ΔΙΙΙΙ - Πῦρ (partie 7)
Daímôn sortit de sa torpeur et ouvrit des yeux remplis de larmes de colère. Son corps était entièrement recouvert de flammes dorées sur des écailles rouges, et ses crocs avaient de nouveau poussé.
La lame de Díkê était aussi enflammée et la pierre dans son pommeau brillait de mille feux.
Le corps de Pûr recouvra alors sa force, les flammes léchèrent derechef ses écailles et ses yeux dorés s'ouvrirent. Il se leva prestement sur ses pattes et poussa un rugissement renaissant, accompagné de celui de Phúlax et de Daímôn.
Athéna et Cupidon eurent un mouvement de recul face à la nouvelle force des trois Primordiaux, observant ainsi de près la constitution du Dragon du Feu.
Pûr était bel et bien plus grand que Phúlax : quinze coudées de long, moitié plus gros que son frère bleu. Sa queue faisait la même longueur que celle de Phúlax, mais sa tête triangulaire était deux fois plus grosse en comparaison, ornée d'une gueule aux crocs incroyables. Ses écailles rouges étaient de toute beauté, tout comme le feu doré qui les léchait. Le cœur de Pûr n'était plus visible, désormais recouvert par la chair et les écailles.
Puis les écailles et les flammes sur le corps de Daímôn, ainsi que ces dernières de Pûr et sur la lame de Díkê, disparurent. Les larmes du fils de Kháos cessèrent de couler et les crocs se rétractèrent. Le silence s'abattit de nouveau, brisé quelques secondes plus tard.
— Est-il encore hostile ? s'enquit Athéna.
— Pour nous, non, lui répondit Daímôn avec un sourire.
Il s'avança vers le Dragon du Feu et lui caressa le dessous de la gueule avec une extrême gentillesse. Daímôn ne lui tenait point rancune de toutes les douleurs qu'il lui avait infligées, même s'il boitait dangereusement, sa peau entièrement brûlée – mais, il en fallait plus pour dissiper ce rictus heureux.
Phúlax observait attentivement Pûr et se tenait prêt à agir à n'importe quel mouvement de son confrère. Il n'y avait nulle confiance... mais une pointe de jalousie le piquait en prime.
Pûr resta calme et plongea son regard d'or dans les yeux de Daímôn. Le fils de Kháos tenta alors la connexion.
« Pûr, m'entends-tu ? »
« Je t'entends, Drákôn. Cela fait si longtemps ! »
La voix de Pûr se faisait résonnante de la même dualité que celle de Phúlax.
— Il m'entend, dit Daímôn à l'intention d'Athéna et de Cupidon. La connexion est établie. Athéna, Éros, je vous présente Pûr, Seigneur des Flammes, Dragon de la Lave, Maître et Gardien du Feu Originel !
Athéna se détendit quelque peu. Cupidon sourit à Pûr mais garda tout de même ses distances. Il n'avait, non plus, aucune confiance en lui ; le Dragon venait juste de tenter de le tuer après tout.
« Trois millénaires, dit celui-ci tristement. Trois millénaires que tout a basculé. Cela faisait si longtemps que j'attendais ton retour. »
« Oui, tellement longtemps », acquiesça Daímôn avec amertume.
La détente prit peu à peu place. Daímôn s'assit sur le sol et étudia sa jambe. Il grimaça en constatant que sa peau était entièrement morte. Il toucha la blessure et la douleur le frappa aussitôt. Il émit un grognement plaintif. Athéna s'agenouilla à ses côtés tandis que Phúlax et Pûr examinaient eux aussi leurs meurtrissures. Les deux dieux, eux, n'avaient aucune plaie à signaler.
— La peau et la chair sont complètement calcinées, dit Athéna. Je pourrais calmer la douleur si je possédais encore de l'ambroisie, mais nous n'en avons plus, et je n'arrive pas à en attirer. Borée me l'a volée. Maudit soit-il !
— Ce n'est pas grave. Peut-être que Pandore et Héphaïstos en auront. Je peux attendre.
