ΔΙΙΙΙ - Πῦρ (partie 4)

Lorsque Daímôn ouvrit de nouveau les yeux, il dégringolait dans le vide. Les colonnes s'étaient élevées plus haut encore et la terre tremblait de douleur. Il se sentait perdu, faible, à deux doigts de succomber. Puis, alors qu'il apercevait la silhouette obscure de la Mort le cueillir, une gigantesque patte griffue le saisit et le conduisit en hauteur dans les cieux. Les écailles bleues de sa providence, laquelle le ramena sur son dos, brillaient d'une lueur nouvelle.

« J'ai cru que la fin était venue ! » gronda Phúlax de mécontentement.

« Tu n'es pas le seul... »

« Par tous les dieux, que s'est-il passé ? »

« Je me suis confronté à un ennemi hors du commun. L'esprit de Pûr est totalement gangréné par cette noirceur absolue que je n'arrive pas à annihiler. Puis j'ai été comme projeté hors de sa tête par ces ténèbres dans un rugissement assourdissant. »

« Tu as hurlé à t'en époumoner, une vague d'énergie t'a comme frappé de l'intérieur et tu as chu de mon dos. Pûr a également rugi, comme s'il souffrait, et la terre a laissé place à de nouveaux geysers de lave en se fissurant de plus belle. La côte... »

Daímôn observa le chaos de la plage lusitanienne et se remémora sa conversation houleuse avec l'ectoplasme.

« Je crois que cet amas de ténèbres sous forme de dragon est au fait de la raison pour laquelle les Dragons Primordiaux se sont mis à s'entretuer, avança-t-il. Lorsque je lui ai affirmé que c'était leur faute si notre race n'existe plus aujourd'hui, je l'ai senti se braquer derrière colère, frustration, honte et fourvoiement. Il sait quelque chose que nous ignorons, il sait que je ne suis pas le responsable mais la victime. Et ayant voulu forcer les défenses qu'il a forgées pour cacher la vérité, je lui ai arraché des douleurs insupportables, car nous savons tous deux que les supplices les plus terribles sont ceux de l'esprit. »

« Le plus important pour le moment, c'est de vaincre la domination de cette... noirceur exercée sur Pûr. Ensuite, nous l'interrogerons plus drastiquement. Et je crois savoir comment faire pour que le calme s'empare de nouveau de l'esprit de notre frère. »

Daímôn fut évidemment surpris. Comment Phúlax pouvait-il connaître le moyen de sauver le Dragon tout en le vainquant ? Daímôn n'imaginait bien que de le tuer... Une perspective irréalisable !

« Ce n'est qu'une réflexion, continua Phúlax. J'ai remarqué que Pûr fuit la Lame du Dragon. Non tellement par crainte d'une blessure mais surtout par peur de ce qu'elle représente. Il la fuit à tout prix. Là réside la clef pour le vaincre ! »

« Tu as raison », répondit Daímôn.

Effectivement, Pûr fuyait toujours le tranchant de Díkê.

« Penses-tu qu'elle pourrait absorber l'ectoplasme en lui ? ou du moins l'enchaîner ? »

« Díkê est le sanctuaire des Dragons, après tout. Le seul endroit où nous sommes pleinement en sécurité. Mais te souviens-tu du jour où les Dragons ont vu l'Omphalόs non plus comme une villégiature mais comme une prison ? »

« Bien sûr, je ne l'oublierai jamais. Serait-ce alors une forme hostile comme cet ectoplasme qui aurait pu leur insuffler cette pensée ? que Díkê les réduisait en esclavage ? »

Phúlax en était persuadé. Il regarda Pûr et étudia ses mouvements. Le Protecteur de la Flamme ne cessait de remuer la tête, comme s'il était sujet à une violente migraine handicapante. Les maux de son esprit le tiraillaient sans merci.

« Il faut plonger Díkê droit dans son cœur ! » dit brusquement le Dragon-Gardien.

« Serais-tu à ton tour devenu fou ? Je ne veux pas le tuer, simplement entraver les ténèbres ! »

« Je le sais. Écoute : l'esprit est toujours relié au cœur, autant que l'âme l'est au corps. L'Omphalόs contient en son sein ce qui fait tout d'un Dragon : son âme, son esprit, son corps et son cœur. Il n'y a que Díkê qui puisse annihiler l'ennemi. C'est notre force vitale, notre bonté, celle qui décime les méandres de la folie. »

Daímôn rejetait totalement l'idée de transpercer le cœur du Dragon fou. Et si Phúlax avait tort ? Pourtant, à la vue du cataclysme autour de lui, il sut, au plus profond de lui, qu'il n'avait guère le choix, pas s'il voulait arrêter tout ceci. Il était de son devoir de tenter n'importe quoi pour mettre fin à ce chaos, même si les risques encourus pouvaient s'avérer irrémédiables. Un dilemme, comme il en était coutume dans l'éternité d'un Primordial.

