodite.
— Ne t'en fais pas, mio caro. Nous aurons tout le temps de bavasser ultérieurement, et plus si affinité, n'est-ce pas ? (Elle lui fit un clin d'œil qui le mit fort mal à l'aise.) Très bien. Je vous souhaite ainsi une bonne soirée, mes enfants. Nous nous reverrons bientôt.
Elle se dématérialisa à son tour dans un rayon ardent perlant de minuscules étoiles scintillantes.
— Prends soin de lui, Cupidon, fit Athéna. Daímôn, je te souhaite une bonne nuit. À demain.
Athéna eut un geste d'affection vers Daímôn, comme voulant le serrer contre lui ; mais elle n'en fit rien et se dématérialisa également.
— J'ai vraiment hâte de te présenter Psyché ! s'enjoua Cupidon.
— Pardonne cette question, mais ça ne la dérange pas d'être mariée à un enfant ailé ?
Cupidon s'esclaffa de bon cœur.
— Je peux changer de forme quand je le souhaite. En veux-tu une preuve ?
Et sans lui laisser le temps de répondre, le dieu de l'Amour s'illumina et se mit à grandir, jusqu'à devenir cinq centimètres plus grand que Daímôn. Son chiton, heureusement, avait également opéré la même transformation, à l'instar de son arc, ses flèches et son carquois dans son dos. Daímôn préférait son frère sous cette forme. Il lui semblait plus coriace, plus... Primordial !
Cupidon traîna alors Daímôn le long de l'escalier et s'arrêta au second étage avant de s'y engouffrer. Plusieurs déités les saluèrent, d'autres observèrent Daímôn en silence. Celui-ci se sentit gêné d'être ainsi la proie de tous ces regards inconnus. Il était comme une bête de foire. Les dieux s'ennuyaient-ils tant que cela ?
Puis, il arriva devant la demeure de Cupidon, un joli temple tétrastyle aux colonnes corinthiennes. Ils entrèrent. L'intérieur n'était guère immense, mais suffisamment pour deux personnes, doté d'une seule pièce comme un naos, avec une sorte de vestibule dans le fond. Très peu meublé, il n'y avait qu'une longue table de marbre en plein centre, entourée de huit chaises en chêne massif, et un grand lit à la gauche du vestibule, croulant sous les coussins de velours rouge. Contre le mur de gauche brûlait un feu immuable, celui d'Hestia, la déesse du Foyer – chaque demeure était pourvue d'un tel feu. Le plafond, guère très haut non plus, était peint d'une scène où figuraient Éros et une très belle femme que Daímôn considéra comme étant Psyché.
— Sois le bienvenu chez nous, fit Cupidon. Ce n'est guère très grand, mais c'est confortable.
— Moi qui étais persuadé que les dieux avaient le sens de la démesure, commenta Daímôn.
— Oh, ils l'ont, je te l'assure ! Attends de visiter la demeure de ma mère. Psyché et moi n'aimons plus les vastes endroits. Fut un temps où nous possédions un palais, mais depuis que nous nous sommes installés sur l'Olympe, nous préférons les cocons plus exigus. Ça nous convient très bien, tellement nous sommes peu ici, tout au plus pour le repas du soir et le coucher. (Il poussa un soupir.) Psyché, mon amour, tu es là ? s'enquit-il d'une voix forte.
Aussitôt sortit du vestibule une jeune femme magnifique, en tout point semblable à celle peinte au plafond. Elle avait de longs cheveux bruns jusqu'au bas du dos. Ses joues légèrement rougies contrastaient avec la blancheur liliale de sa peau et le noir profond de ses iris. Elle portait un simple chiton et était pieds nus. Daímôn sentit la fragrance de groseille dont elle était embaumée.
Cupidon se porta à elle et l'embrassa passionnément.
— Mon amour, je te présente Daímôn, mon frère.
— Un fils d'Aphrodite ? ou peut-être d'Arès ? ou d'Hermès, d'ailleurs !