La voix de Daímôn était devenue soudainement très faible, presque inexistante.
— Oh non ! commenta la déesse en notant ce ton. On ne peut attendre si longtemps. Tu ne pourras jamais faire le voyage jusqu'à la frontière italienne à dos de dragon dans cet état.
— Avons-nous vraiment le choix ? demanda Cupidon inquiet.
Athéna grimaça. Peut-être pouvait-elle demander l'assistance d'Asclépios pour soigner Daímôn et le matérialiser jusqu'à lui ; cependant, le dieu de la Médecine était le fils d'Apollon, donc l'un de ses plus farouches ennemis.
Pûr tendit alors son cou vers la blessure de Daímôn. Il la renifla d'abord puis la lécha avec délicatesse, ce qui arracha une nouvelle plainte au Primordial. Lors le Dragon souffla délicatement sur la plaie brûlée.
Daímôn s'attendit à souffrir effroyablement, mais la chaleur fut en réalité douce, réconfortante, comme celle d'Hélios un jour de grand froid.
Quatre secondes suffirent pour que la peau reprît une couleur blanche et non plus noirâtre. La plaie se referma, ne laissant plus aucune trace, aucune cicatrice. Athéna écarquilla les yeux de surprise. Daímôn se leva et appuya sur sa jambe. Il ne ressentit aucun mal.
Pûr l'avait guéri !
— Merci, dit-il à son attention.
Le Dragon hocha la tête avec gentillesse.
Daímôn se concentra alors à son tour sur les blessures de Pûr et de Phúlax. Les griffures de Díkê étaient profondes sur le corps du Dragon rouge. Son maître savait quoi faire : il enflamma sa main et la posa sur les différentes plaies. Aussitôt, le feu ancestral lécha les blessures et les referma. Les écailles repoussèrent par-dessus, comme au premier jour.
— Comment fais-tu ? demanda Athéna d'autant plus stupéfaite.
— C'est là un autre don du Dragonique. Je peux guérir les blessures que j'inflige, ou celles que Díkê et Phúlax font. Mais je suis incapable de soigner la plaie de Phúlax malheureusement, étant donné que c'est Pûr qui la lui a infligée. Je ne pourrais le faire que plus tard, lorsque lui et moi serons plus, disons, en harmonie.
— Lorsque vous ne ferez plus qu'un, comme tu l'es avec Phúlax ?
Daímôn hocha la tête.
Pûr grogna comme pour s'excuser. Il étira alors son cou vers la patte blessée de Phúlax et souffla. Le même phénomène se produisit et guérit entièrement la patte du Dragon bleu qui ressentit un immense bien.
« Merci ! » dit-il.
« Je t'en prie. Il est bien naturel que je t'aide au vu de ce qui s'est passé. Une dette éternelle, inscrite dans le sang depuis la Drakonomakhía. »
« Que veux-tu dire ? »
« Eh bien, je mentionne les blessures que je t'ai infligées jadis... »
« Tu te souviens des événements d'il y a trois mille ans ? » demanda Phúlax surpris.
Daímôn tourna la tête vers eux, suivant la conversation télépathique.
« Malheureusement, dit Pûr, nombre de mes souvenirs ne sont plus que cendres, mais d'autres brûlent toujours telles des flammes immuables. Je peux les partager avec vous, si vous le désirez. »
« Avec nous tous ? s'enquit Daímôn avec curiosité. Athéna et Éros aussi ? »
« Oui, si je parviens à entrer en contact avec leurs esprits. Il suffit qu'il me fasse suffisamment confiance pour que je puisse les atteindre. Je crains que seules tes paroles les convainquent. »
Daímôn se tourna vers les dieux. Ils le regardèrent alors avec curiosité.
— Qu'y a-t-il ? demanda Cupidon interpellé.
— Pûr veut nous faire partager certains souvenirs de la Drakonomakhía, expliqua Daímôn. Mais il faut que vous lui laissiez le libre accès à votre esprit, sinon il ne parviendra pas à partager tout ceci avec vous. Voyez cela comme un héritage qu'il souhaite nous transmettre.