« Très bien..., se résolut-il. Alors, allons-y. »

« Patience. Nous ne pouvons approcher Pûr comme cela. Dès qu'il verra la lame, l'instinct de fuir prendra le dessus, orchestré par l'ectoplasme. Même dans sa torpeur actuelle, l'esprit engloutira la raison. Ne prenons aucun risque. Il nous faut une diversion. »

Oui, une fois encore il a raison, conclut Daímôn.

Il avisa Cupidon et Athéna au loin, lesquels s'étaient éloignés d'autant plus depuis que Pûr les avait dardés de flammes.

Daímôn ferma les yeux et se concentra.

« Éros, m'entends-tu ? »

Aucune réponse ne lui parvint. Son affaiblissement et sa carence en énergie lui firent pleinement face. Maudit Borée ! Mais sa détermination était sans équivoque.

« Éros, je t'en prie, réponds-moi ! »

Toujours rien. Il commença à désespérer... lorsqu'il perçut une soudaine et très rachitique vibration dans l'air, lointaine, à peine perceptible, comme une ridicule brise dans la fournaise ambiante.

« Daí... »

Le message était saccadé ; pourtant, il avait reconnu cette voix !

« Éros ! »

« Daímôn ! La... ssance... Pûr... blo... telé... thie... »

La pression exercée par Pûr tordait l'air comme une brindille, rendant la communication extrêmement ardue. Daímôn se focalisa davantage sur le vecteur.

« Éros, il nous faut une nouvelle diversion ! Envoyez les flèches déflagrantes sur Pûr pour que nous puissions l'attaquer dans un court moment d'inattention de sa part. Nous pensons avoir trouvé le moyen de tout arrêter. Éros ? Éros ?! »

Le silence s'imposa derechef.

« Je n'arrive pas à communiquer avec Éros ! » gronda-t-il.

« Pûr consume l'air ambiant, lui répondit Phúlax. La télépathie fait vibrer l'air pour transmettre les messages. Plus la distance est courte, plus le vecteur est mince. Ici, le vecteur est tellement fin que Pûr le détruit totalement.

« Pourtant, nous y arrivons bien, toi et moi. »

« Ce peut être dû à deux raison : nous sommes tous deux très proches, et le Dragonique fait que l'exercice de la télépathie ne répond pas aux mêmes critères. »

« Alors, je crains que nous n'ayons d'autre choix que de tenter le tout pour le tout... et sans diversion. »

Le fils de Kháos sentit le mécontentement de son dragon tel un coup de poing dans l'estomac. Il n'était guère non plus enthousiasmé à cette idée.

Díkê fut dégainée.

— Allons-y ! cria-t-il à voix haute dans un élan de courage.

Phúlax gronda férocement et battit des ailes. Catapultés à toute allure sur Pûr, celui-ci se défit de sa torpeur en toisant l'épée de ses supplices.

Ce furent deux nouvelles explosions flavescentes qui frappèrent alors le flanc de Pûr. Déconcentré, Daímôn y vit l'occasion parfaite. Il se prépara à pourfendre de toutes ses forces la poitrine du Dragon rouge, lorsque ce dernier émit un rugissement assourdissant ! La chaleur se mua en onde de choc et bouscula Phúlax dans son élan. Abasourdi par le coup, Daímôn n'eut le réflexe de se tenir plus fermement avec ses cuisses et fut désarçonné de sa monture écaillée, droit sur Pûr. Pressentant qu'il ne parviendrait à s'accrocher au Dragon enflammé, il balança sa lame en avant qui coupa le thorax de Pûr, lui arrachant un terrifiant cri de douleur.

Les oreilles sifflantes, harcelées par un ultrason loquace, Daímôn tombait à nouveau dans le vide. L'ichor du Dragon rouge coula telle une pluie étincelante, tandis qu'une énième colonne de lave s'élevait dans les cieux non loin de sa queue. Une goutte de sang chut sur le bras de Daímôn, pile sur une blessure que Pûr lui avait infligée précédemment entre deux morsures. La sensation de brûlure fut telle qu'il manqua de s'évanouir.

Au-dessus, dans un grondement courroucé et frustré, Phúlax piqua vers son maître et se positionna sous lui. En écartant bras et jambes, se remémorant le conseil d'Éros lorsqu'ils chutaient avec Athéna après l'attaque de l'étoile de feu, Daímôn retomba doucement sur le dos de Phúlax qui reprit aussitôt de l'altitude.

