ΔΓ - Μνήμη (partie 3)
Après quelques minutes dans une cécité totale, le monde se dessina de nouveau peu à peu, dans un espace et un temps différents.
Ils n'étaient plus au bord de la mer Égée, mais dans un immense espace rocailleux. L'atmosphère était cinquante fois plus tendue et l'énergie dans l'air incroyable. Pourtant, il n'y avait rien d'autre alentour que roches, montagnes et anciens volcans endormis pour l'éternité. Ce n'était qu'un monde sans vie... du moins au début.
Ils flottaient, attendaient que le souvenir de Pûr se fût totalement matérialisé.
Un premier éclair fusa subitement dans l'espace et détruisit la roche en un cratère. Un homme à la musculature aussi imposante que monstrueuse en sortit, armé d'une sorte de javelot en acier brut de deux coudées, électrifié. Daímôn reconnut immédiatement son ennemi de toujours : Zeus, pourvu de son attribut, le légendaire Foudre.
Le roi des dieux s'avança graduellement dans la plaine rocailleuse jusqu'au moment où d'autres éclairs tombèrent du ciel. De chaque cratère, des dieux émergèrent tour à tour : Hadès dans une armure noire, Apollon tout en or, Artémis argentée... Ainsi, tous les Olympiens, également Hestia et Déméter, se retrouvaient présents en un même lieu, en tenue de combat – phénomène pour le moins bien rare – afin d'affronter un ennemi commun.
« Voici la preuve que nous, dieux de l'Olympe, avons participé à l'effort de guerre contre les Dragons pour protéger les mortels ! » fit Athéna durement.
Daímôn reporta son attention sur le combat qui venait.
Zeus commanda aux autres Olympiens de se mobiliser tout autour de lui afin de former un arc défensif. Tous les dieux étaient armés de leurs artefacts propres : Poséidon et son Trident, Hadès et sa Kunée, Dionysos et son Thyrse... Daímôn reconnut alors Athéna en première ligne dans son apparat de guerre. Elle portait toujours et fièrement son armure en bronze céleste recouverte de l'Égide(Ψ) et ses lames du même alliage. Dans son dos reposaient un arc et un carquois aux flèches à la pointe terrible. Elle semblait prête à en découdre avec l'ennemi. La tension n'en était que plus palpable : les dieux étaient prêts à tout pour affronter leurs ennemis !
Soudain, telle une étoile filante, une boule de feu explosa sur le sol entre Apollon et Artémis qui furent projetés de part et d'autre. Immédiatement, tous les dieux déchaînèrent leurs pouvoirs divins vers le ciel. Des éclairs de toutes les couleurs fusèrent frénétiquement, mais les cieux se couvrirent d'une aura noire abominable et engloutirent les forces bienveillantes des dieux. Deux yeux rouge sang se métamorphosèrent dans la noirceur et un rugissement terrifiant se propagea dans l'air. Plus puissante que tout, les dieux ployèrent sous la force du cri animal que Daímôn ne connaissait que trop bien.
Un tourbillon malveillant s'échappa du nuage obscur et frappa durement le sol en éparpillant les dieux. Aucun ne put échapper à la force ancestrale à l'œuvre. Et descendant des cieux, les Dragons passèrent à l'attaque un à un.
Athéna du présent regardait la scène avec impuissance. Elle se souvenait subitement de tout ce qu'elle avait ressenti ce jour-là, face aux Dragons Primordiaux. Elle n'avait jamais noté tant de haine, de colère, de pouvoir et de souffrance en un même instant, pas même lors de la Gigantomachie contre Gaïa et ses enfants, les Géants. Les enfants de Cronos – Zeus, Héra, Hestia, Déméter, Hadès et Poséidon – n'avaient guère non plus ressenti tant de véhémence lors de leur combat contre les Titans.
Daímôn n'en revenait pas : les dieux olympiens se battaient contre les Dragons ! Eux qui n'avaient même pas sourcillé lors du premier massacre au Péloponnèse, voilà qu'ils venaient tous se confronter à ses créatures. N'étaient-ils peut-être pas tous aussi pleutres qu'il le pensait, après tout... ? Pûr essayait peut-être même de lui faire entendre raison envers les dieux. Oui, mais ils ont essayé de te tuer, lui murmura sa conscience. Une trahison difficile à avaler. Il ne pouvait leur pardonner avec une petite vision. Il se demanda par ailleurs où lui, pouvait bien être. Comment lui, pouvait-il laisser les dieux s'occuper des Dragons, seuls ? Il était censé les protéger tous ; c'était son devoir. Athéna avait eu raison de le sermonner. Tout n'était pas la faute des dieux, mais également la sienne !
Il observa de nouveau le terrifiant combat.
Zeus s'avança avec son Foudre vers un Dragon aux écailles d'acier, les yeux animés d'une aura rouge. Le tonnerre gronda et l'éclair fonça droit sur le poitrail du monstre ailé, mais la force électrique du javelot divin ricocha. Dévié, le trait lumineux vint alors faucher Dionysos en pleine poitrine, lequel tomba à genoux, une sombre marque fumante au point d'impact. Le Dragon en face de lui en profita pour lui assener un violent coup de queue en plein thorax qui l'envoya valdinguer contre une montagne. Elle s'écroula sur lui.
