ΓΙΙΙ - Δίκη (partie 5)
Tandis que Daímôn calmait ses ardeurs meurtrières, Héphaïstos et Hécate revenaient vers eux, le dieu tenant entre ses mains l'artefact tant convoité.
Daímôn ressentit un puissant frisson parcourir l'intégralité de sa colonne vertébrale pour se nicher dans sa nuque. Cette énergie lui était si familière, si intense et personnelle, comme s'il venait de retrouver une partie de lui-même qu'il avait égarée depuis des millénaires et qui lui avait toujours semblé à jamais inaccessible.
Une larme vint couler malgré lui.
— Hé-Héphaïstos... dit-il soudainement essoufflé, le cœur emballé. Qu'est-ce que c'est ?
— Je l'ai trouvée voici deux millénaires environ, peu après ta disparition, répondit le dieu laid avec un incroyable sérieux que nul ne lui connaissait en dehors de ses travaux. Ceci t'appartient, Drákôn.
Daímôn eut un haut-le-corps en entendant son véritable nom émerger de la bouche d'Héphaïstos. Il étrécit les yeux lorsqu'il observa la couverture dégager une aura bleue plus intense. Elle avait pris une teinte aussi pure que le sang et les iris de Daímôn. Elle semblait même réagir au véritable nom du fils de Kháos !
Héphaïstos se dirigea sans plus de cérémonie vers une table en fer et déballa l'épée avec une extrême minutie.
— Voici la Lame du Dragon.
L'épée était si finement ciselée qu'il semblait bien impossible pour quoi que ce fût de supporter son tranchant. La lame était magnifique, d'environ deux coudées de longueur sur quatre pouces de largeur juste au-dessus de la fusée, diminuant peu à peu à mesure que l'on montait sur son long, se terminant en une gracieuse pointe. D'un bleu magnifique, le métal brillait d'une même couleur que l'aura qui s'en échappait, gravé d'un phi orné non loin des quillons, en tout point similaire à celui apposé sur la couverture en cuir de la Création des Éléments que le fils de Kháos avait pu voir chez Hécate. La poignée tout comme les quillons étaient également en adamantine, ce métal divin que nul mortel ne pouvait porter, parsemés de petits rubis, d'émeraudes, de diamants et de saphirs épousant le corps d'un dragon sculpté dans l'alliage. Au bout du pommeau où le bretteur posait sa main, une étrange pierre commune à nulle autre, embrassant toutes les nuances de bleu, était enchâssée en haut-relief, finement arrondie pour correspondre parfaitement à la rondeur de la paume de son propriétaire.
Héphaïstos proposa à Daímôn de prendre la lame. Ce dernier se retint un instant avant de la toucher, une pointe d'inquiétude, presque de peur, le piquant à l'idée de la saisir.
Pourtant, l'envie devint un besoin brûlant et il prit l'épée. Lorsque la pierre dans le pommeau épousa sa paume, un puissant rayon bleu fusa, les aveuglant tous.
Un véritable maelström d'images se bouscula dans l'esprit de Daímôn. Il se vit affronter ses ennemis, les pourfendant de son unique épée plus que divine, messagère de la Justice, du Devoir, du Droit, de l'Ordre dicté par son père Kháos lui-même. Aucun coupable qu'il prenait en chasse n'échappait à la sentence finale ; chaque innocent était gratifié d'un sentiment de paix et de sécurité aux côtés de l'antique Seigneur des Dragons ancestraux.
— Díkê (Ω), chuchota Daímôn à l'épée en caressant le phi.
À son nom, la lame brilla plus splendidement que jamais. Daímôn sentit le pouvoir s'engouffrer en lui, emplissant un vide qu'il côtoyait depuis qu'il avait rencontré Athéna. Sa mémoire lui revenait peu à peu, bien que plusieurs parts d'ombre demeurassent fermement accrochées. Il nota son énergie s'accroître exponentiellement, mais pas assez à son goût.
Il en voulait plus, beaucoup plus !
Cette énergie provenait de la pierre, à l'intérieur de laquelle était enfermée une entité surpuissante. Cette âme et ce corps entravés étaient si familiers, chéris et manquants à Daímôn... Ce furent bien plus de larmes qui coulèrent.
— Je t'ai enfin retrouvé, Díkê, souffla-t-il.
— Díkê ? répéta Pandore.
— Du grec ancien, traduisit Hécate. (Pandore le savait évidemment, bien que des années se fussent écoulées depuis qu'elle avait entendu cet idiome.) Un terme aux multiples facettes, un nom puissant, un devoir. Elle est aussi bien la « Justice », mais aussi la « Coutume » ancestrale. Elle impose l'« Ordre », la « Loi » et le « Droit ». Mais elle découle aussi du « Jugement » et de sa conséquence : la « Punition ». Tel était Daímôn : l'Avocat du monde, le Juge des mortels et des dieux, mais aussi le bras vengeur de la Justice, car il est avant tout le Díkaios (Ω). Il châtie les immortels et les hommes, dans l'unique but de préserver l'Équilibre et de faire respecter la Loi, comme il en est coutume. (Hécate écarquilla les yeux.) Par tous les dieux, d'où viennent ces souvenirs ?
