ΙΙΙ - ΚΡÁΤΟΣ (partie 1)
Athéna l'Olympienne repoussa la lame en arrière et assena un virulent coup de pied au mort ; mais son membre se prit dans la chair putréfiée jusqu'au haut du mollet, comme entrant dans du beurre. Avec une grimace de dégoût, où transparaissait également de la lassitude, elle tira tout aussi brutalement sa jambe empêtrée, tandis que sa main non armée agrippait la fibule à l'épaule gauche. Son pied finit par s'extraire de l'abdomen enfoncé. Le cuir craqua et emporta par le même biais un bras de la créature qui émit un grincement sonore semblable à celui d'une chauve-souris.
À ainsi la regarder combattre, Daímôn ne put qu'admirer sa grâce, sa force, mais aussi sa beauté dans une telle férocité. Tous ses gestes étaient parfaitement maîtrisés et précis. Une guerrière expérimentée dont il ne fallait aucunement se faire l'ennemi. C'était Athéna, fille de Zeus, la déesse grecque de la Guerre !
— Relève-toi ! ordonna-t-elle d'une voix ferme.
Daímôn bondit aussitôt sur ses pieds. Il frotta sa nuque, palpant la zone où la douleur persistait suite à sa pitoyable chute. Si sa déesse poliade n'était arrivée... Les morts se seraient-ils alors amusés à le faire souffrir autant que ce pauvre Théophilos, en ouvrant lentement son ventre en deux ? Il ne valait mieux plus y penser...
Les deux autres pestiférés se regroupèrent autour de l'estropié et s'immobilisèrent totalement.
— Que sont ces créatures ? demanda-t-il à Athéna en se plaçant à son côté.
— Des morts, tout simplement, répondit-elle avec une pointe d'agacement manifeste. Ce sont des bêtes sanguinaires, d'anciens soldats – hellènes pour la plupart – (Daímôn fronça les sourcils) qui sont tombés au combat, ressuscités et armés par un pouvoir noir et détestable, prohibé par le dieu des Morts lui-même. Les nécromants ont depuis longtemps été bannis par les dieux, car leurs marionnettes cadavérées n'ont que pour but de tuer, de se repaître de chair humaine. Mais si ce n'était que cela... Ils prodiguent toujours moult tortures à leurs victimes avant de les achever et de les dévorer. (Le corps de Théophilos se rappela de nouveau à l'esprit de Daímôn.) Des créatures méprisables qui ne méritent aucunement d'être parmi les vivants !
— Pourquoi ont-ils cet aspect de... cadavre ambulant ? s'enquit-il en déglutissant.
— Car ce sont des cadavres, précisément. Je te l'ai dit : ce sont des soldats morts à la guerre. Ils sont contrôlés par l'énergie du nécromant qui ne fait qu'employer leur corps comme des fantassins. Des dieux ont eu également recours à ce procédé, jadis, avant que ce ne soit prohibé. À l'intérieur, ils sont aussi morts que la miséricorde de Thanatos. Ils conservent simplement une anatomie semblable à celle qu'ils possédaient au moment où la Mort les faucha.
— Alors ils sont plutôt bien conservés...
Athéna étira un léger rictus d'amusement.
— Le pouvoir du nécromant, une fois encore... Mais ce qui m'inquiète le plus, c'est que l'on se joue des dieux des défunts, Hadès et Thanatos.
— L'un le dieu des Enfers, l'autre le dieu de la Mort, n'est-ce pas ?
— Crois-tu que ce soit le bon moment ?
— Non... Non.
Athéna reporta sa pleine attention sur les pestiférés qui tournèrent subitement la tête vers elle. Daímôn trouvait leur réaction très étrange. Ils semblaient comme avoir gentiment attendu qu'Athéna et lui aient terminé leur conversation...
La déesse présenta sa lame en s'avançant de deux grands pas, laissant Daímôn derrière ; les morts se mouvèrent aussitôt. Bien qu'ils ne fussent dotés d'une profonde intelligence du fait de leur totale absence de volonté – le nécromant seul les guidait sans doute –, ils adoptèrent une stratégie offensive, leur maître suffisamment malin pour s'adapter à la situation. Mais où était ce dernier ? Les voyait-il ? Se cachait-il entre les troncs, éloigné pour qu'on ne l'aperçût aucunement ?
Athéna étudia calmement et rapidement les mouvements des antiques soldats, laissant agir à sa guise son esprit analytique de stratège. Les cadavres se positionnèrent en triangle, de façon à prendre leur cible de tous côtés. Ils frappèrent de concert, abaissant leurs divers tranchants sur la déesse. Ayant facilement deviné leur attaque groupée, Athéna leva son épée en posant un genou à terre, de façon à bloquer les trois armes d'un seul et même trait de bronze mortel. Les morts furent si surpris – ou bien leur maître-nécromant – qu'ils finirent désorientés. Athéna profita de l'occasion et passa à l'attaque en poussant un cri d'effort.