— Repliez-vous ! ordonna Zeus d'une puissante voix.
Les dieux reculèrent tous en même temps, comme s'ils étaient entièrement reliés, et se rapprochèrent de Zeus. Les treize dieux toisaient leurs adversaires écaillés avec colère.
— Hermès, dit Zeus autoritairement, va chercher Dionysos et ramène-le ici le plus vite possible !
Le dieu des Voleurs hocha la tête et s'élança à toute allure vers le corps inerte de son demi-frère grâce à ses Talariaqui lui procuraient une vitesse vertigineuse. En deux temps trois mouvements, Hermès revint avec un Dionysos blessé sur les épaules qu'il posa doucement au sol. Apollon n'attendit guère une seule seconde et lui procura des soins avec de l'ambroisie. Le dieu du Vin ouvrit à nouveau les yeux et se releva en matérialisant son arme divine, semblable à un sceptre orné d'une pomme de pin, dans sa main. Il chercha alors du regard le Dragon qui l'avait mis dans cet état.
Leurs ennemis volaient au-dessus d'eux. Les dieux ne savaient guère ce qu'ils attendaient ainsi. Daímôn les connaissait cependant : ses créatures connectaient leur force entre elles et se soignaient mutuellement, bien qu'elles ne fussent guère vraiment blessées.
Le fils de Kháos regarda les immortels et étudia leur réaction. Il fut surpris de découvrir Héra, Déméter et Hestia dans leur tenue de guerre. Les déesses, d'ordinaire pacifiques, faisaient montre d'une rage grandissante envers leurs ennemis. Chacune était pourvue d'une armure à leur effigie.
Héra portait une protection en argent fortifiée d'où des plumes de paon, son attribut animal, dépassaient des jonctions. Elle avait les cheveux attachés en un chignon pour ne guère être gênée lors de ses mouvements. Elle portait une épée en argent dans la main et un poignard à la ceinture. Daímôn ne l'avait encore jamais vue avec autant de vivacité et de colère.
Déméter ne portait pas d'armure mais des vêtements collant à la peau de couleur flavescente comme les blés. Autour d'elle, des orges flottaient, semblables à des morceaux de verre effilés. Elle était armée d'une lame en bronze et d'une faux dans le dos.
Mais ce qui impressionna le plus Daímôn fut bel et bien Hestia. Elle brûlait littéralement d'un feu bleu lové tout autour de sa tunique dorée. Ses cheveux, eux aussi, étaient enflammés, tout comme l'épée qu'elle tenait dans la main.
Les Dragons étaient affreusement nombreux, et tous différents. De toutes les couleurs, ils semblaient si puissants à côté des dieux ridiculement petits. Daímôn se demanda lors pourquoi ceux-ci n'adoptaient guère leur forme de géant afin de rivaliser ne serait-ce que par la taille.
« Nous avons essayé, avoua Athéna. Mais une force orchestrée par les Dragons nous en empêchait, une force que nous n'avons guère réussi à annihiler. »
Daímôn savait que les Dragons étaient intelligents, bien plus que les dieux. L'art de la guerre n'avait aucun secret pour eux. Ils se mirent alors à rugir ; les dieux ployèrent à nouveau un genou sous la force sonore. Zeus hurla à son tour : les dieux passèrent à l'attaque.
Les explosions se mirent à apparaître de tous côtés, dieux contre reptiles. Le combat était plus rude qu'aux prémices, et très vite, chaque dieu se retrouvait seul pour affronter un à deux Dragons.
Arès était armé d'une épée deux fois plus grande que lui, qu'il assenait pourtant avec facilité, comme si le poids n'était rien, contre la gueule du Dragon noir aux yeux rouges qu'il affrontait. Celui-ci tentait de le mordre de son immense mâchoire et crachait des éclairs obscurs sur le dieu de la Guerre qui roulait pour les esquiver. Une fois, deux fois... La troisième, il n'eut cette chance... L'éclair le frappa de plein fouet et l'étourdit un moment. Le Dragon en profita pour le happer avec sa gueule et le transporta dans les airs. Lâchant son immense lame, Arès matérialisa deux petits glaives dans ses mains et frappa la gueule du monstre de tous côtés pour s'échapper. Mais las de jouer plus longtemps avec lui, le Dragon gigota sa gueule en tous sens afin de détruire tous les os du dieu. Voyant que le corps d'Arès était plus puissant qu'il ne l'eut pensé, le Dragon ténébreux piqua vers le sol et, dans un dernier coup de gueule vers le bas, fracassa le dieu sur le sol, lequel resta inerte... Daímôn comprit tout à coup pourquoi le dieu de la Guerre avait été terrifié contre son cobra de feu dans l'arène : il avait déjà essuyé une violente défaite contre un reptile, et ce, de la même manière !