— Je ne sais si je peux lui faire confiance, objecta Athéna. N'oublie pas que le fait que nous lui laissions le passage jusqu'à notre esprit le rendra bien plus proche de notre être véritable. Il pourrait nous contrôler avec ses pouvoirs ancestraux si tel était son désir.
— Oui. Il a voulu nous tuer, qui plus est ! renchérit Cupidon. Il pourrait réduire nos âmes en cendres.
Daímôn serra les dents. Il savait qu'il serait difficile de convaincre sa protectrice et son frère. Mais ne voulaient-ils pas se souvenir du passé ? découvrir la raison pour laquelle Daímôn avait disparu ? ou du moins comment s'était déroulée la Drakonomakhía ? quels rôles avaient pu jouer les dieux – s'ils avaient vraiment participé au conflit ?
— Écoutez, tenta Daímôn. Pûr est notre allié, maintenant. Il vient de nous guérir, il nous permet de redécouvrir le passé. Ne voulez-vous pas vous en souvenir ? Je hais les taches opaques dans ma mémoire ! C'est comme si je perdais mon identité. Et vous, n'avez-vous pas cette sensation ?
Le silence d'Athéna et de Cupidon fut éloquent d'aveu. Daímôn avait raison. Ils voulaient se souvenir. L'héritage ne pouvait disparaître !
— Soit, mais je n'obéirai délibérément à aucun de ses ordres, fit la déesse.
— Comme elle a dit ! renchérit Cupidon.
— Très bien, conclut Daímôn avec un sourire, décontenancé par sa victoire facile et rapide. Videz vos esprits et laissez celui de Pûr vous contacter, comme nous le faisons couramment.
Athéna et Cupidon fermèrent les yeux et se concentrèrent. Daímôn se tourna vers Pûr et hocha la tête pour lui signaler de commencer le contact spirituel. Pûr ferma lui aussi les yeux et laissa son esprit couler comme un fleuve dans le « lit » de Cupidon et d'Athéna.
« M'entendez-vous ? » dit-il.
Athéna et Cupidon ouvrirent de nouveau des yeux emplis de surprise, sentant une sorte de puissant fluide animal dans leurs esprits. C'était une sensation à la fois étrange, gênante et incroyable.
— Oui, dirent-ils en chœur.
« Essayez de me parler par télépathie. Le contact est différent de celui que vous exercez entre dieux, ou avec des mortels. Nos esprits sont d'origine unique, ni divine, ni animale, ni humaine. Ce ne sont pas les mêmes et ils exigent un lien intrinsèque. De plus, ils sont ancestraux, rendant leur accès plus difficile encore. Mais dites-vous que vous avez la chance de pouvoir partager un tel lien avec les Dragons Primordiaux. Laissez vos esprits aller et sentez l'énergie ancestrale à l'œuvre dans l'air. Forcez-la à émettre des sons directement dans mon esprit. Goûtez une parcelle du Dragonique. »
— Je suis déjà entré en contact télépathique avec Phúlax, commenta Cupidon.
« Alors ce sera plus facile pour toi. »
Athéna et Cupidon obtempérèrent et forcèrent l'air à se plier à leur volonté.
« Éros, m'entends-tu parfaitement ? »
« Oui », répondit celui-ci avec enthousiasme.
« Athéna ? »
« Je t'entends aussi ».
Tandis qu'ils perfectionnaient leur lien télépathique, Daímôn créa lui aussi un tel lien où seuls lui et Phúlax eurent accès.
« Soyons tout de même prudents », dit Daímôn.
« Tu ne fais pas entièrement confiance à Pûr ? »
« Non, évidemment, tout comme toi. Il reste une parcelle de ténèbres dans son esprit. Je ne veux pas que cette ennemie nous joue un tour. »
« La connais-tu, cette force maléfique ? »
Daímôn réfléchit un bref instant. Il avait ressenti une certaine similitude avec une entité qu'il n'avait plus côtoyée depuis bien longtemps. Une force antique et puissante, exilée et dissimulée dans les tréfonds du monde. Daímôn fit part de ses observations à Phúlax qui resta pour le moins dubitatif.
