ΔΙΙΙ - Δύο δράκοντες (partie 4)
La statue de glace se brisa misérablement, ne laissant qu'un bras en un seul morceau au milieu des débris. Le pauvre satyre, gelé depuis deux mille années, ne verrait jamais plus le monde de ses yeux noisette ni n'égayerait la nature du chant de sa flûte.
Borée rageait et fulminait sur place devant sa fille Chioné qui, incrédule, ne bronchait pas d'un pouce. Elle était habituée aux sautes d'humeur de son père. Et son plan si parfait qui venait d'échouer...
— Seigneur Borée, dit le capitaine de la garde. Nous les avons trouvés...
Borée se retourna vers lui, ses yeux injectés de sang.
— Amenez-les ici ! ordonna-t-il. Amenez-moi mes fils !
Après un digne salut en courbant l'échine, le soldat s'échappa en direction du couloir pour retrouver ses officiers qui s'affairaient à transporter les corps des deux enfants du dieu de l'Hiver.
La garde revint quelques minutes plus tard, quatre soldats chargés des cadavres recouverts d'une fine couverture blanche. Borée suivait le cortège du regard, incapable de parler. Il sentait les larmes monter mais s'abstenait de pleurer devant sa fille et ses soldats. Chioné, quant à elle, détournait les yeux. Bien qu'elle n'eût jamais été proche de ses frères, ils étaient tout de même de son sang, à l'instar de Cléopâtre à jamais présente dans son esprit. Elle se devait de rendre un dernier hommage aux Boréades... pour la seconde fois.
— Déposez-les ici ! ordonna Borée en pointant deux cercueils de glace où était disposé un linceul immaculé dans chacun.
Les soldats s'activèrent immédiatement et déposèrent les corps délicatement.
Borée s'approcha en tremblant, ne trouvant pas ses mots. Il se plaça entre chaque cercueil et caressa leurs visages blancs comme neige dont la mort figeait leurs doux traits juvéniles pour l'éternité.
— Mes pauvres enfants..., chuchota-t-il. Je peux vous jurer que je les ferai payer. Un jour, au moment où ils s'y attendront le moins, je les ferai condamner pour l'éternité dans les tréfonds du Tartare. Leurs souffrances seront exemplaires. Je le jure sur le Styx !
— Père, dit doucement Chioné en posant une main bienveillante sur son épaule frigorifiée. Il est temps de les placer dans la crypte, à côté de leur sœur et de leur mère.
— Je sais, je sais... Laisse-moi encore quelques minutes.
Chioné n'eut le courage de protester et recula, patientant que son père fît ses derniers adieux. Après plusieurs minutes, il se leva et ordonna, d'un mouvement bref et sec de la main, d'emporter les deux cercueils dans la crypte sous le palais de glace, où reposaient les dépouilles de Cléopâtre et d'Orithye placées dans des sarcophages de glace couvrant, pour l'éternité, leur beauté légendaire de demi-déesse et de princesse d'Athènes. Le cortège était suivi par toute la garde. Chioné leur emboîta le pas.
Borée ne bougea pas.
— Cléon ! appela le roi en désignant le chef de la garde hyperboréenne. Attends deux minutes, je te prie.
Le grand commandant aux longs cheveux blancs s'arrêta et retourna devant son seigneur qui avait dégainé sa lame. Il saisit bien la contrariété de Borée, ce qui ne manqua pas, non dupe, de hautement l'inquiéter.
— Cléon, mon fidèle commandant ! Tu m'as si bien servi !
— Je ne fais que mon travail, Sire ! Je suis votre fidèle serviteur !
— Oui, oui ! Tu étais un si grand commandant, toujours d'aplomb pour piéger les étrangers. La plupart des statues sont là grâce à toi, le sais-tu ?
Cléon ne répondit pas et hocha gravement la tête. Bien qu'il se dût de servir son maître, il n'en était pas moins un Hyperboréen avant tout, si proche des humains, et ressentait de la culpabilité à amener ainsi les visiteurs vers une mort certaine. Il regarda le satyre brisé en mille morceaux... tellement innocent lorsque Cléon l'avait cueilli devant la forteresse. Comment cet esprit de la nature avait-il pu se trouver ici ? Il détourna le regard. Les états d'âme étaient à proscrire en ces lieux maudits.
— Alors, explique-moi, continua Borée en s'arrêtant devant lui, le regard droit dans ses yeux bleus. Comment se fait-il que mon si brillant commandant des armées ait pu échouer à ce point ?
— Seigneur ?
— Comment as-tu pu laisser ces assassins s'en tirer avec une aussi grande aisance ?
— Sire, il y avait un dragon ailé cracheur de feu ! Nous ne pouvions pas le vaincre !
— Balivernes ! Je vous ai donné armes et boucliers pour vaincre nos ennemis, et ta seule excuse est la présence d'un dragon ?
— Mon Seigneur et Roi, vous-même n'avez pas osé vous attaquer à cette bête. Comment aur...
Borée le frappa de son poing en pleine figure, la glace amplifiant la force de l'impact. Cléon tomba à genoux en grimaçant de douleur. Sa peau était recouverte d'une couche de givre. Il sentit son os brisé sous ses doigts, le sang les souillant.