Le Primordial étudia la plaie qui courait le long de la poitrine de Pûr. Se mêlant au sang et au feu, il y perçut une noirceur éthérée et opaque, volute serpentant dans les airs avant de s'y évaporer tel un lointain cauchemar. Aux souffrances ressenties par Pûr, l'intensité des colonnes de lave s'accrut. Le sol n'en trembla que plus fort et les séismes s'enfoncèrent plus profondément encore dans les terres portugaises.

« Regarde cette noirceur s'échapper de la plaie, dit Daímôn à Phúlax. Je crois que tu as raison. Le cœur irradie toute sa chair. Il nous faut le transpercer ! »

Díkê flamboyait tel un soleil. L'Omphalόs luisait d'une brillance écarlate de plus en plus vive à mesure que les ténèbres s'échappaient de Pûr.

« Mais comment l'atteindre ? » fit Daímôn.

« J'ai une idée, mais elle ne veut pas te plaire. Il faut que... »

« Tu ne penses tout de même pas à ce que je monte directement sur Pûr ?! »

« Eh bien... »

Daímôn râla.

« Je le savais : tu as bel et bien perdu l'esprit, toi aussi ! »

« Nous n'avons guère le choix ! répliqua son dragon. Tu dois lui grimper dessus. »

« Et comment comptes-tu que je fasse cela ? Si les flèches explosent, je serai touché, et sans elle, nous ne pourrons l'approcher. »

« La vitesse sera notre atout. Je suis lent, si bien que Pûr a le temps d'agir en conséquence. Or, petit gabarit que tu es, tu fileras telle une flèche et tu le faucheras de plein fouet ! »

« Et tu as un moyen pour que je file si vite ? argua Daímôn. C'est impossible ! »

« Je te propulserai avec ma queue, de toutes mes forces ! »

« La folie aura raison de nous ! »

La gorge de Phúlax résonna d'un semblant de rire. Daímôn comprit que son dragon était prêt à tout, même au pire. Quelque part, cette idée l'excita : son instinct de Primordial avait noué une relation intime avec le danger. Il se retourna donc, enjamba la selle de cuir et rampa doucement jusqu'à la pointe triangulaire de la queue de Phúlax. Serrant bien Díkê en main, il se leva, se positionna sûrement sur ses jambes, garda un équilibre plus ou moins acceptable, eut un semblant de vertige en regardant le vide en dessous et toisa Pûr, les yeux baignés de flammes dorées.

Le plan lui parut d'autant plus fou à cet instant. S'il ratait son coup, il était mort : Pûr le cueillerait et le broierait entre ses griffes ; ou il tomberait et s'écraserait sur le sol à pleine vitesse. Finir en charpie entre les immenses serres enflammées de Pûr ou mourir aplati sur le sol étaient, l'un comme l'autre, évidemment inenvisageables. Mais c'était maintenant ou jamais : Pûr était blessé et ne s'attendrait sûrement pas à une attaque comme celle-ci. Du moins, l'espérait-il...

« Es-tu prêt ? » demanda Phúlax.

Daímôn inspira et expira une fois, puis deux, trois, quatre – autant de fois que cela fut nécessaire pour lui donner courage – et cria :

— Maintenant !

La queue de Phúlax fit une embardée et propulsa Daímôn à une vitesse ahurissante au moment où une boule de feu frappait la gueule du Dragon avec une force terrible qui le plongea dans un état de somnolence.

L'air chaud fouetta inlassablement le visage de Daímôn. Celui-ci ferma les yeux, pria la Fortune... et heurta de plein fouet le reptile de feu. Le choc fut rude, et d'une incommensurable chaleur. Le corps de Pûr était un véritable volcan en éruption. Daímôn grimaçait de douleur face à cette nouvelle souffrance qui aurait tôt fait de le tuer s'il n'était guère pourvu d'une protection atypique contre le Feu Originel. Sa force de caractère prit le dessus et il se concentra plutôt sur son objectif que sur son supplice flamboyant. Il n'avait guère atteint le Dragon où il l'escomptait, et s'il ne s'était rattrapé à l'un des pics de lave qui ornaient le flanc de Pûr, il aurait probablement réduit à néant toutes ses chances de réussite. Il força sur son bras, attrapa un pic supérieur, s'intima fermement l'ordre de ne surtout pas lâcher Díkê qui se balançait dans le vide.

Avec un dernier effort colossal, il parvint à atteindre le dos de Pûr... et le pire intervint aussitôt.


(suite du chapitre 14 en suivant...)

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