Un premier coup circulaire trancha net la tête au niveau du cortex cérébral du cadavre à la faux qui se liquéfia en substance nauséabonde et méphitique. Lorsqu'elle baissa son xiphos divin, Athéna découpa en deux l'estropié à la taille ; il ne mourut cependant pas et continua de ramper vers la déesse à l'aide de son unique bras. Athéna ne sembla que le prendre en pitié et l'acheva d'un coup de semelle oblique sur l'occiput. Il se liquéfia à son tour. Le dernier soldat émit un rire caverneux lorsqu'il parvint à se positionner derrière l'Olympienne. Il leva sa hache, avec la ferme intention de trancher la tête d'Athéna. La guerrière, plus rapide que son assaillant, empoigna son bras putréfié et le lui arracha d'un coup sec. Ses doigts s'enfoncèrent dans la chair mais elle ne perdit guère de sa superbe en tranchant le cervelle – ou ce qu'il en restait – du mort avec sa propre hache. À son tour, il fondit.
Athéna se retourna vers Daímôn, un sourire triomphant aux lèvres, rengaina sa lame étonnamment dépourvue de restes corporels et se débarrassa de la pourriture sur ses doigts en les agitant.
— Les morts et leur maître ont toujours tendance à sous-estimer leurs adversaires, car ils se croient invulnérables, commenta-t-elle.
Daímôn n'en avait que faire. Il était bien plus préoccupé par autre chose.
— Qui a bien pu envoyer ces... morts ? s'enquit-il. Je veux dire, pourquoi ont-ils détruit mon village et anéanti tous ses habitants ? La légende dit que les dieux...
— Ce ne sont pas les dieux ! le coupa-t-elle sèchement, mais la réponse reste la même quant à ta première question : pour te tuer ! Le carnage du village et de ses mortels n'est qu'un passe-temps, une complaisance supplémentaire et gratuite, à l'instar du pillage et du viol lors d'une guerre. Tel est l'art de la barbarie !
— Me tuer ?
— As-tu donc oublié les événements lorsque nous nous sommes rencontrés pour la première fois dans le nexus ? Tu as osé employer tes pouvoirs contre Zeus, le roi des dieux, notre dieu à tous ! Tu ne manques pas de courage... ou tu es simplement fou.
» Toujours est-il que le nécromant a dû avoir vent de cette rencontre, peut-être même a-t-il assisté à la scène, camouflé à la vue de tous à l'aide de ses dons interdits. Il a dû prendre peur et, afin d'éviter tout débordement futur – sa propre mort, par exemple –, veut te tuer.
Cette explication était bien trop alambiquée pour Daímôn. Pourquoi un nécromant inconnu s'en prendrait-il ainsi à lui ? Et la légende... Il y restait accroché.
— Qui vous dit que ce n'est pas Zeus lui-même qui aurait envoyé ces... morts ? Pour se venger ? Je me souviens, avant d'être aspiré, dans le nexus, de...
Athéna s'esclaffa de moquerie.
— Crois-moi, Daímôn, Zeus préférerait te tuer en personne plutôt que de faire appel à un nécromant.
Daímôn ne pouvait pourtant se satisfaire de l'explication d'un quelconque nécromant apeuré par ses pouvoirs manifestés dans le nexus. Il voulut appuyer sur ce point, mais Athéna se raidit alors, son sourire disparaissant. Elle tira sa lame de sa gaine de cuir et la pointa en avant, guettant quelque signe suspect. Daímôn se demanda ce qu'elle pouvait observer ainsi. Il ne voyait absolument rien, de près ou de loin, qui pût alerter son attention. Il n'y avait que les arbres, la neige, la fumée qui s'élevait au loin derrière eux.
Soudain, le sol se mit à trembler, frénétiquement. Daímôn crut un bref moment que le monde lui-même refoulait sa colère en gratifiant les morts d'un séisme puissant. Il avait entendu des histoires de terres qui tremblaient depuis les tréfonds des Enfers, lieu où les géants captifs et enchaînés poussaient des rugissements surpuissants pour proclamer leur fureur envers les dieux et les mortels. Il avait voulu en savoir plus, mais n'avait jamais réussi car, comme il l'avait expliqué à Adrastéia, les villageois le fuyaient comme la peste. Une fois, l'un d'entre eux lui avait même craché dessus, honni de tous les noms, peu après que sa grand-mère eut à jamais disparu. « Meurs ou pars, esclave ! Foutu lépreux, tu ne mérites pas de vivre ! Les dieux t'ont abandonné, putain d'éromène ! » L'homme était décédé quelques jours plus tard d'un empoisonnement. Un message des dieux, peut-être. Daímôn n'était guère coupable, car bien qu'il eût cultivé une certaine rancœur à l'égard de cet individu exécrable, il ne pouvait commettre un tel acte. L'idée de tuer le révulser !
