ΔΙ - Βορέας (partie 3)
Daímôn et Athéna se retrouvèrent seuls, surveillés par les deux gardes guettant l'entrée du vestibule.
En se focalisant dessus, Daímôn constata que l'air était encore plus glacial au sein du palais qu'à l'extérieur. Il s'emmitoufla dans son himation et chercha une source de chaleur. Il ne nota rien de plus que le froid mordant du dieu de l'Hiver. D'une pensée succincte, il fit apparaître une flamme dorée au bout de ses doigts. Athéna lui frappa aussitôt la main droite, ce qui consuma la faible flamme et arracha un cri de douleur à Daímôn – la claque lui avait été aussi violente qu'une décharge d'électricité statique !
Kópros! vociféra-t-il pour lui-même. Ses doigts étaient maintenant pétrifiés.
— Nous sommes au palais du dieu du Froid ! le sermonna-t-elle. Tu ne peux invoquer quelque source ignée sans son autorisation. S'il t'avait vu ainsi faire, il t'aurait sûrement ajouté à sa collection de statues de glace !
— Pardon, mais je meurs de froid ! plaida Daímôn. (Il engouffra ses mains sous son manteau et hoqueta soudain.) Attends ! Tu veux dire que...
Voilà que l'idée abominable qui ne le quittait plus n'était que la pure vérité !
— Comment ose-t-il ? s'emporta Daímôn.
— Légitime défense, ou punition royale.
— Ses méthodes ne te révulsent pas ?!
— Je n'ai jamais dit cela ! Mais là n'est pas la question. Concentre-toi sur notre tâche, et fais preuve de courtoisie et de respect. Les choses se passeront peut-être rapidement et sans anicroche.
Daímôn maugréa pour lui-même et répondit :
— J'en doute ! Mais nous devons sauver Éros, quoi qu'il en coûte !
De longues minutes devraient encore s'écouler avant que la jeune femme ne revînt avec son père.
— C'était Chioné, n'est-ce pas ? fit Daímôn. Cette femme qui contrôlait la tempête de neige ?
— Oui. C'est la fille de Borée et d'Orithye (Ξ), une antique princesse d'Athènes, fille du légendaire roi Érechthée (Ξ). Contrairement à ses deux autres frères, Calaïs (Ξ) et Zétès (Ξ), elle est née déesse, pourvue de l'immortalité.
— Ses frères ne sont pas des dieux ?
Athéna esquissa un sourire en se remémorant le courage manifeste de ces deux garçons.
— Non, continua-t-elle. Ils sont nés, comme beaucoup d'autres demi-dieux, mortels. Ils ont participé à la légendaire expédition des Argonautes (Ξ) aux côtés de Jason. À leur mort, ils ont reçu l'apothéose (Ψ) de Zeus, mais ils ne sont pour autant pas considérés comme des dieux d'authentique nature. Vois-là le simple fait qu'ils n'ont pas un sang pur, a contrario de leur sœur Chioné.
— Cette discrimination vient de Zeus, n'est-ce pas ?
Daímôn avait pu pleinement se rendre compte de l'inégalité entre les diverses divinités régissant le monde. La hiérarchie instaurée par Zeus en était la preuve première. En outre, Éros avait su parfaitement la lui démontrer.
— Pas uniquement de Zeus, mais de tous les dieux. Héraclès, fils de notre roi, fut également divinisé, qui plus est marié à Hébé. Il n'est pourtant nullement considéré comme un légitime dieu sur le mont Olympe.
» Cette ségrégation fut encore pire pour la seconde fille de Borée, Cléopâtre (Ξ), entièrement mortelle et décédée voilà bien des siècles. Elle n'a jamais reçu l'apothéose et n'a, de ce fait, guère laissé un profond souvenir aux dieux. Je ne suis même pas sûre qu'ils se souviennent d'elle, ou même de ses propres enfants. Son âme, heureusement, vit en toute quiétude dans les champs Élysées.
Et l'on pouvait toujours faire confiance à Athéna pour se souvenir des moindres détails dans la grande famille des déités.
Daímôn ne comprenait guère comment Chioné pouvait avoir un sang « pur », ce qui faisait d'elle une divinité à part entière, et non ses deux frères ou sa sœur. Athéna lui assura que l'histoire du sang recelait de nombreux mystères. La vie avait été ainsi dictée, rédigée par Kháos. Daímôn se jura d'assouvir sa curiosité un jour !
