ΔΓΙ - Ἀπιστία (partie 1)
Une larme coula le long de la joue d'Athéna. Voilà qu'elle ne pouvait empêcher l'émotion de la submerger. Bien des siècles s'étaient écoulés depuis qu'elle avait souffert pareil tiraillement en son cœur, une tristesse incoercible et cristallisée par les perles salées qui roulaient sur ses pommettes rougies. Elles avaient la couleur du désespoir, le goût du doute et de l'incompréhension. La pluie se mit à tomber, comme vibrant de son affliction. Elle se recroquevilla davantage sur elle-même, juchée sur le Dragon-Gardien, tandis que celui-ci filait à toute allure vers la frontière entre la France et l'Italie où les attendaient Héphaïstos, Pandore et Hécate. Les images qu'elles venaient de voir à l'intérieur des mémoires de Pûr ne cessaient de l'assaillir. Ces milliers de morts, ces effluves sempiternels de sang, ce chaos général, cette tension perpétuelle, ces destructions massives, cette incapacité à riposter contre le destin... et pis que tout l'ancêtre d'Athènes, défaite par le feu et le cauchemar. Comment avait-elle pu oublier... ? oublier l'anéantissement total de la ville, de ses premiers fidèles ? C'était inconcevable ! Pourtant, par le mal qui rongeait son cœur, peut-être aurait-il mieux fallu pour elle que jamais ce souvenir n'éclose à nouveau dans sa propre mémoire. Une déesse poliade qui avait failli à son devoir, voilà tout ce qu'elle était ! Les larmes n'en coulèrent que plus abondamment, tout comme la pluie qui ruisselait bruyamment sur sa tête.
Face à elle, perché sur Phúlax, Éros trembla lorsque les pointes acérées du désespoir d'Athéna pénétrèrent toutes les fibres de son être. Comment pouvait-on permettre qu'une déesse – une Olympienne, de surcroît – pleurât ainsi ? Le dieu des Sentiments abhorra cette idée. Il lui envoya une profonde et puissance vague de chaleur et de réconfort. D'une pensée laconique, elle le remercia et se referma sur elle-même, se forgeant un bouclier tout autour de son esprit, si épais que même Éros ne réussit à le traverser.
Cela faisait maintenant une demi-heure que les Dragons avaient pris leur envol. Ils avaient cru avoir vécu des heures dans les souvenirs de Pûr, mais seulement six minutes étaient passées. Comme l'avait dit le Dragon du Feu juste avant leur voyage astral : le temps était différent là-bas.
Athéna regarda la lune, plus luisante que jamais lorsque les nuages de pluie se furent dissipés. Elle estimait que dans une heure ou deux, ils atteindraient l'atelier de son frère forgeron, et surtout le repos tant désiré.
Daímôn volait sur Pûr, offrant ainsi pleinement la place aux divinités sur le dos de Phúlax. Celui-ci avait d'abord été réticent à l'idée de laisser son maître seul sur le Dragon rouge, évoquant la possibilité d'un soudain accès de folie latente de son confrère ; mais Daímôn n'avait considéré ceci que comme pures affabulation et jalousie. Et il n'avait pas tort : Phúlax brûlait viscéralement de jalousie ! Éros avait pouffé en ressentant pareille puérilité et s'était aussitôt attiré les foudres démentielles du Dragon. Depuis, il ne pipait mot et contemplait les horizons, en décochant par moments des flèches sur les mortels de la nuit pour trahir l'ennui.
Tel que l'avait calculé Athéna, la chaîne alpine se fit enfin apercevoir une heure et demie plus tard, sous un ciel décoré d'une myriade d'étoiles scintillantes. Rien n'avait changé, ce qui valait tous les bons augures. Héphaïstos avait seulement installé une sorte de piquet en métal à même le sol, dont le sommet clignotait pour indiquer leur position à la nuit tombée. Un peu de pouvoir « héphaïstien », et seuls les immortels pouvaient percevoir la lumière.
Les Dragons se posèrent alors lourdement sur le sol, signalant de ce fait leur arrivée avec grand bruit.
Immédiatement, Héphaïstos et Pandore sortirent d'un accès caché de la montagne et s'immobilisèrent subitement en voyant le Dragon d'où Daímôn descendait en glissant le long de son flanc.
— Qu'est-ce que... ? bredouilla Héphaïstos.
Une goutte de sueur coula le long de son front et de son nez crochu. Il eut la certitude inexplicable de connaître cette bête aussi rouge qu'un rubis. Mais le souvenir qu'il en gardait le terrifiait. Ses mains tremblèrent inlassablement, l'une d'elles agrippa le manche de son marteau, et son cœur se mit à battre la chamade.
— Papa, tout va bien ? s'enquit doucement Pandore en découvrant l'état alarmé du dieu-Forgeron.
Daímôn courut à sa rencontre, ordonnant à Pûr de rester en arrière. Il avait senti la profonde appréhension du dieu.
— Héphaïstos, calme-toi, lui dit-il posément. Je sais que tu es persuadé de le connaître, mais...
— Il a failli me tuer..., le coupa-t-il. Comme beaucoup d'entre nous !
— Pûr n'est plus celui que tu as gardé en mémoire. Il n'est plus celui qui, avec ses confrères soumis à la folie, a provoqué la Drakonomakhía... Il...