Il s'avança prudemment, étudiant la façon dont le monde pouvait déclarer sa colère – Daímôn ne croyait pas à ces histoires de géants emprisonnés.
Un amas de terre et de neige se souleva alors et une main squelettique, dévorée par les nécrophages, lui attrapa le mollet. Sentant une vive douleur l'empoigner alors que la main serrait aussi fort qu'elle en était capable, Daímôn hurla de peur. Tirant d'un coup sec, le membre le fit chuter, accroissant sans peine sa terreur.
Il tenta en vain de faire lâcher prise à la main en lui administrant de furieux coups de pied. Il ne réussit qu'à lui arracher des lambeaux de chair, tandis qu'elle serrait de plus en plus fort, au point qu'il crut que son mollet allait se briser. Athéna intervint aussitôt et découpa, d'un simple revers d'épée, la main qui tomba sur le sol, inerte, lâchant enfin le mollet ankylosé de Daímôn.
Daímôn avisa la main tranchée au poignet. Elle se redressa alors avec ses doigts, se mouvant d'elle-même à l'instar d'une araignée. Un haut-le-cœur saisit Daímôn alors que la main prenait appui sur ses doigts et sautait en l'air droit vers son cou. Athéna survint de nouveau, protégeant Daímôn de la strangulation mortelle : elle frappa du plat de sa lame le membre. Ce dernier tomba au sol, tandis que la guerrière, d'un brusque coup de semelle, l'écrasait telle une vermine. Il ne resta qu'un modique reliquat de chair putréfiée.
Daímôn se releva, remercia la déesse de vive voix et se tint à ses côtés, pas plus éloigné d'un pas. Il se sentait comme protégé, entouré d'une aura bienveillante à se savoir si proche d'Athéna.
Ou bien étaient-ce simplement le puissant xiphos qu'elle tenait dans sa main et son incroyable adresse.
Athéna ne bougeait pas et scrutait l'environnement avec ses facultés divines. Elle rasa le sol avec son esprit et décela rapidement trois autres corps en décomposition manipulés par le nécromant. Elle n'eut guère le temps de pousser Daímôn que le premier cadavre – le plus près – souleva la terre et se projeta sur lui.
Daímôn et le corps roulèrent dans la neige. Il inhalait l'odeur infecte qui émanait du trépassé, à un point tel qu'il se sentit sur le point de défaillir de dégoût. Pis, à chaque fois que ses mains touchaient la chair du putréfié, ses doigts s'engluaient dedans. Cette substance morbide et verdâtre puait d'autant plus !
Alors qu'ils s'apprêtaient à faire une ultime roulade, Daímôn fléchit les genoux et souleva le mort avec ses pieds au niveau de l'abdomen. Le cadavre fut projeté, une côte se détachant dans sa culbute.
Le mort grogna et retomba sur son bras droit, qui se brisa en deux comme une brindille dans un horrible craquement. Le sang noirâtre ne tarda à recouvrir la neige. Daímôn se redressa prestement tandis que le monstre rampait piteusement vers lui à l'aide de son bras, l'autre tordu en un angle anormal. Daímôn attrapa la première chose qui lui vint, une branche d'arbre posée à même le sol, qui lui semblait suffisamment solide pour supporter les chocs. Avec, il frappa le mort d'un coup circulaire, qui atteignit la carotide et s'enfonça profondément dans la chair. La tête se disloqua, jusqu'à se détacher entièrement du cou ; elle continua néanmoins à claquer des mâchoires, tandis que le corps trémulait inlassablement, comme pris de spasmes.
— Transperce-lui le front, ordonna la voix d'Athéna qui, d'un coup habile, déchira les boîtes crâniennes des morts. (Ils se liquéfièrent en flaques spongieuses nauséabondes.)
Daímôn s'avança vers la tête du cadavre couchée sur le reste de joue. Avec une grimace, il pointa la branche par le bout le plus pointu. Je n'arrive pas à croire que je vais faire ça ! Le bois plongea droit dans le front. Le crâne se réduisit à son tour en composition gluante, puis ce fut le corps. Daímôn lâcha prestement la branche.
Son premier mort...
— Comment parvenez-vous à vous habituer à ce genre de massacre, dieux de la guerre ? souffla-t-il écœuré.
— Il n'est pas coutume que nous affrontions de telles créatures. Mais si le besoin est, alors nous n'avons guère le choix. Il est des êtres bien plus méprisables et dangereux que de simples morts guidés par l'énergie d'un nécromant. L'ennemi est toujours plus puissant lorsqu'il réfléchit de lui-même. Tu l'apprendras à tes dépens. D'ici là... (Elle s'interrompit, pointa la forêt vers le sud de la pointe de son épée.) Tiens-toi prêt. Quelque chose approche...
(suite du chapitre en suivant...)
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