« Nous la vaincrons aussi, dit-il. Aucune force ne peut nous résister ! »
Daímôn aurait aimé avoir également cet enthousiasme, mais il était certain que la force de l'ectoplasme qu'il avait ressentie était bien plus puissante que les dieux réunis. Elle était tellement ancienne, peut-être même plus que lui. Une force contemporaine de Kháos, de la cosmogonie, il n'avait aucun doute là-dessus. Nyx, Gaïa, Tartare, Érèbe, une entité inconnue ? Il l'ignorait, mais ce n'étaient assurément que mauvais augures.
Il porta de nouveau son attention sur Pûr et les deux divinités. Soudainement, des voix se bousculèrent dans sa tête. Il entendit d'abord Phúlax, puis Pûr, et enfin les deux dieux. Le lien était fixé entre eux tous.
« Bien, commença Pûr. Maintenant que nous sommes tous connectés, nous allons effectuer un petit voyage intemporel, où les notions de l'espace n'ont plus lieu d'être. La sensation sera étrange, plus étrange encore que ta rencontre avec mon esprit, Drákôn. Nous ne pourrons agir, seulement contempler sans parvenir à changer quoi que ce soit, ou même entrer en contact avec les autres. Il faut à tout prix que vous calmiez vos esprits si vous vous sentez défaillir. La force, le Dragonique, qui sera à l'œuvre est une énergie très ancienne. Je n'excelle moi-même plus dans cet art unique. Mais il me reste suffisamment de souvenirs pour parvenir à faire cet échange. »
« Pourquoi chacun possède une parcelle de souvenirs différente ? » s'énerva subitement Daímôn.
« Nous l'ignorons, mais le plus important, c'est que vos esprits demeurent paisibles, comme si vous rêviez. »
« J'ai l'impression d'être un mortel en plein apprentissage », commenta Cupidon.
L'idée l'amusait.
« C'est tout comme, affirma Pûr. Le Dragonique est bien différent de toute autre forme de pouvoir. Elle est à la fois puissante et dangereuse. C'est pour cela qu'il faut bien savoir la manier avant de l'utiliser. »
Daímôn ne savait si c'était là un reproche de la part de Pûr, mais il préféra ne pas s'y attarder. Il devait calmer son esprit et faire comme s'il rêvait. Il se souviendrait cependant de ce « songe » qui se graverait – de nouveau ? – dans sa mémoire.
« Combien de temps serons-nous dans cette... autre dimension ? demanda Athéna. Nous devons atteindre l'atelier d'Héphaïstos à l'aube. »
« Le temps est différent là-bas. Nous serons présents dans le souvenir moins d'une heure, ce qui équivaudra à cinq ou six minutes ici, expliqua Pûr. Ne vous inquiétez pas. Si un danger nous guette, le contact sera rompu et nous serons de nouveau ici, sans qu'aucune séquelle physique ou mentale ne se fasse ressentir, pour vous tous. Je ferai en sorte que tout se passe bien là-bas.
Allez. Oubliez vos craintes et videz vos esprits. »
Tous obtempèrent et firent le vide.
Daímôn, lui, oublia sa rancœur envers les dieux et se concentra sur... rien. C'était le seul moyen pour lui de se sentir dans un état de béatitude où aucune peur ne viendrait lui jouer des tours.
Ils entrèrent alors dans un état catatonique, se concentrèrent chacun sur un élément qui les faisait se sentir calme et serein, loin de tous soucis. Cupidon pensa à Psyché, la déesse de la Sagesse à Athènes, sa cité, Phúlax à son dieu. Pûr se focalisa entièrement sur son exercice qui concentrait tout ce qu'il était.
Lors, ils se perdirent dans le noir, s'enfonçant... ailleurs, l'esprit loin du corps.
Fin du chapitre 14
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