Athéna poursuivit plutôt sur Chioné :
— Elle fut la compagne, pendant un certain temps, de Poséidon. Ils eurent un fils, Eumolpos (Ξ). Mais pour éviter la colère de Borée qui rejetait l'union, elle jeta l'enfant à la mer, qui fut sauvé par le dieu des Océans.
— Comment une mère peut-elle tenter de tuer délibérément son fils ainsi ? s'enquit Daímôn abasourdi.
— Je ne le saurai jamais. Mais lorsque tu rencontreras Borée, peut-être comprendras-tu le geste de Chioné.
— Cela m'étonnerait grandement.
Lors, ils entendirent le lourd clapotis résonner dans l'escalier en colimaçon, plus fort, plus proche, plus perçant... Daímôn se tendit lorsqu'il vit réapparaître Chioné, suivie par un homme de grande prestance.
Le visage tiraillé de rides, le dieu du Vent du Nord semblait aussi vieux et buriné que le roi des dieux. Sa longue barbe blanche descendant jusqu'à son poitrail était bourrée de petits cristaux de glace. Vêtu d'une tunique en soie blanche et chaussé de bottes en cuir noir, il avait drapé une cape en peau de chèvre à son épaule droite, dont la fibule dorée brillait. Sa poitrine gauche arborait fièrement un blason royal de la forme d'un écu armorié d'un homme, les joues gonflées, soufflant le vent par l'intermédiaire d'une grosse flûte en or. Sa ceinture était lestée d'une épée protégée d'un fourreau noir de jais ; sa tête était décorée d'une fine couronne de glace sur des cheveux bouclés aussi blancs que la peau de Chioné, dépourvus de cristaux. Ses mains poignaient fermement une canne dorée qui claquait toujours plus bruyamment sur le sol. À l'instar de Dionysos, l'embonpoint du Maître de l'Hiver était proéminent et semblait vouloir s'échapper de la fine soie. Daímôn trouva ridicule que ce dieu obèse fût armé ; en cas d'escrime, il n'aurait aucun mal à le déchoir.
« Ne te fie jamais aux apparences. Jamais ! » rappela, circonspect, le Dragon dans son esprit.
« Je sais », répondit simplement Daímôn.
— Athéna ! résonna la voix de stentor de Borée. (Il écarta un bras en signe de bienvenue ; Daímôn ne parvenait à se détacher de la canne dorée.) Que me vaut le plaisir de cette visite surprise ?
Athéna et Daímôn se toisèrent un bref instant. Borée était-il si surpris de leur venue qu'il le laissait prétendre ?
« Méfiez-vous ! » rappela derechef le Dragon tendu.
Daímôn se mit plus encore sur ses gardes.
— Bien le bonjour, seigneur Borée ! répondit Athéna en orchestrant une parfaite révérence affable.
— Nous ne nous sommes pas vus depuis un bon moment, n'est-ce pas ? continua un Borée amusé. Quand était-ce, déjà ?
— Lors d'une sévère réprimande de notre roi à tous, envers toi et tes trois autres confrères les Vents, quelques décennies naguère. Vous veniez tout juste de provoquer une véritable catastrophe climatique sur la côte ouest du Mexique.
— Oh oui, quel ouragan que celui-ci ! Digne de Zeus lui-même ! Ce ne fut pourtant notre plus puissant... (Borée ricana, comme ravi de se remémorer cet événement.) Mais depuis, nous nous sommes bien assagis, n'est-il pas ? La réprimande de notre roi semble avoir eu son petit effet.
— Et tu m'en vois fort aise.
— Ah, mais où sont donc mes bonnes manières ? Viens t'asseoir avec Daímôn ! Nous avons tant de choses à nous dire !
Daímôn se raidit aussitôt en entendant son nom. Sa réputation le précédait-il au point tel que tout dieu le connaissait ? Après tout, Athéna ne le quittait plus... Non, il était au fait de notre arrivée !
Il voulut en informer Athéna, mais celle-ci lui serra l'épaule.
« Je sais, lui dit-elle par télépathie. Mais cela ne m'étonne nullement. Pour le moment, suivons-le et avisons. L'imprévisibilité et la déférence seront nos meilleurs atouts. »
Borée les conduisit au premier étage, tourna à gauche où ils débouchèrent dans un salon meublé de banquettes blanches. Tous s'installèrent. Daímôn et Athéna s'assirent côte à côte en face de Borée et de Chioné, cette dernière placée sur l'accoudoir. Le dieu du Vent du Nord frappa des mains. Quelques secondes suffirent pour qu'un très jeune échanson, tout au plus huit ans et les cheveux argentés, vînt avec un plateau doré chargé de nectar dans une cruche en cristal et de verres. Daímôn entendit les glaçons s'entrechoquer dans le calice.
