ΙΙΙ - ΚΡÁΤΟΣ (partie 4)


Bien que le reste de l'ascension fût de courte durée, l'angoisse eut tout le loisir d'étreindre la poitrine de Daímôn. Mais il était désormais trop tard pour reculer : il se tenait devant l'immense salle du Conseil des dieux de l'Olympe. Elle s'étendait sur une surface parfaitement plate et lisse de plus de cinq cents pas de diamètre, dont la rotonde, affublée de colonnades corinthiennes, était sculptée de frises narrant le passé des dieux, au travers de batailles sanglantes et chaotiques, décisives pour l'avenir. À ciel ouvert, le marbre de la salle du Conseil était pleinement illuminé par les lointains rayons de l'Hélios qui poursuivait sa descente céleste déjà bien amorcée.

La déesse de la Sagesse conduisit Daímôn au centre, où les regards de douze géants, muets et assis sur des trônes, le toisèrent avec singularité. Trois petites femmes parfaitement identiques étaient également présentes au pied du trône en face de Daímôn, ridiculement minuscules, tout comme lui. Athéna employa ses pouvoirs et adopta sa forme de géant d'au moins trois bons mètres, avant de se poser dûment sur son trône dédié.

Ainsi, tout autour de Daímôn, quatorze trônes formant un upsilon laissaient Daímôn sous le regard inquisiteur des Olympiens. Seul le dernier, le plus à sa droite, était vide.

De ce siège vide, Daímôn étudia tour à tour les Olympiens.

À droite du trône vide se trouvait le plus bel homme du monde. Le bellâtre aux cheveux d'or ressemblait foncièrement à Asclépios. Il était cuirassé d'un plastron doré sur un chiton blanc impeccable, sa célébrissime lyre à sept cordes pendant à une ceinture incrustée de diamants brillants. Apollon, dieu des Arts et de la Lumière, retoucha sa chevelure d'où semblait perler des étincelles.

À côté de celui-ci était assise une femme qui portait les mêmes traits de finesse. Le visage aussi beau qu'hypnotisant à la peau lunaire, elle portait une armure en argent auquel était rattaché un carquois en soie rempli de flèches d'argent. Un merveilleux arc d'argent dépassait au-dessus de son épaule. Artémis, déesse de la Chasse, observait Daímôn comme une proie.

Athéna avait pris place sur le trône suivant et était désormais vêtue, sous sa même armure de bronze, d'un chiton brun. Elle gardait toujours sur la tête son casque, mais le xiphos avait été substitué par une longue lance et un large bouclier de bronze. Sa chouette chevêche avait également repris place sur son épaule droite, zieutant Daímôn avec curiosité.

La déesse s'était installée à côté d'un homme à la musculature aussi monstrueuse que spectaculaire. Ses cheveux bruns tombaient en fines bouclettes jusqu'à ses épaules carrées. Son regard de feu n'affichait que cruauté, éloquente de par ses multiples armes parfaitement aiguisées. Des épées, des couteaux et autres armements mortels pendaient sur toute son armure de bronze sculptée d'un lion crachant le feu au plastron. Arès, le dieu de la Guerre, avait choisi une énorme hache dont il testait la finesse de la lame avec son pouce.

À côté du colosse était placé un autre homme en tunique bleu océan, un trident en argent reposant sur ses genoux. Ses yeux d'un bleu azur évoquaient irrémédiablement la douce couleur des vagues de la Méditerranée brillant à la lueur de l'Hélios. L'un des trois grands Olympiens, Poséidon, le dieu des Mers, se pencha vers son jeune frère et lui parla imperceptiblement.

Zeus l'écouta attentivement. Au « centre » de cet upsilon, il portait toujours la même tenue grise que lors de sa première rencontre avec Daímôn dans le nexus, et ne cachait point son mécontentement. Sur ses genoux dormait pour le moment une sorte de javelot argenté en forme d'éclair, symbole de son pouvoir dévastateur : le foudre, attribut unique du Père du Ciel.