Le dieu-Forgeron ne parvenait à quitter des yeux un seul instant l'énorme reptile rouge qui ne bougeait pas d'une écaille.
Ce dernier notait bien la tension qu'il lui provoquait. Son regard se posa sur le manche du marteau serré.
— Pûr est notre allié, notre bouclier. Je puis te l'assurer ! intervint Athéna en rejoignant Daímôn. Il ne te fera aucun mal.
— En es-tu... sûre ? souffla l'Olympien.
Athéna fut bien tentée de répondre « non », car elle-même n'était pas convaincue que le Dragon fût bel et bien leur allié désormais, en dépit du voyage mémoriel qu'ils avaient partagé ; mais elle décida de s'abstenir et se contenta donc de hocher la tête en signe d'affirmation. Ce simple geste sembla avoir eu l'effet escompté : Héphaïstos se détendit quelque peu. Tant que Pûr resterait à bonne distance, tout irait bien.
Éros s'approcha en voletant sous sa forme de nourrisson qu'il avait reprise avant que les Dragons ne se posent. Pandore sourit et ne put empêcher des larmes de bonheur de couler jusqu'à son menton.
— Je suis heureuse de te revoir ! lui dit-elle en le serrant dans ses bras.
— Étiez-vous tous au courant de ma... disparition ? s'enquit-il.
— Bien sûr, fit Athéna. La pression dégagée, cette fameuse nuit, s'est fait ressentir partout. Le dieu de l'Amour, qui plus est l'Unificateur, fils de Kháos, qui s'évapore : ça laisse des traces très perceptibles pour n'importe quelle déité qui se montre un tant soit peu attentive aux fluctuations perpétuelles. Nous étions simplement incapables de te retrouver. Une sorte de miroir réfléchissait nos pouvoirs et nous aveuglait.
» Ajoutons à cela une nouvelle instigation félonne de Borée. En plus du miroir sûrement placé par Apollon ou Zeus, le Vent du Nord glace les liaisons télépathiques et les paralyse, au même titre que Pûr les broie avec sa chaleur. Ton corps étant en sus gelé, tu étais incapable d'employer tes pouvoirs pour communiquer avec nous, ou ne serait-ce envoyer un signal de détresse.
Daímôn se souvenait parfaitement de sa totale incapacité à faire quoi que ce fût dans son état gelé de pied en cap.
— Que s'est-il passé là-bas ? s'informa Héphaïstos.
Daímôn et Athéna échangèrent un premier regard, se remémorant rapidement tous les épisodes de leur expédition dans le cercle arctique.
— Ça fait deux nuits complètes que vous êtes partis, et nous n'avons reçu strictement aucune nouvelle ! les sermonna le dieu-Forgeron.
— Désolé..., maugréa Daímôn. Borée nous a tendus un piège... et nous sommes tombés dedans. Il a enfermé Athéna en cellule, et il m'a gelé.
— Comment ça, « gelé » ? tiqua Pandore.
Daímôn leur explicita laconiquement tout ce qui s'était passé. Il omit évidemment la seconde mort des Boréades : il préférait que cet acte regretté et regrettable ne s'ébruitât pas, même s'il ne doutait pas un seul instant que Zeus et les autres dieux fussent déjà au courant. Puis, il leur narra le retour, son combat contre Pûr et le voyage astral à travers les souvenirs du Dragon rouge.
— Vous n'avez jamais vécu une expérience aussi incroyable, commenta Éros. Vraiment ! Pûr sait constituer ses mémoires avec une précision exceptionnelle et inégalable. Tout paraissait si... réel !
— Et qu'avez-vous vu ? s'enquit Pandore.
Nul ne répondit. Les diverses visions, toujours conclues par le chaos, leur semblaient indispensablement à taire. Le dieu du Feu ni Pandore n'insistèrent, bien que dévorés par la curiosité, tant ils notèrent le malaise que la question avait engendré.
— Hécate n'est pas là ? introduisit Éros pour couper court le silence pesant, seulement trahi par la respiration rauque des Dragons.
— Non, et je suis extrêmement inquiète à propos de dame Hécate, répondit Pandore. Elle est partie pour le mont Olympe juste après votre départ, et depuis, nous n'avons reçu aucune nouvelle. Papa a essayé de la contacter à maintes reprises, mais il n'y est pas parvenu.
Daímôn sentit un tressaillement parcourir son dos. Il fut persuadé que quelque chose était arrivé à la déesse de la Magie. Son instinct premier le poussait à se lancer à sa recherche, mais l'heure le rappelait à d'autres priorités.
— Essayez d'entrer en communication avec elle jusqu'à ce qu'elle réponde, dit Daímôn sans cacher son désarroi. S'il lui est arrivé quelque chose, les dieux vous le diront peut-être. À moi, non. La grande majorité réclament toujours ma mort.
Pandore plussoya.
— Que vas-tu faire, maintenant ? demanda-t-elle au Primordial.
— Eh bien, il est impératif que...
Soudain, un éclair nacré frappa le sol et une forte odeur de rose se répandit dans l'air. Daímôn était capable de reconnaître ce parfum envoûtant entre mille, mais surtout la seule personne au monde qui osait le porter.
(suite du chapitre 16 en suivant...)
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