Aphrodite sentit la force de son amant se réduire subitement et se dématérialisa à côté de lui. Elle s'agenouilla devant son corps et invoqua une énergie de soin avec ses mains s'illuminant d'une aura rose. Elle guérit les blessures du dieu, mais celui-ci ne bougea pas d'un pouce. Elle ne vit guère le monstre immaculé derrière elle qui, dans un accès de folie, dégorgea une langue de lumière blanche sur elle. Les deux amants de l'Olympe disparurent dans un flash aveuglant. Lorsque celui-ci se dissipa enfin, ils étaient l'un sur l'autre, évanouis.
— Aphrodite ! hurla Héphaïstos.
Daímôn jeta son regard vers lui. Pûr du passé attaquait le dieu du Feu avec fureur.
Héphaïstos le frappait avec un marteau enflammé. Mais les coups de l'arme ne lui faisaient pas le moindre effet. La massue, trop petite, ne pouvait égaliser avec la grosseur du Dragon tout feu tout flamme qui aspirait l'énergie calorifique d'Héphaïstos et de son artefact. Le dieu de la Forge se retrouvait complètement soumis à la force de Pûr. Vélocement, Pûr frappa Héphaïstos avec une de ses ailes gigantesques et l'envoya voler plus loin. Le dieu s'écrasa lourdement dans un énième cratère.
La culpabilité du Pûr spectateur n'en fut que plus grande.
Le fils de Kháos observa de nouveau la scène du combat et y vit l'inévitable déchéance des Bienheureux. La grande majorité était à terre. En réalité, il ne restait plus qu'Apollon, Zeus et Poséidon debout face aux Dragons dont aucun n'avait défailli face à leurs ennemis.
Zeus grimaçait de colère et de doute. C'était bien la première fois qu'une force ennemie venait à bout de lui et de ses frères, de ses sœurs et de ses enfants avec une telle acuité. Même Hadès n'avait pu contrer les attaques du Dragon blanc. En deux coups de flash, le Père des Morts était tombé.
— Mon frère, que faisons-nous ? demanda Poséidon, tenant fermement son Trident électrifié.
Le roi ne répondit pas et s'apprêta à tout abandonner. Il avait perdu son combat. C'était fini.
Alors, au bord du désespoir, une boule de feu bleue fusa dans l'air et frappa le sol avec une force titanesque, provoquant un flash aveuglant. Le Dragon bleu et son dompteur se posèrent sur le sol, insufflant une tension extrême dans la légion des Dragons Primordiaux.
Daímôn sentit son cœur battre plus fort en se découvrant comme à l'époque, Díkê et Phúlax à ses côtés, portant une armure brillante comme un soleil. Il était bien plus grand que Zeus sous sa forme adulte, et ses cheveux semblaient si longs et soyeux.
— Zeus ! dit le guerrier ancestral. Il est temps de leur montrer la véritable force des Olympiens !
Sa voix était plus puissante et autoritaire qu'aujourd'hui. Daímôn était impressionné par le ton sûr de sa voix d'antan. Drákôn respirait la force et la colère. Il s'illumina d'une intense lumière dorée et les dieux papillotèrent à leur tour de cette même aura. Les Dragons reculèrent face à la pression du Primordial. Les Olympiens se levèrent, tour à tour, ragaillardis et prêts au combat.
— Il est temps de leur montrer ce que vous valez vraiment, dieux de l'Olympe ! tonna Drákôn.
Il chargea alors avec sa lame et les éclairs explosèrent, dévorant les plaines en proie au chaos des puissances divines et ancestrales.
La vision se brouilla subitement et les esprits ne purent rien voir de plus du combat titanesque d'antan, plongés derechef dans le noir absolu.
« Non, attends ! dit Daímôn avec supplication. Je veux voir la suite ! »
« Je ne le peux, Drákôn ! s'excusa Pûr. Ce ne sont que des réminiscences, des mémoires incomplètes. »
Daímôn poussa des jurons silencieux, mais ils n'échappèrent guère aux dieux et aux reptiles.
« Cependant, je peux te montrer autre chose, dit Pûr. Un événement que j'aurais préféré à jamais oublier. »
« De quoi s'agit-il ? » demanda Athéna.
« Du dernier moment où Drákôn a combattu les Dragons. Ensuite, ce fut la fin. »
« Montre-nous, fit Cupidon plus qu'impatient. Cela nous dévoilera peut-être ce qui lui est arrivé. »
« Malheureusement, non. N'oubliez pas qu'il s'agit de ma mémoire. Ce que vous allez découvrir est la dernière fois que Drákôn et moi nous sommes vus avant qu'il ne disparaisse. Rien ne laisse transparaître la raison pour laquelle cela est arrivé. Je suis désolé. Néanmoins, je veux partager ceci avec lui. »
« Très bien, Pûr, fit Daímôn d'une voix calme. Fais donc. Si tu le veux, nous obéirons. »
Encore une fois, Pûr se concentra et imagea son souvenir. La noirceur de l'univers parallèle où il se trouvait se dessina peu à peu, puis devint très clair.
(suite du chapitre 15 en suivant...)
Bạn đang đọc truyện trên: AzTruyen.Top