À la droite de Zeus était assis l'homme le plus sombre - au sens littéral du terme - de l'assemblée. Habillé d'un noir absolu, Hadès, le dieu des Enfers, posait ses mains sur un casque corné. Il s'agissait de la kunée, qui permettait au Père des Morts de se rendre invisible. Sur le côté gauche de sa tunique obscure pendait une lourde lame parcourue d'onyx où étaient sculptées des visages transcendant la peur et la souffrance éternelle. Il affichait une mine lugubre ainsi éclairé par le jour qu'il détestait tant !

Aux côtés du dernier des Trois Grands, trônait une dame au visage sévère, pareille à une mère sermonnant son enfant. Elle portait une tunique blanche parsemée de fins saphirs brillant comme l'océan et une couronne de lys, son attribut royal et végétal, sur de fins cheveux bruns coiffés en un chignon épais. Héra aux yeux de bœuf, reine des dieux, semblait lasse d'être ici.

Une jeune femme lui ressemblant beaucoup était à sa droite, vêtue d'une même tunique blanche mais parsemée d'une multitude de fleurs de toutes les couleurs imaginables. Ses longs cheveux blonds évoquant le maïs, recouverts de fleurs et de feuilles de blé, retombaient sur sa généreuse poitrine. Elle pinçait la tige d'une délicate rose blanche entre ses doigts gauches, et une gerbe de blé avec les droits. Émanait de Déméter, déesse de l'Agriculture, une douce odeur, rappelant un chaud après-midi d'été ensoleillé.

À sa droite se tenait l'aînée des Olympiens, Hestia, déesse du Foyer. D'un âge plus ancien, elle observait Daímôn avec intérêt. Ses yeux dorés n'inspiraient que prudence, sécurité, une sensation de se sentir chez soi, d'être aimé. Son être semblait brûler d'un feu éternel, de véritables flammèches parcourant ses cheveux roux flamboyants, mouchetés de mèches blanches comme la neige. Elle jouait avec un véritable feu d'or dans ses mains.

Héphaïstos, le dieu bossu, était immédiatement reconnaissable. La déité la plus laide de l'assemblée - voire de toutes les divinités - avait le dos courbé et présentait une barbe épaisse et crasseuse de suie. Il tenait un marteau en bronze dans sa main gauche et en grattait les saletés avec les ongles brisés de sa main droite. Il semblait s'ennuyer ferme ici, sans doute désireux de retourner au plus vite à ses affaires dans ses forges.

Il avait pourtant l'honneur d'être assis à côté de la plus belle femme du monde, son épouse Aphrodite. Sa tunique de soie violette presque transparente laissait parfaitement deviner la forme lascive de ses seins, la pointe de ses tétons. Son fin maquillage et ses cheveux impeccablement coiffés lui conféraient une beauté à couper le souffle, malgré l'air furieux qu'elle affichait à ainsi se retrouver entre les deux hommes.

En effet, le dernier Olympien au ventre rebondi, Dionysos, dieu de la Vigne et de la Folie, sirotait une coupe de vin en or. Sa tête était ornée d'une couronne en feuilles de vigne d'où pendaient des grappes de raisins verts et noirs. Sa forte odeur vinée indisposait Aphrodite, allait même jusqu'à piquer les narines de Daímôn. Cette fragrance, mêlée à une autre que Daímôn ne reconnaissait pas, suffisait à l'étourdir, si bien qu'il dut se faire violence pour retrouver ses esprits.

Athéna se leva soudainement, mais avant qu'elle n'eût pu prendre la parole, les dieux et Daímôn entendirent les jurons peu élégants d'un homme à la voix friponne. Après un ultime bond, Hermès aux cheveux d'or atterrit au pied de son trône. Il s'installa dessus en croisant les jambes, laissant ses pieds aux sandales ailés, les talaria, se balancer librement.

- Veuillez m'excuser pour ce retard, Père, dit-il d'une voix essoufflée.