Elle avait adopté un ton méprisable et étiré une grimace de dégoût, ne la rendant pourtant pas moins belle.
— Non, rit Cupidon. Un enfant de Chaos. C'est le Disparu, le frère d'Éros le Primordial, mon amour !
Psyché en resta ébaubie.
— Alors, la sensation que tu as eue... s'avère fondée, n'est-ce pas ?
Cupidon opina.
— Ravie de te rencontrer, Daímôn, fit alors Psyché. Tu me sembles bien fatigué. (Cela se voyait-il tant ? se demanda Daímôn.) Peut-être désires-tu dormir un peu, manger, ou bien prendre un bain ?
— « Prendre un bain » ? répéta-t-il, décontenancé par cette proposition qu'il ne comprit pas.
Psyché coula un regard amusé vers Cupidon qui lui répondit en s'esclaffant bruyamment. Une minute fut nécessaire pour qu'il reprît son sérieux.
— N'oublie pas, mon amour, que Daímôn vient de se réveiller d'un long sommeil. Il ne connaît guère encore toutes ces nouvelles coutumes qui font partie de notre quotidien. De son temps, le « bain », comme tu l'entends, n'existait pas.
— Oh, je suis navrée. Alors accompagne-moi. Je vais te montrer.
— Je vais préparer le repas pendant ce temps.
Daímôn suivit ainsi Psyché jusque dans le vestibule. Celui-ci menait à une salle d'eau toute simple. Un long miroir trônait contre un mur devant un lavabo en marbre dont les coins étaient sculptés d'aigles royaux en or. Le reste se composait d'un grand bac rectangulaire creux, au-dessus duquel, fixés dans le sol, pendaient trois gros tuyaux en bronze en forme de dragon. Psyché se rendit au bassin, décoré de statuettes représentant un roseau, une colonie de fourmis, des aigles, ainsi qu'une tour ronde. Étranges figurations, pensa Daímôn.
— Vois-tu le bouton, ici ? (Elle pointa une minuscule marque rouge sur le marbre du bassin.) Appuie dessus. De l'eau s'écoulera de ces tubes de bronze. Tu n'auras pas à régler la température. Elle sera parfaite. Tu n'as rien d'autre à faire, car l'eau s'arrêtera lorsqu'elle aura atteint la limite, et se videra d'elle-même quand tu quitteras le bassin. Utilise ce petit bloc blanc pour te laver. C'est du savon, fait d'huile d'olive venue tout droit de Massalia.
— Je vous remercie.
— Tutoie-moi, je te prie, sourit-elle. Un fils de Chaos ne doit aucunement me vouvoyer. Je te laisse à ton bain. Rejoins-nous lorsque tu auras fini. Je suis vraiment heureuse de te rencontrer, cher beau-frère.
Riant, elle sortit de la pièce et laissa Daímôn seul. Celui-ci se regarda dans le miroir, et contempla les cernes noirs qui creusaient ses yeux. Il avait effectivement l'air si éreinté, à deux doigts de tomber d'épuisement, et il se sentait sale. Il se dévêtit de son chiton abîmé et inspecta son corps. Il n'avait certes aucune blessure apparente, pas même celles infligées par Zeus, il avait pourtant l'impression que des centaines de plaies parcouraient tout son corps. Il appuya alors sur le bouton rouge. Aussitôt, l'eau coula des tuyaux de bronze. Il ne fallut que quinze secondes pour que le bassin se remplisse. Daímôn trempa un pied dans l'eau ; Psyché avait raison : elle était parfaite. Il s'y enfonça jusqu'au menton, puis plongea la tête sous l'eau avant de remonter à la surface.
Cupidon entra alors dans la pièce.
— Je t'apporte un chiton propre.
— Merci, Éros.
Ce dernier déposa le vêtement brun à côté du lavabo, puis ressortit en sifflotant.
La vie paraissait si...banale !
(suite du chapitre 4 en suivant...)
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