— Nos remembrances ressurgissent peu à peu, à mesure que Daímôn recouvre les siens, expliqua Héphaïstos. C'est la Lame du Dragon qui accomplit son devoir envers les dieux et les mortels, en effet. Cette même lame qui autrefois pourfendait les ennemis de Drákôn, dont l'unique but était de respecter le rôle confié à sa naissance. La lame qui puise son pouvoir du porteur lui-même et de toute autre créature qu'elle déchoit. Elle est indestructible, grâce aux fragments d'écailles de dragons qui la composent, plus solides encore que l'adamantine dans lequel fut forgé la poignée.
— Alors elle n'est pas un danger pour nous si elle répond au nom de la Justice, non ? s'enquit d'une petite voix Pandore.
— Si nous l'enfreignons, elle le devient. Comme au temps jadis, nombre de dieux et de mortels furent châtiés, car ils ne respectaient guère les lois universelles. Mais avec le temps, la justice change de forme : nous ne la percevons plus de la même manière que naguère.
— Mais dans ce cas, pourquoi répond-elle encore en son nom, si elle impose la Coutume ancestrale ?
— Car la Lame du Dragon ne subit pas les changements et reste fidèle à la véritable coutume et justice, à l'instar de Daímôn. Ainsi échappée de son sommeil, Díkê équilibrera de nouveau le monde et ses composantes. Les dieux devront s'assujettir à elle, car ils n'ont pas le choix, au risque de goûter à son ire, constamment mortelle. Drákôn ne répond ni au Bien ni au Mal ; il obéit seulement à la Justice.
— Alors j'espère avoir réussi à convaincre Daímôn de ne pas anéantir les dieux, coupables de tous les crimes selon sa perception biaisée des choses...
Héphaïstos lui lança un regard interrogateur. Pandore lui expliqua brièvement sa petite conversation avec Daímôn et sa tentative de le raisonner. Le père sourit à sa fille, fier d'elle.
— Père, comment connais-tu tout cela ? s'interrogea la jeune immortelle.
— Lorsque j'ai récupéré la Lame du Dragon, tous ses secrets m'ont été partagés. Avant que je ne m'en saisisse, elle me fit savoir que je ne le pouvais pas. Elle ne sentit sûrement que mon admiration de maître forgeron pour sa beauté et sa finesse. Elle me vit en ami, au moment où son propriétaire a disparu.
» Elle partagea ses savoirs et ses secrets, que seuls Kháos et les six Primordiaux connaissaient.
Pandore n'en revenait pas, impressionnée que ce fût son père, et uniquement lui, qui eût été choisi par l'épée ancestrale.
— Je sens une force s'échapper de la pierre dans la poignée, dit Hécate intriguée. Une force possédant une âme et un corps. Une entité ?
— Díkê est également un sanctuaire pour les Dragons Primordiaux, fit Héphaïstos. Leur villégiature, tout comme l'est l'Olympe pour nous.
— Il y a un Dragon à l'intérieur de l'épée ? s'enquit Pandore ahurie.
— Pas n'importe lequel : le dernier des Dragons nés de Kháos !
Pour toute réponse, Daímôn leva la lame, présentant la pointe à l'embouchure de la cheminée rocailleuse où s'infiltrait la lumière du ciel. La pierre du pommeau se mit à luire, éclaira toute la caverne. L'énergie fit s'arrêter les automates plongés dans leurs tâches diverses, prêtant dès lors attention aux dieux.
Hécate sentit le Dragonique du Souverain des Reptiles à l'œuvre, si intense et fort que sa propre magie ne semblait rien de plus qu'un foyer sur le point de se consumer.
Un jet de lumière remonta le long de la lame de Daímôn et fusa vers les cieux à travers la cheminée du volcan. La pression fut telle que les automates se désactivèrent subitement, avant de se réactiver comme si de rien n'était. La lave au sein des murs se mit à couler plus rapidement. Hécate sentit un point la tirailler en plein ventre. Héphaïstos et Pandore ne pipaient mot, trop ébaubis – ou terrifiés ? – par le pouvoir de Daímôn.
La Lame du Dragon cessa alors de luire et tous s'immobilisèrent, instant alourdi par un silence total. Hécate était dévorée par une douleur de plus en plus aiguë. Seule la lave continua de couler au cœur du volcan d'ordinaire endormi.
Soudain, une gigantesque forme animale se dessina dans l'ouverture de la cheminée, empêchant la lumière d'Hélios de passer, ne laissant plus que la diaprure orangée de la lame éclairer les visages paniqués des dieux et le rictus de Daímôn. Pandore en eut froid dans le dos en découvrant cette expression. Était-ce de la félicité... ou un avertissement ?
La peur eut alors tout le loisir de la posséder lorsque l'immense créature se posa, déchaînant les ravages dans les entrailles de la montagne de feu. La bête émit un rugissement tonitruant. Les dieux restèrent pétrifiés ; Daímôn irradiait littéralement de bonheur !
— C'est impossible..., couina ridiculement Hécate.
La créature plongea son regard de saphir dans le plus profond des iris émeraude de la déesse de la Magie.
Fin du chapitre 8
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