Le dieu des Messagers et des Voleurs avait un véritable visage de garnement. Il était vêtu d'un très léger chiton qui, comme celui d'Asclépios, offrait la nudité de ses muscles pectoraux et de ses abdominaux. Hermès, le plus grand coureur de jupons de l'Olympe, ne connaissait pas la pudeur. Il semblait néanmoins avoir fait un effort pour la séance du Conseil.

Zeus ne prit la peine de répondre à son godelureau de fils, bien trop habitué à ses mauvaises manies.

Les Olympiens étaient enfin au grand complet, et Daímôn ne savait où se placer. On lui avait interdit de prendre la parole tant que les dieux ne s'adresseraient pas directement à lui - Athéna le lui avait bien fait comprendre. Pourtant, il détestait ce silence qui régnait désormais, et abhorrait totalement tous ces regards insistants posés sur lui. N'était-il plus qu'un quartier de viande pour le sacrifice que les Olympiens s'apprêtaient à équarrir, se demandant simplement quelle était la meilleure façon de procéder ?

Oh, que ce silence cesse !

- Membres du Conseil, je vous présente Daímôn, celui que nous cherchions depuis si longtemps, articula calmement Athéna sans être, cette fois-ci, interrompue.

- Comment peux-tu être sûre qu'il s'agit bien de ce bel ragazzo ? s'enquit Aphrodite d'une voix plus concupiscente encore que ses formes.

Cette intensité vocale eut tôt fait de toucher tous les mâles présents qui rougirent, hormis Daímôn. Aphrodite le toisa avec curiosité et plaisir.

- Je l'ai vu à l'œuvre, mes chers dieux, reprit Athéna sereinement. Ce « garçon » ne connaît guère encore l'étendue de ses pouvoirs, ni son histoire ou ses origines. Il a vaincu les créatures du nécromant à mes côtés. Telle fut la résurgence de son pouvoir, une grande puissance qui lentement s'éveille : les flammes enveloppèrent ses poings. Néanmoins, il ne s'agissait guère de flammes ordinaires, mes dieux, mais bel et bien de celles qui composent le Premier Feu.

Le feu que le Titan Prométhée a offert aux hommes ? songea Daímôn.

D'où lui venait ce souvenir ? Mais il n'eut la possibilité de s'interroger, car les dieux se raidirent aussitôt. Athéna jeta sur lui un regard hébété, tandis que la colère gonflait les mâchoires contractées de Zeus. Les dieux avaient lu dans ses pensées.

Il devait être prudent avec ces dernières !

- Ne relate pas des événements de ce genre, petit insecte ! tonna Zeus. Sache que moi, le roi des dieux, assure que tu n'es qu'un imposteur, un moutard inutile d'une quelconque divinité à qui ma fille s'évertue tant bien que mal de donner de l'importance. Qu'elle te protège ! Bah ! ce n'est qu'obstination digne d'une enfant ! (Athéna se raidit d'autant plus.) Tu n'es pas celui que nous recherchons. Tu ne le seras jamais, c'est impossible. Je devrais te tuer sur-le-champ, afin que cette histoire ne soit plus qu'un lointain et mauvais souvenir !

- Père ! s'enhardit Athéna. Comme moi, vous avez été témoin de ses pouvoirs lors de notre première rencontre. Vous ne pouvez simplement le considérer comme le rejeton d'un dieu mineur ! Dois-je vous rappeler l'altercation qu'il y eut entre vous dans le nexus ?

Les bavardages, plus des chuchotements, commencèrent entre les Olympiens.

- Simplement de la chance, voilà tout ! répliqua le roi des dieux, coupant court les commérages alentours. Une simple erreur de ma part, qui lui permet de se tenir devant nous en cet instant ! Ce gamin, même indigne de me servir mon nectar, devrait mourir immédiatement, et endurer moult souffrances dans les abysses du Tartare pour m'avoir faire perdre mon temps !

- Alors, essayez, Zeus ! rugit Daímôn, qui ne sut d'où cet élan de fureur lui était venu.


(suite du chapitre 3 en suivant...)

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