ΙΙΙΙ - ἜΡΩΣ (partie 3)

Les Olympiens se dématérialisèrent en divers endroits. Zeus décida de se réfugier au seul lieu du monde des mortels qui tendait à le calmer quelque peu. Héra, son épouse légitime, le talonnait.

Édifié sur une petite île en plein cœur de la mer Égée, l'immense pied-à-terre du roi des divinités était invisible de tous. Nul mortel ne pouvait apercevoir l'îlot, tout au plus celui-ci apparaissait tel un mirage en plein cœur du désert à une certaine heure de la journée, lorsqu'Hélios désescaladait lentement les Cieux sur son char.

La mer Égée, qui séparait l'Europe et l'Asie, restait l'étendue aqueuse favorite de Zeus, berceau et symbole de la thalassocratie économique et militaire qu'avait été la Grèce continentale de l'Antiquité. Elle avait favorisé le développement de la navigation marine des Grecs, offrait une géographie propice aux longs voyages. Les côtes montagneuses et irrégulières créaient des abris naturels, tandis que le nombre exceptionnel d'archipels en tout genre permettaient aux marins de naviguer à vue, et sans jamais perdre la côte des yeux. Elle avait, à de nombreuses reprises, été disputée dans l'Histoire, aussi bien par les différentes puissances maritimes de l'Antiquité, qu'à l'émergence de l'Empire romain ou l'Empire ottoman ayant succédé à l'hégémonie hellène.

Elle tenait son nom de la légende du roi Égée. Le héros Thésée, son fils, lui avait promis de tendre les voiles blanches de son navire s'il revenait en vie de son combat contre le Minotaure. Mais de par l'ivresse de la victoire, Thésée oublia sa promesse. Égée crut alors que son fils était mort et, envahi et submergé par la douleur, sauta du cap Sounion où il finit par se noyer dans les bras mortels de la mer en contre-bas de la falaise.

Il y avait bien longtemps maintenant que les Grecs de l'Antiquité, tout comme leur surpuissance, avaient disparu. L'Empire romain lui-même n'était plus. En cette époque, il n'existait plus d'empires aussi vastes et omnipotents qu'avaient été ces deux entités continentales et politiques, gouvernées par les dieux olympiens. Les terres s'étaient peu à peu scindées en de multiples territoires, tandis que la religion et la culture des mortels avaient évolué. Peu d'entre eux croyaient encore en l'existence des dieux anciens – pour ainsi dire personne ! Mais l'héritage des Bienheureux était éternel, tout comme leur histoire que jamais l'on n'oublierait. Leurs pouvoirs avaient certes grandement diminué, tout comme leur présence, néanmoins perpétuaient-ils la tradition de protéger et de régir le monde né des entrailles du Créateur. Tant de divinités de diverses régions qui s'étaient regroupées peu à peu pour former un panthéon plus ou moins élaboré et adopté par tous... Une grande famille, dotée d'une généalogie complexe, que les mortels de cette époque ne parvenaient à comprendre.

Zeus regardait l'eau d'une clarté pure, où se reflétait l'astre pâle de la nuit. Il y voyait également les constellations infinies qui décoraient ce ciel majestueux – qu'il avait pour la plupart placées lui-même avec l'assistance de ce vieil Ouranos, dieu primordial des Cieux devenu partie intégrante de son royaume céleste.

Le roi des dieux était assailli d'interrogations qui ne le laissaient en paix. Avant que sa fille Athéna ne s'obstinât à rechercher cette progéniture de Chaos, Zeus entreprenait de ressusciter l'Âge d'Or des anciens dieux. Son unique but était que les mortels croient de nouveau en leur existence, ou du moins en leur présence, leur présidence, pour qu'enfin ils aient, Zeus souverain de tous, pleine omnipotence sur les hommes, et que les vicissitudes de ce maudit Âge de Fer soient enfin éradiquées.

Puis était arrivé ce Disparu, l'Oublié...

Zeus était ainsi contraint de repousser ses plans afin de s'occuper personnellement du cas de jeune avorton qui, devant tous les Olympiens – oh, la honte était si amère ! –, avait osé faire couler son ichor sacré. Zeus se souvenait précisément de l'énergie calorifique de la pièce qui s'était concentrée autour du Primordial pour finalement se décharger – à l'instar des propres éclairs du foudre. Le roi des Cieux avait dénoté le pouvoir de la Flamme Originelle, celle-là même que Prométhée l'Adroit avait offerte aux mortels, bien des millénaires naguère. Ç'aurait dû être impossible...