— Comment oses-tu me parler de la sorte, esclave ?! Je suis ton maître, ton seigneur, et tu me dois obéissance et protection ! Si je te demande quelque chose, tu le fais ! Et tu as échoué, lamentablement !
— Je vous demande pardon, Seigneur !
— Non, non. C'est une erreur de trop !
— Mais, Sire, ce n'est que la première !
— Et ce sera la dernière !
Cléon contempla alors la folie de son souverain.
— Je vous en prie, j'ai une petite fille qui vient de naître ! supplia-t-il.
Borée brandit son bras et trancha net le cou de son commandant qui tomba sur le sol, la tête décrochée du corps. Il contempla avec délectation le sang pisser, tel un geyser écarlate, de la plaie béante.
La tête roula et se cogna alors à un pied recouvert d'une sandale. L'homme applaudit soudain, faisant résonner le clapotis de ses mains dans toute la pièce.
Borée fit volte-face.
— Seigneur Zeus, dit-il.
— Borée, mon cher Vent du Nord. J'ai entendu dire qu'il s'était passé un événement fort déplaisant ici.
Borée toisa son suzerain. Le dieu de l'Hiver n'était pas dupe, lui non plus. Il connaissait la raison de sa visite.
— Nous avons eu une petite visite de votre chère et tendre fille et de son protégé, répondit-il simplement.
— Les as-tu bien traités au moins ?
— Comme toujours, mon roi. Et tout ne fut plus que cauchemar...
Zeus s'avança vers lui tandis que le dieu du Froid rengainait sa lame dans son étui en cuir blanc, désintéressé du sang qui pouvait le maculer.
— Et où sont-ils, désormais ? s'enquit le roi du Ciel, déjà au fait de la réponse.
— Ils se sont enfuis à cause de l'incompétence de mon commandant ici présent. (Il pointa le corps étêté à ses pieds.) Malheureusement, Cupidon avec eux...
Zeus grogna. Dehors, l'orage commença à gronder. Et l'atmosphère s'électrisa dans le hall.
— Et votre cher Daímôn a assassiné mes fils dans un accès de rage démesuré ! ajouta Borée en serrant les dents.
— Alors, il l'a accompli.
Borée hocha la tête et repensa à ses deux enfants. Il avait été tellement difficile de les retrouver sans vie la première fois lorsqu'ils étaient de simples demi-dieux mortels au service des Argonautes ; et maintenant qu'ils avaient été divinisés, sans pour autant être des dieux à part entière, la douleur était d'autant plus épouvantable, car ils ne pourraient pas revenir des Enfers une seconde fois. Jamais Hadès ne le permettrait.
— Et tu ignores évidemment où est parti cet assassin ? compléta Zeus.
Borée ne répondit pas et attendit que Zeus réagît.
Zeus tempêta sur place et un premier éclair traversa son corps pour frapper violemment le dieu de l'Hiver. Celui-ci tomba à genoux.
— Père ! réclama une voix. Il est temps de... Seigneur Zeus !
Chioné courut à la rencontre de son père et s'agenouilla à ses côtés en toisant Zeus avec hostilité.
— Que voulez-vous ? s'engagea-t-elle durement.
— Je ne te permets guère de me parler ainsi, déesse mineure. Tu n'es bonne qu'à partager ma couche. Laisse les dieux s'occuper de leurs affaires.
— Non au détriment de la vie de mon père. Nous venons de perdre mes frères. Ayez un peu de compassion et laissez-nous en paix !
— Tes frères étaient des êtres faibles et sans importance aucune. Ils ont eu de la chance que je leur eusse accordé l'apothéose. Les choses sont réparées, car les mortels, même s'ils sont enfants de dieux, ne méritent guère de devenir des divinités – si tant est ne soient-ils pas de mon sang ! Tes frères n'en faisaient pas partie !
— Comment osez-vous parler d'eux ainsi ?!
Une soudaine bourrasque souffla et projeta Chioné contre le mur adjacent.
— Il est temps que les choses redeviennent comme elles devraient être ! tempêta Zeus. Les dieux me doivent respect et obéissance, et je ne supporterai plus l'échec et l'intolérance. Je comptais sur toi pour cette mission, Borée, mais tu as minablement échoué. Payes-en le prix. Quant à toi, Chioné, pour ton insubordination envers ma divine personne, tu recevras le même châtiment que ton père !
— Nous en payons déjà le prix ! fulmina Chioné.
— Seigneur Zeus, s'interposa Borée. J'ai essayé de vous amener Athéna devant la justice olympienne, mais j'ai échoué. Pardonnez-moi.
— Tu crois que je ne suis pas au courant ? L'idée est née du génie d'Apollon, lequel me l'a rapportée avant d'agir, contrairement à toi ! Tu as suivi mon fils sans même connaître mon adéquation ou non à ce stratagème !
Borée regarda son roi avec inquiétude. Depuis quand Zeus est-il aussi intransigeant ?
— Vous êtes injuste envers mon père ! commenta une dernière fois Chioné.
Celui-ci lui jeta un regard où s'entrelaçaient compassion et amour, auquel elle sourit en échange – acte pour le moins rare.
Zeus les regarda avec indifférence, des éclairs grisant ses pupilles.
Les deux rayons électriques fusèrent alors, laissant le palais résonner des cris de douleur de l'Hiver et de la Neige.
(suite du chapitre 13 en suivant...)
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