— Puis-je vous proposer des rafraîchissements ? s'enquit Borée. La chaleur est insoutenable, aujourd'hui !
Daímôn arqua les sourcils. Lui, mourrait de froid. Il aurait volontiers sacrifié la durée de cette mascarade pour matérialiser quelques flammes afin de se réchauffer.
« Borée doit sentir l'énergie calorifique en ton sein et en Díkê », fit le Dragon.
Daímôn n'en doutait pas un seul instant.
— Avec plaisir, minauda Athéna.
Le garçon servit tour à tour les dieux, Borée en premier, Daímôn en dernier.
Le verre tendu, celui-ci le saisit uniquement pour camoufler son irrépressible envie de se jeter au cou de Borée. Il inspecta le contenu : le nectar semblait aussi sain et vierge que la boisson qu'il avait bue quotidiennement sur le mont Olympe ou en France. Une substance indétectable, peut-être ?
— À notre santé, et longue vie aux dieux ! entonna Borée avec plaisir.
Longue vie aux dieux..., se répéta Daímôn. Comment le Parjure de l'Olympe aurait-il pu ainsi s'exclamer ?
Chioné, Borée et Athéna burent alors d'une traite leur verre. Daímôn se résolut à en faire de même qu'Athéna pour continuer leur théâtre courtois mais s'abstint lorsque le « Non ! » sec du Dragon tonna dans son crâne. Le liquide ne vint ainsi qu'effleurer, discrètement, ses lèvres. Il déglutit pour faire mine d'avaler et se força à sourire.
— Comment te portes-tu, ma chère Athéna ? bavarda Borée, renvoyant l'échanson d'un geste du bras.
— Fort bien, je te remercie, Borée. Je n'ai guère le temps de m'ennuyer à dire vrai, et ce depuis toujours.
— Tu m'en vois ravi. Il serait ignominieux qu'une Olympienne, fille de l'Intelligence rusée et du roi des dieux, eût ledit temps de s'ennuyer !
Athéna hocha la tête et se retint de grimacer.
— Seigneur Borée, j'ai su que toi et tes enfants aviez reçu la visite d'Apollon et de Zeus tout récemment.
— Ah oui ! Quel honneur suprême ! Bien qu'Apollon ait apporté beaucoup trop de chaleur par sa grasse lumière !
— J'ai dû m'atteler à produire un blizzard trois jours durant afin que la température redevienne agréable, commenta Chioné – plus pour elle-même, à dire vrai.
— Certes ! Mais ce n'est guère tous les jours que nous recevons de la visite en ces lieux, ma fille !
Celle-ci haussa les épaules avec indifférence.
— Pourrais-je connaître la raison de la venue de deux Olympiens en ton magnifique palais ?
Borée sourit. Il regarda Daímôn dans le fond des yeux. Ce simple contact suffit à ce que ce dernier s'enfonçât dans le sofa.
— Ma foi. J'eusse cru que les Olympiens ne se cachaient rien.
— Notre roi a probablement jugé bon de n'en parler à nul autre que son fils et toi. Mais comprends que la Voix de la Raison se doit de tout connaître afin que ne soit suivi que le sage chemin.
— Oui, tu as raison, déesse de la Sagesse. (Il caressa sa barbe qui laissa choir des cristaux.) Zeus a décidé de rendre auprès de chaque divinité afin de témoigner de la résurrection d'une antique entité : le sixième fils de Kháos. Incroyable, non ? J'eus bien du mal à le croire, mais je ne remets nullement en doute la parole de notre seigneur. (Il se tut, comme pour peser la valeur de ses mots.) J'ignore si je devrais répéter l'exhaustivité de notre entrevue... Ah ! après tout, tu es bel et bien la Voix de la Raison, Athéna. Alors je vais te le dire, car la félicité que j'en ressens est à l'égal de l'honneur inhérent à la tâche !
» Mon Seigneur Zeus m'avoua sa peur, et manda mon aide afin de capturer un second Primordial, cause de son mal. Je ne suis qu'un vassal du Grand Suzerain éternel, ainsi je ne peux refuser ; mais ce n'est là que grande gloire de m'assujettir à la volonté d'embrasser la Fortune.
» Car celle-ci a donc décidé de me sourire !
Le regard du dieu Borée s'emplit de malice.
Daímôn, transporté par l'ire grandissante du Dragon, se leva vivement.
— Il suffit de ces salamalecs ! rugit-il.
(suite du chapitre 11 en suivant...)
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