Par tous les dieux, aussi loin que ses souvenirs remontaient, Zeus ne parvenait à se remémorer l'ère de l'Oublié. Artémis, sa fille, avait raison : nul ne se souvenait de ce qu'avait pu représenter le Primordial avant sa disparition ; et lui-même était atteint d'une profonde amnésie, sans doute conséquence de son long « coma ». Avait éclos en Zeus la même supposition qu'avait soufflée Éros ; mais après y avoir longuement réfléchi, Hypnos et Morphée, les dieux du Sommeil, ne pouvaient être responsables. Primo, leurs pouvoirs, même combinés, n'étaient pas assez puissants pour briser les défenses mentales d'un Primordial. Et secundo, de par leur parenté proche avec Nyx, Daímôn était l'oncle direct d'Hypnos.

Quelle était alors la raison de cette amnésie générale ? Zeus souffla bruyamment : il abhorrait l'incompréhension, plus encore que la déesse de la Connaissance elle-même !

Héra l'observait. Elle avait embrassé le parti de son mari lorsqu'elle avait dû rendre son jugement. La magnifique déesse aux yeux de bœuf était le symbole même de la Famille et de la Fidélité ; plus par obligation que par choix, elle se devait d'apporter la prospérité dans son couple, ainsi que dans sa famille. Zeus et elle devaient rester unis. Mais celui-ci ne lui rendait guère la tâche facile, de par ses nombreuses tromperies charnelles et les fruits pourris qui en résultaient ; les multiples incartades de ses enfants, eux, étaient une perpétuelle source de problème. Pourtant, forte de sa persévérance, la déesse de la Fécondation ne s'avouait jamais vaincue, et surtout jamais prête à défaillir !

Depuis sa naissance, Héra en avait littéralement bavé ! En premier lieu fille de Cronos et de Rhéa, à l'instar des cinq autre premiers Olympiens, elle était pourvue d'une beauté titanique sans pareille. Elle avait été avalée par son père durant de longues années, pour finalement être libérée par son frère cadet, Zeus, qu'elle avait finalement épousé. Elle régnait à ses côtés sur le mont Olympe, depuis que ses trois frères, Zeus, Poséidon et Hadès, avaient renversé leur père. Dès lors qu'elle avait épousé Zeus, son premier devoir avait été de protéger sa famille et de calmer les nombreuses colères dont son mari était couramment épris... comme en cet instant critique !

Héra s'approcha de Zeus qui se perdait toujours dans l'immensité de la mer Égée. Elle s'agenouilla à ses côtés et posa une main sur son énorme cuisse musculeuse. Elle sentit les pulsations sous sa peau. Zeus ne lui prêta nulle attention. Elle contempla à son tour l'étendue marine et les étoiles reflétées. Puis elle tourna la tête vers lui. Au bout de longues secondes, Zeus prit enfin la peine de regarder sa femme dévouée dans le fond des yeux.

— Témoigne-moi de ta contrariété, mon époux, dit doucement Héra.

— J'abhorre l'idée que mes enfants, mes frères et mes sœurs se révoltent et n'adoptent ma décision ! tonna Zeus dont la voix fit l'effet d'un coup de tonnerre. Comment se fait-il que notre propre famille ne s'assujettisse point à nos exigences et nos décisions ? Nous sommes leurs souverains, monarques légitimes et éternels, par les Enfers !

— Les dieux ne t'obéissent guère toujours, il est vrai. Ce n'est pas étonnant, car que serait ton règne si tu ne devais punir pour rappeler à tous ta régence indiscutable ? Par ailleurs, n'oublie point que les Olympiens finissent toujours par emprunter la voie que tu as choisie. Tu verras : tous réviseront leur jugement, et ce Primordial sera ostracisé et frappé d'atimie. Puis il mourra et sera banni dans les Enfers, je te le promets, mon aimé.

— Que tu aies raison !

— Comme toujours, cher mari. (Zeus en vint enfin à sourire, ce qui était bien rare. Héra le lui rendit tendrement.) Viens. Que tes états d'âme se consument. Ils n'ont lieu d'être, mon roi ! (Elle l'embrassa langoureusement.) Je dois par ailleurs soigner cette blessure qui enlaidit ton magnifique corps.

Se laissant emporter, Zeus suivit sa femme dans la mer. Héra le dévêtit lentement en l'embrassant, faisant courir ses doigts sur ses muscles. Le roi des dieux défit sa reine à son tour de sa légère tunique et baisa son cou. Héra, tout sourire, déposa ses délicates mains blanches sur la plaie de son roi et employa ses dons pour la refermer. Elle fit par ailleurs apparaître une coupe d'or remplie de nectar dans la main de Zeus, et une autre dans la sienne. Les époux trinquèrent et burent le breuvage divin.

Puis, ils nagèrent longuement dans l'eau chaude égéenne. Voilà bien longtemps que les souverains de l'Olympe ne s'étaient ainsi retrouvés seuls, loin de tous.

Ils passèrent un long moment à faire l'amour, tels deux époux qui enfin se réunissaient et se découvraient de nouveau après de longues et interminables années. Ils oublièrent tous leurs soucis.

Mais bientôt, ceux-ci les rappelleraient brutalement.

(suite du chapitre 4 en suivant...)

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